L’ensemble de Laurence Equilbey Insula Orchestra, en résidence à la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt, a invité le chef letton Sigvards Kjava à venir diriger l’ensemble vocal Accentus dans une oeuvre emblématique de la musique sacrée russe, les Vêpres de Sergueï Rachmaninov (1873-1943). Célèbres, à juste titre, ces Vêpres (en russe Vsenochtchnoie bdeniye, « Vigiles nocturnes ») succèdent, dans l’oeuvre du compositeur, en 1915, à la « Liturgie de Saint Jean Chrysostome » (1910).
D’une durée de près d’une heure, elles sont constituées de quinze cantiques de proportions inégales certains brefs, d’autre plus développés, tous chantés a cappella, sans autre instrument que la voix. Sur ces quinze chants, neuf d’entre eux sont directement inspirés de ce qu’il est convenu d’appeler des « znamenny« , c’est à dire des chants qui sont l’équivalent russe du chant grégorien. Les six autres sont des créations « pures » du compositeur, mais, pourrait-on -dire : « à la manière de », et impossibles à distinguer des neuf autres.
On ne démentira pas le musicologue André Lischke, grand spécialiste de la musique russe – qui présentait magnifiquement ce concert – quand il affirme que les Vêpres de Rachmaninov constituent « sans doute, le monument le plus vaste, le plus accompli de tout le répertoire de l’église orthodoxe« . C’est une musique qui – en dépit de ses dimensions – est d’une grande intériorité, d’une grande variété d’expression, et qui transcende les
chants archaïques dont elle est l’héritière. Elle se déploie, tour à tour, tout en puissance ou en légèreté ciselée. Elle peut surprendre car elle emprunte parfois des chemins harmoniques inattendus, elle fascine par son intensité émotionnelle.
Dirigé de main de maître par Sigvards Kjava, l’ensemble Accentus -16 femmes et 21 hommes – fait merveille d’implication et de beauté sonore. Certes, ce n’est pas un choeur russe, mais il démontre avec talent qu’il est au rendez-vous quand il s’agit d’interpréter des chefs d’oeuvre dont on a tort de penser parfois qu’ils ne sont pas interprétables en dehors
du monde slave. Un tel programme, avec de tels interprètes, pourrait être opportunément
donné dans une autre acoustique, celle d’une église ou d’une cathédrale, sans doute plus propice à ce répertoire que celle (certes excellente,mais un peu sèche) de l’Auditorium Patrick Devedjian.
Une autre pièce figurait au programme de ce concert : « The stone, the tree, the well » composée par Sivan Eldar. Cette pièce d’une durée d’environ un quart d’heure est composée sur un texte en tamoul et en anglais. Selon Ganavya Doraiswamy, librettiste de cette oeuvre et également son interprète, il est question de « lutte » et d' »amour« . Interprétée d’abord par Ganavya Doraiswamy seule, cette dernière est rejointe (« comme un écho » dit la compositrice ) par le choeur Accentus, dans une atmosphère recueillie.
La mise en miroir d’une pièce contemporaine et d’une pièce célèbre du 19ème siècle est une bonne idée; par contre, l’introduction de cette pièce contemporaine au coeur même des Vêpres (après le 6ème chant, puis, ensuite, reprise des Vêpres...) est plus que surprenante, voire même discutable…
_____________________________________________
CRITIQUE, concert. BOULOGNE-BILLANCOURT, La Seine Musicale, le 26 avril 2024. RACHMANINOV : Les Vêpres. CHOEUR ACCENTUS / Sigvards KJAVA (direction). Photo (c) DR.
VIDEO : Teaser du Choeur Accentus dans Les Vêpres de Rachmaninov