vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE CD événement. GASPARINI : Atalia, 1692. Camille Poul, Bastien Rimondi, Mélodie Ruvio, Furio Zanassi – Ensemble Hemiolia, Emmanuel Resche-Caserta, direction (1 cd Château de Versailles Spectacles, janvier 2024)

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Dramatique, sensuelle, cette Athalie romaine «  ATALIA », conçue par Gasparini d’après la pièce de Racine (seulement 1 an après la création de celle ci à Saint-Cyr), est un pur chef d’oeuvre : concis, hautement émotionnel, resserré dans sa forme en deux parties, l’oratorio créé à Rome en 1692 indique clairement l’essor de l’art lyrique sacré à Rome, une source enfin révélée, à laquelle le jeune Haendel s’abreuve avec la réussite que l’on sait. Furieuse, haineuse, barbare inhumaine, l’Atalia de Gasparini vaut bien l’Athalie de Racine…

 

 

D’ailleurs, l’enseignement de cette recréation et première mondiale est la clarification de ce que le jeune Haendel doit aux compositeurs romains de la fin du XVIIè : Francesco Gasparini (1661 – 1727) peut être considéré, à l’écoute de cet enregistrement, comme un pré-haendélien de première valeur, tant la construction du rôle d’Athalie / Atalia, les formules instrumentales, l’architecture des arias préfigurent le génie haendélien à venir.

Gasparini lui-même fait le lien entre Stradella, Corelli (son professeur) et Haendel ; il était donc juste de placer comme l’ouverture de l’oratorio, l’un des Concerti grossi Corellien, superbe lever de rideau…(qui permet aussi au premier violon de briller ici avec dramatisme et urgence : Emmanuel Resche-Caserta). Gasparini à Rome dès 1680, rejoint ensuite Venise en 1701 où il dirige l’Ospedale de La Piètà, juste avant … Vivaldi. De retour à Rome, il entre au service du prince Ruspoli, comme Maestro di capella, succédant à Caldara (!). Il finit sa carrière éblouissante comme Maestro di capella à Saint-Jean de Latran en 1725. Château de Versailles Spectacles répare ainsi les manques comme l’oubli pénalisant la figure d’un compositeur majeur à Rome.

 

Francesco Gasparini,
génie de l’oratorio romain avant Haendel

Les interprètes s’appuient sur le manuscrit original conservé à Dresde. Atalia, reine de Jerusalem, incarne la grandeur et l’orgueil tragique politique ; cette figure ignoble offre le portrait détestable d’un pouvoir vil et terrifiant ; en elle, se cristallise les tourments haineux d’une âme tournée vers la vengeance irrationnelle (et obsessionnelle), soit digne de la psychologie racinienne, un être condamné car il ne se maîtrise pas ; timbre plastique, doué d’accents tragiques intenses, Camille Poul, malgré quelques duretés métalliques dans la voix, incarne une Athalie schizophrène, attendrie et barbare, vengeresse et délirante : son grand air qui ouvre la partie II, atteint un vérisme avant la lettre, un réalisme expressif qui explore avec justesse, la richesse formelle, laquelle mêle dans un style très naturel et proche de la parole théâtrale, arioso, aria, recitativo : « Ombre, cure, sospetti » / ombres, manigances, soupçons… scène de plus de 6mn, et point fort de la partition qui met à nu la tyranne sanguinaire et la furie bientôt défaite…; l’épisode permet à la soprano de déployer tout son ambitus tragique, source en réalité d’une grande souffrance intérieure (un gouffre mental qui dans la partie I, s’exprime déjà dans le superbe air « Se vedessi le mie pene ») ; dans ce début du II, dans ses épanchements qui confessent une destruction psychique, dans le souffle dramatique confié au continuo (les cordes suractives, impérieuses), la séquence, majeure, préfigure les héroïnes haendéliennes (d’Alcina à Agrippina…, c’est dire).

Sa nourrice, une synthèse des opéras vénitiens, reste faussement à l’écoute de la Reine possédée dont la psyché tourmentée suscite l’effroi ; c’est d’ailleurs la réussite de l’oratorio que d’exposer d’abord, en confrontation avec Ormano (dans la partie I), le tempérament despotique d’Atalia, la face vindicative et aigre voire inflexible et hautaine de la Reine ; Bastien Rimondi fait un vaillant et tendre général Ormano, d’abord glaive d’Athalie, en réalité acquis à l’autorité juste du vieux Prêtre (Sacerdote : douceur impeccable du noble et apollinien Furio Zanasi) dont la souveraine inique, inhumaine souhaite la tête (!)… la vaillance sincère du général se dévoile grâce à l’implication du ténor français au timbre à la fois tendre et héroïque dont un humaine perspicacité a bien saisi la monstruosité de la Reine (I : « Vado, ma ben t’inganni »)…
Puis dans la seconde partie, par le truchement de sa proximité avec la Nourrice, se précisent les failles et les blessures de la souveraine qui est en réalité, sous son armure première, une victime qui souffre mais que sa barbarie a condamnée ; beau parcours racinien dont la musique exprime idéalement la trajectoire et tous les enjeux émotionnels. Toute la seconde partie dévoile le piège collectif qui se referme alors contre la furieuse autocrate, une souveraine délirante dont plus aucun ne veut.

Saluons la caractérisation millimétrée des interprètes, la forte implication expressive des instrumentistes d’Hemiolia, sous la conduite, vive, acérée, du violoniste et maestro Emmanuel Resche-Caserta (qui est aussi le premier violon de l’ensemble Marguerite Louise). Cette recréation réalisée en janvier 2024, est d’autant plus légitime qu’elle éclaire l’essor lyrique à Rome au début du XVIIIè : berceau enfin révélé où Haendel pourra se perfectionner. La découverte est majeure ; elle est à inscrire au crédit du label Château de Versailles Spectacles et de son directeur Laurent Brunner (qui signe la biographie de Gasparini dans le livret). Nous tenons la révélation d’une perle baroque injustement oubliée. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025

 

 

 

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CRITIQUE CD événement. GASPARINI : Atalia, 1692. Camille Poul, Bastien Rimondi, Mélodie Ruvio, Furio Zanassi – Ensemble Hemiolia, Emmanuel Resche-Caserta (direction) – 1 cd Château de Versailles Spectacles CVS 147 / enregistré au Château de Versailles en janvier 2024 – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025

 

 

 

Illustration : au XIXè, le peintre Benjamin-Constant, orientaliste et historiciste virtuose à l’égal d’un Gérôme et d’un Meissonnier, imagine une figure de femme noble, inflexible, figure de pouvoir, ici l’impératrice Theodora (1886, DR)
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