CD, critique. HANDEL / HAENDEL : Serse (1738) / Fagioli, Genaux (Emelyanychev, 2017 – 3 cd DG Deutsche Grammophon, 2017). Voilà une production présentée en concert (Versailles, novembre 2017) et conçue pour la vocalità de Franco Fagioli dans le rôle-titre (il rempile sur les traces du créateur du rôle (à Londres en 1738, Caffarelli, le castrat fétiche de Haendel) ; le contre-ténor argentin est porté, dès son air « « Ombra mai fu » », voire stimulé par un orchestre électrique et énergique, porté par un chef prêt à en découdre et qui de son clavecin, se lève pour mieux magnétiser les instrumentistes de l’ensemble sur instruments anciens, Il Pomo d’Oro : Maxim Emelyanychev. La fièvre instillée, canalisée par le chef était en soi, pendant les concerts, un spectacle total. Physiquement, en effets de mains et de pieds, accents de la tête et regards hallucinés, le maestro ne s’économise en rien.
L’enregistrement prolonge la vitalité du concert et rend compte d’un esprit de troupe, sachant pour chaque chanteur caractériser idéalement chaque personnage.
En Serse / Xerxes 1er, Franco Fagioli démontre une maîtrise parfaite des mélismes et acrobaties vocales écrites par Haendel. Fagioli vocalise sans peine, dans les aigus comme dans les graves, sur l’étendue de sa tessiture, indiquant combien les ornements sont porteurs de sens, signifient idéalement la volonté du Roi Perse, dans le grave engorgé, en un chant qui dans un seul souffle sait distiller piani et forte sans césure (cf l’ambitus ahurissant de l’air « « Crude furie » », de l’extrême aigu aux graves souterrains). Le caprice, le désir, le plaisir du prince (amoureux volatile) s’exprime et prend forme avec un naturel … désarmant.
Autour du Divo, comme on disait des castrats idolâtrés au XVIIIè, Fagioli, ses partenaires défendent avec beaucoup de classe et d’intensité, le relief émotionnel de leur personnage : Inga Kalna incarne une Romilda, solide, parfois instable, mais toujours très volontaire et expressive (en rien cette féminité fragile et fébrile, ailleurs portée par des sopranos pointues). Il est vrai que la soprano chante à présent Rodelinda avec une vérité irrésistible.
En Arsamene, la mezzo coloratoure canadienne (originaire de Fairbanks), Vivica Genaux (enfin voilà dans le rôle du frère de Serse une voix féminine de poids, plutôt qu’un contre-ténor trop lisse et pas assez typé) qui confirme son immense facilité vocale et dramatique, un tempérament exceptionnellement ciselé et percutant qui fait d’elle la mezzo baroque de l’heure (avec Ann Hallenberg). Amastre gagne une épaisseur réelle grâce à la tessiture élargie, soutenue aux extrémités, de l’alto Delphine Galou, voix sûre, droite, profonde.
Jeune diva à suivre désormais, Francesca Aspromonte offre une remarquable couleur, entre brio et tendresse au personnage d’Atalanta, moins piquante intrigante que vrai tempérament amoureux, elle aussi prête à en découdre.
Acteur en diable, se jouant des travestissements (en jardinier, en marchande de fleurs, voix de tête drôlissime à l’envi), le baryton Biagio Pizzuti éclaire la figure d’Elviro, d’une vérité humaine, comique certes, mais très proche du spectateur / auditeur.
Un pilier efficace dans la trame dramatique qui contraste parfaitement avec la noblesse plus digne de ses partenaires.
Autant le profil de l’empereur Serse est lumineux, autant celui de Ariodate (Andrea Mastroni) est lugubre et sombre, qui ferait résonner jusqu’aux cintres. Et l’auditeur.
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CD, critique. HANDEL / HAENDEL : Serse (1738). Dramma per musica en 3 actes, livret d’après Nicolò Minato et Silvio Stampiglia / Créé à Londres en avril 1738
Serse : Franco Fagioli
Arsamene, son frère : Vivica Genaux
Romilda : Inga Kalna
Atalanta : Francesca Aspromonte
Ariodate : Andrea Mastroni
Amastre : Delphine Galou
Elviro : Biagio Pizzuti
Il Pomo d’Oro / Maxim Emelyanychev, direction.
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CD, compte rendu critique. Gluck: Orfeo ed Euridice, 1762 (Franco Fagioli, Laurence Equilbey, 3 cd Archiv, avril 2015)
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