L’ouverture de la saison lyrique de l’Opéra National de Bordeaux a lieu dans le nouvel Auditorium de la maison en cette soirée d’automne. Le début de la fin du mandat de Thierry Fouquet, directeur sortant, commence avec le Don Carlo de Verdi, dans une nouvelle production signée Charles Roubaud. Après quelques annulations, souffrances et remplacements, la direction musicale des deux premières présentations est tenue admirablement par le directeur de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Paul Daniel. La distribution tourne autour de la fabuleuse Elsa van den Heever dans le rôle d’Elisabeth de Valois et compte avec des personnalités frappantes même si inégales. Un retour à Bordeaux pour la soprano citée, après Anna Bolena et Norma les deux années précédentes, retour de facto, à ne pas manquer !
Don Carlo ou le grand-opéra revisité
La nouvelle production frappe immédiatement par l’absence presque totale de décors (il y a quand même une croix quelque part, à un moment). Remarquons d’ores et déjà la fabuleuse création vidéo de Virgile Koering ; ses projections sur la scène ingrate (sans cintres ni coulisses), habillent le plateau en costumes espagnols, de façon plus qu’habile. Une très belle excuse pour faire une mise en scène qui est plutôt mise en espace. Les costumes d’époque de Katia Duflot sont très beaux et donnent davantage de caractère et d’élégance à la mise en scène dépouillée. Les chanteurs rentrent et sortent du plateau (mais pas les chœurs, aux sièges derrière la scène), certes. Le directeur scénique laisse donc, «parler la musique ». Soit. Une idée non dépourvue de poésie, surtout en ce qui concerne la partition de Verdi, des plus réussies d’un point de vue orchestral, mais trop souvent la chose qu’on dit quand on n’a vraiment rien à dire. Matière à réflexion pour la prochaine direction de la maison.
Après l’excellente performance de l’orchestre sous la baguette de Paul Daniel, malgré un répertoire auquel ne va pas sa prédilection, le maestro a des choses à dire. Intéressantes en plus. Sa direction est à la fois passionnante et raffinée, avec des belles subtilités au cours des quatre actes. Les contrastes sont privilégiés, sans pourtant offenser l’ouïe par des procédés faciles (rappelons qu’il s’agît d’un grand opéra à la française sous la plume de Verdi). Le choix de produire la quatrième version de l’opus (Milan,1884), à la base Don Carlos, en français, créé pour l’Opéra de Paris en 1867, non sans d’innombrables péripéties culturelles et stylistiques-, s’avère très juste. La dernière version de Modena étant en vérité la version Milanaise + le premier acte de la version de Paris, donc avec une certaine discordance stylistique, puisque le compositeur remania l’orchestration et parties vocales pour Milan. Cette version, plus concise, raconte toujours l’histoire très librement inspirée de la vie de l’Infant Don Carlos, petit-fils de Charles-Quint, devenu personnage romantique sous la plume de Schiller, modèle des librettistes de Verdi, Joseph Méry et Camille du Locle. Amoureux d’Elisabeth de Valois, nouvelle femme de son père Philippe II, Carlo termine dans les mains de l’Inquisition à cause de cet amour impossible.
L’Elisabeth d’Elsa van den Heever est remarquable par son interprétation d’une Reine tourmentée, aux motivations sincères et dont la noblesse de caractère ne la quitte jamais. La voix large de la jeune cantatrice s’adapte à souhait aux besoins expressifs de la partition et elle campe une performance fantastique, en dépit d’une certaine froideur. Le Don Carlo de Leonardo Caimi (remplaçant de Carlos Ventre) touche par la beauté du timbre et par le charme et la candeur juvéniles qu’il imprime au rôle, mais le chanteur se trouve très souvent dépassé par celui-ci. Seulement l’intensité douloureuse de son jeu et vocal et théâtral (et ce dans une mise en scène, disons, économe) touche l’auditoire. Le Marquis de Posa de Tassis Christoyannis quant à lui, touche le public de plusieurs façons. Une belle et bonne projection, une articulation distinguée mais chaleureuse, et le jeu d’acteur remarquable qui lui est propre, font partie des qualités de son interprétation des plus réussies. Le Philippe II d’Adrian Sâmpetrean, prise de rôle, peine à convaincre de son statut. Si ses qualités vocales sont toujours là, et nous sommes contents de le découvrir dans ce répertoire, son attribution paraît un contresens. Ainsi dans le très beau quatuor vocal du III : « Giustizia, Sire! » avec Elisabeth, Eboli, Posa et Philippe, il est le maillon faible comparé à ses partenaires qui y excellent. De la Princesse Eboli de Keri Alkema, dans une prise de rôle, nous retenons également l’intensité mais aussi l’agilité, étonnamment. La chanson mauresque qu’elle interprète au II : « Nel giardin del bello saracin ostello » est tout à fait délicieuse. Remarquons aussi l’Inquisiteur de la basse Wenwei Zhang à la profondeur sinistre à souhait, et les choeurs de la maison avec le choeur Intermezzo, en bonne forme, avec un dynamisme de grand ferveur.
Enfin, un début de saison plein de qualités et plutôt gagnant en dépit des péripéties et incompréhensions… Une distribution inégale mais engageante, une mise en scène très belle mais absente. Surtout un orchestre fabuleux et un moment d’intensité lyrique comme on les aime. Encore à l’affiche le 30 septembre puis le 2 octobre 2015 à l’Opéra National de Bordeaux.
Compte rendu, opéra. Bordeaux. Auditorium de l’Opéra National de Bordeaux, le 24 septembre 2015. Verdi : Don Carlo (version Milanaise 1884). Leonardo Caimi, Tassis Christoyannis, Elza van den Heever, Keri Alkema… Ensemble Aedes, choeur. Le Cercle de l’Harmonie, orchestre. Paul Daniel, direction.