La claveciniste Mireille Podeur affirme une lumineuse complicité avec le violoniste Ambroise Aubrin, lequel sait exploiter toutes les ressources de son fabuleux Matteo Gofriller ; son éloquence au clavier s’accorde avec le violon chantant et fluide de ce dernier, soulignant combien JS Bach dans ces 6 Sonates à Coethen éblouissent par leur liberté inventive, leur entrain caractérisé, la diversité des caractères, la profondeur et l’originalité d’une inspiration sans limites. Composées entre 1718 et 1723, ces Sonates pour clavecin obligé et violon solo, sont un réservoir d’idées et de mélodies, de combinaisons multiples dont le compositeur se servira pour de nombreux cycles musicaux à venir (ainsi manifestement le Largo d’ouverture de la n°4 BWV 1017, refondu pour ses cantates).
La prise de son (qui profite de la réverbération naturelle de église dans laquelle a eu lieu l’enregistrement : Saint-Amant de Boixe, Charente) ajoute à la poétisation de l’approche. La longueur du son et sa spatialisation évoquent en filigrane ce Bach intarissable qui a vécu, pensé, et certainement composé dans les églises, tenant la majorité de son temps, l’orgue en tribune, ou dirigeant ses propres pièces. Malgré leur format canonique (4 parties : lent – vif – lent – vif), chaque sonate renouvelle le jeu concerté des deux instruments.
Les deux interprètes trouvent la respiration juste pour chaque séquence ; ils réinventent mais avec justesse la palette des affects, soulignant aussi l’esprit et le caractère dansant des mouvements. La n°6 (BWV 1019) extrapole le schéma traditionnel avec en son centre (III), un Allegro pour clavecin seul ; douée d’une vitalité solaire – très proche dans l’esprit des Brandebourgeois contemporains (comme le dernier Allegro de la n°1 BWV 1014), elle couronne le cycle dans l’énergie et la souplesse.
Souvent clavier et violon dialoguent, produisant une conversation fluide (à 3 voix car les deux mains au clavecin redoublent d’activité) que les ornements idéalement « résolus » jalonnent et conduisent en naturel et en souplesse.
Très en confiance, et l’écoute l’un de l’autre, les deux instrumentistes savent régénérer le discours musical dans un geste libre et juste, à la fois précis et d’une diction clarifiée, où l’éloquence se nourrit constamment de respirations naturelles, comme d’accents alliant subtilité et simplicité. Au delà des phrases musicales, énoncées avec entrain ou langueur étirée (Adagio de la même 1019), c’est toute la direction et le sens profond de l’architecture musicale qui sont ici questionnés (interrogation sans artifice du long adagio ma non tanto de la n°3 BWV 1016) ; les réponses varient selon les épisodes, dans la diversité expressive de chaque séquence. C’est l’élégance et la finesse de leur complicité qui relancent à chaque mesure les multiples enjeux d’une écriture à l’inépuisable activité. La probité de l’interprétation se révèle captivante à travers ce cheminement labyrinthique, pourtant explicité, résolu dans une entente créative de premier plan. D’autant plus convaincante dans une prise de son qui sait être à la fois détaillée et enveloppante.
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CRITIQUE CD événement. JS BACH : 6 Sonates BWV 1014 par Mireille Podeur (clavecin) et Ambroise Aubrun (violon) – 2 cd HORTUS 228-229 / CD1 : 48mn / CD2 : 59mn. Enregistré en Charente en juillet 2022. CLIC de CLASSIQUENEWS été 2023
ENTRETIEN
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