CD, critique. Mozart: Die Schuldigkeit des ersten Gebots (Classical Opera / Ian Page, 1 cd Signum classics). RĂ©surrection sincĂšre⊠On ne saura trop louer lâinitiative du chef britannique Ian Page, fondateur en 2017 de la compagnie (orchestre et chanteurs), The Mozartists, dont le nom indique lâexpression et la rĂ©alisation dâune passion, idĂ©alement maĂźtrisĂ©e, la musique de Mozart : symphonies, cantates, oratorios, etc⊠et aussi lâopĂ©ra, genre privilĂ©giĂ© pour lequel Ian Page a fondĂ© un collectif dĂ©sormais dĂ©diĂ© « Classical Opera ». AprĂšs Apollo e Hyacinthus (mai 2012), voici un drame peu connu dâune poĂ©sie exceptionnelle aux thĂšmes graves et dâune finesse insoupçonnĂ©e (comme souvent chez Wolfgang). Die Schuldigkeit des ersten Gebots / Le devoir du Premier Ordre ainsi rĂ©vĂ©lĂ© (enregistrĂ© Ă l’Ă©tĂ© 2012), fait partie du cycle intĂ©gral dĂ©diĂ© aux oeuvres de Mozart, une collection de performances donnĂ©es en public et objets dâenregistrements jusquâau 250Ăš anniversaire de la mort de Mozart soit en ⊠2041. Une OdyssĂ©e qui se construit peu Ă peu – comme celle dĂ©diĂ©e Ă Haydn (et rĂ©alisĂ©e par le chef Giovanni Antonini et le label Alpha), et qui nous offre rĂ©guliĂšrement de superbes surprises : lâimplication collective, le sens du dĂ©tail, du drame, de lâarticulation en gĂ©nĂ©ral (musique et texte) suscitent lâenthousiasme.
Câest le cas ici de cette rĂ©surrection du premier drame composĂ© par Mozart à ⊠11 ans (1767).
Lâoratorio met en scĂšne le Christ qui doute, auquel apparaissent 3 allĂ©gories : lâesprit du christianisme, la Justice divine, la MisĂ©ricorde divine.
Christianisme et Justice dĂ©fendent lâimpact du Jugement dernier et de lâEnfer pour guider lâĂąme chrĂ©tienne. Mais celle ci succombe aux dĂ©lices et promesses Ă©voquĂ©es par lâEsprit matĂ©rialiste. Le Christianisme nâentend pas cĂ©der un pouce et comme un docteur, argumente, explicite, accompagne dans ses doutes, puis convainc le chrĂ©tien.
La musique des parties 2 et 3 a hĂ©las disparu : il sâagissait des derniĂšres tentatives de lâesprit chrĂ©tien pour sauver lâĂąme qui doute ; comparĂ© Ă un arbre vert mais stĂ©rile, sans fruits, sans foi. Dans la partie 3, lâĂąme chrĂ©tienne a vaincu ses propres dĂ©mons ; sa vanitĂ© et son orgueil : pleine dâhumilitĂ© et de contrition, le chrĂ©tien nouveau repousse les plaisirs illusoires et si vain du matĂ©rialisme.
On peut ĂȘtre Ă©tonner de la gravitĂ© doctorante du sujet qui produit chez le jeune Mozart, tout sauf une musique discursive, aride et ennuyeuse.
La vivacitĂ© de lâĂ©criture y est amplifiĂ©e par une lecture pleine de vie et dâardeur (lâactivitĂ© de lâesprit chrĂ©tien Ă©lectrisĂ©, tenace pour sauver lâĂąme de celui qui doute). Propre aux annĂ©es 1760, Wolfgang fusionne la coupe rĂ©pĂ©titive des napolitains et la nervositĂ© profonde des cordes dans lâesprit de Mannheim. Le souvenir des oratorios germaniques, ceux des fils de JS BACH, en particulier de Carl Philip Emanuel est prĂ©sent, dans une langue ciselĂ©e (rĂ©citatif) et lâintensitĂ© orchestralement raffinĂ©e des arias.
Les solistes sâefforcent tous : engagĂ©s Ă dĂ©faut dâĂȘtre rĂ©ellement fins et nuancĂ©s, vivants sans maniĂ©risme ni surenchĂšre ; car si nous sommes au théùtre, lâĂ©glise et la dignitĂ© morale qui nourrissent lâenjeu final, sont essentielles.
Lâesprit du christianisme a la verve discursive et lâ éloquence facile (le tĂ©nor Andrew Kennedy, fin, linguistiquement percutant, le plus inspirĂ© de la troupe) ; la MisĂ©ricorde souvent associĂ©e aux cors majestueux, un rien solennels (Sarah Fox, mezzo) sâexalte, sâenivre⊠; lâEsprit matĂ©rialiste a toute les sĂ©ductions trompeuses grĂące Ă la coloratoure sĂ»re de la soprano Sophie Bevan, familiĂšre de la troupe fondĂ©e par Ian Page (elel chante Zaide et le rĂ©cital « Perfido! » avec un aplomb spectaculaire : la sincĂ©ritĂ© et lâintensitĂ© du chant font mouche.
DĂšs son premier air, qui vient en fin de premiĂšre partie (fin du cd1), soit aprĂšs lâexposition des toutes les allĂ©gories, le Christ ou lâĂąme qui doute trouve dans le chant du tĂ©nor Allan Clayton, une incarnation Ă la fois vivante et tourmentĂ©e, parfois tendue (avec cor naturel obligĂ©), voire raide et lĂ©gĂšrement fausse, qui manifeste les doutes, les efforts, la peine et lâinquiĂ©tude, les doutes qui Ă©treignent son esprit fragile.
Moins convaincante aussi la Justice divine (Cora Burggraaf au timbre pincé voire trop étroit, acide, voix courte) est plus contournée⊠donc plus bancale.
MalgrĂ© ses petites rĂ©serves, nous bĂ©nĂ©ficions dâune tenue collective trĂšs investie qui a le mĂ©rite dâaborder lâoeuvre Ă travers ses climats intĂ©rieurs ; le doute Ă©tant lovĂ© au coeur de son architecture et des caractĂšres de chaque piĂšce. Ian Page dĂ©voile chez le Mozart adolescent, une maturitĂ©, un sens des couleurs, une intelligence dramatique qui force lâadmiration. La partition certes incomplĂšte, prĂ©pare lâoratorio parfait, La Betulia Liberata (1771)⊠animĂ© par un souffle permanent, une ivresse dâun nouveau raffinement (lâoeuvre est-elle prĂ©vue prochainement dans le planning des rĂ©alisations de Ian Page ? A suivreâŠ).
BONUS : le cd2 comprend outre les derniers airs de lâoratorio de 1767, un documentaire vidĂ©o sur les conditions et la genĂšse de lâenregistrement⊠A voir absolument pour comprendre la maturation et lâĂ©volution du langage musical du jeune Mozart.
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CD, critique. Mozart: Die Schuldigkeit des ersten Gebots . Le Devoir du Premier Ordre, 1767 (Classical Opera / Ian Page, 2012 – 2 cd Signum records).
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