Deux interprètes en complicité profonde interrogent la quête artistique de Robert Schumann à travers ses sonates pour violon et piano, et aussi dans les filiations intimes tissées avec ses proches Clara évidemment, le jeune Johannes Brahms, mais aussi ses amis (le violoniste Joseph Joachim). Ainsi surgit l’intensité de l’année 1853 : riche humainement et musicalement. Au centre de leur travail, Laurent Cabasso et Ariane Granjon démêlent la genèse de la Sonate n°3 : œuvre clé, collective (d’abord) jouée par Clara et le violoniste dédicataire Joachim donc, en octobre 1853. Année miraculeuse et aussi bouleversante, 1853 marque un jalon dans l’imaginaire ainsi révélée de Schumann dont les dons de composition, jaillissants, exaltés sont la face lumineuse d’un prochain effondrement psychique le menant à la mort, 3 ans après, en 1856.
Vive, palpitante, la 3è Sonate est avant tout l’œuvre de Robert ; qui remplace rapidement les 2 (premiers) mouvements étrangers (de Dietrich et Brahms) par ses œuvres propres, avec, emblème de la période, l’obsessionnel ré mineur, marque de la passion la plus vive… Robert a même changé « FAE »(en référence à la devise du violoniste Joachim : Frei Aber Einsam / libre mais solitaire) … en « EAF », motif personnel qui lui permet de déduire tout un cycle musical de son crû (EAF : Erwartung der Ankunft des Freundes / Dans l’attente de l’arrivée de l’Ami). Tout en reconnaissant la valeur du jeune Brahms, Robert entend rester maître de l‘ambiance musicale qui marque leur rencontre si décisive… La révélation est totale et d’un grand intérêt autant musicologique qu’immédiatement musical.
La Sonate n°1 composée en 1851, est la plus jouée aujourd’hui, et pourtant la moins appréciée de Robert ; la 2ème créée en oct 1853 également, est contemporaine de la 3ème.
La 2è Sonate, au souffle symphonique, dédiée au violon solo de l’Orchestre du Gewandhaus Leipzig (Ferdinand David), l’orchestre de Félix Mendelssohn à Leipzig, brille ici par sa riche texture, combinaison de motifs motiviques dont la reprise cimentent une partition à la fois bouillonnante mais d’une rare cohérence. Génie des contrastes et architecte visionnaire, Schumann semble se souvenir de Bach dans le choral du Scherzo et du mouvement lent ; indice d’une pensée souvent fulgurante qui force l’admiration (dont à l’époque celle de Joachim).
En écoute attentive, dans un jeu fluide et expressif, le violon aérien d’Ariane Granjon et le piano articulé de Laurent Cabasso expriment toute la passion qui sous tend l’écriture musicale : cette prolifération des vertiges proprement schumanniens. Même les 3 Romances de Clara (écrites à l’été 1853 également) sont marquées sous le sceau de l’emportement schumannien mais en une passion plus souple et d’une passion plus « contrôlée ».
Familiers voyageurs d’un monde complexe qui se dérobe mais fascine à chaque lecture, les complices offrent une lisibilité expressive qui éclaire chaque partition. L’audace du geste réactive la vivacité d’une écriture miroitante et jaillissante, faite d’humeurs croisées et de ruptures, entre exaltation, ivresse, urgence ; malgré sa prodigieuse volubilité, la musique s’écoule sans heurts comme le flot d’une âme aux ins / aspirations inextinguibles.
Documentaire autant que hautement musical, le programme ajoute les deux premiers mouvements de la Sonate FAE (signés Dietrich et du jeune Brahms) qui sont ici « confrontés » à la 3ème Sonate intégralement de Robert donc, plus électrique et fragile que toutes les autres. D’une intranquillité insaisissable, ce qui la rend, captivante voire bouleversante. Superbe programme, riche et plein d’enseignements.
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CRITIQUE CD événement. SCHUMANN : violin sonatas Nos 2 et 3. FAE sonata [Dietrich et Brahms] – 3 romances [Clara]– Ariane GRANJON, violon / Laurent CABASSO, piano – 1 cd Paraty – CD Coup de coeur / CLIC de classiquenews printemps été 2023 / PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur PARATY : http://paraty.fr/portfolio/schumann/
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LIRE aussi notre annonce du cd SCHUMANN Chant du Crépuscule / avec les TEASERS VIDEOs dédiés au programme Robert, Clara Schumann:
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Approfondir
1853 : le chant du crépusucle
TEASER VIDEO 1 :
Ariane Granjon et Laurent Cabasso soulignent l’importance de l’année 1853 dans la vie du couple Schumann, Robert et Clara… Genèse des 3 Sonates de Schumann : dans ce court extrait, Ariane Granjon et Laurent Cabasso soulignent la qualité de la 3è Sonate (dite FAE) dont il jouent l’intermezzo composé par Robert…
TEASER VIDEO 2 :
Ariane Granjon et Laurent Cabasso – 1853, année capitale dans la vie du couple Schumann : leur ami le violoniste virtuose Joseph Joachim, leur présente le jeune Johannes Brahms… Genèse de la sonate « commune » FAE regroupant les pièces complémentaires de Dietrich, Brahms et Schumann, destinée à … Joachim :
extrait vidéo : 2ème SONATE de R SCHUMANN
Ariane Granjon et Laurent Cabasso jouent le Scherzo de la SONATE n°2 de SCHUMANN opus 121 : prise live réalisée à l’occasion de la sortie de leur CD ROBERT SCHUMANN
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