Après avoir laissé sa baguette au jeune et talentueux chef nippo-allemand Elias Grandy le mois dernier, Kazuki Yamada est de retour sur le vaste plateau de l’Auditorium Rainier III à Monte-Carlo pour diriger la phalange dont il est le directeur musical depuis 2016. C’est par une ouvrage assez “anecdotique” que la soirée commence, quand bien même né de la plume de Ludwig van Beethoven, l’Ouverture du Roi Etienne (1811), page d’introduction à une série de neuf pièces pour chœur et orchestre qui n’est jamais jouée, et qui apparaît tellement loin du génie dont est empli le second ouvrage de ce même Beethoven mis à l’affiche ensuite, le majestueux et grandiose 5ème Concerto pour piano et orchestre (dit “L’Emepereur”), avec comme soliste le pianiste polonais Piotr Anderszewski.
Avouons que, dès les tous premiers instants de ce concerto, l’introduction de l’orchestre est d’une telle intensité que l’on ne peut imaginer autre chose qu’un moment de grâce. À quoi tout cela est-il dû ? Deux mesures et le miracle émotionnel se produit. L’entrée du piano, admirablement détachée, permet déjà d’apprécier l’extraordinaire toucher de Piotr Anderszewski. Puis, la symbiose entre l’orchestre et le piano est totale, le pianiste totalement investi dans son jeu donne à cette pièce toute la grandeur qu’elle requiert. Chaque note est jouée pour elle-même, et exprime un sentiment, une intention, un mot de son discours musical, tandis que le raffinement de sa technique lui permet d’avoir un dialogue exceptionnel entre sa main gauche et sa main droite. Avec un tel toucher, une telle sensibilité, l’adagio poco moto est un moment de temps suspendu qu’on a eu envie d’écouter les yeux fermés, pour mieux goûter chaque intonation, chaque instant de cette sublime musique. Bientôt un triomphe salue cette interprétation particulièrement investie et, rappelé maintes fois, le pianiste offre en bis au public monégasque un nouveau moment de grâce absolue avec une exécution d’une infinie délicatesse de la Sarabande de la Première Partita de J. S. Bach.
En seconde partie de soirée, place à la Cinquième Symphonie (1816) de Franz Schubert, d’une élégance toute mozartienne, plutôt éloigné du faste et de la pompe de la première œuvre, sauf que le tempérament du chef l’amène à en donner ici une interprétation peut-être plus “musclée” que nécessaire. Le chef japonais prend ainsi l’ouvrage de Schubert à bras-le-corps, mais la gestion de la dynamique manque de délicatesse, d’où une impression de compacité et de robustesse. Le pupitre des cordes offre à nos oreilles la magnifique sonorité à laquelle elle nous a habitués, bien qu’elles paraissent cette fois épaisses, ici ou là, alors que l’œuvre appelle davantage de légèreté, tandis que les cuivres ont tendance à tonitruer, mais il est toujours difficile de tempérer les ardeurs d’une Rolls comme l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo !
_____________________________________________________________
CRITIQUE, concert. MONTE-CARLO, Auditorium Rainier III, le 10 décembre 2023. BEETHOVEN / SCHUBERT. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Piotr Anderszewski (piano), Kazuki Yamada (direction). Photos © Jean-Louis Neveu
VIDEO : Piotr Anderszewski joue le « Prélude et fugue » du Second livre du « Clavier bien tempéré » de J. S. Bach