Le double coffret s’inscrit parmi les meilleures réalisations du Palazzetto Bru Zane, offrant , aux côtés de sa déjà somptueuse collection lyrique « Opéra français », une autre collection dédiée aux vertiges symphoniques – le coffret de cet automne 2023 répond à toutes les attentes en particulier sur le plan du répertoire…
On y retrouve ce goût unique du défrichement ; plusieurs pièces méritaient en effet d’être exhumées, dont parmi nos préférées : « Ishtar » de D’Indy, ou « la nuit et l’amour » d’Augusta Holmès. La notice est bien fournie et permet de comprendre les enjeux esthétiques d’un corpus qui a l’intérêt de révéler l’éloquente diversité des tempéraments dans l’extrême fin du XIXème, ce post romantisme d’après le choc de 1870, – quand l’école française de musique tend à se relever, en particulier en jouant la concurrence des Germaniques, surtout de Wagner, omniprésent, légitimement incontournable ; d’ailleurs, il est fascinant de suivre ainsi les émules et disciples de Wagner dont le génie s’il s’est essentiellement manifesté à l’opéra, influence ici les symphonistes français les plus exigeants et audacieux, de Franck l’architecte de la forme… à Holmès, génie féminin d’une sensualité dramatique égale à Massenet, sans omettre… Lili Boulanger dont la sensibilité orchestrale égale celle de Debussy.
MOISSON DE RÉVÉLATIONS ÉTOILÉES… Les révélations sont nombreuses en rendent le programme captivant ; car il ne s’agit pas seulement de suivre l’inspiration hautement dramatique des Romantiques Français, le double cd permet de mesurer toutes ces infimes nuances dans l’écriture et la conception des œuvres, qui distinguent clairement les exécutions dramatiques strictement narratives et « spectaculaires » de celles plus abstraites et poétiques, capables d’interroger le sens même et la nature de la texture orchestrale.
Dans ce sens, les œuvres de Mel Bonis, Chausson ou Duparc (qui donne son titre « Aux étoiles » en affirmant son ambition poétique extatique, d’une volupté indiscutable), ou Joncières (le plus wagnérien de tous, assurément), sans omettre La procession nocturne de Rabaud ni la transe sensuelle voire straussienne de l’épatante Charlotte Sohy, élève de D’Indy (Danse mystique de 1922) dont l’oeuvre s’inscrit d’emblée dans le plein XXème (décédée en 1955). La direction détaillée, lyrique, très équilibrée du violoniste et chef Nikolaj Szeps-Znaider se révèle plus qu’efficace : structurée et charpentée, sensuelle et claire ; d’une narrativité analytique, d’une sonorité ronde et transparente qui porte à l’extase onirique. De quoi réussir bon nombre de poèmes symphoniques ainsi réunis, dont l’intensité dramatique transporte et captive ; autant de qualités indiscutables qui transparaît dans la formidable conclusion – écho fraternel au Chasseur maudit de Franck (1883) : La procession nocturne du jeune Henri Rabaud, (inspiré par la sensibilité solitaire, contemplative, éperdue du Faust de Lenau), borne à l’extrémité du XIXème siècle (1899), dont les vagues souterraines ne sont pas sans répondre à la puissance onirique et sombre de l’immense Franck,16 années auparavant, et qui ouvrait ce splendide cycle symphonique, lui aussi dans une maîtrise de la forme, absolue… absolument captivante.
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CD, critique. « AUX ÉTOILES » / Poèmes symphoniques de Mel BONIS, Lili BOULANGER, Alfred BRUNEAU, Emmanuel CHABRIER, Ernest CHAUSSON, Paul DUKAS, Henri DUPARC, César FRANCK, Ernest GUIRAUD, Augusta HOLMÈS, Vincent D’INDY, Victorin JONCIÈRES, Henri RABAUD, Camille SAINT-SAËNS, Charlotte SOHY – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON / Nikolaj Szeps-Znaider, direction ( 2 CD – Enregistrement réalisé du 3 au 7 mai 2021 et du 6 au 9 septembre 2022 à l’Auditorium de Lyon (France) / Parution : le 20 oct 2023)
Plus d’infos sur le site de l’éditeur Palazzetto Bru-Zane : https://bru-zane.com/fr/pubblicazione/aux-etoiles/)
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