Sous l’intitulé « To the Point(e) », les Ballets de Monte-Carlo et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo proposent une soirée enchantée et contrastée : un triptyque dansé (et symphonique), réalisé par la célèbre compagnie monégasque dirigée depuis plus de 30 ans par Jean-Christophe Maillot !
Tout d’abord, la peinture est bien présente dans le processus de WITHIN THE GOLDEN HOUR (2008), en particulier la trace de l’or… celui des tableaux du néo-classique viennois Gustav Klimt. Christopher Wheeldon, à l’imaginaire surprenant, en déduit toute une série contrastée, gestes heureux et mouvements décontractés divers : rituels anciens, duels de danseurs, fantaisies sociales plus légères… A l’inverse de certains chorégraphes possédés par la réalité convulsive de notre époque, Wheeldon délivre plutôt une leçon de beauté souriante, où la souplesse des corps, l’arabesques des figures suspendues, dialoguent en apesanteur avec la musique pour cordes, souvent obsédantes, d’Ezio Basso, fusionnée avec celle de l’inusable Vivaldi. L’effet est immédiat et se révèle convaincant, d’autant plus que les danseurs y sont baignés en volupté et chaleur dans la lumière dorée et caressante – qui a été spécialement conçue dans l’esprit d’une performance de séduction pure.
Contraste total avec la pièce qui suit immédiatement : AUTODANCE (2018), qui n’étonne guère… tant Sharon EYAL fait du EYAL… (un ballet conçu ici avec Gai Behar) ; donc une plongée dans des ténèbres angoissées dont la tension dépressive s’exprime par la tenue des danseurs : la douleur, la torture, les convulsions se lisent immédiatement dans ce parti qui expose des corps martyrisés, d’autant plus manifestes qu’ils contrastent avec le corps libre et souple d’une jeune danseuse, en rien concernée par le malaise général. Après la fluidité quasi enivrée de la pièce de Wheeldon qui a précédé, le noir acide d’Eyal perce la scène comme un cri.
Beau cadeau – pour clore le triptyque – que le propre ballet de Jean-Christophe MAILLOT. Dans VERS UN PAYS SAGE (1995), le chorégraphe tourangeau rend hommage à son père, le peintre Jean Maillot, qui conçut nombre de décors d’opéras (entre autres) ; en réalité, le ballet d’une durée d’une demi-heure, n’a rien de sage. C’est même un défi physique et artistique qui s’impose aux danseurs, lesquels ne cessent d’exalter et d’incarner une physicalité croissante, au-delà de leurs limites, comme s’il s’agissait de fait d’évoquer l’énergie du père, lui-même suractif, travailleur infatigablement créatif. Mobiles comme en transe, les corps se répondent, se défient, réalisent des figures incessantes, de formidables étreintes fraternelles, sachant toujours offrir (et recevoir) ces liens d’amour et de fusion qui assurent l’étonnante cohésion de la chorégraphie. Dans le final, se dévoile un tableau de Jean Maillot, aux couleurs et lumières emblématiques, celles qui firent le succès de sa dernière exposition intitulée « Pays sage ». Au delà du narratif éloquent et tendre d’un fils à son père, le ballet doit aussi sa séduction à la musique hypnotique, suspendue de John Adams (Fearful Symmetries) qui lui confère l’élasticité requise et le charme irrésistible d’une audace intemporelle. Et sous la direction de Garrett Keast, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo confirme ses étonnantes dispositions expressives au service de la danse.
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CRITIQUE, danse. MONACO, LES BALLETS DE MONTE-CARLO, Grimaldi Forum (du 24 au 28 avril 2024). TO THE POINT(E). C. Wheeldon / S. Eyal / J.C. Maillot. Photo (c) Alice Blangero.
VIDEO : Extrait de « Vers un Pays sage » de J. C. Maillot par les Ballets de Monte-Carlo