L’héroïne de Franck vaut bien la Brünnhilde du Ring wagnérien ; Hulda est une femme forte qui reste coûte que coûte, maîtresse de son destin : au criminel Gudleik qui a massacré sa famille (son père et ses frères), la jeune femme promet d’être sa pire ennemie, une amoureuse qui n’oublie pas, l’agent de la mort. Prisonnière du clan qui a décimé le sien, Hulda restera loyale à sa famille ; détruira ceux qui ont assassiné ses proches avant de se donner la mort. Il fallait composer une musique et concevoir un théâtre digne de la grandeur morale d’Hulda : César Franck (1822-1890) y parvient en génie du genre lyrique ; la révélation est totale de ce point de vue et l’enregistrement reste le couronnement de l’année du bicentenaire Franck 2022. Il fallait absolument recréer Hulda, d’autant plus depuis sa première incomplète (une combinaison d’extraits) réalisée post mortem à Monte-Carlo en 1894 (grâce à Raoul Gunsbourg)… Même le ballet souligne la maîtrise symphonique du compositeur, sa verve et son souffle épique, au sein d’une partition qui est orchestralement flamboyante.
Voilà qui dévoile la flamme et le feu du Franck génie du théâtre lyrique, d’autant plus pertinent qu’il propose une alternative remarquable au wagnérisme incontournable de cette fin XIXè.
Après Stradella de 1841 (révélé à Liège en 2012), Hulda est l’œuvre d’un auteur mûr qui a su réfléchir à l’évolution du théâtre français, vis à vis de Wagner, trouvant une voie médiane, totalement aboutie. La trajectoire de l’héroïne est saisissante en intelligence et en complexité psychologique : son monologue final, d’essence tragique et sacrificiel, donne la mesure de sa dignité exemplaire, sœur de Brünnhilde ou de Senta. La couleur pathétique et fantastique, le souffle du chœur, le raffinement orchestral, la caractérisation harmonique de chaque séquence affirment le tempérament dramatique de César Franck, d’autant que le chef Gergely Madaras s’entend à merveille pour en exprimer chaque accent, disposant d’instrumentistes affûtés et sensibles parmi les pupitres de l’Orchestre philharmonique royal de Liège. Le Chœur de chambre de Namur, d’une finesse expressive remarquable apporte son concours idéal, soulignant davantage la somptueuse parure dramatique de l’écriture franckiste.
Après une série de représentations en version semi scénique (entre France et Belgique, en mai 2022), voici l’enregistrement de la version intégrale avec une distribution très convaincante – Parmi les solistes, saluons l’épaisseur subtile de Matthieu Lécroart (Gudleik), l’élégance de Véronique Gens (Gudrun) ; surtout le relief à la fois tendre, héroïque et hautement dramatique de Jennifer Holloway dont la Hulda de braise, éclaire les vertiges intérieurs du personnage central, amoureuse et vengeresse à la fois dont toute aptitude au bonheur s’effondre pour l’accomplissement de la fatalité. La révélation est nous l’avons dit, totale et le disque, prolongement de représentations prometteuses, répare ainsi un oubli malheureux, preuve éclatante de la singularité lyrique d’un oublié de l’histoire : César Franck.
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CRITIQUE CD événement. César FRANCK : Hulda. Opéra en 4 actes et un épilogue, recréation. Livret de Charles Grandmougin (d’après Halte-Hulda de Bjørnstjerne Bjørnson), créé dans une version incomplète (3 actes) le 8 mars 1894 à l’Opéra de Monte-Carlo. Collection « Opéra français », 3 cd Palazzetto Bru Zane (juin 2023) – Enregistré en mai 2022 à Namur et à Liège. CLIC de CLASSIQUENEWS été 2023.
Distribution
Hulda : Jennifer Holloway
/ Gudrun : Véronique Gens
/ Swannhilde : Judith van Wanroij
, La Mère de Hulda, Halgerde : Marie Gautrot
/ Thordis : Ludivine Gombert /
Eiolf : Edgaras Montvidas
/ Gudleik : Matthieu Lécroart
/ Aslak : Christian Helmer
/ Eyrick : Artavazd Sargsyan /
Gunnard :François Rougier /
Eynard : Sébastien Droy
/ Thrond : Guilhem Worms
/ Arne, Un Héraut : Matthieu Toulouse.
Orchestre Philharmonique Royal de Liège, Chœur de Chambre de Namur / direction : Gergely Madaras.
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Précédent CD critiqué sur CLASSIQUENEWS, « Opéra français » Palazzetto Bru Zane / Gaspare Spontini : La Vestale / Les Talens Lyriques (version 1807) « rétablie dans ses tessitures idoines »… – CLIC de CLASSIQUENEWS : … » Au jeu de la contextualisation, La Vestale confirme ainsi sa place singulière dans l’évolution du drame lyrique français, annonçant même Bellini. Recréation remarquable »…
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