En 1823, Ludwig van Beethoven était totalement sourd, cependant son puissant cerveau voyait la source intarissable de la musique jaillir et se développer sans cesse. La maturité du maître de Bonn n’a été qu’une recherche constante de cet hymne idéal de la joie totale. Adulé par l’Europe princière du Congrès de Vienne, il a su s’imposer comme le patriarche de toute une génération de musiciens. Ce que l’on oublie derrière l’image romancée des images renfrognées de Beethoven, c’est qu’il a eu comme mentors Salieri et Haydn, deux héritiers directs de Gluck et Porpora, le monumental Ludwig, tel les façades de la Vienne de son temps, avait la structure classique mais le coeur baroque. N’était-il pas le compositeur le plus fanatique de Haendel de cet Olympe musical qui continue, hélas, de simplifier l’histoire de la musique ? Beethoven a puisé une bonne partie de son inspiration dans l’intégrale Chrysander et aurait dit que « la vérité » se trouvait dans les pages de la monumentale du saxon. Outre les mythes romantiques, la musique de Beethoven est définitivement constituée d’influences, qui, loin de la dénaturer, lui apportent toute son originalité par rapport à ses contemporains.
Sa grandiose Missa Solemnis a d’abord été pensée comme une pièce de circonstance pour le sacre de l’archiduc Rodolphe de Habsbourg comme Prrince-Archevêque d’Olmütz-Olomouc, dans la belle région de Moravie, en République Tchèque. Beethoven avait prévu de finir le travail de cette « Grande Messe » pour le sacre en 1820, cependant le travail s’est avéré immense, et elle n’a été finalement achevée qu’en 1823. Il faut croire que le nouveau Prince-Archevêque n’en a pas tenu rigueur à son illustre maître puisque Beethoven a continué à puiser dans la bibliothèque musicale de l’archiduc son inspiration dans les pages de Palestrina, Bach et surtout Haendel.
Ecouter la Missa Solemnis dans l’immense vaisseau de la Philharmonie de Paris n’a rien d’anodin. C’est dans ce genre d’opus que le bel auditorium de Jean Nouvel déploie l’étendue magnifique de ses qualités acoustiques. Si d’aucuns auraient pu craindre qu’un orchestre sur instruments d’époque allait gâcher l’admiration de la fastueuse architecture beethovenienne, les musiciennes et musiciens du Cercle de l’Harmonie ont fait de résonner ces pages sublimes avec un talent inégalé. Il est important de signaler que ce sont les ensembles indépendants tels le Cercle de l’Harmonie qui sont les orfèvres et les passeurs les plus sûrs des musiques de patrimoine dans une exécution exigeante et nuancée. Par les temps qui courent de remise en cause de bien d’acquis culturels par indifférence, c’est la sauvegarde des structures musicales indépendantes qui ont le savoir-faire suffisant pour trouver les couleurs originelles des chefs d’oeuvre, outre leur rôle essentiel d’employeurs d’intermittents. Ce soir, la Missa Solemnis bénéficie, dans tous les pupitres, des grands interprètes. Mentionnons en particulier les pupitres des vents, les cuivres et les bassi – qui nous ont ravi pendant tout le concert, avec une richesse de timbres et une justesse hors pair.
L’extraordinaire Choeur Audi Jugendchorakademie est un sans faute. Nuancé et équilibré dans les harmonies et les timbres, le phrasé précis et souple. Chaque pupitre a su avoir la souplesse nécessaire pour les pages virtuoses et une attention remarquée lors des pianissimi. De leur côté, les solistes n’ont pas démérité. Nous avons remarqué en particulier la mezzo-soprano Varduhi Abrahamyan et le ténor Daniel Behle, de fabuleux artistes au talent admirable dans leurs soli vocaux, sans que Chen Reiss (soprano) ni Tareq Nazmi (basse) ne déméritent.
A la baguette maestro Jérémie Rhorer a su mener, à la tête de son Cercle de l’Harmonie, les monumentales accords de cette messe colossale sans l’ombre d’une hésitation. Avec un dynamisme contrôlé, il a donné à la partition de Beethoven toute la place pour pouvoir exprimer ses plus belles tonalités Si une messe est avant tout la communion de plusieurs esprits à la louange du divin, ce soir à la Philharmonie de Paris, tous les auditeurs et les instrumentistes se sont joints dans l’universel éloge de cette messe solennelle qui n’a rien perdu de sa fraîcheur… du haut de ses 201 printemps !
_____________________________________________________
CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie de Paris, le 24 avril 2024. BEETHOVEN : Missa Solemnis. C. Reiss, V. Abrahamyan, D. Behle, T. Nazmi. Audio Jugendchorakademie / Le Cercle de l’Harmonie / Jérémie Rhorer. Photo (c) DR.
VIDEO : Jérémie Rhorer s’exprime au sujet de la « Missa Solemnis » de Ludwig van Beethoven