vendredi 29 mars 2024

Compte-rendu, concert. Paris, TCE, William Christie,Rameau, Handel, le 27 septembre 2013

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Paris, TCE. Vendredi 27 septembre 2013 : récital Rameau et Haendel. Orchestre of The Age of Enlightenments. William Christie, direction

 

Compte rendu, concert. Pour ce concert au mariage prometteur Rameau/Handel,  » Bill  » (William Christie) retrouve une partenaire familière depuis 1991, soit 20 ans de complicité : la soprano Sandrine Piau. Non sans une certaine nostalgie chevillée au corps et qui distille une discrète mais présente émotion, tous deux abordent les deux génies des années 1730 en Europe : frénésie rythmique, clarté irrésistible de Rameau ; sensualité élégante de Handel, avec l’Orchestre of The Age of Enlightenments qui a soufflé ses 27 ans d’activité en 2013.
Dans la première partie, s’agissant de Rameau, de Castor et Pollux, l’opéra le plus joué au XVIIIè dès sa création en 1737, jusqu’aux Paladins, oeuvre de maturité (1760), l’éventail est large : voici une annonce de l’année Rameau 2014, très généreuse : un avant-goût qui montre combien jouer Rameau et réussir son interprétation restent des défis car il n’est pas donné à tous les chefs de relever comme ici les multiples obstacles.  William Christie a enregistré Castor et Pollux en 1993 avec le tempérament et la grâce qui restent une référence dans la discographie. Le concert au TCE confirme combien le fondateur des Arts Florissants reste inégalé chez Rameau comme dans Handel. Rappelons que William Christie sort sous son propre label Les Arts Florissants & William Christie éditions, l’oratorio Belshazzar, le 22 octobre 2013. Concernant Rameau en 2014, Bill dirigera Platée à l’Opéra de Vienne puis à l’Opéra Comique et à New York, en février, mars et avril 2014.

 
 

Rameau d’un raffinement ineffable

direction affûtée et élégante d’un Christie poète

 

Christie_William_dirigeant_rameau_faceNervosité et clarté, et même hargne guerrière propre aux deux frères héroïques (Pollux descend aux enfers pour ressusciter Castor qui devait y demeurer éternellement), dramatisme éruptif qui foudroie, un sens de la vitalité rythmique (comme dans Dardanus : Dukas l’avait souligné en plus de l’audace des couleurs et de l’orchestration admirées par Berlioz) : sous la direction d’un Bill affûté et conquérant, voici pour l’ouverture de Castor et Pollux, un superbe lever de rideau d’un éclat trempé dans une énergie enivrée et tragique, aérienne et épique irrésistible.
Ce qui suit ne dément notre impression première : le geste est incisif et mordant, d’une griserie légère prête à mordre dans les airs pour les Athlètes (percutante vitalité du IIIème air qui n’hésite pas à exposer les bois, hautbois et bassons) ; les bruits de guerre (comme dans Dardanus version 1744) sont un épisode dramatique fracassant avec des cuivres pétaradants, explosifs, gorgés de fière solennité, … avant ce  » gravement  » qui s’émancipe lentement comme une aurore ; en vérité, c’est une magnifique entrée en matière pour l’air  » Tristes apprêts, pâles flambeaux  » : plainte d’une dignité désespérée de Télaïre qui se lamente auprès de Pollux … aigus parfois difficiles, ligne incertaine mais quelle exquise fragilité. Sandrine Piau montre quelle musicienne fine et raffinée elle demeure.
Le sommeil de Dardanus est baigné de tendre intimité, un rayon de soleil après Castor et Pollux coloré de funèbres prémonitions ; le menuet qui suit est d’une pudeur et retenue admirables.

L’éclectisme de Rameau est stupéfiant ; la sélection des morceaux choisis ce soir le prouve encore. Quel réveil délicieux avec « Règne avec moi, Bacchus », extrait d’Anacréon, d’une ivresse toute bachique, d’une sensualité dyonisiaque libérées, elle aussi conquérantes … les aigus tendus de la soprano empêchent cependant de goûter la fraîcheur badine de cette hymne d’une suavité acrobatique … L’Orchestre sous la baguette aérienne de William Christie exprime la légèreté des éléments qui semble en effet soulever la soliste.
Autre défis pour les musiciens et le chef : les  Tambourins 1 & 2, extraits de Dardanus : notons la gaieté rustique d’une simplicité qui parle au coeur, sans apprêts, seulement ivres, et naturellement frénétiques : quelle maîtrise grâce à l’expertise d’un chef conteur.
Nouvelle élévation avec « Je vole, Amour », extrait des Paladins (1760) : l’air renoue avec la grâce d’Anacréon et une couleur instrumentale plus pétillante encore (flûtes aériennes comme des chants d’oiseaux quand les cordes expriment la danse des nuages). Je vole nous dit Sandrine Piau, davantage maîtresse de ses aigus et parfaite de ligne comme d’intonation : nous la croyons sans hésiter. L’humour distancié, l’éclectisme poétique de Rameau s’y déversent entre comique et tragique, une source expressive qui fourmille à l’identique de sa précédente comédie lyrique (reprise par Grétry dans La Caravane du Caire : Platée l’inclassable). Ici Piau badine, oeillades à l’appui d’autant mieux que l’orchestre s’allège, prêt lui aussi à s’envoler. En coquette d’une sensualité torride, la soprano excelle littéralement.
Grand moment de profondeur et de sincérité orchestrale, la Chaconne, extraite de Dardanus : formidable hymne nostalgique avec ce lâcher prise, cette pudeur exquise entre gravité et tendresse d’une élocution (cordes) flexible parfaitement articulée … Rythmes coulants, passages dynamiques contrastés et nuancés, avec cette solennité pourtant jamais affectée ni démonstrative, Bill l’enchanteur nous offre une leçon de grâce ramélienne irrésistible. On l’aurait volontiers écouté pour 2014, les 250 ans de la mort de Rameau, dans une belle et grande tragédie lyrique : Hippolyte, Castor justement ou Dardanus voire Zoroastre. Il faudra ce contenter de Platée. Ce qui est déjà beaucoup sous la baguette d’un tel maestro.

 

Après l’entracte – rituel des 20 minutes de pause -, voici la seconde partie dédiée au divin Saxon Handel.
Dans le  Concerto Grosso op. 6 n° 6 : chef et instrumentistes nous convainquent par leur élégance suggestive magnifiquement dramatique, pleine de rebondissement et de tendre intériorité, avec des écarts contrastés qui tempêtent et restituent un Handel imaginatif et percutant, grâce à l’engagement des seuls instruments (cordes électrisées sous la baguette du chef).
Puis la diva reparaît :  « Che sento o Dio », « Se pietà », grand air déploratif de Cléopâtre extrait de Giulio Cesare. L’air révéla Sandrine Piau en 1993 à Beaune : la soprano coloratoure malgré des aigus tirés développe une ligne grave et sombre parfaitement au diapason de l’humeur de Cléopâtre défaite et détruite à cet instant de l’opéra… la justesse et la pudeur émotionnelle de la diva saisissent, très investie et intérieure. Bill excelle, fluide et profond.

Nouvel séquence lyrique avec  « Scoglio d’immorta fronte », extrait de Scipione : crânement défendu avec des aigus plus faciles mais toujours fragiles qui font l’émotivité d’une tenue très musicienne, d’autant que l’orchestre et le chef se montrent impeccables.

En conclusion, Bill propose un Handel festif mais raffiné : Musique pour les Feux d’artifices royaux. Pour la fin, vertiges et divertissement. La belle gradation des tutti de cuivres séduit : splendides gerbes éclatantes dont Bill fait ressortir la puissante énergie pleinairiste. L’ivresse dansante, la respiration pastorale dans l’esprit du Water music, avec cette même piquante et entraînante euphorie rythmique de Rameau … Bill y ajoute cette dose de suprême raffinement, de badinerie, d’élégance absolument irrésistible, à la fois opulente et chorégraphique, d’une emphase cuivrée tout à fait calibrée et maîtrisée. Un handel idéal.

Trois bis pour dire au revoir … Pas chiches pour un sou pour le ravissement du public déjà conquis, les interprètes gratifient l’audience de 3 bis : bouquet progressif et généreux avec l’air, au charme absolu, celui de Morgane d’Alcina, d’une facétie caressante. Lui succède avec une sincérité et une musicalité qui rayonnent : l’irrésistible Lascia de Rinaldo, puis récidive en coquetterie assumée pour l’air d’Anacréon de Rameau, en fusion avec l’orchestre d’une fluidité caressante et sensuelle. Quele soirée !

 

Paris, TCE. Vendredi 27 septembre 2013 : récital Rameau et Haendel. Orchestre of The Age of Enlightenments. William Christie, direction.

 

détail du programme :

Rameau
Castor et Pollux, ouverture

Deuxième et troisième airs pour les Athlètes, Bruits de Guerre, Gravement
« Tristes apprêts, pâles flambeaux »,
Menuet
 »Sommeil », extrait de Dardanus

« Règne avec moi, Bacchus », extrait d’Anacréon
Tambourins 1 & 2, extraits de Dardanus
« Je vole, Amour », extrait des Paladins
Chaconne, extrait de Dardanus

Haendel
Concerto Grosso op. 6 n° 6

« Che sento o Dio », « Se pietà », extraits de Giulio Cesare

Marche extraite de Scipione
« Scoglio d’immorta fronte », extrait de Scipione
Musique pour les Feux d’artifices royaux

 

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