CD, critique. MOZART : Apollo et Hyacinthus (Classical Opera, Ian Page, Signum classics, 2011). FrĂ©nĂ©tique (post gluckiste), nerveux, sanguin, lâorchestre de Appolo et Hyacinthus prolonge la coupe et la syncope du Sturm un drang, tout en rĂ©vĂ©lant dĂ©jĂ la sensibilitĂ© Ă©motionnelle du jeune Mozart, ici confrontĂ© Ă lâopĂ©ra pour la premiĂšre fois, rĂ©ussit plutĂŽt un ouvrage qui relĂšve du genre oratorio. Commande de lâUniversitĂ© des bĂ©nĂ©dictins de Salzbourg en 1767, lâouvrage est le fruit des rĂ©flexions trĂšs mures dĂ©jĂ dâun compositeur de 11 ans. DâemblĂ©e câest lâassurance et la tendresse de lâĂ©criture qui force lâadmiration (ampleur Ă la fois noble et profonde du premier choeur « Numen o Latonium », quâaccompagne un orchestre dâun raffinement absolu. Lâouvrage est lâaboutissement dâun travail et dâune conception, prolongement de sa tournĂ©e europĂ©enne rĂ©alisĂ©e en 1766, au cours de laquelle le jeune compositeur recueille la riche expĂ©rience et le style des contrĂ©es traversĂ©es. Wolfgand nâen est pas Ă sa premiĂšre piĂšce dâenvergure : il a dĂ©jĂ composĂ© « Die Schuldigkeit des ersten Gebots / Le devoir du Premier Ordre » (mars 1767), suivi par la superbe musique de la Grabmusik. Ces premiers accomplissements, sĂ©duisants, et profonds – la profondeur si absente chez tous les compositeurs contemporains, fondent sa premiĂšre notoriĂ©tĂ© et conduit les autoritĂ©s de Salzbourg Ă solliciter le jeune compositeur au milieu des annĂ©es 1760, alors quâil est Ă peine adolescent. Sur le livret du pĂšre Widl, Mozart traite de lâamour du dieu Apollon pour le jeune Hyacinthe. Le dieu lui apprend le lancer du disque. Mais Ă cause de ZĂ©phyr, Ă©galement amoureux du beau mortel, Hyacinthe reçoit le disque Ă la tempe et meurt dans les bras dâApollon, inconsolable. Dans son sang rĂ©pandu, au sol, Ă©mergent bientĂŽt des ⊠iris (et non des jacinthes). Selon les recherches de certains historiens spĂ©cialistes de la mythologie, lâamour dâApollon pour Hyacinthe serait Ă lâorigine des mythes pĂ©dĂ©rastes en vigueur Ă Sparte.
Pour rendre le mythe acceptable et hautement moral, Widl modifie la cruditĂ© de la lĂ©gende antique et spartiate, il invente le personnage de Melia (qui devient la soeur de Hyacinthe), laquelle est la jeune femme quâApollon souhaite Ă©pouser⊠au grand dam de ZĂ©phyr qui aime aussi la dite Melia; mais aprĂšs avoir appris que Hyacinthe son frĂšre a Ă©tĂ© frappĂ© mortellement par le disque dâApollon, en prĂ©sence de ZĂ©phyr, la jeune femme exige du dieu quâil disparaisse. Mais Oebalus, pĂšre de Hyacinthe, recueille avant sa mort, la confession par son fils, que câest ZĂ©phyr qui lâa tuĂ©. Melia, Oebalus souhaitent nâavoir pas offensĂ© Apollon dont la protection est garante de lâharmonie et de la paix du royaume. Finalement, Apollon cĂ©lĂšbre la mĂ©moire de Hyacinthe en permettant que paraissent des jacinthes au lieu de sa mort : le dieu peut Ă©pouser MĂ©lia.
Ian Page respecte lâhistoire et le genĂšse de lâopĂ©ra de Mozart : la juvĂ©nilitĂ© et cette fraicheur mordante et palpitante qui fut certainement celle Ă lâoeuvre lors de la crĂ©ation de lâopĂ©ra, dĂ©fendu par plusieurs chanteurs adolescents MĂ©lia, Haycinthe Ă©tant incarnĂ©s et chantĂ©s par de jeunes chanteurs ĂągĂ©s de 15 et 12 ans ! Inimaginable prĂ©cocitĂ© qui en dit long sur la maturitĂ© des chanteurs de lâĂ©poque. MĂȘme le personnage dâApollo fut créé par une jeune contralto Johann Ernst, alors ĂągĂ© de 12 ans !
Zazzo incarne idĂ©alement Apollon par son timbre Ă la fois clair et charnu. Klara Ek, une MĂ©lia, ardente, expressive, au relief irrĂ©sistible ; Sophie Bevan, familiĂšre de la troupe rĂ©unie par Ian Page, un Hyacinthe sensible, tendu, aux arias ductiles, souples ; aux rĂ©citatifs, sculptĂ©s dans un marbre tendre. Dâailleurs tous les chanteurs dĂ©fendent cette partition de la jeunesse, habitĂ©e par une Ă©lĂ©gance salzbourgeoise singuliĂšre. MĂȘme le ZĂ©phyr de Christopher Ainslie est dâune rare Ă©lĂ©gance, soucieuse de lâarticulation du texte en latin « Enl duo conspicis » ; mĂȘme enthousiasme et Ă©valuation positive lâOebalus (roi de Laconia) de Andrew Kennedy, Ă la musicalitĂ© Ă©lĂ©gantissime (dans la mouvance des Howard Crook, ou John Mark Ansley, ainsi son recitatif remarquable de justesse linguistique (« Quis ergo Natel » qui ouvre le CHORUS ou PARTIE II, puis lâair dâune rare autoritĂ© vocale en intonation trĂšs juste elle aussi « Ut navis » qui affirme le gĂ©nie prĂ©coce de Wolfgang)⊠Que dire ensuite du duo Oebalus / Melia : “Natus cadit”, marche Ă deux voix, lacrymale, funĂšbre, d’une force sincĂšre, qui annonce la gravitas des opĂ©ras de la maturitĂ©. Le geste du chef, de l’orchestre, des deux chanteurs est des plus convaincants : il dĂ©montre que Wolfgang ĂągĂ© de 11 ans, prĂ©figure la vĂ©ritĂ© du Mozart des annĂ©es 1780.
La caractĂ©risation des personnages, assurant une Ă©paisseur dĂ©lectable Ă chaque personnage, la tenue superlative de lâorchestre, vraie instance expressive, nerveuse et Ă©lĂ©gante, idĂ©alement inspirĂ©e par lâesthĂ©tique Sturm und Drang⊠renforcent la qualitĂ© et lâapport de cette premiĂšre. Nul doute, les Britanniques rĂ©unis par Ian Page au sein de son collectif Classical Opera assurent aujourdâhui la meilleure offrande mozartienne. Les duos sidĂ©rants de justesse et de maturitĂ© (MĂ©lia / Apollon : « Discede Crudelis » / puis Eobalus/Melia : « Natus cadit »), tĂ©moignent de lâardente sensiblitĂ© du Mozart adolescent, Ă©crivant pour les trĂšs jeunes chanteurs de lâUniversitĂ© de Salzbourg. A Ian Page, revient le mĂ©rite dâavoir saisi cette couleur spĂ©cifique de lâadolescence dans sa lecture en tout point superlative.
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CD, critique. MOZART : Apollo et Hyacinthus (Classical Opera, Ian Page, 1 cd Signum classics) – enregistrement rĂ©alisĂ© Ă Londres 2011 – CLIC de classiquenews de novembre 2018. EN LIRE PLUS sur le site de CLASSICAL OPERA / THE MOZARTISTS / IAN PAGE
Andrew Kennedy : Oebalus
Klara Ek : Melia
Sophie Bevan: Hyacinthus
Lawrence Zazzo : Apollo
Christopher Ainslie : Zephyrus
CLASSICAL OPERA
Ian Page, direction