CD. Rameau in Caracas (Bruno Procopio et The Simon Bolivar Symphony orchestra of Venezuela, 2012) … Défi magistral réussi pour jeune chef audacieux ! Ce nouveau cd Paraty adoube très officiellement le tempérament du claveciniste Bruno Procopio comme chef d’orchestre. Poursuivant une nouvelle et déjà riche collaboration avec les musiciens vénézuéliens de l’Orchestre Simon Bolivar (la phalange qui hier accompagnait et permettait aussi l’essor du jeune Gustavo Dudamel), Bruno Procopio ne montre pas seulement sa lumineuse sensibilité et sa versatilité contagieuse chez Rameau, il confirme l’ampleur et la sûreté de son approche, n’hésitant pas ici à aborder le compositeur baroque sur… instruments modernes, de surcroît avec des instrumentistes qui Outre-Atlantique n’ont que très peu été confrontés à la rhétorique et l’éloquence du XVIIIè français. C’est donc pour eux un vrai défi instrumental lié à une découverte de répertoire.
A rebours des approches historiques, Bruno Procopio démontre que la justesse musicale et artistique ne se réduit pas au seul choix des instruments. Le claveciniste expert de la pratique baroque française transmet de toute évidence la science ambivalente d’un Rameau ici à la fois somptueux symphoniste et dramaturge de premier plan, chorégraphe et poète, précurseur des concepteurs à venir de musique pure. L’absence de voix ne pèse d’aucun poids; tant le chant de l’orchestre, -cordes admirables de précision et de fluidité, vents et bois gorgés de couleurs déjà impressionnistes (!)-, restitue l’imaginaire lyrique de Rameau. Ouvertures et danses des opéras du Dijonais composent de facto une entrée inédite pour les musiciens, expérience première galvanisée et flamboyante grâce à l’énergie et la précision du maestro franco-brésilien (Contredanse du II de Zoroastre). Que ces esprits animaux tempêtent de façon infernale (coupes et abattage des bassons), ivresse et grandiose panache du Ballet figuré, coloris chatoyants des gavottes finales du même Zoroastre (1756).
Rameau électrisé
La mise en place, la sûreté nerveuse et jamais courte des rythmes dansés attestent de l’assurance superlative du jeune chef. Que son Rameau est racé, de caractère comme d’agilité : électrique vitalité qui fuse comme des comètes enflammées des Tambourins d’une élégance irrésistible (formidables bassons) du Prologue de Dardanus (1739)
L’ouverture de Castor et Pollux (1737) si proche dans sa coupe étagée et fuguée de celle d’Hippolyte dévoile toute la flexibilité du chef capable de conduire ses troupes en une clarté faite drame, entre intellect et sensualité tendre, alliance contradictoire et constitutive de l’écriture de Rameau. La Chaconne du V confirme ce lâcher prise qui fait toute la grâce à la fois solennelle et intime voire nostalgique de Rameau. Quant à la seconde Chaconne, (ultime volet de ce programme, extrait des Indes Galantes, 1735) emprunte de ce geste balancé et sublime, voire suspendu et de caractère lullyste, le chef en exprime et la tendresse et cet abandon d’une indicible douceur là aussi nostalgique. Au sentiment d’une solennité rêveuse se joint surtout la vitalité contrastée des pupitres subtilement électrisés par le chef doué d’une imagination fertile sur le motif ramélien: la précision de la mise en place, le relief des bois, la coupe des cordes d’un impeccable aplomb rythmique, frappent immédiatement.
Ce disque est étonnant, tant Rameau n’avait pas été ressuscité avec autant de vérité ni de saine justesse. Sans le fruité des instruments d’époque (parfois à défaut d’une baguette convaincante, rien que séducteurs), l’oreille se concentre sur le geste, la conception de l’architecture, la carrure et l’allant des rythmes, la richesse des dynamiques, c’est à dire l’émergence et l’essor d’une vision musicale. Tout cela, Bruno Procopio le maîtrise absolument et l’on souhaite entendre bientôt un opéra intégral dirigé sous sa conduite: un vœu pieu bientôt satisfait pour l’année 2014 à venir, celle des 250 ans de la mort du compositeur si génial ?