Le Festival de Musica dos Capuchos à Almada au Portugal (de l’autre côté du Tage, en face de Lisbonne) monte en puissance et gagne en rayonnement avec la venue d’ensembles et d’artistes de renommée internationale. C’est le cas du concert d’ouverture qui mettait à l’affiche le Quatuor Hermès (ce jeudi 25 mai), tandis que jusqu’au 23 juin se produiront des artistes et orchestres de l’envergure de Stephen Kovacevich (le 17/6), I Solisti Veneti (le 27/5), la mezzo turque Deniz Uzun (le 28/5), l’Orchestre de chambre Franz Liszt de Budapest (le 18/6), la pianiste danoise Marianna Shirinyan (le 10/6) et tant d’autres…
Toujours placé sous houlette de l’infatigable pianiste portugais Filipe Pinto-Ribeiro, le festival (3ème édition sous sa direction) prend toujours place dans son lieu “historique”, une belle salle aménagée à l’intérieur du Couvent des Capucins (“Convento dos Capuchos”), mais aussi pour la première fois dans les murs du Théâtre Municipal Joaquim Benite, dans le centre historique d’Almada, pour mieux ancrer le festival dans la ville (le Couvent des Capucins étant lui un peu excentré, sur une colline face à la fameuse plage de Caparica).
Photo © Emmanuel Andrieu
Et pour fêter le retour du festival, après une belle journée estivale, c’est le lieu historique conventuel qui a été retenu pour servir d’écrin au fameux Quatuor Hermès (fondé en 2008), dans un répertoire qui leur est familier puisqu’ils ont la charge de défendre ce soir les Quatuors de Debussy et de Ravel, dont l’enregistrement discographique fait référence. Le Quatuor français n’en est pas à sa première venue en terre lusophone, et nous étions d’ailleurs présent à leur concert au Monastère de Sao Bento à Porto (donné aussi au Théâtre Thalia de Lisbonne), en février 2022, pour interpréter deux “monuments” de Franz Schubert, les fameux Quatuors “Rosamunde” et “La Jeune fille et la Mort” (Lire notre critique pour rappel, ci dessous, en bas de page).
Le Quatuor Hermès fête donc son 15ème anniversaire cette année, en même temps que les 130 ans de l’ouvrage de Debussy (1893) et les 110 ans de celui de Ravel (1913), le second pouvant paraître comme un hommage au premier, notamment au travers des fameux “pizzicatti” qui sont à la base des (deux) deuxièmes mouvements. Et côté interprétation : clarté, finesse, justesse et engagement sont les maîtres mots de leur superbe prestation, avec une interprétation qui impressionne par l’extraordinaire clarté des ligne, le soin apporté au moindre détail, l’agile allant comme la finesse expressive, l’élégance et le raffinement sonore font de chaque moment des ces deux œuvres, une aventure à la fois nouvelle et loyale aux intentions des compositeurs. Tout est ici en place : l’exigence et la frémissante présence de cette formation équilibrée qui placent le Hermès parmi les meilleurs des jeunes quatuors talentueux en France actuellement.
Les Quatuors de Debussy et de Ravel sont souvent au programme des récitals, au détriment certes d’une large littérature chambriste (on n’entend quasi jamais ceux de Magnard ou même de Saint-Saëns, par exemple), mais les Hermès apportent à la partition de Debussy, l’éloquence qui convient avec une touche d’urgence, d’acuité et de brillant éclat tout à fait de circonstance – la douceur de l’Andantino, touchante mais aux attaques franches ou la montée en puissance esquissée en arche parfaite. Une même limpidité illumine le Quatuor de Ravel : l’Allegro moderato devient d’une intensité vibrante à la limite du post-romantisme, alors que l’incisive allure du deuxième mouvement se double d’une oscillation souple et raffinée de part et d’autre d’une partie centrale qui est un modèle d’élégance. Et le mouvement conclusif rappelle tout ce que contient déjà la ferveur initiale.
Pour inclure le pianiste / directeur artistique du festival Filipe Pinto-Ribeiro, c’est à cinq qu’ils poursuivent et concluent la soirée, avec le plus rare Quintette avec piano, “La Création du Monde” de Darius Milhaud. Provocante, frénétique, jazzy ou polissonne, la musique du compositeur marseillais est un vrai stimulant pour les mélomanes. Car Darius Milhaud, en bon provençal, fut d’un naturel optimiste, et la joie pleine de vitalité qui parcourt sa musique présente avec délice une terre méridionale où la culture antique trouve son berceau. Dès le début de “La Création du Monde”, on retrouve les accords majeurs mélangés aux accords mineurs, si fréquents dans son écriture, et les nombreux moments percussifs du piano (Pinto-Ribeiro s’en donnant ici à cœur-joie…) confèrent à l’ensemble une couleur robuste, primitive, même orageuse !
Le premier We du festival se poursuit avec la venue demain des célèbres ‘“I Solisti veneti”, accompagnés par la mezzo ukrainienne Laura Belkina dans des airs et pièces Haendel et Vivaldi (dont les incontournables “4 Saisons”), puis dimanche 28 ce sera au tour de la soprano turque Deniz Uzun (accompagnée au piano par David Santos) de faire valoir ses atouts vocaux, notamment au travers des “Nuits d’été” de Berlioz, plus d’autres pièces célébrant l’été comme le “Summertime” de Gershwin ou le “Sommerabend” de Johannes Brahms…
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CRITIQUE, concert. ALMADA, Festival de Musica dos Capuchos 2023. Convento dos Capuchos, le 25 mai 2023. DEBUSSY/RAVEL/MILHAUD. Quatuor Hermès / F. Pinto-Ribeiro. PLUS D’INFOS sur le Festival Musica dos Capuchos à Almada : ici. / Photos Festival » MUSICA CAPUCHOS » : (c) Rita Carmo
LIRE aussi notre annonce du Festival CAPUCHOS 2023 / Almada :
PORTUGAL. Festival Musica dos Capuchos, 25 mai – 23 juin 2023
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AUTRE ARTICLE Quatuor Hermès à PORTO (fév 2022) :
CRITIQUE, concert. PORTO, Monastère de Sao Bento da Vitoria, le 24 février 2022. SCHUBERT : Quatuors « Rosamunde » & « La Jeune fille et la mort ». Quatuor Hermès.
Photo © Emmanuel Andrieu / 2022
Non content de diriger trois des plus importants festivals de musique classique au Portugal (le Festival de Musica dos Capuchos à Almada, le Verao Classico à Lisbonne et le Festival internacional de Musica/Classicfest de Bragança), le pianiste portugais Filipe Pinto-Ribeiro vient d’ajouter une nouvelle corde à son arc de directeur de manifestations musicales avec Music4l-Mente, qui explore l’interconnexion entre la musique classique et les neurosciences au travers de concerts de musique de chambre précédés par des conférences scientifiques. Quatre quatuors à cordes d’excellence – les quatuors Michelangelo, Hermès, Cosmos et Gropius – font ainsi leurs débuts au Portugal en interprétant des œuvres de référence dans le répertoire de la musique de chambre, tandis que quatre chercheurs de renommée internationale exposent des thématiques sur la relation intime entre la musique et le cerveau.
Après un premier concert avec le Quatuor Michelangelo en novembre, donné à la fois au Theatro Thalia de Lisbonne et au Monastère Sao Bento da Vitoria de Porto (comme les trois autres), c’est avec le Quatuor Hermès que se poursuit le cycle, dans un programme entièrement consacré à Franz Schubert. Mais avant, place à un exposé sur « Les émotions inspirées par la musique : cinétique et dynamique cérébral » conduit par Nuno Sousa, professeur à la Faculté de médecine de l’université du Minho. A contrario de la première conférence, donnée en anglais (par Barbara Tillman), nous n’avons malheureusement pas pu en profiter, ne comprenant pas (encore) la langue de Luis de Camoes…
Puis l’excellent Quatuor Hermès (toujours composé par Omer Bouchez, Elise Liu, Lou Chang et Yann Levionnois) prend place sur une petite estrade dans la cour intérieure du plus beau Monastère de Porto, situé en plein cœur de ville. Il est connu pour être un admirable interprète de l’inspiration tourmentée du compositeur autrichien, et le célèbre quatuor « La Jeune fille et la mort » est un de leur cheval de bataille : l’Allegro initial équilibre d’admirable manière la puissance des tutti et la délicatesse du dessin mélodique, laissant respirer les inflexions introspectives qui alternent avec l’exposition du sentiment. Le fameux Andante con moto, sommet de la partition, constitue aussi à nos oreilles l’acmé de cette première partie de concert. D’un seul mouvement, les Hermès nous emmènent dans un voyage dont on ne sort pas indemne. Sans concession, le Scherzo fait étalage de ce sens du rythme que possèdent de manière innée les quatre formidables musiciens. Enfin, ces derniers balaient le finale avec une économie de moyens sans égale.
Avant ce 14ème quatuor, véritable miroir de la tragédie intérieure de Schubert, ils s’étaient attaqués à son 13ème Quatuor, une œuvre moins déchirante et moins douloureuse, mais profondément mélancolique. En lui donnant le surnom « Rosamunde » il semble que les éditeurs n’ont voulu en retenir que son côté gai et optimiste, du fait de l’utilisation par Schubert dans l’andante d’une mélodie en majeur extrait de sa propre musique de scène « Rosamunde ». Le second violon d’Elise Liu introduit avec magnificence sa partie de soutien du premier mouvement, pour laisser immédiatement s’exprimer la superbe musicalité du premier violon d’Omer Bouchez dans le premier thème. Mais on reste surtout impressionné par la justesse de l’Andante, surtout dans la coda et son magnifique traitement par le premier violon. Le Menuet, quant à lui, est empli d’une nostalgie évidemment contenue dans la partition, mais rarement aussi bien traitée, notamment par l’alto et les accents graves du violoncelle. Plus de légèreté apparaît dans le finale, Allegro moderato, même s’il semble évident après une telle interprétation que le jeune ensemble est déjà prêt pour interpréter le quatuor La Jeune Fille et la Mort qui suit…
Venu nombreux, le public leur fait un triomphe et l’on ne peut qu’attendre avec beaucoup d’impatience les deux prochains concerts où se produiront, d’abord les Cosmos (le 21 avril à Porto et le 22 à Lisbonne), puis les Gropius (le 2 juin 2022 à Porto et le 3 à Lisbonne). Souhaitons longue vie à Musi4l-Mente !
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CRITIQUE, concert. PORTO, Monastère de Sao Bento da Vitoria, le 24 février 2022. SCHUBERT : Quatuors « Rosamunde » & « La Jeune fille et la mort ». Quatuor Hermès.