dimanche 8 décembre 2024

Compte rendu, opéra. Paris. Théâtre du Châtelet, le 22 janvier 2015. Mozart : Il Re pastore. Rainer Trost, Soraya Mafi, Raquel Camarinha… Ensemble Matheus. Jean-Christophe Spinosi, direction. Olivider Fredj, co-mise en scène. Nicolas Buffe, co-mise en scène, scénographie, costumes.

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Le Théâtre du Châtelet accueille l’Ensemble Matheus sous la direction de Jean-Christophe Spinosi pour une nouvelle production du dernier opéra de jeunesse de Mozart, Il Re pastore (1775). Le duo associé à la création est composé d’Olivier Fredj et Nicolas Buffe ; il s’agît d’une première mise en scène d’opéra pour les deux ! Avec ce choix audacieux nous avons droit à un Mozart revisité ; un Mozart interstellaire, un Mozart illustré en 3D, issu de l’univers des mangas et des dessins animés japonais. Un Mozart pas comme les autres … à ne surtout pas rater.

Mozart rencontre Mazinger Z

mozart il re pastore chatelet-IlRePastore3k-1266x1900Il Re pastore (1775) est l’un des opéras de Mozart qu’on met rarement en scène. Cette « festa teatrale » en deux actes et un faux opera seria, voire une fausse pastorale. Le livret est dû au poète-père de l’opera seria, Métastase : il a l’élégance marmoréenne et la beauté statique typique du poète. Remarquons qu’il est édité par Gianbattista Varesco pour Mozart, et qu’ils seront emmenés à collaborer une dernière fois, péniblement, pour Idomeneo, en 1780-1781. Le sujet de circonstance, mi-héroïque, mi-pastoral, traite le thème de la raison d’Etat et de l’amour. Cette dualité entre rationalisme et sentimentalité sera désormais omniprésente, quoique parfois subtilement déguisée, dans les opéras de maturité du maître salzbourgeois. Ici, Alexandre le Grand vient au pays de Sidon pour couronner le Roi caché, après la défaite du tyran précédent, accessoirement le père de Tamiri, éprise d’Agénor, un ami d’Alexandre. Le berger amoureux Aminta est le roi en vérité, mais il ne rêve que d’une vie d’amour et de simplicité avec sa bien-aimée Elisa, dont le sentiment est réciproque. Un long poème riche en images touchantes mais avec très peu d’action traitable. D’où l’idée de Mozart d’en faire une sorte de symphonie pour 5 voix solistes avec orchestre, où chaque air devient un concerto pour la voix et parfois quelques instruments en solo. Un divertissement, certes. Mais quel divertissement si personnel, si vivant, si chaleureux, beaucoup plus robuste et concis que les opéras milanais précédents.

Qui pourrait donner davantage de chaleur et de vivacité à l’œuvre au XXIe siècle? Comment la rendre plus accessible et intéressante pour le public divers et curieux de notre époque, un public qui aime aussi rapidement qu’il se lasse ? La réponse de Nicolas Buffe et Olivier Fredj est incroyable. Le plasticien Nicolas Buffe crée un univers de dessin animé japonais, aux couleurs vives, très technologique (mais pas trop!), un storyboard de manga qu’Olivier Fredj met en mouvement par le travail d’acteur. Les difficultés innées aux conventions de l’opera seria, notamment la succession de récitatifs-airs et la structure de l’aria da capo, sont traités avec grande intelligence et efficacité. Le monde des mangas et dessins animés a aussi ses conventions et ses codes formels, le génie du duo de choc réside dans l’efficacité surprenante achevée par l’accord, l’étrange symbiose des conventions. Si deux ou trois airs ont une réalisation un peu gratuite, la plus grande partie est réalisée avec maestria et panache. Les coloratures omniprésentes dans l’opus sont traités de façon remarquable, ainsi que les da capo. La pléthore des robots, marionnettistes, acrobates, voitures, machines interagit en permanence avec les chanteurs : tous aident à illustrer et éclaircir le texte sentimental mais peu dynamique. Ainsi, lors de son premier air « Alla Selva » Elisa, qui chante le courage de son amour pour Aminta, est chatouillée par la station de service intergalactique du premier acte. Quoi ? Exactement ! La station de service a des bras qui chatouillent la chanteuse, elle ne peut que faire des vocalises en conséquence. Ou encore, pendant l’air d’entrée d’Alessandro, venu de l’espace sidéral, la course parfaitement synchronisé avec le tremolo des violons… Ou encore lors du deuxième air du même Alessandro, qui prend un bain et se change avec l’aide de ses guerriers, et dont les vocalises sont le résultat naturel du shampooing, bien évidemment ! Il y a tant d’exemples réussis et tout simplement géniaux, que nous ne saurions ici tous les paraphraser.

Des mozartiens généreux et drôles

Le groupe des 5 solistes semble être complètement investi dans le parti-pris artistique. La complicité est évidente, les interprètes s’amusent entre eux et divertissent le public d’une façon étonnante, voire dérangeante pour ceux qui n’acceptent toujours pas qu’on rit vivement devant Mozart. Heureusement, des productions comme celle-ci aident établir des nouveaux ponts et poussent au progrès, à la réévaluation critique des conventions. Qu’en est-il du chant ? Il est sans doute superbement illustré par la scénographie et le travail d’acteur, mais est aussi, et surtout, la raison principale d’être de l’opéra. Une belle musique qui régale l’auditoire !

Le duo amoureux d’Aminta et Elisa est interprété magistralement par Soraya Mafi et Raquel Camarinha. Les deux sopranos font preuve d’une musicalité ravissante et d’un style mozartien d’une grande fraîcheur. La première à un beau timbre et un remarquable contrôle de son instrument. Si nous sommes frappés par les spécificités de son talent depuis son entrée au début de l’opéra, son rondo du deuxième acte avec violon obbligato « L’amero, saro costante » est un sommet lyrique d’émotion que nous aurons du mal à oublier. Remarquons également qu’il s’agît de la toute première représentation en France de la jeune soprano Anglaise. Raquel Camarinha quant à elle fait preuve d’agilité et de candeur en permanence. Elle est aussi très captivante sur scène, dans tous les plans. Le finale du premier acte est un duo éblouissant pour les deux sopranos où les voix s’accordent avec une aisance impressionnante ! Tamiri et Agénor sont interprétés par Marie-Sophie Pollak et Krystian Adam. Leur performance est solide, quoi que quelque peu effacée par celle des 3 autres solistes.

C’est un plaisir de revoir le ténor Allemand Rainer Trost dans la même salle où il a conquis tout Paris en 1992 (!) dans le rôle de Ferrando de Cosi Fan Tutte, dirigé et mis en scène par John Eliot Gardiner. Un mozartien confirmé et de longue expérience ; il est à la fois charmant et drôle dans le rôle, plus ou moins ingrat, en papier, d’Alessandro. Sa performance, comme celle du couple principal, est… pétillante ! Il assume et intègre complètement l’humour de la production et s’y investit de façon spectaculaire. S’il pourrait gagner en dynamisme dans les vocalises, il demeure toutefois enchanteur par sa musicalité et son style ; par sa belle et toujours stimulante présence, tant théâtrale que musicale.

Dans la fosse l’Ensemble Matheus, et son directeur Jean-Christophe Spinosi, font preuve d’une retenue à laquelle nous ne nous attendions pas ! Comme d’habitude ses vents sont ravissants (bellissime flûte obligata dans l’air d’Alessandro « Se vincendo »!), Le recul dont le chef fait preuve ce soir donne davantage d’homogénéité à la prestation. Si nous préférons des contrastes plus marqués, nous apprécions la consistance et la clarté de l’ensemble au cours des deux actes.

Un Mozart pas comme les autres, ranimé par les talents combinés d’une équipe audacieuse et riche en créativité au Théâtre du Châtelet… Un production si réussie que nous aimerions qu’il y ait beaucoup plus de représentations ! Des chanteurs de talent à découvrir et ré-découvrir, une partition à revisiter, l’humour dévoilé d’un Mozart (dont on fête aujourd’hui l’anniversaire il y a 259 ans !) qui doit sans doute sourire devant cette appropriation. A voir et revoir sans modération au Théâtre du Châtelet les 22, 24, 26, 28 et 30 janvier ainsi que le 1er février 2015.

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