dimanche 16 mars 2025

CRITIQUE, concert. LILLE, Opéra de Lille, le 20 janvier 2024. HENRY / LOUATI / MULLER : Dracula, ou la musique troue le ciel. Compagnie Le Balcon / Maxime PASCAL (direction).

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Raconter en musique et en bruitage « les représentations les plus folles de la terreur et de la profanation* » et « jouer avec ce personnage-objet sonore » : voici une soirée folle proposée par l’Opéra de Lille ! Dans sa partition, le compositeur français Pierre Henry fusionne des extraits de la Tétralogie de Wagner avec des sons concrets. Ici, Othman Louati et Augustin Muller la (ré)orchestrent et la spatialisent pour un ensemble d’instruments à vent, percussions et orchestre de haut-parleurs – le tout interprété par la compagnie Le Balcon sous la direction de son fondateur et chef Maxime Pascal.

 

 

Créée en 2002, la première version de Dracula, ou la musique troue le ciel fut entièrement exécutée à la console. Quinze ans plus tard, en 2017 au Théâtre de l’Athénée à Paris, la création de la présente version, en l’occurrence la troisième, s’est déroulée avec un orchestre. En effet, cette fresque monumentale à huit « épisodes » est une libre adaptation pour orchestre sonorisé et orchestre de haut-parleurs, « fondée sur 3 conducteurs synchrones fournis par Pierre Henry : les 2 premiers contenant ses musiques en version stéréo, le troisième faisant entendre ses emprunts à Richard Wagner exécutés par l’orchestre** ».

Pierre Henry considérait Wagner comme « un autre Dracula […], extraordinaire investigateur de sensations abyssales ». La partition de l’électro-acousticien – jusqu’aux moindres indications ainsi que la partie orchestrale de Wagner – sont ici transcrites pour un ensemble d’instruments à vent. Il s’agit d’un orchestre par deux, le deuxième tuba étant contrebasse, excepté les trompettes qui sont au nombre de trois, et une clarinette basse et un trombone basse s’ajoutant à leurs pupitres respectifs. Cet ensemble est augmenté d’un piano et d’une contrebasse qui élargissent l’éventail sonore.

La couleur des sons directs (mais électrifiés) est donc dominée par de puissantes teintes cuivrées, les instruments de bois se rapportant souvent à quelque chose de strident et perçant. Ces instruments sont richement complétés par des percussions réparties sur deux groupes (dont un avec des timbales) qui participent activement à des « bruitages ». Les timbales résonnent pleinement à certains moments-clés, comme s’ils nous emmenaient dans un monde souterrain. Le piano, lui aussi sonorisé, est largement exploité, aussi bien sur le clavier que sur les cordes dans la caisse de résonance. Lorsqu’il est joué sur le clavier, cela paraît étrange dans cet ensemble amplifié et sa sonorité habituelle donne parfois l’étonnante illusion d’un revenant ! Et les lumières rouges plus ou moins intenses, puis bleues ou blanches selon les « épisodes », participent à faire revivre un imaginaire de l’effroi.

Les bruitages, dont Pierre Henry était expert, constituent bien entendu la clé de cette œuvre : cris du corbeau, hurlement des loups, rires effrayants, battement d’ailes de chauve-souris, bruits de pas, ou encore crépitation du feu, sifflement du vent… Placés entre des leitmotiv rythmiques et mélodiques de Wagner qui se répètent de manière implacable (les enclumes du Nibelheim dans L’Or du Rhin), ou des fragments saccadés (Chevauchée des Walkyries), ces bruits prennent progressivement de l’importance, pour devenir les éléments principaux, à tel point que l’orchestre wagnérien, notamment ses cordes, se fait entendre par des bandes-son. Tout cela est si évocateur d’images que nous viennent aisément à l’esprit des scènes des films de Terence Fisher ou du Nosferatu de Murnau – que cite Pierre Henry comme sources d’inspiration.

La conception née du génie du compositeur, l’inventivité dans l’orchestration d’Othman Louati et d’Augustin Muller, ainsi que la diffusion sonore à travers différents haut-parleurs (sur scène et partout dans la salle) mise au point par Florent Dereux, créent, au fil des « épisodes », la perception sensorielle qui entraîne davantage les spectateurs dans cet univers à la fois singulier et luxuriant. Ainsi, c’est un monde complètement pictural qui se déroulent devant nous, un « film sans images » comme le définit Pierre Henry lui même. Et les excellents musiciens du Balcon rendent cet univers fantastique grâce à leur pertinence interprétative, sous la direction toujours dynamique et complètement investie de Maxime Pascal.

 

* Les citations sont de Pierre Henry sont toutes tirées de son site-catalogue : https://pierre-henry.org/items/show/323 (sauf **).

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CRITIQUE, Concert. LILLE, Opéra de Lille, le 20 janvier 2024. HENRY / LOUATI / MULLER : Dracula, ou la musique troue le ciel. Compagnie Le Balcon / Maxime Pascal (direction). Photos © Simon Gosselin / Opéra de Lille.

 

VIDEO : Trailer de « Dracula » de Pierre Henry par la Compagnie Le Balcon /Maxime Pascal

 

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