CD, compte rendu. Maurice Ravel. Daphnis et Chloé (Philippe Jordan, 1 cd Erato 2014). C’est un superbe accomplissement qui outre sa pleine réussite dans les équilibres si ténus chez Ravel, confirme les affinités indiscutables de Philippe Jordan avec la musique française. Le choix du programme reste très pertinent car il apporte une lecture enfin nouvelle sur Daphnis et Chloé, ne serait-ce que par la présence « rectifiée » des voix chorales, éléments essentiel ici quand il est souvent relégué (à tort) dans d’autres versions… Le chœur (opportunément très présent dans la prise de cet enregistrement parisien de 2014) apporte cette couleur vocale imprécise et flottante (il ne dit rien de précis ou ne participe pas linguistiquement à l’action), emblème de ce néoclassicisme dont rêvait Ravel. Mais que Diaghilev sut écarter lors d’une reprise londonienne en 1914, goût ou économie oblige ?
La subtilité de la partition ravélienne grandit dans cette restitution sonore où les instruments pèsent autant que les voix. La récente production du Roi Arthus de Chausson, révélée dans sa parure orchestrale l’a démontré à l’Opéra Bastille : Philippe Jordan sait faire chanter et parler l’orchestre parisien avec une finesse de ton rare, qui l’inscrit dans le sillon de son père, Armin. Ecoute intérieure, équilibre des pupitres, lisibilité et voile générique, hédonisme et motricité, le chef actuel directeur musical de la Maison parisienne cisèle et sculpte avec autant de tact que de puissance, révélant comme personne avant lui, – de notre propre expérience récente, le Wagner de Tannhaüser ou surtout du Ring. Chambrisme et rugosité véhémente d’un orchestre qui est devenu son complice. Le travail et l’entente s’écoutent ici, au service d’un Ravel à la fois sensuel et impressionniste, antiquisant et onirique au delà de toute imagination. La baguette éclaire l’oeuvre en la rendant non à son raffinement précieux mais à sa sobriété enchanteresse.
Daphnis et Chloé étincelle d’intelligence et d’accomplissement imprévus oubliés : une série de révélation sonore en cascade grâce à la baguette enchantée du chef suisse. La Valse surenchérit dans le registre de la sensualité instrumentale ; elle s’élève encore d’une marche pour atteindre cette lascivité impudique, osant des oeillades à peine voilées pour une extase enfiévrée proprement irrésistible. D’un paganisme franc et mouvant, Philippe Jordan, à la fois caressant, suggestif, nerveux, fait émerger les mélodies les unes après les autres avec un sens inné de la séduction comme de la continuité organique (pour ne pas dire charnelle). Cette version n’aurait pas déplu à Béjart pour sa chorégraphie, s’il l’avait connue. Magistral. Paris a la chance de bénéficier d’un chef d’une telle maturité raffinée. Et si l’Orchestre national de Paris était le meilleur orchestre à Paris ?
CD, compte rendu. Maurice Ravel. Daphnis et Chloé (Ballet en un acte, créé le 29 mai 1913), La Valse (Poème chorégraphique, créé le 12 décembre 1920). Orchestre et choeur de l’Opéra national de Paris. Philippe Jordan, direction. 1 cd Erato 0825646166848, 1h08mn. Enregistré à Paris en octobre 2014.