Si l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo a pour habitude d’être dirigé par les baguettes les plus connues de la planète, à l’instar de Nathalie Stutzmann le mois dernier, Kazuki Yamada (directeur musical et artistique de l’OPMC) et son délégué artistique Didier de Cottignies ne négligent pas pour autant les jeunes chefs encore peu connus mais parmi les plus prometteurs du moment, catégorie dans laquelle le fringant chef germano-japonais Elias Grandy fait indubitablement partie.
Il nous le prouve d’abord par son approche toute en fraîcheur et délicatesse de la courte pièce symphonique D’un matin de printemps (1917) de Lili Boulanger (à la vie tout aussi courte, car morte à l’âge de 25 ans !). Le jeune chef semble se régaler des effluves d’inspiration debussystes de ce magnifique ouvrage, en un geste transparent et aérien, souvent virevoltant, sans jamais perdre de vue l’équilibre entre les pupitres.
Avec comme transition le replacement de quelques chaises pour dégager un espace pour la soliste du jour, la grande violoniste Viktoria Mullova, on change radicalement d’univers avec Dmitri Chostakovitch, pour une exécution de son fameux Concerto n°1 pour violon et orchestre (1947). En mettant sa technique souveraine au service de la musique et non l’inverse, la musicienne russe y fait preuve d’une hauteur de vue exceptionnelle. La Cadence de ce concerto témoigne de son aptitude à en souligner l’architecture et à faire oublier les difficultés techniques grâce à un jeu expressif et bouleversant. Cette humilité devant la musique se remarque également dans le Nocturne, où Mullova instaure un climat inquiétant et oppressant tout en déployant un chant profond, plein de vie et d’une belle continuité. Mais tout ce qu’il y a d’agressivité, de violence et de sarcasme dans cet ouvrage est également très bien mis en évidence, mais sans débordement. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre le Scherzo et la Passacaille (les deux mouvements médians), interprétés avec une éloquence et une justesse stylistique formidables. Et puis chef et orchestre offrent un écrin idéal à la violoniste, avec des climats magnifiquement rendus ; les répliques des vents et des bois, précises et éloquentes, ainsi que la beauté des cordes, valorisent ici la prestation de cette formidable violoniste.
En seconde partie de soirée, nous restons dans le répertoire russe avec les grandioses Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski (dans la mouture orchestrée par Ravel). Elias Grandy en donne une interprétation proprement fulgurante, à laquelle les musiciens placés sous sa direction adhèrent tout à fait : sa lecture très unifiée de l’œuvre – qu’en raison de sa difficulté technique, on entend parfois jouée de manière morcelée… -, le conduit à adopter des tempi rapides, à prendre des risques qui donnent une incroyable énergie à l’ensemble. Les Promenades récurrentes ne sont plus des épisodes répétitifs, mais ils dialoguent tout à fait avec les pièces qui les encadrent ; chacune garde toute son intégrité formelle, reposant l’oreille de l’auditeur, et le conduisant à d’autres états d’esprit. L’orchestre met en lumière les trouvailles de couleur de l’immense orchestrateur qu’était Maurice Ravel : les cuivres se montrent très inspirés dans le choral Catacombæ / Sepulcrum Romanum, qui prend ici une dimension hiératique et menaçante. Quant à La Cabane sur des pattes de poules, qui est presque l’aboutissement du grand crescendo qui court sur l’ensemble de la partition, elle méduse complètement, grâce notamment à la précision et au dynamisme des percussionnistes.
Quitte à se répéter, un chef à suivre !…
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CRITIQUE, concert. MONACO, Auditorium Rainier III, le 5 novembre 2023. BOULANGER / CHOSTAKOVITCH / MOUSSORGSKI. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Viktoria Mullova (violon), Elias Grandy (direction musicale). Photo : Jean-Louis Neveu.
VIDEO : Elias Grandy dirige l’Ouverture “Leonore” de Beethoven (2021)