CRITIQUE CD. CORELLI – MELANI : Trionfo Romano (1 cd ChĂąteau de Versailles spectacles – juin 2021) – La couverture indique le prestige de la Cour de France Ă Rome tel quâil fut cĂ©lĂ©brĂ© en grande pompe et splendeur musicale, Ă Rome, en 1686, alors que le jeune monarque solaire venait de sâinstaller Ă Versailles⊠A travers cette Ă©vocation monarchique, Emmanuel Resche-Caserta cĂ©lĂšbre aussi le gĂ©nie de Corelli (mort sexagĂ©naire en 1713) qui aura Ă©crit et conçu la musique romaine telle que la rĂȘvait les patriciens de la Ville Eternelle, la Reine Christine en tĂȘte⊠Le violoniste a dirigĂ© alors nombre de concerts en plein air, Piazza di Spagna (dont celui gravĂ© par Schor) ; lâun dâeux honore Louis XIV (12 mai 1686). Câest cette fĂȘte musicale et pyrotechnique en plein air quâĂ©voque le programme, prĂ©sentĂ© Ă Versailles en juin 2021 (pĂ©ristyle du grand Trianon) puis enregistrĂ© dans la foulĂ©e. Les oeuvres sĂ©lectionnĂ©es sont les fameux sinfonie, concerts de violons avec « trombe » et « tymbales », Ă la fois Ă©clatants et raffinĂ©s que Corelli assemble pour lâĂ©dition de 1714, soit 30 ans plus tard, entre autres pour son Opus VI, sommet de sa crĂ©ativitĂ©. Le corpus ainsi constituĂ© rĂ©unit en un tout homogĂšne, plusieurs sĂ©quences dont le style sâaccorde Ă la sinfonia de Santa Beatrice dâEste, oratorio de Corelli de 1689, unique tĂ©moin de la pratique des Concerto Grossi corelliens propres aux annĂ©es 1680 (la sinfonia dâouverture avec trombe / trompettes est issu de lâoratorio). Emmanuel Resche-Caserta ajoute la Sonate X opus I (1681), avec partie dâalto (signĂ©e Geminiani) et celle de lâOpus II (1685). Au programme de cette fĂȘte romaine, est mentionnĂ©e aussi la Cantate pour le Roi de France (Cantata per la sera / Cantate pour le soir, con sinfonie) reconstituĂ©e, car si le livret est parvenu, la musique manquait. Emmanuel Resche-Caserta sâappuie sur la similitude entre le premier rĂ©cit de la dite cantate et celui de la Cantate « Qual Mormorio giocondo » de Alessandro Melani lequel, proche alors du milieu français de Rome (il Ă©tait compositeur Ă Saint-Louis des Français : « musicae praefecto ») Ă©tait mentionnĂ© comme participant Ă la fĂȘte de 1686.
Les interprĂštes soignent chaque climat de chaque sinfonie, traitĂ©es comme autant de paysages sonores, prĂ©parant la cantate qui va suivre, prolongeant sa construction harmonique. Le geste du violoniste E Resche-Caserta exprime le sentiment de grandeur comme lâespĂ©rance et lâexaltation que suscite lâacte collectif qui honore ainsi le souverain de France. Le choix de la soprano Emmanuelle de Negri sâavĂšre judicieux : le timbre lumineux, le soin de la diction, la flexibilitĂ© de la ligne fusionnent idĂ©alement le caractĂšre solennel comme lâintimisme dâune priĂšre individuelle ; la soliste y prend Ă tĂ©moin le public, Ă©voquant une nature enfin maĂźtrisĂ©e, toute Ă lâĂ©coute dâune cĂ©lĂ©bration qui rĂ©unit ainsi « la Seine et le Tibre » pour la plus grande gloire de Louis.
La vitalitĂ© du concertino (trio composĂ© de 2 violons et de la basse continue dans les Concertos grossi), lâassise rythmique et la sonoritĂ© fluide et bondissante du ripieno – grand effectif qui lui rĂ©pond en un dialogue des plus animĂ©s
Lâajout de clavecins aux cĂŽtĂ©s des archiluths attestĂ©s, nourrissent lâĂ©clat sonore du continuo ; tandis que la caractĂ©risation du concertino et du concerto grosso gagne en acuitĂ© grĂące Ă lâusage respectivement du violoncello (plus virtuose) et des « bassi » ou basses de violons. Les trompettes (intĂ©grĂ©es aux sinfonie de cordes) comme les timbales renforcent la caractĂšre Ă©clatant de la fĂȘte de 1686. ainsi lâOpus VI de Corelli brille dâune sonoritĂ© rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, particuliĂšrement expressive, accordĂ©e aux dimensions spectaculaires des cĂ©rĂ©monies musicales en plein air place di Spagna, telles quâelle sont peintes alors, vĂ©ritables emblĂšmes des fastes de la Rome Baroque du dernier Seicento. Emmanuel Resche-Caserta met en parallĂšle Corelli et ⊠Bernin, dont lâemphase et lâinvention formelle offre ainsi de nouvelles perspectives Ă lâesthĂ©tique corellienne.
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