Créée ici -même – à l’Opéra de Gand – il y a tout juste 20 ans, la mise en scène de Guy Joosten des Noces de Figaro de Mozart est loin d’avoir le côté provocateur et sacrilège d’autres productions lyriques que nous avons pu voir du même auteur, que ce soit son Don Giovanni anversois, son Freischütz montpelliérain ou encore sa Salomé bruxelloise. Elles ont néanmoins un dénominateur commun : l’aspect théâtral l’emporte – quasi toujours – sur la musique. Guy Joosten ne perd pas de vue l’aspect « Folle journée » de l’œuvre, lui imprimant un rythme qui jamais ne se relâche. Il n’a pourtant pas résisté à la tentation de la transposition, et les costumes rappellent notre époque : vaguement idéalisés dans le cas du Comte et de la Comtesse, franchement banalisés pour Figaro, Bartolo, Basilio et la plupart des autres comparses, ils se réduisent à des bleus de travail pour les gens du peuple, traités comme des ouvriers. Certains d’entre eux prennent des allures menaçantes contre leur patron, brandissant des pieds-de-biche comme des armes. Avec cette peinture de la lutte des classes, nous restons – somme toute – assez proches de Beaumarchais, même si le contexte historique n’est pas identique, et si certaines répliques paraissent anachroniques. Les interventions de la mise en scène sont bien servies par le décor monumental et esthétisant de Johannes Leiacker : une serre bientôt transformé en jardin d’hiver à l’abandon. Mais Mozart dans tout cela ?
A la tête d’un Orchestre Symphonique de l’Opéra de Flandre bien disposé, le chef britannique Paul McCreesh confirme ses affinités avec la musique de Mozart. Grâce à une agogique souple, combinant avec art de subtiles gradations entre tempi vifs et tempi lents, grâce à une oreille attentive aux voix intermédiaires, et grâce à une attention particulière au permanent dialogue entre voix et instrument à vent, il soutient l’intérêt de bout en bout – tout en plaçant les chanteurs dans un environnement favorable.
Ces derniers ne méritent que des éloges. David Bizic, Figaro au timbre noir et plein d’aplomb, s’impose sans peine comme l’élément moteur de l’intrigue. Il possède le grain rustique et la mobilité expressive qui suggèrent la vitalité instinctive du personnage. Le baryton hongrois Levente Molnar en impose aussi, dans le rôle du Comte, avec sa voix particulièrement puissante, qui sait néanmoins se faire caressante dans ses tentatives de séduction de Susanna, ainsi que dans son repentir final.
Le gentil minois et la fine silhouette de la soprano néerlandaise Julia Westendorp la destine particulièrement aux rôles de soubrette. Sa voix tour à tour charmeuse et énergique, appuyée sur une diction claire et un vibrato bien dosé, étoffe le discours d’une Susanna souveraine. De son côté, Julia Kleiter séduit à chaque instant par la maturité de son chant. Parfaite dans les nuances d’intensité, modulant avec délicatesse son timbre velouté, elle rend avec une égale justesse chaque note de la Comtesse, de la simple confidence au cri profond du cœur. Dans le rôle de Cherubino, la mezzo croate Renata Pokupic, constamment en émoi, possède l’agilité et l’espièglerie d’une jeunesse assumée.
Les seconds rôles, souvent parents pauvres des Noces, accueillent une Marcellina (Kathleen Wilkinson) qui ne démérite pas dans son air du quatrième acte, aux côtés d’un impressionnant Bartolo, la basse hongroise Peter Kalman, qui a la stature et l’autorité d’un Comte. On n’oubliera pas de citer Piet Vansichen, inoubliable Antonio, aussi bourré que bourru, ni la douce Barberine d’Aylin Sezer ni le Basilio intrigant d’Adam Smith.
Compte-rendu. Opéra. Gand, Opéra, le 18 juin 2015. Wolgang Amadeus Mozart : Le Nozze di Figaro. David Bizic, Levenet Molnar, Julia Kleiter, Julia Westendorp, Renata Pokupic, Kathleen Wilkinson, Peter Kalman, Piet Vasichen, Adam Smith, Aylin Sezer. Guy Joosten, mise en scène. Paul McCreesh, direction.