dimanche 8 décembre 2024

CRITIQUE, opéra. LYON, Opéra de Lyon, le 24 janvier 2024 (et jusqu’au 4 février). OFFENBACH : Barbe-Bleue. F. Laconi, H. Mas, J. Duffau, J. Courcier, G. Andrieux… Laurent PELLY / James HENDRY.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Après Orphée aux Enfers (1858), La Belle Hélène (1864), et la même année que La Vie parisienne (1866), ce Barbe-Bleue de Jacques Offenbach, sur un livret de Meilhac et Halévy, est tiré du conte de Charles Perrault – mais ici grandement revu et corrigé par le joyeux luron qu’était le compositeur franco-allemand. Cependant, par ces sombres et tristes temps de harcèlement sexuel, de violences faites aux femmes, de féminicide, et de légitime révolte féminine, ce Barbe-Bleue – repris à l’Opéra de Lyon dans la fameuse mise en scène de Laurent Pelly étrennée in loco en 2019 – n’a non seulement n’a pas perdu un poil de sa vive verve satirique d’autrefois… mais recouvre un vivante écho dans notre triste actualité !

 

 

Dans une lumière blême (Joël Adam), le rideau se lève sur un livide décor guère décoratif de Chantal Thomas qui défrise les fées des contes : pas de cadre bucolique, pas de chaumière douillette, mais une ferme où l’on patauge dans la gadoue et le purin, ce qui n’empêche pas de s’y contenter fleurette, même si Fleurette, la délicieuse et délicate Jennifer Courcier ne s’en laisse pas conter par l’agile et habile Saphir, l’élégant Jérémy Duffau, à la mèche folle et en salopette de fermier (mais en fait un Prince travesti !). Du pauvre linge étendu, une bicyclette rouillée, une niche délabrée et désertée de chien, véritable lieu en déshérence, où le Conte Barbe-bleue y cherche une  nouvelle proie, après avoir envoyé en préliminaire mission de chasse à la vierge, à la “rosière”, son frêle mandataire tourmenté Popolani, en imperméable, avant de le troquer contre sa blouse blanche d’officiant médical occulte de la clandestine morgue comtale dans le sous-sol de son château !

Allures et figures de dégénérés par la consanguinité sans doute, une rustaude population rustique, aux ternes costumes de rustres mal dégrossis et aux trognes renfrognées, évoluent dans cette cours de ferme au-dessus de laquelle sont par ailleurs placardées des Unes de journaux à sensation, tronquées à nos yeux pour que l’angoisse soit plus grande qui, évoquant des disparitions mystérieuses de femmes, pèsent et plombent le moral.

En somptueuse et silencieuse limousine, marque Jaguar pour le prédateur, longue et noire comme un corbillard, manteau de cuir noir, œil charbonneux et raides cheveux gominés de danseur de tango sur barbe taillée bleuie, déboule Barbe-Bleue. Commence son lamento éploré, son récitatif inspiré d’opéra tragique entre Gluck et Verdi, sur les malheureux accidents répétés qui lui arrachent successivement ses femmes et, après une cadence cascadante et virtuose, aux aigus éclatants, le voilà tout guilleret, « Ô gué ! Le veuf le plus gai », dansant avec une souplesse étonnante et détonante par rapport à son corps massif : loin de détonner en passant avec naturel du parlé au chanté (exercice dont on ne souligne jamais assez la difficulté et le danger pour la voix), Florian Laconi déploie une généreuse prolixité vocale de ténor lumineux dans l’aigu, sombrant dans des graves sonores (« Je suis Barbe-bleue »), repris par le chœur maison frissonnant dans une admirable unanimité d’automates entre respect et crainte (dirigé par Benedict Kearns).

 

 

Et l’on comprend le sursaut de désir qui le secoue à la vue de la bien “roulée” Boulotte : « Un Rubens ! » il s’écrie et s’extasie devant la plus délurée des bergères, incarnée en belle et bonne chair (et voix !) par la pulpeuse Héloïse Mas, pas morne paysanne comme les autres, mais saine et plantureuse bout de femme, propre à vivifier un mort. Mais à peine intronisée comtesse dans le somptueux palais, Boulotte, timbre voluptueux et langue bien pendue, gêne aussitôt son époux. Qui, lui préférant la princesse Hermia sur le point de se marier avec le Prince Saphir, aspire aussitôt à épouser cette dernière – destinant sa femme à la morgue où sont méthodiquement rangées en leur tiroir réfrigéré ses cinq précédentes épouses ! Barbe-Bleue vante avec fierté à Boulotte son palmarès conjugal et mortuaire, ce caveau de famille, et lui montre, ricanant de sadisme, le casier à son nom qui lui est déjà destiné, mais il commet le soin de la tuer à son médecin spécialisé affecté à ce service, son (pas si) fidèle Popolani, un Guillaume Andrieux aux allures de Nosferatu/Frankenstein, mais en fait faux méchant… car il les a endormies et non empoisonnées pour les sauver !

Des basses fosses du château du comte, on repasse aux fausses risettes et vraies bassesses de la cour, de la basse-cour tant le revêche roi Bobèche fait baisser l’échine souple de ses courtisans, rangés en rang d’oignons de légumes en série par le comte Oscar – impeccable Thibault de Damas ! – dont c’est l’occasion pour lui, avec sa mine d’enquêteur-espion, de s’adonner à un superbe numéro éclatant de vitalité ironique dans ses couplets sur le bon courtisan, au demeurant l’air le plus célèbre de l’œuvre. 

Certes, nous avons perdu des codes, certaines clés pour ces pamphlets d’une œuvre très ancrée dans son temps, par ailleurs bien contrôlée par la censure. Mais, sans vendre la mèche, dans les scènes de ménage entre le roi Bobèche (chauve mais décoiffant Christophe Mortagne !) et sa guère clémente Clémentine de femme, Julie Pasturaud, voix royale et impérieuse. Dans ce couple aigri et en guerre, il n’est pas interdit de voir la mésentente célèbre du couple impérial que formaient Napoléon III et Eugénie. 

À la tête de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra de Lyon, le jeune et bouillonnant chef britannique James Hendry (un nom à retenir !) mène son monde tambour battant, battue aussi échevelée que précise, dans la respiration vive de la musique, bien que pressante pour les chanteurs parfois… Et le dira-t-on jamais assez ? L’équilibre exact entre la parole et le chant sans qu’on sente de longueur et l’aisance de tous ces formidables acteurs-chanteurs à passer de l’une à l’autre.

Subtile et utile mise en scène de Laurent Pelly, qui règle son compte au conte en soulignant et en révélant, sous l’irrésistible drôlerie de l’œuvre bouffe, la noirceur de sa matière, réglée en mouvements et jeu comme une partition de musique…

Un Barbe-Bleue au poil !     

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CRITIQUE, opéra. LYON, Opéra de Lyon, le 24 janvier 2023 (et jusqu’au 4 février 2024). OFFENBACH : Barbe-Bleue. F. Laconi, H. Mas, J. Duffau, J. Courcier, G. Andrieux… Laurent PELLY / James HENDRY.

 

VIDEO : Extrait de « Barbe-Bleue » selon Laurent Pelly à l’Opéra national de Lyon

 

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