Nous sommes au Palais Garnier pour l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris du ballet néo-classique de Kenneth MacMillan : Mayerling ; un moment très attendu des amateurs de grands ballets narratifs, avec les Étoiles Hugo Marchand et Dorothée Gilbert dans les rôles principaux et le chef Martin Yates à la direction de l’orchestre de l’Opéra. Une soirée bouleversante d’intensité, riche en drame et en virtuosité. Créé en 1978 au Royal Ballet de Londres, Mayerling est le 6ème ballet de Kenneth MacMillan à entrer au répertoire de la Grande Boutique parisienne. Le public apprécie déjà régulièrement le très célèbre ballet « L’histoire de Manon » de ce maître incontestable de la danse britannique, avec les qualités singulières de son langage chorégraphique néo-classique, axé sur l’aspect acrobatique et l’expression dramatique des interprètes. Inspiré d’une anecdote historique, le double suicide (ou meurtre ?) de l’archiduc Rodolphe, prince héritier de l’Empire Austro-hongrois, et de sa maîtresse la baronne Mary Vetsera dans un pavillon de chasse à Mayerling, près de Vienne ; le ballet est une variation résolument moderne sur le thème de… Roméo et Juliette !
Sexe, violence, décadence
L’Étoile Hugo Marchand interprète Rodolphe pour la première (il y a au total 4 distributions différentes à l’affiche). Un rôle redoutable et intense, qui sollicite en permanence les qualités techniques et expressives du danseur, presque toujours présent sur scène au cours des 3 actes. Ce fantastique rôle de prince tourmenté, épris d’une ambiguïté mystérieuse qu’il ne peut résoudre que par la mort, correspond merveilleusement au danseur. En effet, Hugo Marchand est fort d’un magnétisme fiévreux dès le premier acte, effréné et scabreux. La fin de cet acte, terrifiante nuit de noces du prince avec la princesse Stéphanie interprétée brillamment par la Première Danseuse Sylvia Saint-Martin, est un duo sadique où la perversité mène la danse ; il se termine, après un certain nombre de portés dangereux avec une tête de mort et un revolver comme compagnons ; … dans un viol domestique au milieu de somptueux décors et costumes historiques de Nicholas Georgiadis.
Le deuxième acte est le moment où se révèle véritablement le couple pathologique du prince avec Mary Vetsera, interprétée magistralement par la splendide Étoile Dorothée Gilbert. Un couple pervers qui coupe le souffle par la symbiose des mouvements vertigineux ; tout y fascine et effraie l’auditoire constamment. Dans leur puissant duo à la fin de l’acte, la baronne reprend le revolver et la tête de mort de l’acte précédent et s’adonne à un jeu où les pulsions sexuelles des personnages sont mises en mouvement. C’est pour elle peut-être un jeu excitant de tension et de relâche, motivé par un étrange mélange de sensibilité dévoyée et d’attirance bravache. Mais pas de relâche pour lui, juste de la tension qui monte en puissance, comme sa folie. Les Étoiles sont particulièrement convaincantes dans l’incarnation psychologique des rôles, leur caractérisation ardente dramatiquement est rehaussée merveilleusement par l’exécution irréprochable des mouvements et enchaînements acrobatiques, grimpants, sinueux. Leur duo final, au troisième acte, est virtuosité et désolation. Un couple tragique et moche avec la plus grande harmonie de lignes ; un couple ravissant dans son excellence technique et surprenant dans le haut impact émotionnel de l’interprétation.
Chez les très nombreux rôles solistes l’excellence est au rendez-vous, également. Remarquons la Première Danseuse Hannah O’Neill dans le rôle piquant de la comtesse Marie Larisch, pleine d’esprit et techniquement géniale de sa couronne aux pointes, mais aussi avec une certaine profondeur amère dans la caractérisation qui la rend davantage touchante. Le Corps de ballet est à son tour hyper réactif et hyper actif, plein de brio, du début à la fin.
Enfin, remarquons l’autre performance étonnante, inoubliable de la représentation : celle de l’Orchestre de l’Opéra sous la direction impeccable de Martin Yates. Pour la création mondiale du ballet aux années 70, John Lanchberry s’est donné la tâche de sélectionner, arranger et orchestrer uniquement des œuvres, plutôt rares, de Franz Liszt, l’austro-hongrois. Le résultat est intelligent, pragmatique et fonctionnel, mais dans les mains habiles de ses interprètes à cette première parisienne, il est d’un plus grand impact musical. Le ballet offre aussi un joli cadeau aux amateurs du chant lyrique, avec l’interprétation ponctuelle d’un lied sur scène (superbes Juliette Mey et Michel Dietlin au chant et au piano). Félicitations à toutes les équipes pour cette entrée au répertoire incroyable. A l’affiche au Palais Garnier de l’Opéra national de Paris du 25 octobre jusqu’au 12 novembre 2022.
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CRITIQUE, DANSE. PARIS, Palais Garnier, le 25 oct 2022. Mayerling. Kenneth MacMillan, chorégraphie. Hugo Marchand, Dorothée Gilbert, Etoiles. Ballet de l’opéra. Juliette Mey, artiste lyrique invitée. Michel Dietlin, piano. Orchestre de l’Opéra national de Paris. Martin Yates, direction musicale – Photo : © Ana Ray / OnP 2022