lundi 14 octobre 2024

CRITIQUE, opéra. BERLIN, Unter der Linden, le 29 oct 2022. WAGNER : Der RHEINGOLD / Thielemann / Tcherniakov

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CRITIQUE, opéra. BERLIN, Unter der Linden, le 29 oct 2022. WAGNER : Der RHEINGOLD / Thielemann / Tcherniakov.  Tcherniakov a trouvé à Berlin (Opéra Unter den linden), l’occasion d’exposer sa vision du Ring wagnérien, soit les 4 opéras de la Tétralogie de 16h de musique sur une semaine, … comme à Bayreuth. Le cycle devait être dirigé par Daniel Barenboim mais celui-ci souffrant a nommé son remplaçant, … Christian Thielemann. Même si le chef remplaçant a démontré ses qualités lyriques et symphoniques (son intégrale en cours Bruckner), l’écoute de cette première journée révèle un sens de l’articulation, une clarté du geste mais parfois la conception d’un orchestre compact, qui sonne parfois plus dur et puissant que réellement détaillé… sans les nuances dignes d’un Barenboim (cf son Tristan und Isolde), ou d’un Karajan.

 

Wagner désenchanté façon Tcherniakov

 

 

 

 

Tcherniakov évacue toute poésie ou fantaisie onirique et place le drame dans un vaste Centre de recherche médicale gigantesque qui contient dans l’une des ses cours fermées, l’arbre monde, image du cosmos et aussi vénérable sacré (le frêne originel selon le mythe nordique dans le bois duquel Wotan a taillé sa lance légendaire)  : en tout 11 espaces qui défilent comme les compartiments d’un train, comme les boîtes que traversaient sur scène Tristan et Yseult dans la sublime mise en scène d’Olivier Py, de loin le spectacle le plus poétique et bouleversant qui soit. Plus prosaïque voire matérialiste, Tcherniakov détaille de son côté, laboratoires et salles de réunion, salles de conférence et réserves où sont stockées des milliers de cages à lapins… sans omettre le sous sol où travaillent et s’épuisent les esclaves d’Albérich… le tout dans un pur style 1970.

La première scène est emblématique du reste : point de naïades dans leur fleuve protecteur ; les 3 filles du Rhin, gardiennes de l’or (et de l’anneau à forger qui détient la suprématie du monde) sont 3 infirmières en blouse, dossiers des patients en mains ; elles se tiennent à distance d’un malade fardé d’électrodes (Albérich) dans une boîte en verre, bien arrimé à son fauteuil et attaché par de larges bandes qui l’entravent ; le nabaud velu et bossu qui voudrait tant lutiner l’une des lolitas maudit bientôt l’amour et le désir, préférant voler aux 3 beautés, l’or tant convoité… la fortune plutôt que le bonheur. Ainsi le malade déjanté s’échappe du Centre médical, perche de transfusion en main…

Même réalisme cynique, froid et lugubre dans la scène qui suit où paraissent Wotan et son épouse Fricka, en petits bourgeois consommateurs, satisfaits, conquérants, cependant que surgit Freia, soeur de la précédente qui fuit horrifiée la salle précédente car y ont parus les géants Fafner et Fasolt, en caïds des pays de l’est, ou maffieux flanqués de leurs sbires à lunettes… ils viennent réclamer leur dû à Wotan qui leur a commandé la construction de son palais sublime sur le Walhalla. Chacun trouvera son miel dans cette systématisation glaçante qui ne cite d’aucune façon les mythes et légendes fantastiques, épiques, médiévales… où Wagner a puisé son action. Finalement la grille visuelle pollue l’écoute directe de la musique articulée, souple, comme une soie scintillante et flamboyante d’autant que la machinerie est impressionnante en décors et figurants. Heureusement les chanteurs sont à la hauteur de ce nouveau défi wagnérien.

Saluons l’impeccable Alberich de  Johannes Martin Kränzle, prétendant maladroit incapable, d’un cynisme forcé, qui devient despote sadique dans las bas fonds du Nibelung –  mais aussi le Wotan placide et présent de Michael Volle, comme la bien chantante, à la voix puissante sans outrance de Claudia Mahnke en Fricka. Esprit malicieux et vrai protagoniste de cette première journée de la Tétralogie, le Loge du mexicain Rolando Villazon (en costume de velours jaune moutarde) tient la barre dramatique de son personnage central ; c’est qui qui pilote Wotan et lui permet de triompher, d’Albérich comme des géants Fafner et Fasolt (mais à quel prix!). A l’aise scéniquement, le chant de Villazon manque cependant de précision, avec cette accent latin qui brouille la netteté de la diction.

 

 

 

CONCLUSION

Autant dire que les amateurs d’un Wagner fantastique et féerique en resteront frustrés ; exit la poésie et le souffle épique de la geste légendaire conçue par Wagner – une réduction des effets scéniques d’autant plus regrettable que le théâtre wagnérien, synthèse d’une multitude de mythes avait nécessité la scène dédiée de Bayreuth pour être réalisé; Tcherniakov fait du Tcherniakov, c’est à dire du théâtre, stricto sensu, avec des idées souvent gadgets et toc dont le but est surtout de souligner le réalisme cynique de chaque scène : tractations et manipulations, sacrifice et falsification d’une société où les hommes ont perdu toute idée de beauté et de magie fraternelle, dans des pièces fermées datées années 70 (coupes de cheveux mi longs et pattes d’éph, …). On y perd son Wagner et la grille scénique et visuelle ne serait qu’anecdotique si elle ne parasitait constamment la pleine perception de la musique ; ce que dit la musique (et quelle orchestration !) est toujours contredit par les tableaux et le jeu d’acteurs. En définitive le vrai héros du drame ici reste Loge, esprit du feu, facétieux, manipulateur et séducteur de génie qui tout en ayant conscience de la naïveté des Dieux (Wotan et son clan, famille plutôt passive d’enfants gâtés), reste auprès d’eux sachant le profit qu’il peut en tirer, leur faisant croire qu’il peut les conseiller et les aider : payer les Géants contre le château Walhalla qu’ils ont bâti… en « volant le voleur » c’est à dire le Nibelung Albérich qui a dérobé l’or et le pouvoir de l’anneau aux filles du Rhin. Côté cynisme et manipulations le compte y est ; côté épisme, fantaisie féerique et magie visuelle, on repassera. Fort heureusement, le metteur en scène qui fait fi de la dramaturgie originale et du temps musical, n’a pas ici contrairement à ses approches précédentes de Carmen, Les Troyens, réécrit purement et simplement l’action. ARTE annonce sur son site ARTEconcert, la suite en replay, soit les 3 autres Journées du Ring. Critiques à venir.

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Wagner : L’or du Rhin / Der Rheingold. Dmitri Tcherniakov, mise en scène / Christian Thielemann, direction – Spectacle filmé le 29 octobre 2022 à la Staatsoper Unter den Linden à Berlin

 

 

Distribution :

Anna Lapkovskaja (Flosshilde)
Natalia Skrycka (Wellgunde)
Evelin Novak (Woglinde)
Peter Rose (Fafner)
Mika Kares (Fasolt)
Stephan Rügamer (Mime)
Johannes Martin Kränzle (Alberich)
Anna Kissjudit (Erda)
Anett Fritsch (Freia)
Claudia Mahnke (Fricka)
Rolando Villazón (Loge)
Siyabonga Maqungo (Froh)
Lauri Vasar (Donner)
Michael Volle (Wotan)

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