EXPOSITION : LE GRAND OPÉRA, 1828 – 1867, LE SPECTACLE DE L’HISTOIRE, les 5 volets clés de l’exposition

exposition-grand-opera-specacle-de-l-histoire-palais-garnier-BNF-opera-de-paris-annonce-critique-visite-presentation-classiquenews-CLASSIQUENEWSEXPOSITION : LE GRAND OPÉRA, 1828 – 1867, LE SPECTACLE DE L’HISTOIRE – PARCOURS DE L’EXPOSITION ; les 5 volets clés de l’exposition parisienne. Amorcé sous le Consulat, le grand opéra à la française se précise à mesure que le régime politique affine sa propre conception de la représentation spectaculaire, image de son prestige et de son pouvoir, instrument phare de sa propagande. Le genre mûrit sous l’Empire avec Napoléon, puis produit ses premiers exemples aboutis, équilibrés
à la veille de la Révolution de 1830. La « grande boutique » comme le dira Verdi à l’apogée du système, offre des moyens techniques et humains considérables – grands chœurs, ballet et orchestre, digne de sa création au XVIIè par Louis XIV.
Les sujets ont évolué, suivant l’évolution de la peinture d’histoire : plus de légendes antiques, car l’opéra romantique français préfère les fresques historiques du Moyen Âge et de la Renaissance.
Louis-Philippe efface l’humiliation de Waterloo et du Traité de Vienne et cultive la passion du patrimoine et de l’Histoire, nationale évidemment. Hugo écrit Notre-Dame de Paris ; Meyerbeer compose Robert le Diable et Les Huguenots. Les héros ne sont plus mythologiques mais historiques : princes et princesses du XVIè : le siècle romantique est passionnément gothique et Renaissance.

A l’opéra, les sujets et les moyens de la peinture d’Histoire

Comme en peinture toujours, les faits d’actualité et contemporain envahissent la scène lyrique ; comme Géricault fait du naufrage de la Méduse une immense tableau d’histoire (Le Radeau de la Méduse), dans « Gustave III », Auber et Scribe narrent l’assassinat du Roi de Suède, survenu en 1792, tout juste quarante ans auparavant. Cela sera la trame d’un Bal Masqué de Verdi.

Après la Révolution de 1848, l’essor pour le grand opéra historique faiblit sensiblement. Mais des œuvres capitales après Meyerbeer sont produites, souvent par des compositeurs étrangers soucieux d’être reconnus par leur passage dans la « grande boutique », sous la Deuxième République et le Second Empire. Le wagnérisme bouleverse la donne en 1861 avec la création parisienne de Tannhäuser, qui impressionne l’avant garde artistique parisienne, de Baudelaire à fantin-Latour, et dans le domaine musical, Joncières, militant de la première heure.
Le goût change : Verdi et son Don Carlos (en français) hué Salle Le Peletier en 1867 (5 actes pourtant avec ballet), est oublié rapidement ; car 6 mois plus tard, le nouvel opéra Garnier et sa façade miraculeuse, nouvelle quintessence de l’art français est inaugurée. C’est l’acmé de la société des spectacles du Second Empire, encore miroitante pendant 3 années jusqu’au traumatisme de Sedan puis de la Commune (1870).

 

 

Le parcours de l’exposition est articulé en 5 séquences.

1. GÉNÉALOGIE DU GRAND OPÉRA
2. LA RÉVOLUTION EN MARCHE
3. MEYERBEER : LES TRIOMPHES DU GRAND OPÉRA
4. DERNIÈRES GLOIRES
5. UN MONDE S’ÉTEINT

 

 
 

 

Illustration : Esquisse de décor pour Gustave III ou Le bal masqué, acte V, tableau 2, opéra, plume, encre brune, lavis d’encre et rehauts de gouache. BnF, département de la Musique, Bibliothèque- musée de l’Opéra © BnF / BMO

 

 
 

 

DATES ET HORAIRES
Du 24 octobre 2019 au 2 février 2020
Tous les jours de 10h à 17h (accès jusqu’à 16h30), sauf fermetures exceptionnelles.
LIEU
Bibliothèque-musée de l’Opéra
Palais Garnier – Paris 9e
Entrée à l’angle des rues Scribe et Auber
INFORMATIONS PRATIQUES
TARIFS
Plein Tarif : 14€ Tarif Réduit : 10€

 

 

 

LIVRE événement, critique. Pauline Ritaine : Paul Dukas, Écrits sur la musique (éditions Musicae)

DUKAS-paul-Pauline-Ritaine-ecrits-critique-musical-DUKAS-opera-analyse-critique-livre-critique-classiquenews-aedam-musicae-sep-2019LIVRE événement, critique. Pauline Ritaine : Paul Dukas, Écrits sur la musique (éditions Musicae). Avec Camille Saint-Saëns ou Claude Debussy, le Prix de Rome (1889) Paul Dukas (1865-1935) a suivi le sillage d’Hector Berlioz comme critique musical. Lorsqu’un compositeur décrypte le travail d’autres confrères, la vision est toujours solidement argumenté, révélant autant sur les Å“uvres concernées que sur son écriture et son esthétique propres. Érudit et d’un goût très fin, l’auteur du seul opéra à la fois wagnérien et debussyste : Ariane et Barbe-Bleue (1907), de L’Apprenti sorcier (1897) ou de La Péri (1911) – emblème de l’âge d’or du symphonisme et de l’opéra français fin de siècle / Belle Époque, rédige entre 1892 et 1932 presque quatre-cents articles où la finesse le dispute à un sens de la synthèse et de la contextualisation selon les idées et les courants de pensée à son époque. Ainsi ni la polémique, ni l’ironie ne sont exclues. Dukas commente, analyse, détecte les défauts ou les longueurs (Dans la Walkyrie, le long duo Wotan / Fricka), identifie ce qui détermine les éléments esthétiques contemporains : symbolistes, impressionnistes, véristes, wagnérien évidemment, et spécifiquement français. Autant de convictions d’une pensée construite et très affinée qui sait détecter les bouleversements esthétiques et institutionnels dont les réformes de l’Opéra et du Conservatoire de Paris (où il enseigne tardivement la composition).
Comme Saint-Saëns, Dukas se passionne pour la redécouverte du patrimoine musical ancien (Renaissance, Baroque…) : folklores régionaux et aussi musiques extra-européennes.
Mais tout cela lui pèse car son temps d’écriture et d’analyse dévore celui dédié à la composition : il s’en ouvre clairement à Vincent d’Indy qui lui, a toujours su refusé toute demande de rédaction critique (ce qui n’empêcha pas d’affirmer haut et fort ses propres certitudes).
Dans ce volume 1, dédié au « théâtre lyrique », l’auteure organise le corpus autographe non pas chronologiquement mais thématiquement, identifiant les grands sujets qui ont inspiré le Dukas critique musical : « art & société » ; critiques (Hippolyte et Aricie, Castor, Les Indes Galantes… de Rameau, mars 1894 ; La Flûte enchantée, Don Juan de Mozart ; Armide et Orphée de Gluck ; Fidelio de Beethoven…, surtout la Tétralogie, 1892 et Tristan, 1899, de Wagner car Dukas cède aux miroitements orchestraux de Wagner ; puis le « théâtre lyrique contemporain » : entre autres, Samson de Saint-Saëns (1892), Werther de Massenet (1893), Falstaff de Verdi (1894), Ferval de D’Indy (1897), Louise de Charpentier (1900), les Barbares de St-Saëns (1901), Le Roi Arthus de Chausson (1903), Padmâvatî de Roussel ou Les Noces de Stravinsky (1923). Captivant regard d’un critique lui-même compositeur pour l’opéra. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2019.

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CLIC D'OR macaron 200LIVRE événement, critique. Pauline Ritaine : Paul Dukas, Écrits sur la musique (éditions Musicae / Coll. Musiques-XIX-XXe siècles – 344 pages – Format : 17.5 x 24 cm (ép. 2.5 cm) (625 gr) – Dépot légal : Juillet 2019 – Cotage : AEM-189 – ISBN : 978-2-919046-42-3 – CLIC de classiquenews septembre 2019.

Plus d’infos sur le site musicae.fr :
http://www.musicae.fr/livre-Paul-Dukas—Ecrits-sur-la-musique-Edite-par-Pauline-Ritaine-189-150.html

POITIERS, TAP. Concert WAGNER et BRUCKNER

Philippe Herreweghe et l'Orchestre des Champs Elysées à PoitiersPOITIERS, TAP. Mer 14 nov 2018. Wagner, Bruckner. Soirée symphonique, germanique et romantique au TAP de Poitiers, grâce à la force de persuasion de l’Orchestre des Champs Elysées, phalange en résidence au sein du théâtre poitevin, comprenant un auditorium aux qualités acoustiques exceptionnels, à notre avis pas assez reconnues. A 20h30, récital lyrique et symphonique. Cycle de lieder avec orchestre pour soprano tout d’abord où la cantatrice, experte en mélodies françaises, Véronique Gens, chante le cycle des Wesendonck-Lieder que Richard Wagner dédia à sa passion pour son hôtesse et protectrice en Suisse, Mathilde Wesendock (laquelle a écrit aussi les poèmes du cycle). Idylle consommée ou non, il nous reste plusieurs chants embrasés, où s’accomplissent l’enchantement et l’extase amoureuse, dont la mélodie de Tristan (celle de la nuit d’amour de l’acte II). D’une irrésistible langueur enivrée.

 

 

concert voix et orchestre au TAP de POITIERS

Romantisme lyrique et symphonique

bruckner1Puis l’Orchestre des Champs-Elysées interprète le massif brucknérien qui doit tant à … Wagner. Bruckner vouant une admiration sans borne pour le Maître de Bayreuth. Poitiers affiche la Symphonie n°4 de Bruckner, dite « Romantique » avec ses claires références au monde chevaleresque médiéval, …( tristanesque ?) … « Ville médiévale, chevaliers se lançant au-dehors sur de fiers chevaux, Amour repoussé, et même Danse pour le repas de chasse ».… Philippe Herreweghe aborde la symphonie avec une clarté détaillée et un sens de l’analyse qui restitue le relief de l’architecture et l’acuité des timbres instrumentaux, ce dans un format et des équilibres sonores affinés, comme le permet très justement la spécificité des instruments d’époque.

Dite “Romantiqueâ€, la Quatrième ouvre le cycle des Symphonies brucknériennes “en majeurâ€. Il existe trois versions connues, validées par l’auteur. Bruckner compose la partition originale de janvier à novembre 1874 et la dédie au Prince Constantin Hohenlohe, espérant une protection. La période est difficile pour le musicien qui n’a presque plus rien pour vivre. L’oeuvre ne sera révélée au concert que dans sa version originelle éditée par Nowak… en 1975! En 1878, Bruckner reprenait les deux premiers mouvements, puis en 1880, réécrivait le finale. C’est cette dernière version, la troisième, qui fut créée à Vienne, le 20 février 1881 sous la direction de Hans Richter. Le compositeur cite Parsifal de Wagner et l’instrumentation de son cher modèle…
…
Gestion des cuivres (souvent colossaux), rondeur chantante des bois, mer et houle des cordes… comment le chef saura-t-il piloter le langage brucknérien ? Il est aussi question de souffle majestueux et de grandeur, comme de mysticisme car Bruckner était habité par l’idéal chrétien, étant très croyant. Réponse ce 14 nov 2018 dans le superbe auditorium du TAP de Poitiers.

 

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Programme

> Richard Wagner : Wesendonck-Lieder
> Anton Bruckner : Symphonie n° 4 en mi bémol majeur « Romantique »

ORCHESTRE DES CHAMPS ELYSEES
Philippe Herreweghe, direction
Véronique Gens, soprano

 

 

 

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boutonreservationPOITIERS, TAP.
Mercredi 14 novembre 2018, 20h30
RESERVEZ VOTRE PLACE
https://www.tap-poitiers.com/spectacle/bruckner-wagner/

1h40, avec entracte

 

 

wesendonck-matilde-lieder-wagner-concerts
 

 

Mathilde Wesendonck inspire à Ricahrd Wagner un amour considérable : les poèmes de la protectrice suscitent l’un des cycles les plus enchanteurs et amoureux du compositeur romantique (DR)

 

 

 

 

CD, compte rendu critique. Wagner, UNE TETRALOGIE DE POCHE par la Compagnie Le Piano Ambulant (1 cd Paraty)

wagner cd critique review compte rendu paraty cd juillet 2016 classiquenews commentsiegfriedcouvertureCD, compte rendu critique. UNE TETRALOGIE DE POCHE par la Compagnie Le Piano Ambulant. La Formidable force mélodique, – donc l’impact dramatique de la musique de Wagner surgit à travers cette adaptation a minima, malgré l’absence du grand orchestre et du chant soliste. Curieusement ce programme chambriste d’une « Tétralogie de poche » ne dénature en rien sa source mais bien au contraire souligne le génie du Wagner mélodiste, capable de trouvailles exceptionnellement évocatrices pour chaque épisode de l’histoire du Nibelung et du Ring, l’Anneau magique et maudit. Piano, accordéon, hautbois, flûte, cor anglais… et autres effets sonores électroniques (synthé, guitare basse…) composent ici une fantastique tapisserie musicale qui exalte l’imaginaire du plus puissant des dramaturges à l’opéra. On ne s’étonnera guère que certains motifs aient été décalés (la chevauchée des Walkyries en lieu et place du rapt de Brünnhilde par Siegfried déguisé en Günther…); ou que la liberté du geste interprétatif ose des choix imprévus pour une nouvelle compréhension sonore (les huit cors habituels sont ici remplacés par l’harmonica) : contrastes oblige, jalons immanquables d’une narration au drame écourté qu’il fallait évidemment rythmer et caractériser. Pourtant aucune note n’est mise de côté ; et la réécriture permet même la redécouverte des situations, leurs enjeux, dans l’éloquence de ce jeu des motifs musicaux – leitmotive, qui inspira tant Wagner, dans sa propre réécriture des mythes et légendes.

 

 

 

Wagner compacté, percutant pour petits et grands : Le Ring de poche
6 instrumentistes, acteurs / expérimentateurs réécrivent le Ring

 

 

CLIC_macaron_2014Comment font-ils les 6 musiciens du Piano Ambulant pour compacter en une heure, l’ensemble du cycle wagnérien de …16 heures ? Certains ne résisteront pas, et ils ont raison, à l’appel des interprètes : « Votre emploi du temps ne vous permet pas de vous rendre à Bayreuth? Avouez que vous n’avez pas le courage d’affronter la totalité de la Tétralogie de Richard Wagner? Mais en même temps vous aimeriez bien savoir comment le nain Alberich a volé l’or du Rhin… ». D’un autre côté, on pourrait tout autant consulter les formidables illustrations picturales ou gravées conçues par un wagnérien français assidu, comme Baudelaire au XIXè, Fantin-Latour…
Mais c’est compter sans la musique, or elle fait tout. Face à cette réinvention du drame wagénrien, les puristes crieront au parjure et au blasphème. Mais tous ceux que les quatre Journées impressionnent habituellement, découvriront avec un réel plaisir, la magie onirique d’un drame qui d’anecdotique se révèle universel, de l’or volé par Albérich, en effet… ; de l’orgueil puni de Wotan, de la malice aérienne d’un Loge manipulateur, à la noirceur haineuse et jalouse de Hagen; à la mort de Siegfried, honteusement assassiné ; à la grâce de Brünnhilde, Walkyrie admirable qui sauve le monde et l’ordre mondial mis à mal, … tout est réinterprété, à sa juste place, et avec une intégrité expressive et poétique totalement irrésistible. On imagine très bien pendant l’écoute, la transposition du disque à la scène : réalisation parfaite dans ses dimensions et son format, comme dans son intensité expressive, qui convoque immédiatement les personnages du plus fabuleux des cycles lyriques et théâtraux.

wotanParfois la spatialisation des voix sur la musique ne fonctionne pas (curieuse résonance comme mise en boîte de la voix parlée ou récitante), mais les épisodes purement instrumentaux, ainsi réécrits / réarrangés, expriment la puissance du conte, la sauvagerie barbare, surtout la tendresse amoureuse d’un Wagner qui aura tout saisi de la psychologie humaine, de sa folie et de ses erreurs, – voies pourtant sublimes vers une inéluctable destruction mondiale. Bel essor dramatique, bel engagement « de poche ». Et si vous tombez sur l’une des performances en salle de cette initiation vivante et percutante, n’hésitez pas une seconde : courrez avec vos parents, amis, enfants, neveux, proches de tous âges… voir et applaudir cette immersion réussie dans le monde miraculeux, magique, entêtant de Wagner. Il est fort à parier que chacun sera mordu dès lors par le virus Wagner. Voir le site de la Cie Le Piano Ambulant.
Coup de coeur de classiquenews, donc CLIC de CLASSIQUENEWS de la rentrée 2016.

 

 

 

CD, compte rendu critique. Comment Siegfried tua le dragon et cætera… Wagner : L’anneau des Nibelungen / la Tétralogie. Retranscription pour 6 mu 1 cd Paraty. Une Tétralogie de Poche. Publication annoncée le 9 septembre 2016.

 

 

 

Agenda
Lyon (69), Espace culture des cheminots de Lyon (UAICL) – 20 rue Mouillard 69009 (Bus C14, arrêt Mouillard / grand parking voiture gratuit) – concert Lancement du cd… : le 20 octobre 2016, 20h.
Reprise à Montreuil (93) : La Marbrerie, 21 Rue Alexis Lepere, 93100 Montreuil / le 11 décembre 2016, 17h – infos réservations : 01 41 63 60 14

 

 

 

Richard Wagner : Extraits de l’Or du Rhin, la Walkyrie, Siegfried et le Crépuscule des dieux.
Conception, transcription et écriture : Cie Le Piano Ambulant.

Jessica Pognant : narration.
Sylvie Dauter : piano, orgue indien, harmonium, synthétiseur, mélodica, appeaux.
Christine Comtet : flûte, flûte en sol, piccolo, synthétiseur, mélodica, appeaux, enclume, tom basse, voix de Loge et de Brünnhilde.
François Salès : hautbois, cor anglais, mélodica, appeaux, grenouille, enclume, voix des géants et de Siegfried.
Antoinette Lecampion : violon, alto, orgue indien, appeaux, enclume.
Joël Schatzman : violoncelle, appeaux, voix d’Alberich et de Gunther.
Charlie Adamopoulos : basse électrique, voix de Wotan et de Hagen.
Antoine Colonna : mise en son et dispositif MAO temps réel.
Antoine Mercier : prise de son, mixage, montage, mastering.
Vergine Keaton : illustrations originales.

 

 

DVD, annonce. WAGNER : Tristan und Isolde, Bayreuth 2015 : Katarina Wagner / Christian Thielemann)

wagner tristan und isolde DVD wagner review compte rendu dvd critique vignette deutsche grammophonDVD, annonce. WAGNER : Tristan und Isolde, Bayreuth 2015 : Katarina Wagner / Christian Thielemann). Deutsche Grammophon édite le 8 juillet prochain, le dvd de la production du nouveau Tristan und Isolde créé en juillet 2015… Que vaut cette production polémique qui positionne l’arrière petite fille et codirectrice du Festival de Bayreuth, telle une metteure en scène de poids, habile ou inspirée à défendre le génie dramatique et théâtrale de son ascendant ? Après une lecture iconoclaste et finalement superficielle car gadget des Maitres Chanteurs de Nuremberg (2011), ce Tristan und Isolde de 2015 vaut adoubement. Une réussite éloquente qui a le mérite d’être claire, parfois épurée et suscite des tableaux puissants qui laissent la séduction du plateau vocal s’épanouir en un jeu dramatique naturel… Prochaine critique complète dans le mag cd dvd livres de classiquenews.

 

 

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DVD, annonce. WAGNER : Tristan und Isolde, Bayreuth 2015 : Katarina Wagner / Christian Thielemann avec Stephen Gould (Tristan). Avec Evelyn Herlitzius (Isolde), Georg Zeppenfelds (König/Le Roi Marke), Iain Paterson (Kurwenal), Raimund Nolte (Melot), Christa Mayer (Brangäne), Tansel Akzeybek (Ein Hirt/Un berger), Kay Stiefermann (Ein Steuermann), Tansel Akzeybek (Junger Seemann / Jeune matelot), Bayreuth Festival Orchestra / Christian Thielemann, direction.Katharina Wagner, Stage Director / mise en scène. Production créée à Bayreuth le 25 juillet 2015.

 

 

 

wagner-tristan-und-isolde-thielemann-katarina-wagnerBAYREUTH 2016… Cette année, Bayreuth semble – enfin- renouer avec les grandes années; rétablissant la place des distributions cohérentes et surtout écartant l’outrance néfaste des mises en scènes décalées et gadgets. Les Temps forts sont évidemment la nouvelle production de Parsifal signée Uwe Eric Laufenberg, sous la conduite du très efficace Hartmut Haenchen, avec l’angélique, ardent, lumineux Klaus Florian Vogt dans le rôle titre (les 25 juillet qui est l’ouverture du Festival de Bayreuth 2016, puis 2, 6, 15, 24 et 28 août) ; Le Ring musicalement prometteur sous la direction de Marek Janwski (à défaut d’une mise en scène déjà vue et plutôt consternante, pour le coup très gadget de Frank Castorf… rien que provocante et anecdotique).
La production de Tristan und Isolde version Katharina Wagner est à l’affiche cette année pour 6 dates : les 1er, 5, 9, 13, 17, et 22 août 2016. Stephen Gould, Tristan élégant et nuancé chante aux côtés de l’Isolde de Petra Lang (comme Stephen Gould, Christa Mayer est toujours présente dans le rôle de Brangaine)… Consulter le site du Festival de Bayreuth : http://www.bayreuther-festspiele.de/english/programme_157.html

 

 

Compte-rendu, concert. Toulouse,Halle-Aux-Grains, le 18 juin 2016. Richard Wagner: L’anneau du Nibelungen, extraits. Martina Serafin; Philippe Jordan.

jordan - Philippe-Jordan-008TOULOUSE, FIN DE SAISON DES GRANDS INTERPRETES EN APOTHEOSE. Concert événement qui a permis d’entendre de larges extraits du Ring par un orchestre somptueux et son chef talentueux pour leur première venue à Toulouse. Philippe Jordan, avait émerveillé public et critiques lors de la Tétralogie montée à l’Opéra de Paris pourtant controversée scéniquement et en a gravé un CD d’extraits magnifiques, sensiblement identiques au programme de ce soir. Nous n’allons pas détailler les extraits choisis pour dégager un effet général sensationnel qui permet à travers thèmes et leitmotiv de vivre les grands moments de la cosmogonie wagnérienne. Dire que les voix ne nous ont pas vraiment manqué, c’est reconnaître combien Philippe Jordan a construit une tension dramatique et lyrique de la plus grande séduction tout du long.

Sa direction semble absolument naturelle obtenant de son orchestre une clarté digne d’un Karajan, une mise en lumière de la structure à la manière d’un Boulez, tout en ayant le lyrisme d’un Boehm en live et le sens du drame cosmique d’un Solti. En ce sens l’apothéose de la scène finale avec la soprano Martin Serafin a produit une sensation de plénitude comme d’aboutissement.

Mais n’oublions pas de mentionner la perfection instrumentale de cet orchestre incroyablement doué qui sorti de la fosse avec un nombre de musicien biens supérieur à ce qu’une fosse, même Bastille, peut contenir (les six harpes!), a fait merveille.

Couleurs rutilantes ou subtilement mélancoliques, nuances sculptées dans la matière la plus noble, phrasés voluptueux ou rugueux, mise en exergue des leitmotiv les plus rares, tout mérite nos éloges. Les geste de Philippe Jordan sont non seulement d’une noble beauté mais ils s’adressent à chaque instrumentiste avec amitié voir gourmandise.

Tempi de parfaite tenue dans un gant de velours de la main droite et gestes d’une expressivité de danseur de la main gauche, Philippe Jordan aime cette partition comme son orchestre et offre au public un bonheur incroyable. Le novice qui arrive à Wagner par ce concert n’en revient pas de la variété et de la profondeur de la partition extraite de la Tétralogie ; le connaisseur du Ring se régale de ces raccourcis et choix si complets permettant de retrouver tant de leitmotiv aimés tout en suivant les drames des héros.

Comme cette partition dramatique trouve en concert une dimension symphonique majestueuse et puissante, tout en offrant des îlots de musique de chambre !

Pour terminer, l’immolation de Brünnhilde met en lumière les extraordinaires qualités de Martin Serafin. Grande voix homogène sur toute la tessiture avec un vibrato entièrement maitrisé, elle sait projeter le texte si expressif de Wagner entre imprécations terribles, plaintes sublimes et adieux déchirants.

Le legato dès sa première phrase rappelle quelle qualité musicale elle a par ailleurs dans Mozart, Verdi et Strauss. Philippe Jordan semble développer sa gestuelle vers encore plus de lyrisme et davantage de sensualité dans une écoute parfaite qui lui permet à chaque instant de doser les nuances de son orchestre pour soutenir la voix.

Les qualités instrumentales de chacun sont tout simplement prodigieuses avec des cors délicats dans leurs attaques et leurs nuances, des cuivres dosant leur puissance jusqu’aux plus terribles sonorités, des cordes soyeuses et lumineuses, et des bois d’une expressivité incroyable se faisant chanteurs. Les percussions jusqu’aux marteaux et enclumes sont d’une précision diabolique.Enfin il est si rare d’entendre avec cette pureté les 6 harpes.

Wagner est un incroyable sorcier alliant lyrisme et symphonisme, et Philippe Jordan, un magicien liant bien des sentiments humains dans sa direction. Un moment magique.

Compte-rendu, concert.Toulouse, Halle-Aux-Grains, le 18 juin 2016. Richard Wagner (1813-1883): L’anneau du Nibelungen, extraits symphoniques et immolation de Brünnhilde. Martina Serafin, soprano; Orchestre de l’Opéra National de Paris; Philippe Jordan, direction.

Jonas Kaufmann chante les Wesendonck lieder de Wagner

Jonas Kaufmann est RadamèsFrance Musique, jeudi 30 juin 2016, 20h. Jonas Kaufmann chante les Wesendoncklieder de Wagner… Le récital transmis par France Musique crée l’événement : déjà la présence à Paris de Jonas Kaufmann est un rendez vous incontournable mais s’ajoute à cette présence bienvenue, le choix de la partition : exceptionnelle, la version des Wesendonck lieder de Wagner pour voix de ténor, mais un ténor rauque et chaud, aux rugosités amples si incarnées et cuivrées. Tout cela contraste avec la version habituelle pour voix de femme, soprano ou mezzo. Dans un récital discographique dirigé alors par Claudio Abbado édité alors par Decca, Jonas Kaufman, éblouissait dans Wagner (Sigmund bouleversant). Nul doute que l’engagement dramatique et l’acuité émotionnelle, sa gravité et sa tendresse, ce caractère embrasé et ivre (à l’instar de son modèle le ténor Jon Vickers) du ténor Kaufmann illumine la partition.

WAGNER REVOLUTIONNAIRE ET FUGITIF…
Marié à Minna depuis 1836, Richard Wagner a fui Dresde et la répression contre les libertaires révolutionnaires dont il faisait partie. Le compositeur recherché par les autorités a trouvé refuge au bord du lac de Zurich, en 1849. Sa rencontre avec Mathilde Wesendonck en février 1852 restentit comme un électrochoc. La jeune femme, âgée de 24 ans, est l’épouse d’Otto Wesendonck, industriel fortuné qui doit son essor à la maison des soieries qu’il a fondée à New York. Au choc de cette rencontre humaine, Wagner éprouve une crise artistique majeure que porte sa composition nouvelle Tristan und Isolde, élaboré en 1854, à laquelle se mêle aussi la lecture de Shopenhauer, son scepticisme fécondant: le musicien ressent très profondément la solitude de l’artiste, sa malédiction et son impossibilité à vivre pleinement tout amour salvateur: il a certes, la capacité d’identifier la force rédemptrice de l’amour suscité par la femme, mais contradictoirement, ne peut en réaliser le principe salvateur ici bas. Omniscience, impuissance, solitude, plainte et malédiction: pourtant l’art de Wagner loin de se mûrer en un acte fermé sur lui-même, dans son aspiration exceptionnelle, engendre l’opéra de l’avenir dont Tristan marque l’avènement: opéra romantique, opéra moderne. Dès décembre 1856, vivant l’amour pour Mathilde qui est une nouvelle épreuve de l’impuissance et de la frustration car cette liaison n’a aucun avenir, Wagner compose les premières esquisses de Tristan.

Le Crépuscule des dieux à l'Opéra Bastille, jusqu'au 16 juin 2013

Effondré, Wagner, victime de l’amour compose en Suisse deux oeuvres embrasées, du même bois : les Wesendonck lieder et Tristan une Isolde…

REVE D’AMOUR EN SUISSE : DE TRISTAN aux WESENDONCK. Les deux cycles amoureux sont taillés dans le même bois, sculptés par un compositeur traumatisé par ses affres sentimentaux… De Siegfried à Tristan. L’attraction de Wagner pour Mathilde s’est violemment manifestée quand Otto Wesendonck, ignorant la situation amoureuse dont il est la victime aveugle, invite le couple Wagner dans l’une de ses villas, et même encourage le compositeur à écrire de nouvelles oeuvres (avril 1857). Exalté par la présence de celle qu’il vénère secrètement, Wagner cesse la composition de Siegfried, et se passionne pour son nouvel opéra, Tristan. A l’été 1857, Wagner organise une première lecture du poème qu’il a rédigé, regroupant et synthétisant toutes les légendes sur le sujet de Tristan. Dans l’audience privée qui recueille cette première écoute, se trouvent les 3 femmes de sa vie, Mathilde l’inaccesssible, Minna, sa compagne désormais plus supportée qu’aimée, et sa future épouse, Cosima née Liszt, qui est alors la femme du chef Hans von Bülow.
wagner_richard_opera_tetralogie_nibelungeEn octobre 1857, Richard Wagner compose les Wesendonck lieder, cycle de mélodies qui est à la fois, la déclaration d’amour d’un coeur à l’autre, et aussi pour le compositeur, le journal poétique de ses sentiments contradictoires, entre élan, désir, et dépression. Mathilde a transmis les cinq poèmes, rédigés d’après les thèmes de Tristan. La musique que compose Wagner est ensuite réutilisée pour l’opéra Tristan: les deux cycles de compositions sont liés. D’ailleurs, quand il prépare la publication des Wesendonck lieder en septembre 1858, Wagner sous-titre l’opus: “Etudes pour Tristan und Isoldeâ€. Nouri par son amour pour une muse, Wagner dépose le 31 décembre 1857, la partition du premier acte de Tristan aux pieds de Mathilde, nouvelle Isolde pour un Tristan ennivré.
L’issue semble cependant inévitable: en janvier 1858, Minna intercepte un courrier entre Richard et Mathilde: elle exige des explications et dévoile l’union scandaleuse à Otto Wesendonck. Les deux couples se séparent: déchirements et tensions. Rupture. Dépressif, meurtris, Wagner se retire à Venise… et compose les derniers actes de Tristan. Aucun doute, le sujet de la passion amoureuse, légué par la fable médiévale a marqué de façon indélébile, la vie de Wagner, comme sur le plan musical, il féconde l’oeuvre du musicien qui en a transposé la difficile mais radicale expérience dans deux oeuvres désormais emblématiques: le cycle des Wesendonck lieder, puis l’opéra de la modernité, Tristan und Isolde.

 

 

 

logo_france_musique_DETOUREFrance Musique, jeudi 30 juin 2016, 20h. Jonas Kaufmann chante les Wesendoncklieder de Wagner… Diffusion du concert enregistré le 19 mai 2016

 

 

Liszt: Orphée
Wagner:  Wesendonck-Lieder
Bruckner:  Symphonie n° 7
Jonas Kaufmann (ténor)
Orchestre National de France
Daniele Gatti (direction)

 

 

LIRE aussi le Parsifal de Jonas Kaufmann

CD, critique : JONAS KAUFMANN, so great arias (4 cd Decca)

 

 

Strasbourg. Opéra National du Rhin, le 8 mai 2016. Richard Wagner : Das Liebesverbot. Marion Ammann, Robert Bork, Benjamin Hulett, Thomas Blondelle, Agnieszka Slawinska, Wolfgang Bankl. Constantin Trinks, direction musicale. Mariame Clément, mise en scène

Evènement à l’Opéra du Rhin, toujours friand d’œuvres méconnues : la première hexagonale du troisième opus lyrique de Richard Wagner, en réalité le deuxième achevé par le compositeur, et le premier qu’il ait vu sur les planches – Die Feen n’ayant été représenté qu’après sa mort – : Das Liebesverbot, inspiré de « Mesure pour mesure » de William Shakespeare.

Créé en mars 1836 à Magdebourg, l’ouvrage connaît un échec cuisant après la première, la seconde représentation étant purement et simplement annulée à la suite d’une rixe dans les coulisses ; et il faudra attendre 1923 pour que l’œuvre ait à nouveau – timidement, certes – à nouveau droit de cité dans les programmations lyriques. C’est donc avec une vraie curiosité que nous nous sommes rendus dans la maison alsacienne, afin de goûter cette musique et d’entendre le Richard d’avant Wagner. Dès l’ouverture, et trois heures durant, ils sont tous convoqués : Hérold, Auber, Rossini, Donizetti, Mozart, Spohr, Weber… sauf Wagner, a-t-on envie d’écrire avec un sourire amusé. Ou presque, le premier duo entre Isabella et Mariana s’ouvrant avec un thème qu’on retrouvera plus tard dans Tannhäuser. Le jeune compositeur – il n’a alors que 23 ans – puise ses inspirations aussi bien dans l’opéra-comique français  que dans l’opera buffa italien et l’opéra fantastique allemand, comme une synthèse réussie des grandes écoles nationales de son époque. Et le résultat s’avère aussi inattendu que jubilatoire, tourbillonnant et joyeux, mais avec un vrai dramatisme sous-jacent, pas aussi comique qu’on pourrait le croire au premier abord.

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L’opéra des origines : La Défense d’aimer à l’Opéra national du Rhin…

Richard avant Wagner

 

 

L’histoire nous amène en Sicile, à Palerme, où l’occupant allemand, représenté par l’implacable Friedrich, interdit formellement l’amour et notamment ses effusions, allant jusqu’à condamner à mort le jeune Claudio qui a osé afficher ouvertement ses sentiments. Ce sera la sœur du jeune homme, Isabella, religieuse de son état, qui, faisant naître dans le cœur et le corps du dictateur des sentiments encore inconnus, finira par le prendre à son propre piège au cours du Carnaval, dans un chassé-croisé qui prend des allures de Noces de Figaro mozartiennes.
On regrettera au premier chef que la poésie soit singulièrement absente de la mise en scène imaginée par Mariame Clément, toute entière tournée vers la farce. Un décor unique sert de cadre à l’action, représentant avec un réalisme troublant une brasserie où tous vont et viennent et au cœur de laquelle toutes les intriguent se nouent. L’action, déjà complexe, devient ainsi moins compréhensible, ce qu’aggrave encore la suppression de toute allusion à la religion, Isabella devenant simple serveuse dans l’établissement. Là où l’un des points centraux de l’œuvre demeurait le désir d’un homme de pouvoir pour une servante de Dieu, on ne retrouve plus qu’une banale et sordide histoire de coucherie, sans la dimension blasphématoire qui faisait la force de l’intrigue.
En outre, si on salue une direction d’acteurs millimétrée et au cordeau – jusqu’à chaque membre du chœur, qui acquiert une identité propre –, on ressort de la salle en ayant l’impression que la metteuse en scène française n’a pas cru suffisamment à la dimension plurielle de l’ouvrage pour en faire autre chose qu’une farce, chaque situation devenant prétexte à la gaudriole et occasionnant des chorégraphies d’opérette. En revanche, le Carnaval final est une vraie réussite, avec ses costumes lorgnant ouvertement vers les ouvrages ultérieurs du Maître, les Walkyries côtoyant les Chevaliers du Graal aussi bien que les Géants et le dragon Fafner. Et on demeure attendris devant ce que nous apparaît comme une des seules vraies touches de délicatesse durant le spectacle : ce piano-bar sur lequel un musicien égrène les thèmes des œuvres postérieures, au sein desquels on est heureux de reconnaître la Romance à l’étoile de Tannhäuser.
Musicalement, en revanche, l’ouvrage est pris, à notre sens, davantage au sérieux. Constantin Trinks, déjà défenseur du même opus au Festival de Bayreuth – mais pas au Festspielhaus, le compositeur ayant interdit toute représentation de ses œuvres de jeunesse dans le Saint des Saints –, a certes ramené la durée du spectacle à trois heures (contre cinq initialement) en coupant quasiment l’intégralité des dialogues parlés (l’œuvre étant un Singspiel à l’instar de la Flûte Enchantée de Mozart) et la plupart des reprises musicales, mais il inspire à l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg une couleur rutilante et dirige les musiciens avec fougue et détermination, ligne et éclat, emportant solistes et public dans un tourbillon de notes.
Sur le plateau, les solistes ne déméritent jamais et font de leur mieux pour réaliser la quadrature du cercle imposée par l’écriture musicale : de la puissance, de l’étendue, mais aussi de la souplesse et des vocalises, demandant en cela des chanteurs rompus à l’esthétique belcantiste alors en vogue en Europe en ce premier quart du 19e siècle. Et c’est là que le bât blesse un peu : les solistes réunis sur la scène paraissent parfois vocalement un peu sous-dimensionnés au regard des exigences réelles – certes loin d’être faciles – de la partition.
Marion Ammann paraît avoir la vocalité d’Isabella, mais l’ornementation de la ligne et l’écriture du rôle semblent l’empêcher de déployer pleinement sa voix, et ce n’est qu’à l’occasion de quelques rares aigus puissamment dardés qu’on se rend réellement compte de l’ampleur de ses moyens. Ceci étant, elle se défend plus que vaillamment et offre de l’héroïne un très beau portrait.
A ses côtés, on admire la touchante Mariana d’Agnieszka Slawinska, notamment dans son superbe air du deuxième acte, à l’écriture d’une délicatesse toute mozartienne, et à la beauté duquel la mise en scène n’a pas osé toucher, préférant – avec raison – laisser opérer seule la magie de ce moment d’apesanteur musicale.
On reste un peu sur sa faim avec le Friedrich rugueux et assez usé vocalement de Robert Bork. Le baryton américain, malgré un style consommé, parait ainsi peiner à soutenir le legato que la musique lui demande, et sa grande scène du deuxième acte, l’un des sommets dramatiques de la partition, tombe un peu à plat, la faute en incombant également au personnage qu’il lui est demandé de dépeindre, trop unidimensionnel et manquant d’ambivalence.
Carton plein en revanche pour le Luzio virevoltant et percutant de Benjamin Hulett, la découverte de l’après-midi. Apparemment très à l’aise dans cet emploi, le ténor américain déconcerte par la facilité de son aigu et son aisance à passer l’orchestre, grâce à une émission parfaite. Son personnage anachronique de mousquetaire parait lui convenir à merveille, et on s’attache vite à ce joyeux luron, séduisant en diable.
Le Claudio de Thomas Blondelle, un peu dans l’ombre de son partenaire, brille moins, tant à cause d’un caractère moins affirmé dans l’œuvre que par une vocalité plus terne, moins accrochée et moins à l’aise dans le haut du registre, en dépit d’une belle musicalité.
Excellent Brighella de Wolfgang Bankl, croquant un personnage haut en couleurs, à mi-chemin entre Osmin et le Baron Ochs, finalement plus charismatique que son propre maître. Le baryton-basse allemand raffle ainsi la mise avec sa voix profonde et sonore, héritier de la grande tradition germanique.
Avec son allure de Jessica Rabbit, Hanna Roos incarne une Dorella toute en rondeurs, tant physiques que vocales, tandis que le ténor bouffe Andras Jaggi dynamite le rôle de Pontio Pilato en proposant de l’aubergiste un portrait totalement déjanté. Tous les seconds rôles sont ainsi bien tenus.
Pour finir, on salue bien bas la performance de tous les choristes de la maison, admirablement préparés et merveilleusement comédiens, le chœur étant véritablement l’un des protagonistes majeurs de l’ouvrage.
Beau succès au rideau final, pour une première importante en France et qui méritait d’être enfin tentée. Rien que pour cela, on remercie l’Opéra du Rhin et son directeur, Marc Clémeur, pour leur curiosité et leur audace.

 

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Strasbourg. Opéra National du Rhin, 8 mai 2016. Richard Wagner : Das Liebesverbot. Livret du compositeur d’après « Mesure pour mesure » de William Shakespeare. Avec Isabella : Marion Ammann ; Friedrich : Robert Bork ; Luzio : Benjamin Hulett ; Claudio : Thomas Blondelle ; Mariana : Agnieszka Slawinska ; Brighella : Wolfgang Bankl ; Antonio : Peter Kirk ; Angelo : Jaroslaw Kitala ; Danieli : Norma Patzke ; Dorella : Hanna Roos ; Pontio Pilato : Andreas Jaeggi. Chœurs de l’ONR ; Sandrine Abello, chef de chœur. Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Constantin Trinks, direction musicale. Mariame Clément, mise en scène. Décors et costumes : Julian Hansen ; Lumières : Marion Hewlett ; Chorégraphie : Mathieu Guilhaumon

Illustrations : Clara Beck / opéra national du Rhin © 2016

Compte-rendu, opéra. Leipzig. Opéra de Leipzig, le 6 mai 2016. R. Wagner : Die Walküre. Rosamund Gilmore, mise en scène. Ulf Schirmer, direction musicale.

Cette production de Die Walküre à l’Opéra de Leipzig, étrennée in loco en décembre 2012, s’avère une vraie réussite, à la fois vocale et scénique. Loin du Regietheater qui règne en Allemagne, la mise en scène de Rosamund Gilmore adopte en effet une position plutôt prudente et classique, respectueuse de l’Å“uvre, où rien ne vient perturber en tout cas l’audition de la musique, si ce n’est peut-être l’omniprésence de personnages zoomorphes (à tête de bélier, munis d’ailes de corbeaux, etc.) qui accompagnent ou épient les différents personnages. On les découvre sur le toit du bunker qui sert de demeure à Hunding et sa femme, où ils exécutent une sorte de danse rituelle pendant l’ouverture. Mais nous garderons surtout en mémoire le magnifique décor du dernier acte (conçu par Carl Friedrich Oberle), une immense arcade très « mussolinienne » dans laquelle prennent place – pendant la scène des adieux – les huit Walkyies ainsi que huit héros tout de blanc vêtus (photo ci contre).

 

 

 

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Dans le rôle de Sieglinde, la soprano allemande Christiane Libor fait preuve d’une belle santé vocale, en assumant avec plénitude l’un des plus magnifiques personnages de la mythologie wagnérienne, et en exprimant une réelle émotion à travers un jeu sensible et naturel. Elle forme avec Andreas Schager le couple des Walsung d’autant plus convaincant que le ténor autrichien impose le plus bel instrument et le chant le plus nuancé de la soirée, avec des aigus d’une incroyable franchise (chacun des deux « Walse » sont tenus plus de 10 secondes !). D’emblée, il se place parmi les meilleurs Siegmund du moment.

La soprano suédoise Eva Johannson est également une Walkyrie sur laquelle on peut compter. Confrontée aux épreuves, cette Brünnhilde sait trouver profondeur et conviction dans l’incarnation, figure centrale autour de laquelle le drame se joue. La précision de ses attaques et sa pugnacité dans l’aigu ne font cependant pas toujours oublier la monotonie engendrée par l’ingratitude du timbre, ainsi que quelques stridences dans les fameux « Hoïtohos ». Elle n’en phrase pas moins avec beaucoup de sensibilité l’« Annonce de la mort », puis le dernier face à face avec Wotan.  Ce dernier est incarné par le baryton allemand Markus Marquadt qui offre un phrasé et un legato particulièrement raffinés, un registre grave superbe, mais les nuances de l’aigu, il faut le reconnaître, lui causent parfois difficulté. Dans le rôle de Hunding, la basse finlandaise Runi Brattaberg campe un personnage tout d’une pièce et fort menaçant, avec une voix dont on goûte la noirceur du timbre et la perfection de la ligne de chant. De son côté, la Fricka vindicative de Kathrin Göring ne démérite pas tandis que les huit Walkyries forment un ensemble assez homogène.

 

 

 

En véritable expert de cette partition, Ulf Schirmer – directeur général et musical de l’Opéra de Leipzig – dirige avec précision et une pertinence sans faille le fameux GewandhausOrchester, en se montrant constamment soucieux de dynamique et de coloris. Nous n’avons assisté qu’à la première journée de ce Ring leipzigois, mais précisons au lecteur qu’il sera possible d’assister au Cycle entier du 28 juin au 2 juillet prochain.

Compte-rendu, opéra. Leipzig. Opéra de Leipzig, le 6 mai 2016. R. Wagner : Die Walküre. Avec Christiane Libor (Sieglinde), Andreas Schager (Siegmund), Runi Brattaberg (Hunding), Markus Marquardt (Wotan), Eva Johannson (Brünnhilde), Kathrin Göring (Fricka). Rosamund Gilmore, mise en scène et chorégraphies. Carl Friedrich Oberle, décors. Nicola Reichert, lumières. Ulf Schirmer, direction musicale.

 

 

Création de La Défense d’aimer de Wagner à l’Opéra du Rhin

wagner-strasbourg-defense-d-aimer-wagner-582-594Strasbourg, Opéra du Rhin. Wagner : La défense d’aimer : 8-22 mai 2016. En création française voici une nouvelle production événement dans l’agenda lyrique du printemps 2016. Mariane Clément met en scène, sous la direction musicale de Constantin Trinks. Plus comédie à l’italienne que drame germanique, La Défense d’aimer  / Das Lieberverbot est inspiré de Shakespeare dont les chassés croisés et les quiproquos amoureux en éprouvant les cÅ“ur, produisent une poésie émotionnelle irrésistible par sa justesse et sa profondeur. Souffrance et désir, extase et attente, aveuglement et ivresse s’y ébattent dans une arène et un labyrinthe enchanté qui rappelle évidemment Le songe d’une nuit d’été. Tyrannie sociétale encore vivace, la défense d’aimer est une règle imposé à tous, emblème d’un ordre puritain soucieux de contrôler la folie ordinaire et collective. L’amour y devient le signe d’une rébellion individuelle : le moi désirant contre l’harmonie sociale. On voit bien ce que Don Giovanni signifie ici. Mais ici se sont deux femmes, au début au couvent, dont l’une se destinait au noviciat (Isabella) qui mène les intrigues et pilote le retour de l’amour à Naples. Contre l’ordre moral, que ceux qui le proclament, n’hésitent pas enfreindre, la conscience et l’intelligence féminine rétablit le règne de l’amour, seul pacte social qui vaille la peine d’être amplement défendu.

 

 

 

Synopsis

ACTE I : au couvent, les femmes prennent les armes

Après le départ du roi de Sicile pour Naples, le gouverneur  allemand Friedrich entend imposer  sur l’île un puritanisme austère face aux mÅ“urs prétendument débauchées de ses habitants. Son  sbire Brighella, chef de la police, ferment les auberges – dont celle de Danieli -et interdit même le Carnaval. Luzio le séducteur et Claudio l’emprisonné ne l’entendent pas ainsi et entrent en rébellion.

Au couvent les femmes Isabella (candidate au noviciat et sÅ“ur de Claudio) et Marianna (épouse du gouverneur) décident de rejoindre Luzio dans sa résistance civile. Au tribunal, Brighella est dépassé par le jugement des affaires courantes : d’autant que la serveuse de l’auberge de Danieli, la pulpeuse et délirante Dorella l’entreprend directement et le trouble ouvertement. Surgit le gouverneur qui s’apprêtant à condamner à mort l’immoral Claudio,  accepte de discuter avec la séduisante Isabella. La jeune femme prend la défense de l’amour et obtiendra la clémence pour son frère si… elle accepte de se donner au gouverneur. D’abord outrée, Isabella accepte et invite le gouverneur à la rejoindre la nuit venue… le temps que Marianna, la véritable épouse, ne presse sa place.

 

ACTE II  : au Carnaval, Friedrich puni

Dans sa geôle, Claudio reçoit la visite de sa soeur et lui avoue qu’elle a bien raison d’avoir accepter de se prostituer pour lui… Mais Isabella lui fait croire qu’elle refusera, suscitant chez l’emprisonné, trouble et angoisse : tel sera son châtiment.  Pendant le Carnaval qui a été maintenu par la population rebelle, le gouverneur vient masqué ainsi que le lui a demandé Isabella ; Il n’a donc aucun scrupule à outrepasser ses propres lois. Mais Isabella dénonce le gouverneur indigne qui est pris la main dans le sac en compagnie de son épouse Marianna…  Le peuple à qui revient la vertu du pardon, accepte d’écarter simplement Friedrich. De sorte que Brighella peut épouser la délirante et insouciante Dorella ; comme, Luzio convainc aussi Isabella à renoncer au noviciat. Friedrich se réconcilie avec Marianna. L’amour triomphe quand le roi de Naples est de retour.

 

 

 

La Défense d’aimer de Wagner à l’Opéra du Rhin
Strasbourg, du 8 au 22 mai 2016.
Puis à Mulhouse, La Filature : du 3 au 5 juin 2016.

 

 

Compte-rendu, opéra. Paris. Opéra Bastille. le 5 mars 2016. R. Wagner : Die Meistersinger von Nürnberg. Philippe Jordan. Stefan Herheim.

wagner grand formatIl était une fois un pauvre compositeur incompris de grand génie… C’est ce qu’on comprend à la première lecture du programme de la nouvelle production des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner, sa seule comédie de maturité, à l’Opéra Bastille. Après presque 5 heures de représentation, notre avis a évolué et nous arrivons à intégrer les propos du directeur musical Philippe Jordan qui dédie deux pages dans le programme pour faire ce qui nous a apparu comme l’apologie de l’œuvre (deux pages après nous trouvons aussi l’apologie célèbre de Thomas Mann… c’est un peu trop). Or, cette coproduction dont l’origine salzburgeoise est plus qu’évidente, réussit à faire de cette comédie douteuse, un bijou d’humour, de candeur, d’humanité, et les performances musicales sont d’une telle qualité qu’on en sort avec un souvenir de beauté indéniable.

Splendeur aveuglante d’un Wagner comique

Beaucoup d’encre a coulé et coule encore à propos de cet opus. Il nous est impossible d’ignorer le fait qu’au Bayreuth des années 30, après un monologue passionné de Hans Sachs (figure centrale de l’opéra et personnage historique), l’audience se lève des sièges dans une frénésie insolite et décide de continuer à regarder la représentation le bras levé faisant la salutation des Nazis. Nous ne pouvons pas ignorer non plus la ferveur de l’audience dans une représentation pendant la Première Guerre Mondiale où elle commence spontanément à chanter l’hymne allemand à l’époque, qui prônait, aussi, la supériorité de l’Allemagne sur tous (« Deutschland, Deutschland über Alles… »). Mais ces questions dépassent enjeux et intérêts de cette publication, nous nous limiterons donc aux aspects artistiques.

L’histoire des Maîtres Chanteurs se déroule à Nuremberg au XVIe siècle. C’est l’histoire de Hans Sachs maître et cordonnier, et de Walther von Stolzing jeune noble de province, cherchant l’amour d’Eva, fille de Pogner, riche bourgeois qui offre la main de la belle au maître chanteur qui gagnera un concours de chant. Le maître Sixtus Beckmesser sert de rival et il est l’archétype du pédantisme et le personnage le plus grotesque. Il veut la main d’Eva et s’efforce de l’obtenir, mais tout finit bien parce que Walther devient maître d’une grande modernité (malgré lui) et le bon Hans est triste parce qu’il était amoureux d’Eva mais il est quand même content qu’elle finisse avec le jeune Walther. Tout ceci se passe, ou presque, dans la tonalité radieuse de do majeur. Voilà quatre heures de do majeur.

Dans la distribution, plusieurs personnalités se distinguent. Nous sommes très impressionnés par le Hans Sachs de Gerald Finley. Sa caractérisation et théâtrale et musicale est une réussite de grand impact émotionnel. Si l’ampleur peut faire défaut, surtout dans une salle comme Bastille, le baryton a une technique impeccable, un art de l’articulation tout à fait délicieux, une grande conscience théâtrale. Il rend le personnage tragi-comique de Hans encore plus humain et plus touchant. Nous sommes autant impressionnés par le Beckmesser du baryton danois Bo Skovhus, mais pour d’autres raisons. Il a une aisance comique tout à fait inattendue et incarne le maître prétentieux avec panache ! M. Wagner donne au rôle la musique la plus ingrate et le baryton y rayonne et se donne à fond. Même si son physique excellent trahit la laideur du personnage, nous saluons l’investissement surprenant ! Même  avis pour le Pogner de Günther Groissböck, basse autrichienne de 39 ans. Sa voix est immense et avec un timbre d’une beauté velouté ; ses aigus sont moins imposants, certes, mais la question la plus frappante de sa prestation, excellente, est qu’il est un peu trop beau et un peu trop jeune plastiquement pour le rôle, auquel il ajoute un magnétisme quelconque qui plaît à la vue et à l’ouï mais qui peut confondre ! (Il s’agît après tout du père d’Eva!). L’Eva de Julia Kleiter est rayonnante d’humanité, bonne actrice et belle elle aussi à regarder… Mais souvent l’équilibre se voit compromis en ce qui concerne sa voix, et parfois elle a du mal à traverser la fosse. Si elle a un timbre fruité qui sied au rôle, ainsi qu’une certaine fraîcheur, nous pensons qu’elle s’améliorera avec le temps (il s’agît en fait de sa deuxième Eva). Remarquons également le Walther du ténor Brandon Jovanovich. D’un physique aussi imposant que les autres déjà cités (il paraît c’est un leitmotiv de cette production à Paris, des chanteurs à la belle physionomie. On adhère et on cautionne), il sait projeter sa voix, a une diction claire tout comme son timbre et se fait toujours entendre, dans la frustration ou l’élégie, sans jamais compromettre la beauté de la prestation, évitant les extrêmes. Une vrai réussite.

Le couple secondaire de David et Magdalene est interprété avec brio par Toby Spence et Wiebke Lehmkuhl. Et que dire des choeurs fabuleux de l’Opéra de Paris ? Ils sont omniprésents ; leur performance est d’un grandissime dynamisme. Félicitations au chef des choeurs José Luis Basso.

En ce qui concerne la mise en scène de Stefan Herheim, norvégien wagnérien et une sorte de bad-boy à l’opéra (dû à son penchant pour la transposition des Å“uvres à la regietheater), elle est particulièrement efficace. La première chose remarquable est sans doute le travail d’acteur très poussé. Sa direction dans ce sens est intelligente et riche ; elle sert complètement l’oeuvre et son rythme.  Les décors de Heike Scheele sont vraiment prodigieux, et s’accordent parfaitement au parti pris de la production. En fait, il paraîtrait que pour Herheim, Hans Sachs c’est Wagner, et nous passons des plans de tailles réalistes au gigantisme et au minuscule. Comme du théâtre dans le théâtre dans un théâtre des marionnettes dans un opéra dans un théâtre. Ça peut paraître trop, mais c’est vraiment réussi et attrayant. Personne ne pourra dire que la vue ne s’est pas vue stimulée en permanence pendant les 5 heures ! Juste l’immensité de la production et la rareté de l’œuvre cautionnent une visite à l’opéra pour les Maîtres. Mais en vérité le travail de direction musicale de Philippe Jordan est l’élément clé et fédérateur de la production (et ce malgré l’équilibre compromis de temps en temps). Jordan a voulu respecter à la lettre les indications musicales de M. Wagner, donc pas de fortissimo facile quand c’est forte, pas d’ajout de grandiose ni des procédés grandiloquents. Il a voulu offrir une performance musicale focalisant plus sur la transparence et la légèreté, moins sur la monumentalité. Nous lui sommes oh combien reconnaissants pour ceci ! Ainsi nous avons pu profiter du beau coloris de l’instrumentation, et l’aspect pompier et folklorique de la musique est vraiment mis en valeur (dans ce sens nous comprenons vraiment pourquoi Mahler adorait cet opéra et l’influence de Wagner). Un événement à voir à l’affiche à l’Opéra Bastille le 9, 13, 21, 25 et 28 mars 2016.

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra National de Paris, Opéra Bastille. le 5 mars 2016. R. Wagner : Die Meistersinger von Nürnberg. Gerald Finley, Günther Groissböck, Bo Skovhus… Choeurs et Orchestre de l’Opéra National de Paris. José Luis Basso, chef des choeurs. Philippe Jordan, direction musicale. Stefan Herheim, mise en scène.

Nouvelle production d’Hansel et Gretel

Hansel et Gretel, l'opéra féerique d'HumperdinkAngers Nantes Opéra. Humperdink : Hansel et Gretel, 11 décembre 2015>6 janvier 2015. C’est la nouvelle production événement de cette fin d’année, présentée par Angers Nantes Opéra où devrait se confirmer la talent pour la clarté dramatique, d’une metteur en scène particulièrement inspirée : Emmanuelle Bastet. C’est une partenaire conviée par Angers Nantes Opéra et qui a signé auparavant, Lucio Silla (esthétique, d’une efficacité tranchée), un sublime Orphée et Eurydice, entre réalisme et onirisme, La Traviata, et plus récemment Pelléas et Mélisande (transposé avec un sens cinématographique très léché, dans une réalisation qui pourrait être un film d’Hitchcok). Qu’en sera-t-il pour Hansel et Gretel, conte féerique qui ne s’adresse pas qu’aux enfants : la musique y est aussi raffinée et pensée que les œuvres de Wagner (le modèle d’Humperdink) ou Richard Strauss (qui fut immédiatement fasciné par la musique d’Hansel et Gretel). La nouvelle production présentée par Angers Nantes Opéra s’annonce comme l’événement lyrique de cette fin d’année 2015.

Un conte pour enfants
devenu opéra post wagnérien, féerique et onirique

 

La misère produit dans l’esprit des âmes enfantines, innocentes des prodiges d’imagination pour conjurer la morsure de la faim ou l’enfer des nuits glaciales : ainsi le frère et la soeur Hansel et Gretel échafaudent en un délire onirique et grotesque un conte de sucrerie et de chocolat où se joue leur rapport au monde et leur relation à l’autorité, incarnés ici dans la personne de la vorace et terrifiante Sorcière Grignote.

Otkrytoe Pismo  Hamperdink Postcard-1910Plutôt que de plonger dans l’adaptation un rien trop terrifiante des frères Grimm, Humperdink préfère intégrer la vision d’Adelheid Wette, sa sÅ“ur dont la sensibilité apporte une douceur tendre qui manquait à la légende originelle. L’opéra qui en découle par sa musique alliant puissance et raffinement porte la connaissance aiguë et plutôt très admirative de Richard Wagner, d’autant que Humperdink ne fait pas que renouveler le dramatisme symphonique et hypnotique de Wagner : il sait le renouveler ; il a travaillé avec le maître de Bayreuth participant à la création de Parsifal en 1882 à 26 ans seulement (peut-on se remettre d’une telle expérience ?). A la mort de son mentor et maître, le 14 février 1883, Humperdink reste inconsolable. L’histoire allait montrer que Humperdink pouvait assimiler, transposer, renouveler l’art wagnérien au théâtre : immense défi éprouvé par les plus grands compositeurs germaniques et français… dont peu surent en effet réaliser ce projet.

En 1890 quand se précise l’idée d’Hansel et Gretel, Humperdink doit se réconcilier avec un milieu hostile à ses prises de position wagnériennes: sa soeur Adelheid lui propose de mettre en musique un conte pour les enfants qu’elle a elle même écrit, pour l’anniversaire de son mari. D’un pari familial à peine pris au sérieux, l’opéra à naître prend peu à peu forme, devenant même pour le jeune compositeur nostalgique de Wagner, voire dépressif, une sorte de baume salvateur.
Passéiste : oh que non ! La partition s’impose immédiatement sur les scènes d’abord allemandes, devenant  l’opéra des fêtes par excellence : apportant à son auteur un pactole enviable à une époque où composer un opéra pouvait encore faire recettes :  soit deux millions de marks-or, rien qu’entre 1900 et 1910 pour son auteur.

Une voix et non des moindres sut dès 1893 reconnaître l’incroyable talent du jeune wagnérien et mesurer dans ses justes proportions, sa fabuleuse originalité, Richard Strauss :  « Quel humour rafraîchissant, quelle exquise naïveté mélodique, quel art et quelle finesse dans le traitement de l’orchestre, quelle perfection dans la construction de l’ensemble, quelle invention florissante, quelle merveilleuse polyphonie, et le tout original ; nouveau et si véritablement allemand. »

L’on ne saurait être plus pertinent et élogieux : si la valeur des grands chefs d’oeuvre se mesure à leur reconnaissance immédiate et surtout populaire, Humperdink par sa fraîcheur musicale renoue avec le Mozart de La Flûte enchantée, féerique et pourtant philosophique, s’adressant autant aux enfants qu’à leurs parents. Une qualité que comporte en tout points le génial Humperdink et son inusable, Hansel et Gretel.

 

Hansel  et Gretel d’Humperdink, 1893
Présenté par Angers Nantes Opéra
Conte musical en 3 tableaux
Nouvelle production
7 dates événements,
Du 11 décembre 2015 au 5 janvier 2016

Livret de Adelheid Wette, d’après Hänsel und Gretel, conte populaire recueilli par les frères Grimm dans le premier volume des Contes de l’enfance et du foyer [Kinder-und Hausmärchen].
Créé au Théâtre Grand-Ducal de la cour de Weimar, le 23 décembre 1893.

boutonreservationNANTES, Théâtre Graslin
Vendredi 11 décembre, 20h
Dimanche 13 décembre, 14h30
Mardi 15 décembre, 20h
Jeudi 17 décembre, 20h
Vendredi 18 décembre 2015, 20h

ANGERS, Le Quai
Mardi 5 janvier 2016, 20h
Mercredi 6 janvier 2016, 20h

réservez vos places

THOMAS RÖSNER, direction
EMMANUELLE BASTET, mise en scène

Vincent Le Texier, Pierre
Eva Vogel, Gertrude
Marie Lenormand
Norma Nahoun
Jeannette Fischer
Dima Bawab, Le Marchand de sable

Maîtrise de la Perverie
Gilles Gérard, direction

Chœur d’Angers Nantes Opéra
Xavier Ribes, direction
Orchestre National des Pays de la Loire

Nouvelle production Angers Nantes Opéra
[Opéra en allemand avec surtitres français

Musiques et tabous par Daniel Barenboim

barenboim maestro dirige scala de milan le-maestro-israelo-argentin-daniel-barenboim-dirige-l-orchestre-philharmonique-de-vienne-le-1er-janvier-2014-a-vienne_4925007arte_logo_2013ARTE. Dimanche 11 octobre, 23h15. Daniel Barenboim: Musique et tabous.   Soirée exceptionnelle avec le chef qui a la triple nationalité : argentine, israélienne et palestinienne. Il a toujours tenté une conciliation entre les frères ennemis : palestiniens et israéliens. Mais au-delà de cela, le chef Daniel Barenboim croit surtout à la résolution pacifique des conflits au Proche Orient. Rien ne pourra s’apaiser sans dialogue et sans volonté de pacification : la solution entre Israéliens et Palestiniens ne peut passer par les armes. Dans Les voies de la musique avec Daniel Barenboim (partie 1 & 2), le maestro, acteur principal de la vie lyrique et orchestrale de Berlin à Milan,  milite viscéralement, indéfectiblement pour l’amitié entre les peuples car c’est le seul moyen pour chacun de s’en sortir. Arte diffuse une série d’entretiens où le chef et ses proches expliquent les enjeux qui se jouent ici, plaçant la musique au cÅ“ur des rivalités et des oppositions fratricides. L’épisode le plus saisissant demeure certainement le volet dédié à la musique de Wagner en Israël. Connotée hitlérienne, et clairement nazie en raison des opinions antisémites exprimées par l’intéressé lui-même, en raison de l’idôlatrie radicale entretenue par Hitler pour Wagner,  la musique de Wagner n’a toujours pas sa place en Israël, et le film dévoile entre autres combien elle reste un sujet tabou, fortement clivant entre les gens, mélomanes ou non. Le témoignage des jeunes instrumentistes du West-Eastern Diwan orchestra, fondé par Barenboim et composé dans un esprit de construction et de dialogue fraternel de jeunes musiciens juifs et arabes, est particulièrement poignant : dévoilant l’envie d’avancer mais aussi la forte charge émotionnelle qui naît du fait de jouer Tristan und Isolde par exemple à la fin d’un concert à Jérusalem… Au-delà des thèmes abordés dans deux documentaires de la soirée, c’est tout le sens de la musique classique et de la culture en général qui est ainsi analysé et mis en question : doit-on se satisfaire d’une culture divertissante ou bien devons-nous préférer malgré nos ancrages historiques et nos identités, défendre une culture engagée résolument fraternelle et pacifiste ? Soirée avec Daniel Barenboim en deux temps :

1. Musique et politique (52 mn)
Pour Daniel Barenboim, la musique, langue universelle, se joue des frontières. Avec elle pour seule arme, l’artiste cosmopolite tente de dépasser tensions et conflits. Au sein de son jeune orchestre, le West-Eastern Divan Orchestra, il est ainsi parvenu à faire jouer ensemble de jeunes musiciens venus d’Israël et de pays arabes voisins. Un inlassable engagement dont sa visite dans la bande de Gaza l’an passé a constitué un point d’orgue au puissant retentissement.

2. Musique et tabous : jouer Richard Wagner en Israël (26 mn)
En Israël, la musique de Richard Wagner est indissociablement liée au régime nazi. En 2001, Daniel Barenboim essuie la fureur du public et de la classe politique israélienne, après avoir dirigé à Jérusalem le prélude et la mort d’Isolde de Tristan et Isolde. Comment dissocier la musique du génial Wagner, du compositeur antisémite préféré d’Hitler ? Convaincu qu’il le faut, Daniel Barenboim tente de lever un tabou. Des répétitions du West-Eastern Divan Orchestra à la rencontre avec des amis du chef d’orchestre, parmi lesquels Pierre Boulez et Joschka Fischer, le film offre un éclairage sur le parcours engagé du maestro et le sens qu’il réserve à l’acte musical : un geste résolument engagé en faveur de la réconciliation des peuples.

arte_logo_2013ARTE, dimanche 11 octobre 2015. 23h. Les voies de la musique avec Daniel Barenboim. Une réflexion sur la musique et son pouvoir en compagnie du chef d’orchestre, Daniel Barenboim. Documentaire de Paul Smaczny (Allemagne, 2012, 57mn et 26mn) . Production : Accentus music UG

Bayreuth 2015. Le Vaisseau Fantôme

RADIO. logo_france_musique_DETOURE Musique. Dimanche 16 août 2015, 19h. Wagner : Le Vaisseau Fantôme. Festival de Bayreuth. Axel Kober, direction. Avec Samuel Young, le hollandais; Ricard Merbeth, Senta. Benjamin Bruns, Daland. Tomislav Muzek, Erik. Choeur et orchestre du Festival de Bayreuth. Etrangement, alors que l’événement lyrique à Bayreuth en juillet 2015 était la nouvelle production de Tristan und Isolde, (version Katarina Wagner, l’arrière petite fille du compositeur et ici même metteure en scène et codirectrice), France Musique préfère diffuser la reprise du Vaisseau Fantôme…

Créé à Dresde le 2 janvier 1843 (dans le sillon victorieux tracé par l’éclatant Rienzi, créé dans le même lieu Hofoper, en octobre 1842), Le Vaisseau Fantôme (Der Fliegende Holländer) marque la rupture de Wagner avec le grand opéra romantique traditionnel : avant la tempête qui ouvre la Walkyrie, ou l’océan originel qui enfle les flots naissant du monde à son berceau dans l’Or du Rhin, voici le déluge primordial, celui des torrents d’eau se déversant sur le frêle navire emportant le Hollandais maudit en quête de l’amour pur d’une femme qui pourra le sauver.
L’ardeur du jeune Wagner est intact malgré ses déboires à Paris où il dut vendre à l’Opéra son propre livret pour qu’un obscur Dietsch le mette en musique (!) avec le naufrage que l’on sait. Les français manquaient une occasion unique de soutenir un génie à son aurore… Comme ce fut le cas de Mozart au XVIIIè, dont les 3 séjours à Paris furent des échecs retentissants et plusieurs occasions manquée là aussi. Effrayante absence de discernement artistique.
Wagner en DVD ...Pour l’heure à Dresde qui célèbre enfin son génie, Wagner émerveille et impressionne l’auditoire grâce à sujet fantastique et romantique. Comme souvent, le compositeur écrit à rebours de l’intrigue, commençant par la ballade de Senta, le choeur des matelots norvégiens, le chant des fileuses puis concluant avec… l’ouverture. Une idée rétrospective où ce prologue orchestral semble récapituler plutôt qu’annoncer le drame qui se joue. Le voyageur errant sur les flots, le maudit magnifique paraît tel un spectre effrayant, un non homme qui doit cependant susciter l’amour de Senta s’il veut être sauvé. Le thème est éminemment wagnérien : le salut de l’homme réalisé par l’amour d’une femme, ainsi en sera-t-il de Cosima pour Richard dans la vraie vie. Ici emporté par la fureur d’aimer, par la volonté d’être sauvé, Wagner tisse un nouvel orchestre moteur qui réalise l’unité de toute les scènes désormais enchaînées les unes aux autres sans discontinuité, tel le futur drame sans fin, cyclique qui a lieu dans Parsifal et dans les quatre Journées du Ring. La justesse des mélodies, l’expression directe de la houle déferlante lui auraient été inspirées par sa traversées sur la navire la Thétys, à destination de l’Angleterre, à l’été 1839, alors que quittant Riga, le compositeur poursuivi par ses créanciers, souhaitait rejoindre Paris. Pris dans une tempête, le navire dut se réfugier en Norvège… un épisode de la vie de Wagner dont témoigne le réalisme saisissant de son Vaisseau Fantôme.

Synopsis

Acte I. Dans une crique norvégienne au XVIIIè, le navigateur marchand Daland ne peut éviter de croiser la course d’un marin mystérieux le Hollandais, âme maudite qui lui demande de rencontrer sa fille, Senta car seul l’amour d’une jeune fille aimante pourra le délivrer de la malédiction qui le poursuit.
Acte II. C’est l’acte de Senta qui rêve de rencontrer ce marin maudit qu’elle aimera sans limites. Alors que ses suivantes filent la laine, la jeune femme se destine déjà au Hollandais qui lui est apparu en rêve : leur rencontre se déroule sans entraves : le Hollandais et Senta se reconnaissent dès le premier regard.
Acte III. Erik, chasseur épris de Senta depuis longtemps lui fait sa cour ; la jeune femme le rejette sans violence mais avec suffisamment de douceur pour que le Hollandais se méprenne sur ses intentions réelles : amer et pensant qu’il a été trahi, le Hollandais remonte sur son bateau et séloigne des côtes. De dépît, Senta se jette dans les flots. Au loin, au dessus de la mer, les deux paraissent unis dans la mort.

Compte rendu, opéra. Marseille, Opéra. Le 24 avril 2015. Wagner : Le Vaisseau Fantôme. Der Fliegende Holländer. Lawrence Foster, direction. Charles Roubaud, mise en scène.

Wagner portraitMarseille reprend en avril 2015,  la production présentée aux Chorégies d’Orange en juillet 2014. De coupe encore traditionnelle, l’opéra a des airs facilement mémorables (couplets du marin, ballade de Senta, marche de Daland, etc, et une ouverture saisissante que presque tout le monde connaît sans le savoir). La trame est dramatiquement habile dans sa construction : exposition et présentation nette des personnages (Daland, le Hollandais, Senta, Erik), nÅ“ud de l’intrigue (deux amours de Senta en compétition), péripéties (crise et méprise) et dénouement tragique, mêlé habilement de scènes chorales de genre (les marins, les fileuses). Les deux héros sont l’âme même du romantisme : Senta, c’est une autre Tatiana romanesque qui a forgé dans ses rêves l’amour idéal, total, sacrificiel, qui l’arrachera à la banalité du quotidien (l’atelier de filature) et au prosaïsme cupide de son père et à l’esprit terrien, sans doute terre à terre de son fiancé Érik, chasseur et non marin. Le Hollandais maudit en quête de rédemption, est une sorte d’Hernani et il pourrait dire aussi :

 

 

 

De la légende du Vaisseau fantôme à un vaisseau fantôme de légende…

 

 

Je suis une force qui va !

Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !

Une âme de malheur faite avec des ténèbres !

Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé

D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.

Je descends, je descends et jamais ne m’arrête.

 

Mais à l’inverse du héros de Victor Hugo (1830), c’est une force qui s’en va, qui voudrait s’en aller, qui désire couler doucement vers le gouffre apaisant, le repos éternel qui lui est refusé par Dieu et que seul peut lui octroyer l’amour d’une femme fidèle : face aux Éva pécheresses qu’il a connues dans son errance au long cours, Senta sera enfin, dissipé le malentendu, l’ « Ave », la rédemptrice, l’Éros bénéfique ouvrant la délivrance de Thanatos, la mort par l’amour. Ne pouvant vivre ses rêves, elle rêve sa vie jusqu’au sacrifice final qui donnera corps et vie au songe.

L’Å“uvre. Des personnages à la fois archétypaux, humains et surhumains. Du romantisme de son temps, Richard Wagner hérite et cultive le goût des légendes. Dans cet opéra en trois actes de 1843 dont il écrit le livret, il s’inspire de quelques pages du poète Heinrich Heine qui vient de publier Aus den Memoiren des Herrn von Schnabelewopski en 1831, ‘Les mémoires du Seigneur Schnabelewopski’ où est relaté une version de la légende ancienne du Hollandais volant et de son vaisseau fantôme.

Vaisseau fantôme

La mer a ses fantasmes, l’océan, ses fantômes, les deux, ses légendes. Une court les flots et les tavernes des marins réchappés aux vagues et tempêtes des vastes espaces marins, l’existence d’un bâtiment hollandais dont l’équipage est condamné par la justice divine qu’il a bafoué à errer sur les mers jusqu’à la fin des siècles. En effet, son capitaine, malgré une tempête effroyable au Cap de Bonne Espérance bien nommé, a décidé de prendre la mer un Vendredi saint, jurant qu’il appareillerait, dût-il en appeler au diable, qui le prend au mot.

Hollandais volant

Un capitaine hollandais aurait accompli en trois mois un voyage de près d’un an normalement, d’Amsterdam à Batavia (Djakarta), grâce au diable. Cela se passe au XVIIe siècle, époque où les Hollandais ont créé la Compagnie des Indes, courant les océans. La rencontre de ce vaisseau fantôme est considérée comme un funeste présage.

Une première version écrite de la légende est parue dans un journal britannique en 1821. La première version française a été publiée par Auguste Jal, Scènes de la vie maritime, Paris, 1832. Cela inspira, en 1834, la nouvelle de Heinrich Heine : Les Mémoires du Seigneur de Schnabelewopski qui servit de thème de l’opéra de Wagner quelques années plus tard. Victor Hugo cite aussi cette histoire dans La Légende des siècles :

C’est le Hollandais, la barque

Que le doigt flamboyant marque !

L’esquif puni !

C’est la voile scélérate !

C’est le sinistre pirate


De l’infini. 

 

 

 

À notre époque, un film légendaire d’Albert Lewin en 1951 réactualise le mythe du Hollandais volant le mêlant à celui de Pandora, la femme maléfique qui ouvre la fameuse boîte de Pandore des vices, Pandora and the Flying Dutchman, avec la mythique Ava Gardner dans le rôle de l’héroïne qui, par son sacrifice, trouve à la fois sa rédemption et celle du capitaine maudit. Un film plus récent, Pirates des Caraïbes, en 2003, s’en tient au strict vaisseau fantôme.

Mais Heine, à la damnation éternelle du Hollandais ajoute un élément sentimental essentiel : le Hollandais damné a le droit de faire port tous les sept ans et seule la fidélité absolue d’une femme peut lui apporter la rédemption malheureusement, il a toujours été trahi dans son amour lorsqu’il met ses espoirs de rachat dans la dernière, rencontrée, après la tempête, dans le havre inespéré d’un port norvégien. Chez Wagner, c’est Senta, déjà vaguement amoureuse du portrait du capitaine de la légende, qu’elle rêvait ou inventait, fille d’un capitaine norvégien, Daland, qui n’hésite pas d’emblée à l’offrir en mariage contre les richesses du mystérieux Hollandais, bien qu’il l’ait déjà promise à Erik, désespéré.

 

 

 

LA RÉALISATION MARSEILLAISE

 

Transposée du cadre grandiose d’Orange dans la salle plus intime de l’Opéra de Marseille, cette production passe d’une échelle mythique, épique, à une dimension domestique, poétique : du grand large à l’horizon borné du port de la salle. Il faut, certes, évacuer les images d’Orange pour resituer à sa place, sur le plateau marseillais, cette immense étrave de navire (Emmanuelle Favre), comme trouée des deux yeux des écubiers, cette proue, proie des flots rejetée sur la rive, d’abord éperon rocheux inquiétant. Occupant, accaparant tout le champ du regard, sa démesure, ici, donne malgré tout la mesure extraordinaire de l’histoire, sa dimension onirique, rêve ou cauchemar, témoin omniprésent, fantasme de l’héroïne en proie à son délire lyrique, érotique et sentimental, à ses visions. Son obsédante présence trop centrée ne laisse qu’un mince espace à jardin, comme une impossible évasion, à une vue de mer en furie puis apaisée, ensuite à un fond de bâtiment industriel pour l’acte II des fileuses, à un ponton en perspective de fuite à la fin. La maîtrise de cet espace resserré est à la mesure de celle de Charles Roubaud, à l’aise dans l’immensité d’Orange, intimiste ici pour cerner au mieux ces personnages humains dans l’inhumanité d’une légende ou tragédie de la révolte d’un homme contre le silence éternel et cruel de la divinité, avide toujours de sacrifices.

Les lumières ombreuses plus que ténébreuses de Marc Delamézière, créent une troublante hésitation des formes grouillant vaguement dans les ombres, foule au mouvements de houle, marins vivants et viveurs dans une obscure clarté, et, dans l’indécision du clair-obscur, de fantomatiques spectres alentis à l’assaut de la carcasse morte. Dans cette indétermination de la lumière variant de la nuit à un jour douteux, Katia Duflot estompe d’une gamme brumeuse les costumes gamme brumeuse des hommes mais les robes années 50 des femmes, rose, vert, jaune, bleu, gris clair, carreaux, dans la grisaille généralisée, semblent un rêve de couleur dans un monde qui l’aurait perdue. Le Hollandais, long manteau d’époque indéterminée, et Senta robe jaune clair de jeune fille sage, sont les deux seuls auréolés d’une vague lumière, avec Mary, robe souple à col blanc sur le gris du corsage, comme personnage intermédiaire finalement entre l’ombre du marin dont elle a apparemment chanté la ballade, et la sacrificielle clarté de la jeune fille romantique.

Interprétation. Des chœurs, préparés minutieusement par Pierre Iodice aux pupitres de l’orchestre, apprêtés soigneusement par le chef, en passant par le plateau, on sent, sans nulle faille, l’engagement de tous au service de cette œuvre qui, sans rompre les amarres avec l’opéra de son temps, lui rendant même un amoureux hommage, usant de formules de grands compositeurs lyriques, préfigure l’œuvre nouvelle à venir de Wagner. Capitaine, pas encore au long cours dans cette relativement courte traversée wagnérienne, Lawrence Forster est le timonier qui guide savamment son orchestre à travers les écueils nombreux de l’opéra, récifs romanticoïdes, sacralisation excessive de cette musique, tyranniquement imposée plus tard par Wagner lui-même à ses spectateurs, au risque de l’emphase frôlant le pathos pâteux, le pompeux, le pompier : le pompant en somme. Il nous rend donc cette musique, telle quelle, naturelle, bien dans son temps, pleine de charme, de sourire même, mouvante et émouvante. Il est le thaumaturge qui, d’un coup de baguette, déchaîne les tempêtes de la mer et en apaise les flots, suivi par un orchestre ductile, aux cordes soulevées de vent, aux cuivres tempétueux ou étrangement nimbés de lointaine brume.

Tout le plateau joue le joue avec un sensible plaisir, pour notre bonheur.

Le ténor Avi Klemberg, surgi de l’ombre, éclaire de sa lumineuse voix le rôle apparemment ingrat du pilote, auquel il donne une qualité poétique, une jeunesse touchante dans sa réitération à l’invite du vent du sud. Si la grande voix de Kurt Rydl fait quelques vagues dans les notes tenues du premier acte, dans son air de basse bouffe donizettienne, il est inénarrable, en barbon cupide mais père aimant, heureux, joyeux et nous avec lui, qui le retrouvons égal à nos souvenirs. Pour la première fois à Marseille, le ténor Tomislav Muzek prête au personnage d’Erik, fiancé, blessé, la beauté d’un timbre lumineux et la dignité expressive d’une victime injustement sacrifiée.

Marie-Ange Todorovitch donne au rôle de Marie sa prestance et son aisance scéniques, la chaleur d’un timbre velouté qu’elle rend à la fois maternel et angoissé face aux bouffées délirantes, diraient les psychanalystes, de Senta. Clytemnestre grandiose, elle retrouve, sa Chrysothémis, une Ricarda Merbeth, applaudie à ses côtés, ovationnée ici pour la tenue impeccable d’un chant se jouant des gouffres et sommets des intervalles comme des crêtes de vagues  monstrueuses, sans rien perdre de la beauté blonde d’une voix sans faille, rendant sensible la ferveur, la fièvre, l’exaltation de sa névrose sacrificielle. Comme l’a voulu le metteur en scène, on la sent entre rêve, délire et hallucination. À ses côtés, révélation à Marseille, Samuel Youn, superbe baryton-basse, déploie la beauté vocale d’un timbre d’airain, aux aigus acérés, peut-être trop pour un Hollandais sensible, maudissant sa malédiction, attendri par l’amour et prêt à tous les naufrages.

Opéra de Marseille, les 21, 24, 26 et 29 avril 2015
Die fliegende Holländer de  Richard Wagner

ChÅ“ur de l’Opéra de Marseille et Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction musicale : Lawrence Foster
Mise en scène : Charles Roubaud (Assistant : Bernard Monforte).

Décors : Emmanuelle Favre (Assistant :  Thibault Sinay).

Costumes : Katia Duflot.

Lumières : Marc Delamézière (Assistant : Julien Marchaisseau).

Distribution :

Senta : Ricarda Merbeth ; Marie : Marie-Ange Todorovitch ; Le Hollandais :  Samuel Youn ;  Erik : Tomislav Mužek ; Daland : Kurt Rydl ; Seuermann : Avi Klemberg.

LIVRES. Philippe André. Les deux mages de Venise, roman. Editions Le Passeur (2015)

philippe-andre-les-deux-mages-de-venise-classiquenews-compte-rendu-critique-fevrier-mars-2015LIVRES. Philippe André. Les deux mages de Venise, roman. Editions Le Passeur (2015). Wagner est mort à Venise en 1883, c’est connu. Et il avait reçu, trois mois avant,  la visite de son beau-père, Liszt, « installé » pendant deux mois au Palais Vendramin, la résidence de Richard, Cosima et l’enfant Siegfried. Qu’ont-ils fait, hormis se retrouver et parfois se chamailler ? Philippe André leur invente de « nouvelles aventures » dans une Venise hivernale et fantasmagorique. C’est, adossé à la science musicologique du spécialiste schumanno-lisztien, la nouveauté des Deux Mages, un passionnant « romansonge ». Question et réponse de la duchesse : « Aimez-vous  Wagner ? », eût pu demander en toute fausse candeur la duchesse de Sagan. C’te question ! Naturlich, ma biche ! J’insiste, pourtant : aimez, et je souligne the question qui n’est pas to be or not to be. Bien sûr qu’il est, Wagner, d’une essence irréfragable, plus être que lui on n’en fait plus. Mais j’ai demandé   : aimez. Il est permis de nuancer votre answer…Alors, vous me mettez plus à l’aise. Je sais  ce que cette Oeuvre Totale  apporte à l’histoire de la musique et des arts. Et puis  vous dites qu’on a droit au  clivage ?  Lohengrin, Tannhauser, Tristan, Parsifal, trois fois oui. Pour  la Bande des Quatre organisée en Tétralogie, franchement, vous repasserez . And  Herr Richard Wagner himself, pas mieux ? Encore plus franchement, danke schön ! Même quand il joue son ultime rôle dans Der Tod in Venedig ? Faut ben mourir quéqu ’ part !

R.W. à sa personne parlant

Wagner en DVD ...Donc si vous n’avez pas la foi wagnérienne, ne faites pas semblant de croire pour  bientôt  super-croire. Mais laissez-vous convaincre d’aller faire un tour dans les quartiers les plus perdus de la Sérénissime, en hiver 1882-83. Guidé par R.W. à sa personne parlant – comme toujours – mais aussi adressant à sa chère Cosima une sorte de journal-intime-jours-sombres, pour raconter l’incroyable bordée métaphysique qu’il aurait  menée là-bas avec son beau-père, un certain Franz Liszt, l’éblouissant compositeur- ami  devenu curé-sans-paroisse  mais toujours en quête d’imaginaire.  Et devinez qui vous aurez pour guide et porte-parole ? Un  lisztien par excellence, dont ici même nous louâmes les ouvrages savants sur Années de Pèlerinage et Suite, musicien au demeurant praticien-psy qui vient aussi d’investiguer sur la paralysie générale de Schumann. Le Docteur Philippe André, sans doute pour se délasser du culte schumanno-lisztien, cède aux démons de la Fantasie hoffmanienne : étiquetant « mages » les deux » Vénitiens » d’adoption au crépuscule de leur prodigieuse vie, il les fait basculer de l’autre côté du miroir dans l’inquiétante étrangeté que se permet parfois l’écriture  scientifique dont la rigueur expérimentale aurait  été mise en congé payé par un tour-operator de roman.

Le p’tit  Siegfried

LISZT nadar 1886 Franz_Liszt_by_Nadar,_March_1886Le point de départ est on ne plus historique, et vous en trouverez le récit au 4e chapitre de Nuages Gris (éd.Le Passeur) : Liszt a bien séjourné « chez » les Wagner au Palais Vendramin, du 19novembre 1882 au 13 janvier 1883. Il y a joué au whist, au piano, à l’inépuisable mais intermittente amitié, à la fonction grand-paternelle (le p’tit Siegfried, fruit d’amour fou  entre Richard et  Cosima  qui avait ainsi envoyé au désespoir son exemplaire époux Hans de Bulow), et en cette famille recomposée tout n’était pas que roses, donc  on s’est  chamaillé, fait la gueule, réconcilié…. A partir  de ce substrat non contesté, Les Deux Mages dérape avec délices en imaginaire. Les deux amis – bien que devenus beau-père et gendre, ils sont quasiment « du même âge » – entrent en « mentir-vrai » et « romansonge », comme  titrerait la nébuleuse aragonienne. « C’est moi qui rêve. J’ai piqué du pif au bout du compte. Je dors. Je rêve. Tout cela c’est moi qui le rêve. Tout ceci ce n’est pas la vie de Théodore , c’est ma mienne. Rien de tout  cela n’a pu se passer en 1815…. » : c’est ce qu’avouait  en galopant avec  Géricault son « historien » de 1959 dans La Semaine Sainte…

Tribu miltonienne et Nocturnes hoffmaniens

CLIC D'OR macaron 200Certes  on eût pensé davantage Philippe André journalintimier du côté de son cher Franz. Eh bien non, c’est en Wagner qu’il sort d’un angle de la Piazzetta, faisant d’ailleurs tenir à son petit protégé la moins protocolaire des langues modernisées et l’entraînant dans les aventures vénitiennes les plus saugrenues. Quitte à  ce que R.W. soit mené par le bout de la Fantasie, le beau-père « inventant » pour son gendre plus réticent  les buts de promenades qui accouchent de situations de plus en plus hallucinatoires. « Ici  le temps devient espace », et vice-versa ; le réel moins vrai –et désirable ? -que le fantasmé. On rencontre sortie des pérégrinations italiennes de l’Angleterre rebelle XVIIe  une  tribu miltonienne – dans la famille du Paradis Perdu, je demande le père et puis aussi  les filles -, on découvre une galère « décarcassée » qui selon Franz ferait une merveilleuse salle de théâtre moderne, des allusions à un grand trou qui pourrait être un cercle infernal de Dante, et ce n’est que préface à l’embardée  la plus folle, une entrée en « Nocturnes  à la manière de Callot », où le savant Spallanzani, recréateur lisztien d’Olympia, « emprisonne » dans l’œil de sa poupée diabolique une Cosima qui n’en demandait pas tant…

Haarghh !

Richard se démène en érotisé  hoffmannien (il  est ultra-sensible aux  deux « jolis globes » de l’automate, voire à sa « coquille »), malgré lui ? ou pour mieux exciter  la jalousie de sa Cosima ?), et surtout il mène dialogue réitératif avec un Kobold, figure du tourmenteur qui lui laisse bien peu de répit du côté de l’angine de poitrine, ce dont il mourra bientôt. Et là, il se lâche  dans le discours, parsemant ses phrases d’une interjection souffrante (« haarghh ! »,un écho du  « hojoho  walkyrien ? )qui nous ramène aux temps de la BD-Dargaud, de formules familières (« à ch…, aussi sec ,  c…ries », impact boom, du balai ! lefion…, vacherie, débectant  ou  vioque » ) parfois teintées de rythme célinien… Le comble du paradoxe est atteint lorsque Richard « appelle » en un flux extasié (devenant parfois injurieux ou prosaïque : « fous le camp dans ta cuisine, reste aux fourneaux ») son  indispensable  Cosima,(« ma passerelle pour l’éternité, mon anéantissement en si majeur »…),tout comme – peut-être ? – le romantique Kleist « rebaptisait » son Henriette Vogel  (qui le lui rendait aussitôt) dans les lettres qu’ils échangèrent avant leur suicide en duo…à moins que ce ne soit aussi une allusion à « L’Union Libre » où Breton géographise les blasons du corps de la femme….

Filochard et Croquignol

De même oscille-t-on entre ces visions poétisées du parcours vénitien et les silhouettes rigolotes de la virée Filochard (R.W.)- Croquignol (F.L.), la référence  sublimissime de la Femme Eternelle de R.W. et  la vie embourgeoisée à Vendramin, cette grande Villa-Cosima-pieds-dans-l’eau, les éclairs de lucidité richardiens (« la boucler est peut-être le plus grand défi fait à moi-même dans cette suite d’événements ») et la surdité de qui ne comprend rien au minimalisme pianistique du beau-père en train d’inventer une autre « musique de l’avenir ». Car les rapports au réel d’histoire musicale sont aussi là : du Prométhée déchaîné, des « nuages gris », du parlé-chanté, « disastro », du « lancer mon  javelot dans les espaces indéfinis », des csardas macabres, des lugubres gondoles qui  ne peuvent faire illusion. De même que les manifestations d’un amour-haine perpétuel entre un  beau-père et un gendre peu avare de considérations inactuelles sur le vieux Liszt, « échassier hydropique »,  ses cigares et ses verrues, et qui débarque du train en pleine odeur de « Wanderer à nuisances olfactives 2nde classe ».

Retrouvailles lyriques

 Mais cela cède à du pur lyrisme de retrouvailles entre « amis sublimes », au détour d’une promenade  dans Venise embrouillardée. Et puis il y a le récit – les musiciens en tournée de banlieue  en sortiront  « m.d.r » ! – de Liszt qui dézingue  les afféteries  bondieusardes d’un jeune organiste en mal  de compliments….(« jamais je n’ai entendu rythmes plus appropriés aux hôtels de prostitution et claques somptueux…. ») . Curieux blocages – superstitieux ? – aussi de Richard  avouant à son « Isolde de  vie ou de mort » que justement il ne prononcera plus ce dernier mot, lui qui en veut au beau-père d’avoir « sombré dans les bigoteries qui l’ont perdu comme homme et surtout comme musicien ».

Le Wanderer a-t-il perdu la mémoire ?

Tiens, en chemin, le Wanderer, il a perdu la mémoire de ses barricades bakouniniennes en 1849, quand il militait à Dresde pour la révolution ? Ensuite, de ses errances pourchassées par les polices « anti-terroristes » de l’Ordre Monarchique, mais où tout de suite il trouve à Weimar refuge fraternel auprès de Liszt  ? De sa soumission (1864), genou en terre, à  son Ange bavarois  Louis II , et de « ce qui s’en suivit », comme  intertitrent les romans de gare au XIXe : l’argent et l’or pour édifier le Temple de Bayreuth, où se célèbrera le culte monothéiste de RW ? ? Sans oublier ses vaticinations-libelles  mortifères  (1850 ; puis sans remords ni retour en arrière) sur « le judaïsme dans la musique » ? Bref, il ne s’agirait plus à Vendramin-House que des  « considérations d’un apolitique » rangé des voitures,  dans une Venise la Rouge où pas une gondole ne bouge ? Quant à l’inconscient projeté  comme javelot dans les espaces du futur, n’y-a-t-il pas absence de prémonition pour une époque où son (pré) nom  de Venise, Riccardo, ne sera plus dans Bayreuth un temps désert (é) par l’œuvre Totale ?  Mais  on ne va tout de même pas lui reprocher,  à cet  « inconscient-là »,  le formatage de   son p’tit Siegfried pour mariage(1915)  avec une Frau Winifred tombant raide-dingue du Moustachu de Berchtesgaden-sous-Walhalla !  (Quel malheur, parfois, d’avoir un(e) gendre(sse) !  Mais au contraire futur, quel bonheur pour un Vénitien comme Luigi Nono de se marier (1955) avec Nuria Schoenberg et d’avoir ainsi un sacré beau-père !)

Carnets du sous-sol  et Bavard

Bon, permis à un mal-wagnero-compatible de débloquer sur le divan, Dr. André ? Et repassons à l’essentiel : avec les Deux Mages, nous tenons un « roman musical » de la plus haute et exigeante qualité en imagination et écriture. Ce long et parfois imprévisible monologue rappellera, en  son   principe d’ivre flux parolier, les Carnets du sous-sol  dostoievskien, ou le plus proche Bavard de L.R. des Forêts. Et malgré les sautes d’une humeur provocatrice tirant aussi vers la rigolade, la coda (« Je me penche et je vois des étoiles qui scintillent au fond du trou. Je plonge la tête la première en poussant un léger cri…Un cortège d’étoiles mortes ondule dans le noir. ») signale, mine de rien, qu’un mois après le départ  du beau-père, le gendre aura rejoint…mais quoi, le néant ? C’était – miroir  de l’éblouissante lumière solaire du Turner en couverture – le dernier cadeau  de la Sérénissime et aussi « tempé-tueuse »  Cité des Doges  à ses hôtes. On vous le disait, il y aura  toujours de la Mort à Venise ! Mais encore : « mort(s) à jamais » ?…

LIVRES. Philippe André, Les Deux Mages de Venise, éditions Le Passeur (2015). Livre papier : 18,90 €, 140×205 mm, 256 pages. Date de parution : 12 février 2015. LIRE aussi la critique du livre précédent de Philippe André : « Robert Schumann, folies et musiques » (Le Passeur, 2014), CLIC d’octobre 2014 sur classiquenews.

Illustrations : Wagner, Liszt (DR)

Livres. Henri Christophe. Richard Wagner : L’Anneau du Nibelung (Symétrie)

henri christophe l anneau du nibelung wagner traduction isbn_978-2-36485-026-2Rédigée au moment de la diffusion sur Arte en 1991 de la fameuse Tétralogie du centenaire de Bayreuth (1876-1976) signée Chéreau et Boulez, la mythique équipe française, la traduction d’Henri Christophe est éditée chez Symétrie. Le texte a été composé pour être lu sur les images de cette production, dans le temps imparti pour chaque séquence, dans la durée  du spectacle, selon les contraintes aussi pratiques (2 lignes de texte au bas de l’écran). Il en découle une prosodie rapide, séquencée, aux images sensuelles et charnelles, aux éclairs réflexifs qui engagent et dévoilent tout un étroit réseau de correspondances entre les tableaux, dans les strates du texte global. Le cerveau de Wagner n’a jamais été mieux compris dans une langue à la fois précise, violente, organique et flamboyante. C’est immédiatement l’intelligence du dramaturge Wagner qui surgit, son sens du verbe, sa ciselure des portraits psychologiques et des situations.

Traducteur en 1991 pour Arte, Henri Christophe éclaire les facettes prosodiques du Ring

Wagner traduit : une révélation poétique

 

CLIC D'OR macaron 200Ne prenons que deux exemples parmi les plus denses et psychologiquement fouillés du Ring : extraits de La Walkyrie, le monologue de Wotan qui s’adresse à sa fille chérie Brünnhilde et lui avoue son impuissance face aux arguments de l’épouse Fricka qui lui demande de rompre sa protection auprès des Valse… Puis extrait du Crépuscule des dieux : le dernier monologue de Brünnhilde, l’épouse trompée par Siegfried qui cependant frappée d’un discernement supérieur, comprend le sens profond de tout le cycle, pardonne à celui qui l’a trahie, et restitue l’anneau maudit aux filles du Rhin…
D’une façon générale, le texte de Henri Christophe est direct, plus clair du point de vue des idées et des images formulés ; séquencé en phrases courtes, il souhaite (même si sa destination n’est pas d’être chanté) reproduire le rythme du chant lyrique ; le découpage qui en découle semble suivre les méandres du continuum musical : Henri Christophe a écouté chaque scène musicale en formulant la taille, le débit de ses traductions. Evidement indications scéniques et didascalies n’étant pas indiquées entre parenthèses, le lecteur perd en compréhension scénique et visuelle, mais il gagne une proximité émotionnelle avec chaque protagoniste que les autres textes à la rédaction plus contournée, n’offrent pas.
Même pour des non germanistes/germanophones, le travail de Wagner sur l’allitération et non la rime, une saveur organique du langage qui convoque la présence tangible des pulsions et forces psychique inspirées des mythes fondateurs qui l’ont tant porté dans la conception globale de la Tétralogie, s’impose : elle attise la lecture dans le feu des forces en présence. Le jeu de Wagner est d’anticiper ou de se remémorer, dilatation élastique et oscillante du temps qui fonde sa fascinante intensité : passé et futur sont évoqués presque simultanément pour intensifier la perception du présent (prolepses ou prévisions, analepses ou flashback). La vision est déjà cinématographique et l’on repère dans la construction du maillage linguistique ainsi restitué, les filiations et les correspondances multiples du texte, conçu comme un seule et même étoffe qu’on la prenne à son commencement comme à sa fin…

Les idées préconçues tiennent bon, or si certains s’entêtent à regretter les faiblesses du Wagner librettiste, force est de constater ici la puissance de son verbe, l’éloquence de ses idées, la cohérence des imbrications dramatiques, le sens de l’impact dramaturgique. Tout cela restitue la force et la spécificité du théâtre wagnérien, scène plus psychique et politique que narrative et d’action : tout fait sens à mesure que les situations se précisent, que les confrontations accomplissent leur Å“uvre. Le lecteur saisit enfin l’unité souterraine du cycle. Peu à peu s’affirme la profonde impuissance des êtres ; ces dieux ambitieux, arrogants s’épuisent dans l’exercice et le maintien absurde de leur pouvoir : la destinée de Wotan /Wanderer s’en trouve lumineuse ; un résumé du cycle entier : chacun tôt ou tard doit assumer les conséquences de ses actes. Au compositeur de dessiller les yeux des aveuglés. Gageons que le texte d’Henri Christophe accrédite enfin le principe à présent explicite d’un Wagner, librettiste affûté voire génial. C’est bien le moindre des apports de cette traduction heureusement éditée.

Henri Christophe. Richard Wagner : L’Anneau du Nibelung (Éditions Symétrie). ISBN : 978 2 36485 026 2. 403 pages. 13,80€. Février 2015. Un texte d’introduction très documenté récapitule l’histoire des traducteurs français de Wagner et aussi la chronologie des créations de ses oeuvres dans l’Hexagone… Passionnant.

Barcelone. Siegfried de Wagner au Liceu

WAGNER EN SUISSEBarcelone, Liceu. Wagner : Siegfried. 11<23 mars 2015. Mise en scène par Robert Carsen, cette production de Siegfried se concentre sur le 2ème Journée de la Tétralogie ou Ring de Wagner. Les enchantements de la fable à laquelle se nourrit le Wagner conteur réalise ici une épopée héroïque et onirique qui récapitule après l’ivresse amoureuse et compassionnelle de La Walkyrie (1ère Journée), l’enfance du jeune héros puis sa transformation en jeune adulte victorieux amoureux. La figure est à l’origine de tout le cycle : on sait qu’au début de son oeuvre lyrique, avant la conception globale en tétralogie, Wagner souhaitait mettre en musique le vie et surtout la mort de Siegfried. C’est en s’intéressant aux événements qui précèdent l’avènement du héros, que le compositeur tisse peu à peu la matière du Ring (le prologue de L’Or du Rhin dévoilant la rivalité de Wotan et des Nibelungen, la malédiction de l’anneau et les sacrifices à accepter / assumer pour s’en rendre mettre) : tout converge vers la geste du champion qui n’a pas peur, et le sens de ce qu’il fait, est, devient. Dans Siegfried, drame musical en 3 actes, s’opposent le forgeron Mime qui est aussi l’éducateur de Siegfried, et Siegfried. Le premier vit dans l’espoir de reforger l’anneau qui donne la toute puissance : c’est un être calculateur, fourbe, peureux. Ce qu’il forge l’enchaîne à un cycle de malédiction.

Geste amoureux, héroïque de Siegfried

Siegfried wagner barcelone liceu robert carsen josep pons classiquenews mars 2015A l’inverse, Siegfried, être lumineux et conquérant, forge sa propre épée, Nothung, instrument de son émancipation (qui est aussi l’ex épée de son père Siegmund) : avec elle, il tue le dragon Fafner, et suit la voix de l’oiseau intelligible qui le mène jusqu’au rocher où repose sa futur épouse, Brünnhilde, ex walkyrie, déchue par Wotan. Comme dans La Walkyrie où se développe le chant amoureux des parents de Siegfried (Siegmund et Sieglinde), Siegfried est aussi un ouvrage d’effusion enivrée : quand le héros bientôt vainqueur du dragon, s’extasie en contemplant le miracle de la nature soudainement complice et protectrice (les murmures de la forêts). En portant le sang de la bête à ses lèvres, il est frappé de discernement et d’intelligence, vision supérieure qui lui fait comprendre les intentions de Mime… qu’il tue immédiatement : on aurait souhaité que dans le dernier volet, Le Crépuscule des dieux, Siegfried montrât une intelligence tout aussi affûtée en particulier vis à vis du clan Gibishungen… mais sa naïveté causera sa perte.
Pour l’heure, après l’accomplissement du prodige (tuer le dragon, prendre l’anneau), Siegfried découvre au III, l’amour, récompense du héros méritant : et Wagner, peint alors un tableau saisissant où Siegfried découvre Brünnhilde sur son roc de feu, puis l’enlace en un duo éperdu, digne des effluves tristanesques, au terme duquel, le fiancé remet à sa belle, l’anneau maudit. Dans Siegfried, se précise aussi la réalisation du cycle fatal : au début du III, le dieu si flamboyant dans L’Or du Rhin, Wotan : manipulateur (piégeant honteusement avec Loge, le nain Albérich), brillant bâtisseur (du Wallhala), négociateur (avec les géants), se découvre ici en “Wanderer” (voyageur errant), tête basse, épuisé, usé, renonçant au pouvoir sur le monde : la chute assumée de Wotan est criante lorsqu’il croise la route du nouveau héros Siegfried dont l’épée détruit la vieille lance du solitaire fatigué… Tout un symbole. De sorte qu’à la fin de l’ouvrage, la partition est portée à travers le duo des amants magnifiques (Siegfried / Brünnhilde) par une espérance nouvelle : Siegfried ne serait-il pas cette figure messianique, annonciatrice d’un monde nouveau ? C’est la clé de l’opéra. Mais Wagner réserve une toute autre fin à son héros car l’anneau est porteur d’une malédiction qui doit s’accomplir : tel est l’enjeu de la 3ème Journée du Ring : Le Crépuscule des dieux.

boutonreservationSiegfried de Wagner
Barcelone, Gran Teatro del Liceu
7 représentations : les 11,13,15,17, 19, 21 et 23 mars 2015

Josep Pons, direction
Robert Carsen, mise en scène
Lance Ryan / Stefan Vinke (Siegfried)
Peter Bronder (Mime)
Albert Dohmen (Wotan/der Wanderer)
Oleg Bryjak (Alberich)
Irene Theorin (Brünnhilde)
Ewa Podles (Erda)…

Le Ring de Wagner à Munich

wagner-ring-tetralogie-582-612Munich. Wagner : Le Ring. Du 20 février au 29 mars 2015. Le Bayerisches Staatsoper de Munich, dans la capitale bavaroise affiche l’intégralité de la Tétralogie wagnérienne dans la réalisation du duo Kirill Petrenko chef d’orchestre) et Andreas Kriegenburg (régie, mise en scène). Dans l’ordre, L’or du Rhin pour le prélude, puis les 3 journées : La Walkyrie, Siegfried enfin Le Crépuscule des dieux.  Soit 13 soirées wagnériennes. le cycle peut être écouté dans la quasi continuité les 22,23,26 et 29 mars 2015. Production déjà présentée en 2012.

Wagner 2014 : Le Ring nouveau de BayreuthLa Tétralogie raconte sur le registre épique et universel l’accomplissement de la barbarie et de l’indignité humaine sur le monde et les hommes. L’être intelligent et faux bâtisseur (Wotan) construit sa propre perte en imposant ses règles : manipulation, vol, tyrannie, impérialisme. Avide et vénal, le Dieu des dieux se montre parfaitement indigne de son prestige. Pour dérober l’autorité qu’il prétend détenir, il a perdu un oeil et s’est taillé une lance dans le bois du hêtre primordial… Ici le pouvoir rend fou et l’amour de l’or, totalement inhumain. Dans L’or du Rhin, l’or pur du fleuve garant de l’équilibre naturel est dérobé par Alberich, à son tour dépossédé par… Wotan lequel pour édifier son palais du Walhalla, trompe abusivement les Géants. A la fin du Prologue, Wotan et sa clique divine monte au sommet : image de l’orgueil démesuré, leur ascension annonce déjà leur chute.
Dans La Walkyrie paraît l’amour, celui du couple Siegmund et Sieglinde, les parents du héros à venir : Siegfried. Ils sont tous les deux sacrifiés sur l’autel du cynisme de Wotan : mais sa propre fillle, la Walkyrie Brünnhilde ose braver l’ordre du père. Sieglinde pourra enfanter le héros à naître, mais elle perdra son statut et deviendra simple mortelle, protégée par un rideau de feu.
Siegfried raconte l’enfance du héros attendu. Comment Alberich son tuteur lui cache sa nature exceptionnelle et mourra sous la lame de son épée. Le héros qui ne connaît pas la peur, assassine le dragon : il peut rejoindre la Walkyrie sur son rocher pour l’épouser…
Dans le Crépuscule des dieux, la prophétie s’accomplit et Wotan doit céder la place à Siegfried. Pourtant, ce dernier trop naïf et manipulable se laisse berner par le clan de Gibishungen : il trahit Brünnhilde, et meurt honteusement à la suite d’un complot : sa mort puis l’ample monologue de Brünnhilde annonçant une ère nouvelle sont les deux temps forts d’une partition parmi les plus réussies de tout le cycle.

La Tétralogie wagnérienne à Munich
Der Ring des Nibelungen

agenda
L’or du Rhin,  Das Rheingold
Les 20,27 février puis 11 et 22 mars 2015

La Walkyrie, Die Walküre
Les 28 février puis 6,14,23 mars 2015

Siegfried
Les 8,16,26 mars 2015

Götterdämmerung
Les 20 et 29 mars 2015

Illustrations : Odin par Arthur Rackham, Richard Wagner (DR)

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra de Paris, le 20 novembre 2014. Engelbert Humperdinck : Hansel et Gretel. Andrea Hill, Bernarda Bobro, Imgard Vilsmaier, Doris Lamprecht, Jochen Schmeckenbecher… Orchestre et choeur d’enfants de l’Opéra de Paris. Yves Abel, direction. Mariame Clément, mise en scène

humperdinck-palais-garnier-paris-nov-dec-2014-operaOpéra incontournable du Noël outre-Rhin, l’opéra féerique Hansel et Gretel d’Engelbert Humperdinck, sur le livret d’Adelheid Wette d’après le célèbre conte des frères Grimm, revient à l’Opéra National de Paris un an après son entrée au répertoire de l’illustre maison. En 2013, soit 120 ans après la création de l’œuvre, Mariame Clément signe la mise en scène qui est reprise cette saison. Le chef Yves Abel assure la direction musicale de l’orchestre et d’une distribution des chanteurs-acteurs d’une qualité remarquable.

 

 

 

délectable et joyeux mélange de lourdeur et de légèreté

 

humperdinck_03Engelbert Humperdinck (1854 – 1921) a composé plusieurs Å“uvres lyriques, la première et la plus célèbre aujourd’hui est Hänsel und Gretel, « festival sacré pour les enfants ». Sa composition est plutôt accidentelle au début. En fait, Humperdinck commence des études d’architecture à l’université de Cologne quand le compositeur Ferdinand Hiller le convainc de se consacrer à la composition. En 1879, il gagne le Prix Mendelssohn qui lui permet de séjourner en Italie où il rencontre Richard Wagner ; ce dernier, par la suite l’invite à Bayreuth pour l’assister à la préparation de Parsifal (NDLR: créé en 1882). Humperdinck avait composé des Å“uvres chorales et orchestrales, mais tient en fait un poste de professeur de musique quand sa sÅ“ur Adelheid Wette lui demande d’écrire 4 chansons pour la pièce pour enfants qu’elle a écrit d’après le conte de Hansel et Gretel des frères Grimm. Au début réticent, le compositeur finit par être si fasciné par l’histoire qu’il crée une partition lyrique intégrale qu’il envoie à Richard Strauss pour recueillir son avis. Strauss répond à Humperdinck : « Ton opéra m’a enchanté. C’est véritablement un chef d’oeuvre ; il y a longtemps que je n’avais pas vu un ouvrage d’une telle importance. J’admire la profusion mélodique, la finesse, la richesse polyphonique de l’orchestration (…) tout cela est neuf, original, vraiment allemand. ».

En effet, Humperdinck se sert de l’orchestre romantique wagnérien et des procédés musicaux que Wagner a popularisé, pour mettre en musique le conte fantastique du frère et de la soeur perdus dans la forêt et séquestrés par une sorcière qui veux les manger. Pour se faire, il se sert des sources folkloriques, des rythmes dansants et des thèmes de contines. Le succès incontestable repose sur l’écriture savante, complexe, sans aucune concession, mais qui demeure accessible par la riche inspiration mélodique issue des musiques populaires. Une façon d’équilibrer les extrêmes, d’un côté l’aspect sombre et psychologique du conte, qui gagne en puissance dramatique grâce à l’orchestre ; de l’autre, la naïveté, la magie, les jeux de l’enfance imaginée, évoqués continûment par le chant.

hansel gretel opera garnier 2014Impossible qu’une telle Å“uvre laisse le public parisien indifférent, si attiré par la psychanalyse et si wagnérien, mais aussi tellement amateur de clarté et de légèreté. Dans ce sens, l’œuvre de Mariame Clément s’accorde savamment à l’opus, ma non troppo. Avec sa scénographe fétiche Julia Hansen, elle présente l’action du point de vue des enfants. Le décors unique de la maison scindée représente très directement l’idée omniprésente du dédoublement. Nous avons droit alors à la « réalité » et à la vérité des enfants, au même plan, mais en parallèle, séparé par les arbres anonymes de la forêt légèrement évoquée. Une idée qui a le bizarre potentiel de faire couler des litres d’ancre ou absolument rien du tout, puisque qui pourra faire un jugement de valeur de l’enfance, d’une enfance, de la période la plus fantasmée et idéalisée de l’imaginaire collectif ? Comme souvent chez la jeune metteure en scène, le travail d’acteur est remarquable, et le parti pris esthétique, souvent très intellectuel, est tout à fait réussi.

La chevauchée humoristique de la Sorcière au 3ème acte, avec ces clones dansant le cabaret, est d’une justesse non négligeable, en ce qui concerne la musique et le texte, et surtout très divertissant. Les jeux des perspectives est parfois utilisé de façon humoristique également, comme lorsque la Sorcière nourrit le petit Hansel prisonnier dans une chambre à faire friser les arachnophobes (clin d’œil aux araignées de l’artiste Louise Bourgeois). Si le propos si sympathique de Clément se distingue par son inscription évidente dans l’époque actuelle (grâce à l’approche cinématographique et à la différence des mises en scènes passéistes et néo-avant-gardistes si courantes), sa réalisation laisse parfois perplexe.

Au point qu’il existe presque parfois un décalage trop flagrant entre les deux réalités présentées … C’est comme si un effet miroir (et donc d’imitation précise) était recherché, et pourtant jamais réussi ; ailleurs les différences sont si clairement explicitées, souvent par le décor seul, que cela doit être fait exprès. Par moment,  il se passe beaucoup de choses sur le plateau, ceci n’enlève rien à la musique ni au texte, bien heureusement… mais qu’apporte concrètement cette agitation ?

Néanmoins, globalement, il s’agit d’une production de grande valeur, dont l’appréciation peu être mitigée, mais ne justifiant absolument pas les quelques huées vers l’équipe artistique pendant les saluts, des cris vulgaires qui ne font qu’enlaidir un palais de beauté.

La musique, véritable protagoniste de l’œuvre, a sans doute eu l’effet à la fois apaisant et enchanteur qu’on attendait. Hansel et Gretel sont interprétés par les jeunes Andrea Hill et Bernarda Bobro respectivement. Leur prestation est remarquable tous points de vue confondus. Leurs voix s’accordent d’une très belle façon, avec une facilité et un naturel qui rehaussent la fraîcheur de l’œuvre.

Leurs nombreux duos repartis tout au long des trois actes sont un mélange de douceur champêtre, de vivacité, d’humour, de tendresse, mais pas que. Les parents, quoi que moins présents, sont tout aussi investis. Jochen Schmeckenbecher et Irmgard Vilsmaier sont très crédibles, le premier a un timbre presque solaire qui sied parfaitement à l’image d’un père aimant ; la seconde, une allure et une couleur imposante d’humanité. La Sorcière de Doris Lamprecht a un je ne sais quoi typique des vilaines charmantes, un parti-pris qui ne plaît pas à tout le monde, mais que nous trouvons tout à fait délicieux ! Dans ce sens sa performance est plus magnétique qu’électrisante, et tant mieux, puisque sa musique, en dépit de la pesanteur wagnérienne, est de nature folklorique et populaire.

Remarquons également le Petit Bonhomme Rosée d’Olga Seliverstova, pour ses débuts à l’Opéra de Paris, pétillant, ou encore les petits chanteurs de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et du Choeur d’enfants de l’Opéra National de Paris qui réalisent un sommet de tendresse à la fin du troisième et dernier acte. Le chef Yves Abel, quant à lui, trouve un équilibre idéal entre le plateau et l’orchestre. Un fait pas du tout anodin tenant en compte les spécificités de la partition. Dès l’ouverture, la beauté somptueuse et mystérieuse des cuivres et des bois, sous le fond des cordes modulantes très wagnérien, captive. S’enchaîne ensuite une série des chansons populaires allemandes plus ou moins transfigurées par Humperdinck. L’orchestre arrive à établir l’atmosphère du conte, sombre et pesante, sans pour autant perdre en brio et en vivacité ! Les instrumentistes font preuve d’une complicité superbe qui se traduit par une performance pleine d’éclat et des nuances.

humperdinck-palais-garnier-paris-nov-dec-2014-operaUn spectacle formidable, souvent savoureux, toujours tendre ; un plat de Noël gourmand et raffiné, à consommer sans modération au Palais Garnier, encore les 25 et 28 novembre ainsi que les 1er, 4, 9, 11, 14, 16, 18 décembre 2014.

Wagner : l’acte III de Parsifal

Richard Wagner 2013logo_francemusiqueFrance Musique. Le 23 novembre 2014, 20h30. Parsifal, Acte III. La Tribune des critiques de disques. Enjeux, défis. Discographie. L’Acte III de Parsifal met en scène le retour victorieux de l’élu (Parsifal : « le chaste et fol qui ignore le péché ») qui en revenant parmi les chevaliers du Graal, avec la lance qu’il a su dérober au magicien maléfique Klingsor, rétablit l’espoir dans la communauté. Parsifal touché par la souffrance d’Amfortas le guérit comme il accompagne le dernier souffle de Kundry, la pécheresse enfin comprise, pardonnée, graciée. Au coeur d’une humanité reconquise, Parsifal comme le Christ affirme la seule loi de l’amour et du pardon. C’est pourquoi beaucoup considère l’ouvrage comme un rituel liturgique, un festival sacré où tout applaudissement est sacrilège… L’opéra s’achève dans une prière finale. Pour son ultime opéra (créé à Bayreuth en juillet 1882 sous la direction de l’excellent Hermann Levi), Wagner puise auprès de trois sources : Perceval le Gallois de Chrétien de Troyes, Parsifal de Wolfram von Eschenbach, enfin le cycle des récits arthuriens déposés dans le Mabinogion. Le compositeur fidèle à ses convictions profondes enracinées autour du pessimisme, de la culpabilité et de la malédiction du genre humain, choisit, associe, combine les éléments divers pour concevoir une scène « sacrée », où pèsent de tous leurs symboles, les éléments de la passion chrétienne : plaie ouverte et coulante du roi Amfortas épuisé, exténué, incapable de servir l’office (au cours de la longue messe qui clôt le I) ; signe de la croix de Parsifal quand il vainc les enchantements diaboliques de Klingsor au II ; figure ascensionnelle de Kundry, créature à la solde du magicien noir puis figure du pardon et de la rédemption au III… Jamais Wagner n’aura à ce point développer la riche texture de son orchestre, un orchestre souverain qui dilate et suspend le temps, réorganise la mémoire, intensifie la conscience aussi, révèle aux auditeurs spectateurs ce qui ne pouvait être dit jusque là. La force de Parsifal, surtout dans l’acte III, c’est la magie d’un spectacle total au service d’une mystique humaniste dont le message est l’amour et l’espoir.

Wagner et les juifs

Richard WagnerARTE. Wagner et les juifs. Dimanche 9 novembre 2014, 17h30. Le compositeur Richard Wagner entretint avec les juifs des rapports plus riches et plus complexes que ce que peuvent laisser croire ses positions antisémites. La question est : Wagner fut-il plus antisémite que ces contemporains ? L’antisémitisme de Richard Wagner était de notoriété publique et pourtant, certains de ses mécènes les plus ardents étaient de confession juive. Dans ce documentaire, le réalisateur américain Hilan Warshaw se penche sur les rapports complexes qu’entretenait Wagner avec les juifs et raconte les histoires édifiantes d’Hermann Levi, le chef juif qui entendait comme personne la musique de son divin mentor, et celle de Carl Tausig, qui comptaient parmi ses collaborateurs les plus proches. Hilan Warshaw s’est rendu en Allemagne, en Suisse et en Italie, où le compositeur a vécu et travaillé. Au fil d’extraits d’opéra, à l’appui de nombreux interviews de personnalités, il aborde une question qui fait controverse : peut-on jouer les Å“uvres de Richard Wagner en Israël ? Le chef israélo-palestinien Daniel Barenboim ne s’encombre pas d’un tel cas de conscience : pour lui, le message d’amour et de compassion fraternel qui émane du Ring et la magie hypnotique de l’opéra Tristan und Isolde, sommet du romantisme européen (1865) suffisent à répondre à une « fausse question ». Pourtant, les opéras de Wagner sont toujours persona non grata en Israël…

arte_logo_2013ARTE. Wagner et les juifs. Dimanche 9 novembre 2014, 17h30. Documentaire de Michel Beyer et Steffen Herrmann (États-Unis, 2013, 52mn)

France Musique. Ce soir, L’Or du Rhin de Wagner, 20h (Bayreuth 2014)

Festspielhaus BayreuthFrance Musique. Ce soir, L’Or du Rhin de Wagner, 20h (Bayreuth 2014). Reprise du Ring 2013 à Bayreuth 2014. Sous la direction de Kirill Petrenko, ardent chef lyrique, le drame cynique wagnérien saura-t-il nous séduire ? Wagner, compositeur désespéré, amer, de surcroît incompris, conçoit une scène barbare. S’il y convoque la féerie, ou plutôt les personnages de la légende (naïades, nains, géants, dieux…), c’est à seule fin de les parodier pour mieux dévoiler l’horreur d’un monde politisé qui a perdu son harmonie originelle. Le cynisme que l’on dénonce souvent comme un détournement de l’oeuvre, est donc inscrit dans la partition et son livret, (rédigé par Wagner) et l’on a tort d’exiger de la féerie, là où elle n’apparaît que dans un certain dessein. L’enjeu de L’Or du Rhin est d’autant plus essentiel qu’en tant que Prologue, l’ouvrage, -préambule aux trois Journées suivantes-, pose clairement cadre, situations, enjeux et ambitions des personnages pour tout le cycle : ambition impérialiste de Wotan, manipulation générale dans un monde voué à l’or et les tractations politiques… C’est pourtant le début de la fin car même s’il se fait livrer par les géants défaits, son palais du Walhalla, Wotan a souhaitant prendre possession de l’univers, signe aussi son arrêt de Wagner : le Ring du Bayreuth 2014mort… La production diffusée ce soir par France Musique a soulevé bien des réactions plutôt contraires, au point que pour la première fois de son histoire, la colline verte présentait le Ring sans avoir vendu toutes les places. La machine Bayreuth fait-elle encore rêver ? On veut bien que le théâtre construit par Wagner propose la meilleure acoustique du monde … mais les voix souvent indignes et les mises en scène trop décalées refroidissent les ardeurs pour y venir en masse. Alors faîtes comme nous, savourez ou découvrez Le Ring de Bayreuth 2014, dans votre fauteuil, en suivant la diffusion sur France du premier volet de la Tétralogie, soir L’Or du Rhin, ce soir à partir de 20h.

Lire aussi  Bayreuth 2014 : Rien ne va plus !

Lire aussi la Tétralogie de Wagner, voir la distribution complète du Ring du Bayreuth 2014

Bayreuth 2014. Histoire d’un désastre annoncé ? Rien ne va plus à Bayreuth.

Festspielhaus BayreuthBayreuth 2014 : rien ne va plus ! Les prochaines semaines seraient-elles décisives pour Bayreuth ? Tout semble aller de plus en plus mal sur la colline verte léguée par Wagner qui y souhaitait déployer un festival populaire et généreux, accessible et magicien, totalement dévolu à son œuvre lyrique … Rien de tel en vérité depuis plusieurs années.  La Chancelière Angela Merkel, présente depuis 9 ans (2005) à chaque ouverture de festival a fait savoir qu’elle reportait sa présence en cours de Festival. Du jamais vu. Un camouflet pour Bayreuth dont la première soirée ne fait plus la une des médias, sauf peut-être pour le scandale qu’elle suscite ou l’agacement qu’elle engendre.

Crise sur le festival créé par Wagner en 1876

Tempête et désaffection sur Bayreuth

Wagner Katharina Bayreuth Eva WagnerDe fait, le Tannhaüser programmé ce 25 juillet, celui de l’Allemand Sebastian Baumgarten (créé in situ en 2011, et passablement laid à force de décalages à tout va) représente les choix contestés de la direction du Festival : provocation et relecture. Objectivement, Bayreuth en dépit de son prestige (de sa salle élaboré par Wagner, de son orchestre dans sa fosse semi-couverte…) ne fait plus rêver. Les productions agacent même d’année en année. Voix déséquilibrées (à part quelques têtes d’affiches dont le ténor Jonas Kaufmann), mises en scène absurdes, incohérentes, chefs inégaux… Bayreuth est de toute évidence un festival en perte d’aura : à trop vouloir élargir son audience, faire jeune et punk, rajeunir les lectures et oser de nouveaux dispositifs scéniques, la direction actuelle, partagée par les deux héritières et arrières-petites-filles du fondateur Richard, Katharina Wagner et Eva Wagner-Pasquier, a fini par sacrifier la qualité et la magie du lieu et de son offre musicale. Qu’en sera-t-il en 2015, quand Katharina prendra seule la direction du l’auguste maison familiale ? On peut craindre le pire de la part d’une femme de théâtre qui s’entête dans une ligne radicale. En LIRE +

 

Le Ring de Bayreuth 2014 : Ce soir le 3 août 2014 dès 20h, puis les 10,17 et 24 août sur France Musique (direction musicale : Kirill Petrenko)

 

 

 

Bayreuth 2014. Histoire d’un désastre annoncé ? Rien ne va plus à Bayreuth.

Festspielhaus BayreuthBayreuth 2014 : rien ne va plus ! Les prochaines semaines seraient-elles décisives pour Bayreuth ? Tout semble aller de plus en plus mal sur la colline verte léguée par Wagner qui y souhaitait déployer un festival populaire et généreux, accessible et magicien, totalement dévolu à son œuvre lyrique … Rien de tel en vérité depuis plusieurs années.  La Chancelière Angela Merkel, présente depuis 9 ans (2005) à chaque ouverture de festival a fait savoir qu’elle reportait sa présence en cours de Festival. Du jamais vu. Un camouflet pour Bayreuth dont la première soirée ne fait plus la une des médias, sauf peut-être pour le scandale qu’elle suscite ou l’agacement qu’elle engendre.

Crise sur le festival créé par Wagner en 1876

Tempête et désaffection sur Bayreuth

 
Wagner Katharina Bayreuth Eva WagnerDe fait, le Tannhaüser programmé ce 25 juillet, celui de l’Allemand Sebastian Baumgarten (créé in situ en 2011, et passablement laid à force de décalages à tout va) représente les choix contestés de la direction du Festival : provocation et relecture. Objectivement, Bayreuth en dépit de son prestige (de sa salle élaboré par Wagner, de son orchestre dans sa fosse semi-couverte…) ne fait plus rêver. Les productions agacent même d’année en année. Voix déséquilibrées (à part quelques têtes d’affiches dont le ténor Jonas Kaufmann), mises en scène absurdes, incohérentes, chefs inégaux… Bayreuth est de toute évidence un festival en perte d’aura : à trop vouloir élargir son audience, faire jeune et punk, rajeunir les lectures et oser de nouveaux dispositifs scéniques, la direction actuelle, partagée par les deux héritières et arrières-petites-filles du fondateur Richard, Katharina Wagner et Eva Wagner-Pasquier, a fini par sacrifier la qualité et la magie du lieu et de son offre musicale. Qu’en sera-t-il en 2015, quand Katharina prendra seule la direction du l’auguste maison familiale ? On peut craindre le pire de la part d’une femme de théâtre qui s’entête dans une ligne radicale.
RIng bayreuth 1876Cet été, retransmis intégralement et en décalé par France Musique, Le Ring de l’allemand Frank Castorf est à nouveau programmé (Kirill Petrenko, direction musicale ; consulter ici les dates des retransmissions du Ring de Bayreuth 2014 sur France Musique) ; après sa création en 2013, la production de cette Tétralogie a de la même façon que les spectacles précédents, suscité un immense scandale, semé d’irritation, d’ennui, de déception : les tableaux s’y succèdent à la façon d’une BD vulgaire aux effets anecdotiques. Mais les dysfonctionnements ne concernent pas seulement les têtes pensantes et le public : le metteur en scène lui-même, Frank Castorf, embauché après des tentatives vaines auprès de Wim Wenders, envisage de porter plainte contre les deux directrices : choisi au dernier moment, il lui aurait été refusé un délai décent pour travailler sur Le Ring ; surtout, l’intéressé regrette un climat de suspicion, de peur, un climat délétère digne de la guerre froide… imposé et entretenu par les deux corégentes. Ambiance. Bayreuth dans son projet originel, celui souhaité par Wagner, n’est plus que poussière. La Colline verte vit ses heures les plus délicates… à force d’être dénaturé, le Festival le plus célèbre de Bavière pourrait bien y perdre définitivement son âme et toute attraction. A part la fierté d’y obtenir une place, le mélomane avisé sait bien que les plus beaux spectacles wagnériens ne sont plus créés à Bayreuth. C’est bien tout le problème du Festival qui n’a plus l’exclusive du répertoire ni la garantie de la pertinence des propositions lyriques. Le signe alarmant le plus manifeste est envoyé de la billetterie cette année : alors qu’il fallait attendre jusqu’à 10 ans pour obtenir une place (après avoir été intégré sur une liste d’attente), Bayreuth en 2014 a mis en vente des billets sur son site internet… et certains spectacles (Le Ring justement), ne sont toujours pas complets. Une première et un comble pour un festival qui depuis des décennies proposait les soirées à guichet fermé. Rien ne va plus à Bayreuth.

Le Festival de Bayreuth 2014 n’affiche aucune nouvelle production (la dernière celle du Ring en 2013 se voulait emblématique). 7 opéras y sont présentés en 30 représentations jusqu’au 28 août 2014. Attention pour les heureux festivaliers qui pourront y goûter l’acoustique d’époque, le théâtre de Bayreuth est en restauration (la façade est totalement restaurée, comme la maison du compositeur ” Wahnfried “, – construite grâce à Louis II de Bavière pour Wagner entre 1872 et 1874-, également restaurée …

 

 

Illustration : le premier Ring représenté à Bayreuth du vivant de Wagner en 1876, grâce au financement alloué par Louis II de Bavière

Livres. François Bronner : François Antoine Habeneck (1781-1849)

habeneck francois antoine HABENECKCLIC D'OR macaron 200Livres. François Bronner : François Antoine Habeneck (1781-1849). Voici enfin une biographie dédiée à François Antoine Habeneck (1781-1849), figure majeure dans le Paris romantique et musical propre à la Restauration (le très rossinien Charles X) puis sous le règne de Louis-Philippe. Le sujet est d’autant plus important que la France  ignore toujours que Paris fut avant Vienne, une capitale symphonique européenne, concevant 14 ans avant les concerts philharmoniques viennois (fondés en 1842 par Otto Nicolaï), la Société des concerts du Conservatoire dès 1828 à l’initiative  du visionnaire Habeneck. L’idée était de constituer un orchestre indépendant d’une salle, entièrement dédié aux concerts, en s’appuyant sur la richesse des classes d’instruments du Conservatoire : défense d’un répertoire, professionnalisation des jeunes instrumentistes. Il est vrai que le répertoire qui y est joué, défendu par Habeneck lui-même reste majoritairement germanique, centré surtout autour des Symphonies de Beethoven, modèle pour tous : de 1828 à 1840, le chef d’orchestre estimé fait jouer toutes les symphonies de Beethoven, mais aussi les oeuvres de Mozart, sans omettre de donner sa chance aux jeunes compositeurs dont… le fougueux Berlioz : dans le temple de la musique beethovénienne, Habeneck crée la Fantastique le 1er novembre 1830, un événement décisif de l’histoire de la musique qui montre combien Paris grâce à Habeneck était devenu l’année de la Révolution bourgeoise, un foyer musical particulièrement actif sur le plan symphonique. Après avoir soutenu de la même façon Mendelssohn, les méconnus Farrenc ou Onslow (le Beethoven français), Schneitzhoeffer (compositeur pour La Sylphide) et Elwart, sans omettre ses confrères, Ries ou Spohr, Habeneck aura moins de curiosité, l’institution créée basculant dans une certaine routine. Dans le Paris post napoléonien, Habeneck, déterminé, assidu grava les échelons obstinément au sein de l’orchestre de l’Opéra : son génie de la direction d’orchestre (plus de bâton, plus de violon directeur) le distingue parmi ses pairs. Le chef s’impose irrésistiblement à Paris, comme chef principal à l’Académie royale (créant les opéras de Rossini dont Guillaume Tell en 1829), puis à l’Opéra. Travail en profondeur, sens des nuances, respect de la partition : tout indique chez lui l’un des premiers chefs d’orchestre, ambassadeur d’une éthique nouvelle, celle qui fit l’admiration entre autres de Wagner, le seul musicien parmi ses contemporains, sincère et tenace à lui rendre hommage ; mais aussi de Balzac qui le cite expressément comme l’emblème de la précision et de l’énergie. Cette exactitude lui inspire une autre réforme, celle de l’abaissement du ton de l’orchestre de l’Opéra devenu nécessaire au regard de l’évolution des styles et du répertoire joué. Habeneck est un boulimique, doué d’une grande activité, passionné par la question de l’écriture symphonique, beethovénien convaincu.

 

 

Habeneck, premier chef moderne

 

habeneck_02Pourtant engagé à défendre ses Å“uvres, Habeneck fut bientôt critiqué vertement par Berlioz dont la carrière de chef  (lui aussi) rivalisa rapidement avec celle de son contemporain…. triste retournement d’estime pour celui qui créa la Symphonie Fantastique (1830) puis le Requiem (1837). Après avoir recherché pour la réussite de ses concerts au Conservatoire, la direction foudroyante de son ancien ami, Berlioz n’aura plus bientôt d’adjectifs assez dépréciatifs pour enfoncer son premier défenseur… Violoniste dans l’Orchestre de l’Opéra de Paris (1804), Habeneck devient aussi professeur au Conservatoire (1808) ; nommé premier violon de l’Orchestre de l’Opéra en 1817 à 26 ans, il devient directeur de l’Académie royale de musique en 1821, puis premier chef d’orchestre à l’Opéra en 1825. Il assure la création des opéras majeurs de son temps : Guillaume Tell de Rossini, Robert le diable de Meyebeer, Benvenuto Cellini de Berlioz… A l’Académie, autour d’un recréation de l’Iphigénie en Aulide de Gluck (1822), il tente de soutenir les opéras français signés (Reicha, Berton, Hérold, Kreutzer)… sans grands résultats car le goût est italien et rossinien : un autre échec demeure la création du Freischutz de Weber, finalement accueilli par l’Odéon (certes déformé et dénaturé en 1824). Son grand Å“uvre demeure la création de la Société des concerts du Conservatoire en 1828, l’ancêtre de notre Orchestre de Paris institué par Charles Munch en 1967. Outre ses travaux pour la qualité d’un orchestre permanent à Paris, défenseur du répertoire symphonique, Habeneck en créant la nouvelle Société des concerts, institua le premier, une caisse de retraite en faveur des membres et musiciens sociétaires. Mort en 1849, Habeneck participe indiscutablement au milieu musical parisien, constatant l’engouement pour l’opéra italien et  la faveur unanime pour Rossini. Elément finalement dérisoire de la grande machine officielle française, son périmètre d’action est cependant fort étroit, confronté aux dysfonctionnements multiples et aux intrigues d’une administration paralysée, sans guère de moyens, mais aux ambitions affichées, contradictoires, toujours conquérantes.

L’auteur auquel nous devons chez le même éditeur : La Schiassetti, Jacquemont, Rossini, Stendhal… une saison parisienne au Théâtre-Italien, signe là une nouvelle réussite : il ne s’agit pas tant de préciser le portrait d’un chef et musicien exceptionnel (l’esquisse historique est en soi réussie) que de restituer surtout le bouillonnement d’une période musicale extrêmement riche sur le plan des initiatives nouvelles et de la création des Å“uvres. Le destin et l’oeuvre d’Habeneck malgré les tensions, oppositions multiples, jalousies qui sèment son parcours, n’en sont que plus admirables. Passionnant.

 

 

Livres. François Bronner : François Antoine Habeneck (1781-1849).  Collection Hermann Musique. ISBN: 978 2 7056 8760 1. 288 pages (15 x 23 cm). Prix indicatif : 35 €.

Lire aussi notre entretien avec l’auteur, François Bronner

 

 

Le Ring du Bayreuth 2014

wagner grand formatFrance Musique à Bayreuth.Wagner : Der Ring, les 3,10,17,24 août 2014. Que vaut Le Ring version Bayreuth 2914 ? La direction musicale est assurée par le chef Kirill Petrenko, né en 1972 à Omsk. Et pour chanteurs, un plateau de wagnériens méconnus/inconnus jusque là… C’est avéré, et depuis une décennie voire deux… les meilleures productions wagnériennes n’ont plus guère lieu sur la colline verte, et c’est bien le drame de Bayreuth actuellement. Ce ne sont pas les mises en scène décalées branchées souvent très laides ou tristement gadgets qui compensent l’absence de qualité musicale et de cohérence dramatique. Mais à chaque édition estivale du festival conçu par Richard Wagner lui-même, le festivalier est en droit d’espérer une surprise voire un … miracle. Assister au Ring dans le théâtre édifié par Wagner avec l’aide de Louis II de Bavière demeure en soi une expérience inoubliable : le premier Ring fut inauguré en 1876. La direction de Kirill Petrenko qui n’en est pas à son premier Wagner ni son premier Ring suffira-t-elle à emporter l’acuité expressive et poétique du drame wagnérien ? Souvent à force de minutie attentive, de souci hédoniste du son, les chefs en oublient surtout le mouvement enfiévré de l’action musicale … Et la mise en scène de Franck Castorff ? Qu’en sera-t-il en août 2014 ? Parions que ses décalages outranciers et sa frénésie confuse et laide digne d’une mauvaise BD ne provoquent le même agacement qu’en 2013 où le spectacle avait été créé et reçu de façon scandaleuse. A défaut de se déplacer à Bayreuth, France Musique diffuse les 4 volets de ce Ring Bayreuthien à écouter (plutôt qu’à voir).

petrenko-kirill-wagner-bayreuthL’Or du Rhin, dimanche 3 août 2014, 20h
La Walkyrie, dimanche 10 août 2014, 20h
Siegfried, dimanche 17 août 2014, 20h
Le Crépuscule des dieux, dimanche 24 août 2014, 20h

 

 

Approfondir
Consulter les distributions du Ring Bayreuth 2014 (Kirill Petrenko, direction) sur le site du Festival de Bayreuth

Lire notre dossier spécial La Tétralogie de Richard Wagner (1876)

L’Avant Scène Opéra spécial festival de Bayreuth

Habeneck : entretien avec François Bronner…

habeneckHabeneck : entretien avec François Bronner… En juin 2014, François Bronner fait paraître chez Hermann (collection musique) une nouvelle biographie du chef d’orchestre Habeneck, le créateur à Paris des Symphonies de Beethoven – qui compta tant pour la culture musicale d’un Berlioz par exemple, ou l’approfondissement d’un Wagner dans une autre forme (lire ci-après) qui discerne le premier, son sens de l’interprétation… Chrismatique et bienveillant, comme à l’écoute des jeunes musiciens venus solliciter son appui, Habeneck Å“uvre sensiblement pour l’établissement du grand opéra à la française, créant Guillaume Tell, Robert le diable, Les Huguenots… Entretien avec François Bronner dont le portrait ainsi composé, est l’un des plus complets sur la personnalité du créateur à Paris, de la Société des Concerts du Conservatoire dès 1828 mais aussi de la Symphonie fantastique de Berlioz en 1830.


Comme musicien et comme personnalité humaine qu’elles sont d’après vous les qualités les plus frappantes du chef Habeneck ?
François Bronner : Sa grande compétence musicale comme violoniste et comme chef d’orchestre (il avait une oreille d’une justesse exceptionnelle), son honnêteté intellectuelle et sa conscience professionnelle furent très souvent rapportées par ses contemporains. Mais il avait aussi un grand charisme qui lui donnait une étonnante capacité à convaincre et à réunir autour de lui les talents nécessaires à la réalisation des projets qui lui tenaient à cœur. Exigeant quant à la qualité du travail, il savait se montrer humain tant avec les musiciens d’orchestre qui le préférait à tout autre chef qu’avec ses élèves au Conservatoire. Enfin, il sera toute sa vie un ami et un soutien fidèle pour ses compagnons de jeunesse.

Qui a laissé le portrait ou le témoignage le plus proche et le plus fidèle de lui ? Pourquoi ?
Parmi ses contemporains, nombreux sont ceux, musiciens et écrivains, qui ont dit leur admiration pour le chef d’orchestre. Mais c’est, à mon avis, chez Wagner que l’on trouve un des plus intéressants témoignages, loin de toute flatterie et de toute redondance inutile. Dans les récits qu’il nous fait de ses quelques brèves rencontres avec Habeneck en 1839 à Paris, Wagner apparaît comme un de ceux qui sait le mieux, en quelques mots précis, comprendre la personnalité et l’art d’Habeneck.
A partir de ce qu’il a ressenti en entendant les répétitions de la Neuvième de Beethoven, Wagner nous montre la nouveauté apportée par le chef dans son travail avec un orchestre. Il parle enfin d’interprétation, et n’emploie plus le terme d’exécution, habituellement utilisé à l’époque, interprétation qu’il qualifie d’ « accomplie et saisissante ».
Mais sur le plan humain, Wagner nous donne aussi une image conforme à la réalité. Il le présente comme étant « le seul à tenir ses promesses » et il évoque un « homme au ton sec mais bienveillant » qui le conseille pour réussir à Paris (ce qu’Habeneck faisait toujours avec les jeunes talents venus le voir).

De quelle façon, Habeneck a-t-il marqué l’avènement du chef dans son acceptation moderne ?
Habeneck a su transformer la direction d’orchestre héritée du XVIIIe siècle et l’amener petit à petit à ce que nous connaissons aujourd’hui. De 1805 à 1815, ce sera avec l’orchestre des élèves du Conservatoire qui allait rapidement s’agrandir, rejoint par d’anciens élèves, amis d’Habeneck et tous excellents musiciens, qui étaient attirés par la nouveauté et le succès de ces concerts.
Ce travail pour le renouveau de l’orchestre et de sa direction trouvera sa plénitude avec la Société des concerts du Conservatoire dont la création en 1828 est l’œuvre d’Habeneck.
Sa contribution fut multiple, sur le plan technique, notamment dans l’organisation et la conduite des répétitions, comme sur les « performances » en séance publique.
Habeneck obtenait d’un orchestre « une force et une ardeur telles que je n’ai jamais rien vu de comparable » dira Weber. Et les nombreux témoignages de l’époque parlent d’une précision, d’un ensemble, d’un respect des nuances et d’une force, tous inconnus jusque là. Il savait faire monter un orchestre au paroxysme des forte aussi bien que de le contenir dans les plus infimes pianissimo. Cela pouvait déclencher chez le public des manifestations d’enthousiasme passionné. Berlioz utilise le qualificatif de « fulminant » pour la création sous la direction d’Habeneck de la Symphonie fantastique en décembre 1830. Notons aussi qu’à l’Opéra, c’est à Habeneck que l’on doit l’abandon de la direction au bâton héritée de Lully et de la disposition aberrante du chef ayant la plus grande partie de l’orchestre derrière lui.

Sur le plan de ses goûts pouvez vous préciser quels compositeurs il a défendu, dans le registre de l’opéra et celui des concerts symphoniques?

A l’Opéra, s’il appréciait Gluck, il fut aussi très proche de ses amis Rossini et Meyerbeer. En créant triomphalement le Guillaume Tell du premier, Robert le diable et Les Huguenots du second, il installait le grand opéra à la française dont le succès allait se maintenir durant tout le XIXe siècle.
Toute au long de sa carrière, Habeneck dirigera des concerts entièrement consacrés à Mozart, comme à Haydn. Toutefois le grand combat de sa vie sera de faire accepter en France les symphonies de Beethoven. C’était certainement les trois compositeurs qu’il aimait le plus. D’une manière générale, il avait relativement à la musique symphonique, une prédilection pour les œuvres du monde germanique. Il défendit la musique de Weber et appréciait fortement Mendelssohn. Mais il savait aussi faire une place à la musique française.
Ceci étant dit, il reste le cas Berlioz. Les relations commencèrent de manière excellente entre le chef d’orchestre qui soutint de son prestige le jeune compositeur qui de son côté l’admirait. Le point culminant en sera la création de la Symphonie fantastique sous la direction d’Habeneck. C’est seulement à partir de 1833, que les relations vont devenir tumultueuses et mouvementées du fait, entre autres, d’une rivalité lorsque Berlioz devint lui-même chef d’orchestre.

Propos recueillis par Alexandre Pham, juin 2014.

CD. Réminiscences : Wagner, Liszt, Strauss (Schatzman, Engeli, 2013)

reminiscence-claves-lisa-schatzman-violon-wagner,-liszt-straussCD. Réminiscences : Wagner, Liszt, Strauss (Schatzman, Engeli, 2013). Saluons le choix très subtil de ce programme tout en finesse et intériorité complice : de Wagner, deux transcriptions (sur les cinq) enchantent littéralement prouvant dans une instrumentation différente à l’original, ici pour violon et piano, la filiation évidente entre Wagner rendu intime, avec Brahms (en écoute aveugle, la plage 5, extraite des Maîtres Chanteurs, prière et ravissement, annonce toute la morsure amoureuse, l’élégance dépressive de Johann…). Le jeu du pianiste manque parfois de nuance et de naturel, plaquant les accords sans guère de langueur empoisonnée qui fait cependant toute la valeur de l’exceptionnelle “Ankunft bei den Schwarzen Schwänen”: où s’écoulent l’ivresse maudite, l’âpreté du poison tristanesque entre amertume et profond désespoir, mais aussi sentiment de révélation et de sombre mystère à l’image des cygnes noirs évoqué dans ce songe wagnérien d’une infinie et absolue langueur mystique. Pour nous, il n’est pas d’oeuvre de Wagner à la fois plus méconnue ni fascinante.
L’entêtant balancement des Liszt (Première élégie) surprend par sa proximité avec… Wagner, mais sur un ton plus exalté et extérieur que son gendre. La parenté climatique d’une pièce à l’autre est évidente et scelle la cohérence de ce programme envoûtant. Am Grabe Richard Wagner (S.135) confirme la couleur introspective et le jeu des hommages entre musiciens.

le violon enchanté de Lisa Schatzman

Les qualités musicales des deux interprètes ne sont pas à discuter : l’examen critique recherche plutôt les fruits de leur entente. Fusionnels dans Romance oubliée de Liszt, inquiétant et rugueux, le drame qui se joue sur la tombe de Wagner laisse un parfum d’étrangeté allusive d’une étonnante maturité, d’une éloquente profondeur. C’est dire aussi la modernité du dernier Liszt surtout lorsqu’il rend hommage à Wagner.
Les deux pièces de Strauss, originellement lieder permettent dans ces tableaux au romantisme vénéneux, embrumé par la langueur et l’ivresse wagnérienne, de détendre la tension d’un programme qui exige concentration et tension.

schatzman-lisa-violon-lyonnaiseDans la Sonate violon et piano (1888), les instruments reprennent leur parties authentiques dans une page inspirée, conçue par un Strauss qui semble faire la synthèse de Schumann, Brahms et Wagner. Ayant déjà à son actif Aus Italien, le jeune Kapellmeister à Munich est sur le point d’achever son poème Macbeth. La Sonate relève de cet héroïsme échevelé ; saluons l’amplitude suspendue des phrases très lyriques que la violoniste française exprime avec une finesse d’élocution idéale, parfois encore “gâchée” par le jeu moins calibré de son partenaire au clavier. L’andante cantabile noté “improvisation” exprime une suprême élégance moins artificielle qu’on l’écrit : sa profondeur se concentre en surface qui n’empêche pas un épisode central plus espressivo furioso très dramatique auquel succède l’enchantement enivré du dernier épisode ; là encore quel dommage que le piano ne se hisse pas au niveau de la violoniste.
Jamais en perte d’inspiration, Strauss se montre tout autant généreux dans le troisième et ultime mouvement : d’une ivresse souvent irrésistible où le violon brille par ses débordements rhapsodiques proche de la forme concerto. Rien ne semble faire reculer la violoniste trentenaire qui séduit immédiatement par sa franchise et son élégance. La lyonnaise aujourd’hui premier violon solo du Symphonique de Lucerne et qui fut la plus jeune élève à 6 ans de Tibor Varga, affirme une sensibilité rare, sertie comme un gemme précieux. Magnifique récital. Si le pianiste avait mieux soigné sa finesse agogique, le disque aurait assurément été un choc de première importance. Mais nous livrer les joyaux encore méconnus de la Sonate de Strauss l’année de ses 150 ans, reste bénéfique et opportun.

Réminiscences. Œuvres de Wagner, Liszt, Richard Strauss (Sonate pour violon et piano opus 18, 1888). Lisa Schatzman, violon. Benjamin Engeli, piano. Enregistrement réalisé en mars 2013. 1 cd Claves
 

wagner grand format

Wagner, ici transposé conserve sain envoûtante langueur suspendue ; il n’est pas d’oeuvre du génie de Bayreuth, à la fois plus méconnue ni fascinante : “Ankunft bei den Schwarzen Schwänen”…

 

 

 

 

 

 

Lisa Schatzman, violon (© Jürg Isler)

Livres. Serge Gut : Tristan et Isolde de Wagner (Fayard)

Gut serge tristan und isoldeLivres. Serge Gut : Tristan et Isolde de Wagner (Fayard)… Œuvre clé dans la production wagnérienne, mais aussi centrale dans toute la création musicale lyrique, l’opéra de Wagner : Tristan et Isolde (créé en 1865) se dévoile ici sous la plume passionnée, subjective de son auteur. Le texte analyse chacun des aspect de la partition, éclairant architecture harmonique, audace stylistique, accords suspendus, surtout cet accord fameux de Tristan… noyau fascinant d’une écriture qui ouvre sur l’inexprimable et le transcendant, sur le mystère de l’amour et l’impossibilité de le vivre sur cette terre (mensonge du jour, ivresse extatique de la nuit comme le développe l’acte II). Tristan une Isolde composé pendant le vaste chantier du Ring, n’exprimerait-il pas au plus près les thèses esthétiques de Wagner développées dans son passionnant essai sur la musique : «  Opéra et drame « ? – un essai que Richard Strauss considérait comme sa bible…  Voilà une évidence à laquelle le lecteur souscrit face à d’aussi bons arguments.

L’auteur explique la place de Tristan dans l’oeuvre de Wagner, la genèse de l’ouvrage, sa singularité face aux opéras Siegfried, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg jusqu’à Parsifal… les thèmes du mythe tristanesque sont ici argumentés et analysés : l’amour et la mort, le jour et la nuit, et certains passages sont plus minutieusement étudiés tels le Prélude et la mort d’amour (Liebestod). Même la liste précise des quelques 62 thèmes musicaux (Leitmotive) permet d’identifier les éléments structurels d’une partition complexe mais pas compliquée, aussi dense et versatile que le mouvement des sentiments.

Particulièrement passionnants les chapitres dédiés à la structure tonale des actes II et III et leur signification sémantique et le complément analytique consacré au traitement orchestral dans Tristan und Isolde. Le regard embrasse toute une vie, un destin aussi, celui de Wagner empêtré dans la malédiction de l’amour (pour Mathilde Wesendonck). Et l’on comprend mieux le fil ténu d’une écriture qui témoigne de sa expérience face à la puissance amoureuse, elle-même inspiratrice de l’œuvre d’art totale à laquelle aspire toutes les forces du compositeur démiurge. C’est une route sinueuse de sentiments radicaux et exacerbés qui fait de Wagner, le compositeur de l’amour, mais une force vécue, éprouvée qui subit l’influence du pessimisme de Shopenhauer et celle de Feuersbach : ayant atteint un sommet avec le duo Siegmund/Sieglinde de la Walkyrie, Richard laisse reposer la composition de Siegfried pour se consacrer à Tristan… ainsi pourra-t-il écrire le duo Siegfried/Brünnhilde. Mais se défaire d’une telle épreuve musicale et personnelle, Wagner compose sa comédie Les Maîtres Chanteurs pour revêtir non pas l’habit du jeune champion réformateur Walther, mais plutôt celui du maître artisan philosophe, Hans Sachs, qui le mène vers la voie du renoncement … celle de Parsifal (le dernier visage du Wagner mystique, désormais convaincu par les enseignements de Bouddha).  Passionnant.

Livres. Serge Gut : Tristan et Isolde de Wagner (Fayard). EAN : 978221368113. Parution : 28/05/2014. 288 pages. Format : 120 x 185 mm. Prix public TTC: 17 €.

Centenaire du ténor Wolfgang Windgassen (1914-1974)

Windgassen-Wachter-1963-275Né en 1914 à Annemasse (Haute-Savoie), Wolfgang Windgassen incarne le ténor wagnérien par excellence, loin des caricatures actuelles qui s’entêtent à imposer l’image d’un hurleur surpuissant, poitriné, sans éclat ni nuances. La preuve apportée par Windgassen marque l’histoire des grands interprètes à Bayreuth dont le sens du verbe, la clarté plutôt que la vocifération laissent un standard d’excellence encore aujourd’hui difficile à renouveler. Formé au chant par ses parents, -tous deux chanteurs lyriques, Wolfgang est recruté par Wieland Wagner à Bayreuth en 1951 (pour y chanter Froh et déjà Parsifal) : il y chante tous les rôles importants, assurant parfois en quelques semaines, plusieurs parties dans des opéras différents, attestant d’une santé sidérante : Lohengrin, Tristan, Siegmund (Walkyrie), Siegfried (Ring), Walther (Les Maîtres Chanteurs), et bien sûr, Parsifal.

Centenaire du ténor allemand légendaire Wolfgang Windgassen, héros bayreuthien

A Bayreuth, il s’affirme sous la baguette de grands chefs dont Clemens Krauss (Bayreuth 1953), Joesph Keilberth et Eugen Jochum (pour Lohengrin), et dans les années 1960 : Sawallisch, Solti (qui l’engage pour sa première intégrale discographique stéréo du Ring : 1958-1966 où le ténor allemand chante un siegfried anthologique), enfin Karl Böhm.

Au début des années 1970, il s’illustre dans la mise en scène, puis, de 1970 à sa mort en 1974 (8 septembre), dirige l’opéra de Stuttgart, une ville qui avait accueilli ses années de perfectionnement. Chez Windgassen, l’intelligence du chanteur, comblé par une technique de diseur exceptionnel, se mariait à un jeu d’acteur souvent irrésistible. Wolfgang Windgassen a été aussi un excellent Radamès (Aida de Verdi).

 

Illustration : Wolfgang Windgassen (debout) à Bayreuth

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra National de Paris, le 8 avril 2013. Wagner : Tristan und Isolde. Robert Dean Smith, Franz-Josef Selig, Violeta Urmana… Orchestre et Choeur de l’Opéra National de Paris. Philippe Jordan, direction musicale. Peter Sellars, mise en scène. Bill Viola, création vidéo.

WAGNER EN SUISSEPremière de Tristan et Isolde de Richard Wagner ce soir mais reprise de la production signée Peter Sellars de 2005, le spectacle commence par une minute de silence dédiée à la mémoire de Gérard Mortier. Le temps paraît voler, puisque deux clins d’œils après nous sommes submergés dans le chromatisme puissant du célèbre prélude. En l’occurrence, il est puissant mais aussi raffiné. C’est grâce à la baguette sensible mais intelligente de Philippe Jordan, qui dirige l’Orchestre National de l’Opéra de Paris de façon impressionnante. Comme souvent chez Wagner, l’orchestre est le véritable protagoniste.

Long poème de l’amour et de la mort

L’opéra, sur le livret du compositeur, est un poème à l’amour transcendé par la mort. Donc, très peu d’action. Le drame est heureusement enrichi d’un chromatisme exprimant le désir d’amour et de mort, véritable prélude à la rupture de tonalité. Ceci, avec l’impression d’un flux musical continu, fait de l’œuvre une pièce révolutionnaire du romantisme finissant. Le couple éponyme est interprété par Violeta Urmana et Robert Dean Smith. Les chanteurs partagent un fait curieux dans leur vie professionnelle. Les deux ont commencé leurs carrières dans un registre vocal différent, elle ancienne mezzo, lui ancien baryton. Cette curiosité s’est vite transformée en explication, vues les limites des chanteurs en cours de prestation. Le Tristan de Robert Dean Smith commence de façon presque alléchante, mais nous remarquons rapidement que ce Tristan a la voix fatiguée. Si au début de la représentation, nous avions perdu la notion du temps, vers la fin, au 3e acte, nous avons presque perdu la notion du protocole ; Tristan souffrant et ringard (nous reviendrons sur le jeu d’acteur plus tard et la mise en scène), tu n’es toujours pas mort ??? L’Isolde de Violeta Urmana est plus équilibrée, plus heureuse affirmant plus de brio. Si elle pourrait gagner à une plus grande souplesse dans les aigus, la soprano a un timbre altier auquel il est difficile de rester insensibles, et campe une performance avec de la profondeur et beaucoup de vigueur.

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La Brangäne de Janina Baechle met du temps à se chauffer, mais quand elle y est, elle se révèle sensible et chaleureuse avec un zeste d’esprit maternel et protecteur. Franz-Josef Selig en Roi Marke est à son sommet expressif, il fait preuve d’un legato d’une sensualité bouleversante ; son chant est sensible et profond. Remarquons également le Melot de Raimund Nolte, toujours aussi plaisant à entendre qu’à voir, en plus chantant pour la première fois à l’Opéra de Paris, ou encore le marin et le berger d’un Pavol Breslik … rayonnant.

Le metteur en scène Peter Sellars s’est associé à l’artiste contemporain Bill Viola pour cette production. La mise en scène, normalement sobre et épurée, avec le décor unique minimaliste effacé et utilitaire, dépend presque exclusivement de la création vidéo du dernier, omniprésente et d’une beauté et d’une complexité étonnantes. Dans cette réalisation cinématographique, Bill Viola se montre maître de son art. A l’intérieur nous trouvons un couple terrestre et un couple céleste, ce sont les couples sur lesquels nous devons focaliser l’attention. Puisqu’il se passe très peu de choses pendant les plus de 5 heures de représentation, la vidéo rehausse la tension et présente une nouvelle strate de lecture du texte. L’effet est hallucinant ! Bill Viola se sert de l’effet ralenti, d’un riche chromatisme visuel, des juxtapositions des plans, des jeux des perspectives et de bien d’autres effets pour s’accorder à la richesse et à la complexité de la partition et des émotions des personnages. Cette incroyable vidéo est sans doute l’un des aspects les plus saisissants de la production.

Alors, pourquoi le public de Bastille inonde la salle de huées contre Bill Viola quand il monte sur scène pour les saluts ? Nous voulons croire qu’il s’agît peut-être d’un malentendu. Peut-être, puisque Peter Sellars n’a pas participé à la reprise et donc n’était pas là pour les huées et les applaudissements, le public l’a confondu avec l’artiste vidéo. Mais on se demande encore pourquoi cette violence si réactionnaire ? Peut-être parce que, les chanteurs laissés à eux-mêmes pour le jeu d’acteur, ont essayé de remplir l’action avec des gestes décidément maladroits et contradictoires à la nature de la production. Ainsi le Tristan de Robert Dean Smith, surtout, souffre et se fourvoie comme s’il s’agissait d’un Don José appassionato interprété par un ténor italien de la vieille école. Il y a déjà assez des cris et des chuchotements dans Tristan et Isolde, le terrible bruit visuel qu’ajoutent ces gestes distrayants et contrastants fut peut-être insupportable pour une partie du public, mais, insistons encore, la performance des artistes ne mérite pas ce type de réaction. Quoiqu’il en soit une performance vocale, musicale et visuelle à voir et revoir pour juger sur pièces ; le chef et l’orchestre y sont captivants à l’affiche de l’Opéra Bastille, les 17, 21, 25 et 29 avril ainsi que le 4 mai 2014.

Livres. Pascal Bouteldja : Un patient nommé Wagner

Wagner le patient wagner pascal Bouteldja livre biographie isbn_978-2-914373-93-7Livres. Pascal Bouteldja : Un patient nommé Wagner. Wagner par lui-même, dans son corps, au fil de son humeur et de son état physique… La patient Wagner peut-il nous informer davantage sur l’homme et sur le compositeur ? Les amateurs comme les curieux y puiseront une source nouvelles d’informations : Un patient nommé Wagner, chronique médicale qui suit les épisodes de la vie du musicien, exploite fort judicieusement un grand nombre de sources inédites en français. Annotations et rédaction biographiques sont remarquablement précises et documentées.
Ni rapport médical avec jargon inaccessible, ni anecdotes superfétatoires, chaque précision sur l’état de santé du patient Wagner intéresse le rythme même de la composition, les accents, accélération ou dénuement de l’écriture, tout au long de la vie… L’auteur restitue ainsi une narration biographique au diapason des maladies et dysfonctionnements physiques de l’homme. La médecine chinoise et tibétaine rétablit ce que l’occidentale ne cultive que rarement : le lien entre le physique et le psychique.
Comment écrire sans être en forme ? L’équation éclaire une nouvelle façon de comprendre et connaitre Wagner à son bureau. Par empirisme, par originalité aussi, le compositeur suit plus ou moins les indications de ses médecins… souvent en toute déraison : cures hydrothérapiques et régimes draconiens, soucieux de trouver une oreille scientifique marginale donc sympathique qui vibre avec lui sur son état profond. Wagner fut un grand psychosomatique, centré sur sa personne, habité par la question de sa mort, de son devenir… Petit mais nerveux et souvent illuminé voire trop familier et même grossier malgré lui dans l’intimité avec ses proches, Wagner se dévoile sous un éclairage plus nuancé que bien des biographies classiques : le caractère est entier, impétueux, d’une certitude qui en impose. Malgré ses multiples maux, le compositeur ne se résoud jamais à abandonner le travail ni la plume. Son œuvre lyrique le tient éveillé jour après jour, porté par une énergie intacte jusqu’à la fin, jusqu’à sa mort survenue des suites d’un infarctus du myocarde. L’auteur lui-même médecin, et vice président du Cercle Wagner de Lyon, nous dévoile en connaisseur exigeant, jamais littéralement admiratif mais en quête de vérité, et comme jamais jusque là, l’activité d’un génie de la musique dans le quotidien de sa vie la plus intime. Passionnant.

Livres. Pascal Bouteldja : Un patient nommé Wagner (éditions Symétrie). ISBN 978-2-914373-93-7. 328 pages. Editions Symétrie. Prix public indicatif TTC : 40 euros.

Livres. Daniel Barenboim : La musique est un tout (Fayard)

fayard daniel barenboim la musique est un toutLivres. Daniel Barenboim : La musique est un tout… Voilà un opuscule que beaucoup d’artistes devraient méditer, assimiler, régulièrement consulter et interroger : leur place dans la société, la relation salvatrice de l’art et de l’engagement philosophique, sociétal à défaut d’être politique, y gagnent un manifeste qui vaut témoignage exemplaire. Il n’est pas d’équivalent en France à la personnalité transnationale du chef charismatique Daniel Barenboim aujourd’hui : une telle hauteur de vue, une telle pensée musicale et artistique se font rare et qui dans sa suite défendront les mêmes valeurs ? Humaniste engagé, en particulier au service de la réconciliation des peuples au Moyen Orient, Daniel Barenboim qui a la double nationalité (palestinienne et israélienne) s’exprime ici en textes choisis, déjà connus et publiés, mais rassemblés avec quelques autres plus récents (premier chapitre ” éthique et esthétique ” où l’acte musical est désormais investi d’une exigence morale). Le chef argumente sa vision de la musique, une chance pour l’humanité de sauver son destin trop marqué par la guerre, la destruction, l’incommunicabilité. En homme de paix qui a côtoyé les plus grands politiques, Daniel Barenboim précise aussi ici une manière d’idéal de vie, une formule personnelle qui s’appuyant sur l’expérience et les rencontres, brosse le  (l’auto)portait d’un homme de bonne volonté, préoccupé par le sens de l’histoire et de la société, l’avenir des peuples pour lesquels l’offrande musicale pourrait s’avérer salutaire. Une forme de vivre ensemble, de penser autrement le monde qui suscite évidemment l’admiration.

 

Penser la musique

l’acte musical, un humanisme concret

CLIC_classiquenews_2014En intitulant cet ouvrage ” La musique est un tout “, Daniel Barenboim relie l’activité artistique à une pensée critique, soucieuse d’améliorer le destin des sociétés ; l’homme de lettres prend pour son compte, l’Å“uvre de la musique dans nos vies, en particulier dans l’histoire belliciste des Israéliens et des Palestiniens, programmés à une lente mais irrésistible autodestruction s’il n’était des espaces d’échanges et de reconnaissance comme ceux que permet la musique, en dehors du champs politique et militaire. La musique n’est pas une activité déconnectée du monde et des hommes : Daniel Barenboim en son combat admirable nous le prouve ici dans le texte.
S’il y a une solution entre palestiniens et israéliens, celle ci peut voir le jour par la culture et la musique : tel est son combat, la motivation première de son orchestre abolissant les barrières et les frontières, le West Eastern Diwan Orchestra, composé de jeunes musiciens de toutes les nationalités et toutes les confessions.

Dans ” éthique et esthétique “, Barenboim précise le statut et la mission de l’interprète, au service de la musique, non de lui-même (servir la musique plutôt que se servir de la musique) ; la place active du spectateur qui rétablit le temps réel de la performance. Passionnantes les pages dédiées à Wagner et la question juive, l’hommage du chef aux habitants (de bonne volonté) de Gaza, pris en otages par les Israéliens et leur blocus abusif.

Chapitres essentiels à ce titre, le discours de Daniel Barenboim lorsqu’il reçut le prix Willy Brandt dont la personnalité politique reste un modèle à méditer réalisant cet idéal dont le chef fait son miel : «  vision, stratégie, courage » ; enfin on ne saurait trop recommander la lecture du chapitre intitulé « Wagner, les Israéliens et les Palestiniens » : tout y est expliqué et finement analysé. Barenboim expose les sources de la haine des Israéliens envers les Palestiniens, remontant aux origines de l’Etat d’Israël (1948) : un état qui fut créer sans cependant chasser ni dominer un autre peuple… A cela s’ajoute la question de jouer Wagner en Israël : Barenboim sait de quoi il parle, lui qui a dirigé Prélude et Mort d’Isolde devant un parterre d’Israéliens, non sans expliquer l’enjeu et le sens de sa démarche. Avant Hitler et les camps d’extermination, Wagner était joué à Tel Aviv par des juifs. La question n’est donc pas la musique de Wagner mais l’instrumentalisation qui en est faite par les extrémistes des deux bords.

Les derniers chapitres réunissent plusieurs transcriptions de conversations entre 2008 et 2011 où Daniel Barenboim, chef lyrique à la Scala, s’exprime sur diverses Å“uvres : Carmen, Don Giovanni, La Walkyrie. L’épilogue examine la question du tempo et du rapport métronomique chez Verdi, conception personnelle qui révèle l’admiration tardive du maestro pour le compositeur italien (pour son Requiem principalement). Le cas Barenboim rétablit l’espace libre, plein d’espoirs et d’espérance, où la culture se fait action concrète. Que vaut l’art sans conscience ? Un divertissement sans enjeux ni consistance. Pour ceux qui pensent que l’art et la musique peuvent changer notre société, et pour tous les autres qui en doutent encore, voici une lecture incontournable. L’offrande trop rare de l’un des derniers musiciens humanistes et engagés, soucieux de l’avenir de la culture et des hommes.

Rappel biographique. Pianiste et chef d’orchestre de réputation internationale, Daniel Barenboim est directeur artistique de la Scala de Milan et chef à vie de la Staatskapelle de Berlin, après avoir dirigé entre autres l’Orchestre de Paris (de 1975 à 1989) puis l’Orchestre symphonique de Chicago (de 1991 à 2006). Il est l’auteur de La musique éveille le temps (Fayard, 2008).

Daniel Barenboim : La musique est un tout. EAN : 9782213678085. Parution :  02/04/2014. 176 pages. Format :135 x 215 mm. Prix public indicatif TTC: 15.00 €

Livres. Wagner et sa réception en France (I) : le musicien de l’avenir

wagner-et-sa-reception-en-france-premiere-partie-le-musicien-de-lavenir-1813-1883Livres. Wagner et sa réception en France (I) : le musicien de l’avenir. La démarche est scientifiquement pertinente et les résultats des plus éloquents : Wagner et la France marquent un mariage consommé et passionnant voire passionnel, comme les deux éléments d’une équation primordiale. Ce premier volume devrait être suivi d’un prochain : il évoque dans un premier temps, l’ensemble des articles et témoignages écrits rendant compte de la création en France des oeuvres de Wagner, et donc de leur réception (voire plus rarement de leur compréhension) du vivant de Wagner.

CLIC D'OR macaron 200Les événements se précipitent d’autant plus facilement, comme les chapitres d’un roman imprévu, car l’homme, prêt à se passionner comme à détester, n’a jamais été facile ni étranger à une forme récurrente chez lui, d’ambivalence contradictoire. De quoi alimenter les critiques et violentes échappées à son encontre, outre les sentiments partagés que sa musique suscite dans les rangs des salles de théâtre et de concerts. L’auteur suit la chronologie de la vie de Wagner, en 8 chapitres qui chacun suivent les étapes importantes de la séquence. Parmi les épisodes les plus savoureux se détachent les séjours de Wagner à Paris (1839-1842), puis à l’époque de la création de Tannhäuser (1860-1862) puis de 1862 à 1870)…

De chapitres en épisodes, le lecteur comprend combien malgré Baudelaire le premier à amorcer une riche littérature wagnériste dès la création de Tannhaüser en 1860, les opéras de Wagner sont peu à peu découverts et compris que très progressivement, selon leur caractère stylistique propre : Lohengrin et Tannhaüser seront les plus largement diffusés, comme Rienzi (représenté en 1869) avant les autres. Le Wagner plus moderne, celui de Tristan et du Ring que dans les années 1870 et surtout 1880 (avec la création à Bayreuth de Parsifal en 1882 dont beaucoup de Français reviennent transfigurés comme des apôtres au retour du pèlerinage saint…).
Evidemment les événements historiques et l’antagonisme France Allemagne, suractive en 1870, d’autant plus catastrophique pour Wagner auteur d’Une Capitulation, pèsent de tous leur poids. Mais la série des concerts parisiens, les derniers, à partir des années 1880, – les fameux Concerts Populaires de Jules Pasdeloup (ardent wagnériste) dévoilent la dernière manière du maître de Bayreuth, quand est créé son dernier ouvrage, Parsifal en 1882 : extraits de plus en plus diversifiés du Ring (La Walkyrie chez Pasdeloup comme chez Edouard Colonne en 1881-1882), mais aussi des fragments du 3ème acte des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, de Rienzi (chez Pasdeloup et Charles Lamoureux à partir de 1881)…

De tous les textes et articles témoignant des opéras ou concerts Wagner à Paris, se dégagent une haine viscérale et quasiment culturelle de Wagner : Richard incarne l’étranger bruyant et énigmatique doué surtout pour la cacophonie (ce que l’on disait aussi du très français et très romantique Berlioz, autre conspué par ses messieurs de la critique musicale): la prose se confond à une galerie d’idées schématiques sur le fracas délirant germanique, définitivement antimusical. Seul évidemment Baudelaire, mais aussi le moins connu Gasperini (dès 1866), Reyer à l’endroit de Tannhäuser, et surtout Saint-Saëns, Bayreuthien de 1876, inspiré, plus objectif… incarnent une approche plus saine et argumentée du théâtre wagnérien.

Retour heureux de l’Histoire, après la mort de Wagner, sa musique, pourtant orpheline de son géniteur voit le contexte de ses représentations enfin dépassionnée. Amer, plutôt chahuté voire blessé par le milieu parisien, Wagner n’a jamais connu la juste reconnaissance ou le respect qu’il souhaitait à Paris. Il n’a cessé après sa première visite parisienne où il tentait vainement de faire jouer Le Vaisseau Fantôme et Rienzi, de critiquer l’esprit des parisiens comme le goût français en général. Sans Wagner, un rien revanchard vis à vis du public parisien et des critiques souvent incisifs et dépréciateurs, ses opéras ont pu vivre un cours tout aussi normal que d’autres ouvrages étrangers. C’est le sujet du second volume de la vaste étude entreprise par Michal Piotr Mrozowicki : la réception des Å“uvres de Wagner après sa mort. Comment la critique systématiquement négative de Wagner a-t-elle perduré jusqu’à nos jours, en particulier durant le dernier Ring à l’Opéra Bastille sous la direction de Philippe Jordan et dans la mise en scène de Günter Krämer ? Le constat devrait là encore être mitigé : si la guerre n’est plus de mise, la filiation hitlérienne visible dans cette production, dévoilant tout ce qu’ont de pangermaniste l’oeuvre et l’écriture wagnérienne, a suscité des dérapages désolants là encore de la part d’une partie du public et de la critique parisienne. Wagner est loin d’avoir apaisé les débats qu’il produit depuis ses débuts à l’opéra. Nous sommes l’un des rares médias spécialisés à avoir défendu cette production parisienne pour le centenaire Wagner 2013.

L’entreprise éditoriale réalisée ici par l’Université de Gdansk (avec donc un résumé conclusif en polonais, rigueur scientifique oblige) relève les défis de son sujet : la consultation est claire, les extraits des nombreux textes critiques d’époque bien choisis et parfaitement distincts du texte de présentation ajoutent à la valeur des sources ainsi étudiées. Lecture incontournable pour les wagnériens comme les amateurs en quête de repères. On attend déjà le second ouvrage plus proche de notre sensibilité contemporaine avec impatience et excitation.

Michał Piotr Mrozowicki : Wagner et sa réception en France. Première partie. Le musicien de l’avenir 1813-1883. ISBN: 978-83-7865-049-2. Parution : décembre 2013. 448 pages.

achetez le livre : Michał Piotr Mrozowicki : Wagner et sa réception en France.

Livres. Wagner : Les Maîtres Chanteurs. Avant Scène Opéra n°279

avant scene opera maitres chanteurs de nuremberg wagner 279 mars 2014 avant scene operaLivres. Wagner : Les Maîtres Chanteurs. Avant Scène Opéra n°279. Superbe édition, remarquablement complète dans sa nouvelle publication de mars 2014. Où tous les enjeux esthétiques, politiques, musicaux souhaités par Wagner, et les interactions dramatiques entre les personnages sont analysés, illustrations à l’appui, à travers le fil exhaustif du guide d’écoute (présentant le livret intégral avec en double lecture, chaque séquence musicale correspondante, commentée), à travers 5 thématiques identifiées et présentées en amorce, comme ” points de repères “.
Ce nouvel opus est complémentaire au précédent dossier sur Les Maîtres Chanteurs précédemment édité par l’Avant Scène opéra en 1989. Les amateurs seront donc bien inspirés de s’en rendre acquéreurs pour nourrir de nouvelles pistes de compréhension.

Ce que nous avons aimé en particulier dans cette nouvelle approche de la partition ” comique ” de Wagner : les enjeux politiques d’un opéra qui démontre et explicite deux esthétiques opposées ; la vitalité compositionnelle d’une partition qui assimile de façon géniale toutes les facettes du genre comique, procédés mis en Å“uvre auparavant et avec la même réussite par le duo Mozart et Da Ponte (drammas giocosos, comme Don Giovanni) ; …. Et l’on comprend mieux de façon lumineuse ce qui détermine dans l’ouvrage, la relation trouble du vieux cordonnier et si sage Hans Sachs vis à vis de la jeune beauté Eva en dépit de l’attirance de cette dernière pour le jeune chevalier Walther ; la complexe combinaison de l’héroïque et du comique dans un drame qui recherche la grâce et la transcendance en glorifiant l’art…

Compléments familiers aux apports des textes d’analyse, la discographie et la vidéographie des Maîtres Chanteurs. La récapitulation de toutes les productions de l’opéra dans le monde, de 1989 à 2013, et à Bayreuth de 1996 à 2012.

Wagner : Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Numéro spécial de l’Avant Scène Opéra n°279. Nouvelle édition, mars 2014. Parution : 05/03/2014. 192 pages. ISBN 978-2-84385-312-8.

2 versions disponibles sur le site de l’Avant Scène Opéra : broché physique ou à télécharger en PDF haute définition depuis le site Avant Scène Opéra. Les deux version 28 euros.

lien vers l’achat de la version pdf haute définition

Prochaine parution de l’Avant Scène Opéra : Anna Bolena de Donizetti, en liaison avec la production présentée à l’Opéra de Bordeaux en mai 2014.

Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg
Wagner Richard
Avant Scène Opéra n°279

Sommaire de la nouvelle édition

L’Å’uvre
Points de repère
Chantal Cazaux : Argument
Michel Debrocq : Introduction et Guide d’écoute
Richard Wagner : Livret original en allemand
Jean Matter : Traduction française

Regards sur l’Å“uvre
Hans Sachs : Ce qu’un chanteur doit chanter
Philippe Godefroid : Genèse et enjeux des Maîtres Chanteurs
Gérard Condé : Des règles pour aller plus loin
Jean-François Candoni : Stolzing contre Beckmesser
Françoise Ferlan : Rires et sourires
Pierre Flinois : Les Maîtres Chanteurs avec ou sans Nurnberg

Écouter, voir et lire
Philippe Godefroid : Discographie comparée
Pierre Flinois : Vidéographie comparée
Constance Malard : L’Œuvre à l’affiche
Au Festival de Bayreuth (1996-2012)
À travers le monde (1989-2013)

Bibliographie

Livres. Philippe Godefroid. Wagner et le juif errant : une hontologie (L’Harmattan)

godefroid_wagner_juif-errant-hontologie-donner-la-mort--l-harmattan-livre-mars-2014Livres. Philippe Godefroid. Wagner et le juif errant : une hontologie (L’Harmattan). Voici le troisième volet de la tétralogie dramaturgique (et critique) entreprise par l’auteur aux Editions l’Harmattan. Au centre de l’esthétique wagnérienne ici analysée et méticuleusement passée au crible, l’auteur met en lumière l’obsession du créateur de Bayreuth vis à vis de la corruption de l’art allemand par les tenants de la judéité. Idéalement documenté chaque entrée permet une immersion passionnante dans l’atelier et la pensée de Wagner, dans le fonctionnement du couple Richard-Cosima, dont le cerveau partagé exprime toujours et dans toutes les situations, une haine du juif assez terrifiante ; car ici, la posture tient d’un système politique tout à fait conscient de ses enjeux et de ses conséquences. L’auteur explique l’origine de ce phénomène, en particulier à travers le thème de l’errance et de la judéité : ont comprend ainsi que la pensée wagnérienne n’est pas née de rien mais synthétise et récapitule tout un pan de la conscience artistique et culturelle allemande, soucieuse d’affirmer sa prééminence et sa « pureté » sur l’ennemi français, face à toute l’Europe romantique.

Il est des chapitres qui pris séparément se révèlent passionnants dont l’exception dans la vie et la carrière de Wagner, pied de nez à son système si méticuleusement formaté, conduit et piloté : le « cas » Hermann Levi, maestro virtuose qui se révéla interprète de Parsifal (après Lohengrin et Tannhäuser) comme personne avant lui et dont le seul défaut fut d’être… juif. Nonobstant ses origines, Wagner l’a bel et bien adoubé en 1881 le choisissant parmi tous les autres possibles, pour diriger la création de son dernier ouvrage à Bayreuth.

Wagner, artiste chrétien, nationaliste et antisémite allemand, a le souci de la pureté, le soupçon de la corruption des êtres et de la perversion du monde ; il est obsédé par la fin de l’Histoire (Le Crépuscule des dieux tout en ménageant une issue bien peu précise en définitive : quel sens donner au dernier monologue de Brunnhilde pour conclure le Ring ?) ; sous une plume qui démontre sa connaissance détaillée des opéras de Wagner, l’auteur dévoile des regards transversaux, analyse sous tous ses aspects l’identité profonde de chaque personnages et précise en conséquence, la relation qu’ils ont à l’autre. Le regard est prioritairement psychanalytique et s’il se perd parfois en conjectures obscures, les connections qu’il établit d’ouvrages en ouvrages, de personnages en personnages, dévoile in fine, la cohérence organique et souterraine d’une oeuvre universelle.

La place du père, la filiation père et fils, le questionnement des origines plongent au coeur du doute wagnérien : qui suis-je ? D’autant plus que le compositeur serait en définitive né d’un père juif… Principale est aussi le rôle de la Femme en ces affaires, énigmatique et angoissant , catalyseur et castrateur (le «  cas Kundry » concentre ici toutes les contradictions d’une problématique constante).

L’auteur analyse et problématise tous les livrets de Wagner comme une source essentielle dont la cohérence n’est plus à débattre : chaque personnage y détient la clé d’une compréhension plus vaste. Mais en dehors des considérations purement psychanalytiques, le texte fourmillant d’innombrables digressions et développements sur tel thème répondant à un autre, souligne l’importance de la question wagnérienne : si le monde des hommes est corruptible, comment puis-je être sauvé ?

Philippe Godefroid: Wagner et le juif errant : une hontologie. Qui est ce qui est allemand ? – Donner la mort.  ISBN : 978-2-343-02761-6 • Parution : février 2014 • 500 pages. Édition L’Harmattan.

DVD. Wagner : Parsifal (Kaufmann, Mattei, Pape, Gatti, 2013)

Parsifal Jonas KaufmannDVD. Wagner : Parsifal (Kaufmann, Mattei, Pape, Gatti, 2013). De toute évidence, dans le rôle-titre, le ténor Jonas Kaufmann (44 ans en 2014) poursuit l’une des carrières wagnériennes les plus passionnantes : superbe Siegmund au disque (Decca), éblouissant Lohengrin à Bayreuth, son Parsifal new yorkais touche par sa sobriété, sa musicalité envoûtante qui dévoile l’intense et juvénile curiosité du jeune homme enchanteur, qui tourné vers l’Autre, assure l’avènement du miracle final. Le munichois né en 1969 incarne un héros habité par un drame intérieur, tragédien et humain, celui qui recueille et éprouve la malédiction de l’humanité pour la sauver…. par compassion, maître mot de la dernière partition de Wagner.

 

 

La perfection au masculin

 

CLIC_macaron_2014Il y a toujours chez le compositeur et particulièrement dans Parsifal le poids d’un passé immémorial qui infléchit le profil psychique de chaque personnage. Le seul affranchi d’un cycle de malédictions fatales reste le pur Parsifal, l’étranger, l’agent de la métamorphose espérée, ultime. La production du Met a été créée en 2012 à Lyon (coproduction). Peter Gelb en poste depuis 2006 l’intègre au Met dans une distribution assez époustouflante et certainement mieux chantante et plus cohérente que celle française. Ni trop chrétienne ni trop abstraite, la mise en scène de François Girard reste claire, sans en rajouter, centrée sur la possibilité pour chacun – pourtant détruit ou rescapé (Amfortas, prêtre ensanglanté et mourant qui agonise sans cicatriser ; Klingsor qui a renoncé à l’amour pour détruire et manipuler (Evgeny Nikitin assez terne) ; Kundry la vénéneuse, pêcheresse éreintée en quête de salut…, de renaître.

Katarina_Dalayman_Rene_Pape_Jonas_Kaufmann_Parsifal_2013_MET_Francois_Girard_wagner_KonigEfficace, la direction de Daniele Gatti sait imprimer le sens du rythme dramatique sauf au II où malgré la puissance sauvage et sensuelle à l’œuvre, la baguette étire au risque de diluer. Il est vrai que, – hier à Bastille Brunnhilde un peu courte, Katarina Dalayman accuse une sérieuse étroitesse émotionnelle et langoureuse en Kundry : on reste comme Parsifal étranger à sa froideur voluptueuse. Elle est, avec Nikitin trop prosaïque et rustaud, le maillon faible du plateau. Même les filles fleurs sont tout sauf énigmatiques et sensuelles, … une mêlée de glaçons bien ordinaires.
Les hommes en revanche sont… parfaits. René Pape familier du rôle et sur les mêmes planches métropolitaines offre son dernier Gurnemanz, racé, articulé, nuancé : un modèle dont on ne se lasse guère. Déjà honoré et salué pour un Onéguine fabuleux et un Don Giovanni non moins ardemment défendu, Peter Mattei décroche lui aussi la timbale d’or : son Amfortas exprime le désarroi d’une âme perdue, déchirée, anéantie et même le Titurel de Runi Brattaberg emporte l’adhésion par sa noblesse sans chichi : une humanité souterraine qui sait chanter sans schématiser ni caricaturer. Quels chanteurs !

Wagner : Parsifal. Jonas Kaufmann : Parsifal. René Pape : Gurnemanz. Peter Mattei : Amfortas. Katarina Dalayman : Kundry. Metropolitan Opera Orchestra and Chorus / Daniele Gatti, direction. Mise en scène : François Girard. Enregistrement live réalisé au Metropolitan Opera de New York en février 2013. 2 dvd Sony classical / Sony 88883725729

 

Rienzi de Wagner

Wagner en DVD ...Arte, docu. Wagner : Rienzi. Découvrir un opéra, le 12 février 2014, 5h05. Oui c’est un peu tôt pour écouter Wagner mais cet opéra là mérite évidemment que l’on s’y penche. Opéra de jeunesse, où Wagner assimile et s’approprie idéalement le modèle du grand opéra fixé par Meyerbeer en France (grand choeur, sujet historique, rôles de solistes impressionnants…). Rienzi pose d’emblée la figure du politique d’abord vertueux, élu par la voix populaire mais rapidement manipulé et englouti par le souffle de l’histoire cynique : les hommes ont toujours aimé brûler les idoles qu’ils ont un temps vénéré. La figure du héros fragile (annonçant ainsi Siegfried) se précise dès Rienzi. L’ouvrage connut un succès immense non pas à Paris où Wagner présent dans la capitale (1839) souhaitait le faire créer, mais à Dresde en 1842 : le jeune compositeur obtient alors le poste de Kapellmeister à la Cour de Saxe dès 1843, grâce à l’impact de son opéra. Volontiers déclamatoire, l’écriture de Rienzi brosse l’éclat du tribun qui se voue au bien public. Sa relation avec sa sÅ“ur Irène (grand soprano lyrique) est l’un des atouts de la partition, et exige deux interprètes de premier plan (duo extatique et solennel du V): le ténor est ici la clé de voûte d’un opéra magnifiant le politique vertueux, investi par une mission d’ordre spirituel. Constituant le trio tragique, Adriano (rôle travesti pour mezzo), l’amoureux d’Irène est lui aussi un personnage spectaculaire plein de fougue et de verve démonstrative, en particulier dans la dernière scène où il rejoint le couple fraternel dans le Capitole en flamme, incendié par le peuple versatile et manipulé qui rejette ce qu’est devenu Rienzi. Annonciateur des figures torturées de Tannhäuser, de Siegmund, et dans une moindre mesure de Lohengrin, le rôle de Rienzi demande une tessiture étendue et un souffle illimité, en particulier dans son grand solo du V (Allmächt’ger Vater): invocation en forme de prière d’une intensité épique irrésistible. Impressionnante par ses marches, processions, cérémonies, émeutes (annonciatrices des révolutions à venir), la partition suscite l’admiration du public à sa création. Wagner la reniera par la suite, raison pour laquelle elle ne figure toujours pas dans la programmation de Bayreuth.

 

Le Crépuscule des dieux à l'Opéra Bastille, jusqu'au 16 juin 2013

Richard Wagner connaît à Paris un échec cuisant. Son opéra Rienzi est écarté par les autorités …

Paris, 1839. Rienzi incarne finalement pour Wagner l’échec de son rêve parisien. A Paris, le jeune compositeur s’était vu supplanter la figure des plus grands compositeurs de Meyerbeer à Halevy, même les vaincre sur leur terrain : le grand opéra. Les trois derniers actes de Rienzi sont composés à Paris en 1839-1840. Wagner y recycle la leçon d’Auber dont il avait apprécié au plus haut point La Muette de Portici, important l’esprit insurrectionnel et révolutionnaire et aussi le sujet épique portant aux nues (puis dans sa déchéance solitaire), un tribun élu par le peuple aux plus hautes fonctions : Colà di Rienzo (figure populaire de la Rome du XIVème siècle). ChÅ“ur du peuple ivre de liberté, adoration d’un héros désigné… autant de «  formules «  désormais identifiées qui permettent la réalisation de l’esthétique du caractéristique, prônée par Hugo. Le feu d’une expression collective se répand ici dans les premiers actes ; puis, Wagner, dans le sillon de Halévy, change son écriture pour un schéma plus introspectif et clairement psychologique. Le dernier acte est le miroir d’un drame intérieur, celui de Colà di Rienzo : du collectif spectaculaire et fougueux à l’individuel tiraillé, solitaire et tragique, l’architecture dramatique s’inspire clairement de Halévy et surtout des Huguenots de Meyerbeer (1836). De toute évidence, Rienzi marque la maturité du jeune Wagner et aussi son échec amer à Paris, alors incapable de mesurer la modernité qui couve dans sa jeune inspiration…

Lire aussi notre dossier les premiers opéras de Wagner

 

arte_logo_2013Wagner, découvrir un opéra : Rienzi de Richard Wagner (1842). Documentaire. Rediffusion le 18 février 2014 à 5h05.

 

Compte-rendu : Orange. Chorégies, 12 juillet 2013. Wagner : Le Vaisseau Fantôme. Orch. Philharmonique de Radio France. Mikko Franck, direction. Charles Roubaud, mise en scène.


Vaisseau Fantôme Orange RoubaudDeux représentions prévues réduites à une seule faute de réservations suffisantes pour éviter le naufrage financier du gigantesque vaisseau au théâtre antique d’Orange : une unique soirée, mais exceptionnelle par la qualité de la production sinon la quantité désirable du public. Que manque-t-il à cet opéra de Wagner pour être populaire ? Rien, à y bien regarder, sinon cette sotte légende noire d’Å“uvre difficile, dont il faudra bien un jour couper les amarres pour  le laisser voguer sur la mer de la popularité en nos contrées frileuses même en été. Peut-être un effort d’explicitation d’un livret en allemand en vérité guère moins compréhensible que ceux en italien guère plus compris par la majorité des spectateurs.

 

 

De la légende du vaisseau fantôme à un Vaiseau Fantôme de légende …

 


De coupe encore traditionnelle, l’opéra a des airs facilement mémorables (couplets du marin, ballade de Senta, marche de Daland, etc, et une ouverture saisissante que presque tout le monde connaît sans le savoir). La trame est dramatiquement habile dans sa construction : exposition et présentation nette des personnages (Daland, le Hollandais, Senta, Erik), nÅ“ud de l’intrigue (deux amours de Senta en compétition), péripéties (crise et méprise) et dénouement tragique, mêlée habilement de scènes chorales de genre (les marins, les fileuses). Les deux héros sont l’âme même du romantisme : Senta, c’est une autre Tatiana romanesque qui a forgé dans ses rêves l’amour idéal, total, sacrificiel, qui l’arrachera à la banalité du quotidien (l’atelier de filature) et au prosaïsme cupide de son père. Le Hollandais maudit en quête de rédemption, est une sorte d’Hernani et il pourrait dire aussi :

Je suis une force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres !
Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends et jamais ne m’arrête.





Mais à l’inverse du héros de Victor Hugo (1830), c’est une force qui s’en va, qui voudrait s’en aller, qui désire couler doucement vers le gouffre apaisant, le repos éternel qui lui est refusé par Dieu et que seul peut lui octroyer l’amour d’une femme fidèle : face aux Éva pécheresses qu’il a connues dans son errance au long cours, Senta sera enfin, dissipé le malentendu, l’ « Ave », la rédemptrice, l’Éros bénéfique ouvrant la délivrance de Thanatos, la mort par l’amour. Ne pouvant vivre ses rêves, elle rêve sa vie jusqu’au sacrifice final qui donnera corps et vie au songe.

L’Å“uvre

Des personnages à la fois archétypaux, humains et surhumains. Du romantisme de son temps, Richard Wagner hérite et cultive le goût des légendes. Dans cet opéra en trois actes de 1843 dont il écrit le livret, il s’inspire de quelques pages du poète Heinrich Heine qui vient de publier Aus den Memoiren des Herrn von Schnabelewopski en 1831, ‘Les mémoires du Seigneur Schnabelewopski’ où est relaté une version de la légende ancienne du Hollandais volant et de son vaisseau fantôme.

Vaisseau fantôme : la mer a ses fantasmes, l’océan, ses fantômes, les deux, ses légendes. Une court les flots et les tavernes des marins réchappés aux vagues et tempêtes des vastes espaces marins, l’existence d’un bâtiment hollandais dont l’équipage est condamné par la justice divine qu’il a bafoué à errer sur les mers jusqu’à la fin des siècles. En effet, son capitaine, malgré une tempête effroyable au Cap de Bonne Espérance bien nommé, a décidé de prendre la mer un Vendredi saint, jurant qu’il appareillerait, dût-il en appeler au diable, qui le prend au mot.

Hollandais volant : un capitaine hollandais accomplissant en trois mois un voyage de près d’un an normalement, d’Amsterdam à Batavia (Djakarta), grâce au diable. Cela se passe au XVIIe siècle, époque où les Hollandais ont créé la Compagnie des Indes, courant les océans. La rencontre de ce vaisseau fantôme est considérée comme un funeste présage.

Une première version écrite de la légende est parue dans un journal britannique en 1821. La première version française a été publiée par Auguste Jal, Scènes de la vie maritime, Paris, 1832. Cela inspira, en 1834, la nouvelle de Heinrich Heine : Les Mémoires du Seigneur de Schnabelewopski qui servit de thème de l’opéra de Wagner quelques années plus tard. Victor Hugo cite aussi cette histoire dans La Légende des siècles :

C’est le Hollandais, la barque
Que le doigt flamboyant marque !
L’esquif puni !
C’est la voile scélérate !
C’est le sinistre pirate
De l’infini.

À notre époque, un film légendaire d’Albert Lewin en 1951 réactualise le mythe du Hollandais volant le mêlant à celui de Pandora, la femme maléfique qui ouvre la fameuse boîte de Pandore des vices, Pandora and the Flying Dutchman, avec la mythique Ava Gardner dans le rôle de l’héroïne qui, par son sacrifice, trouve à la fois sa rédemption et celle du capitaine maudit. Un film plus récent, Pirates des Caraïbes, en 2003, s’en tient au strict vaisseau fantôme.

Mais Heine, à la damnation éternelle du Hollandais ajoute un élément sentimental essentiel : le Hollandais damné a le droit de faire port tous les sept ans et seule la fidélité absolue d’une femme peut lui apporter la rédemption malheureusement, il a toujours été trahi dans son amour lorsqu’il met ses espoirs de rachat dans la dernière, rencontrée, après la tempête, dans le havre inespéré d’un port norvégien. Chez Wagner, c’est Senta,  déjà vaguement amoureuse du portrait du capitaine de la légende, qu’elle rêvait ou inventait, fille d’un capitaine norvégien qui n’hésite pas d’emblée à l’offrir en mariage contre les richesses du mystérieux Hollandais, bien qu’il l’ait déjà promise à Érik, désespéré.

Réalisation

On se répète à dire que Charles Roubaud, qui signe et soigne la mise en scène, est comme un oiseau dans l’eau dans l’immense scène d’Orange avec son habituelle équipe si bien rodée au lieu : il en occupe l’espace sans l’encombrer, le nourrit discrètement sans en appauvrir la grandeur. À jardin, deux cordages immenses tombant du ciel des cintres pour figurer le navire invisible de Daland amarré solidement pendant la tempête sans rompre sans doute des amarres avec Dieu ; à cour, comme le résultat d’une convulsion de la mer ou d’un cataclysme de la terre, lattes et lames soulevées, une formidable et spectrale épave, étrave de navire échoué, pointant du pic un ciel absent, coque, carcasse rouillée, trouée, percée de deux sortes d’orbites du bossoir des ancres solides l’attachant à une terre de chaînes d’un impossible naufrage souhaité : sobre et efficace scénographie d’Emmanuelle Favre. Des caisses, des coffres figurent simplement l’activité maritime et portuaire. Des vidéo discrètes de Marie-Jeanne Gauthé projettent la grisaille d’un mer en fureur et de fantomatiques icebergs, ‘montagnes de glace’ en norvégien, ou des pics vertigineux, de quelque fjord enténébré de nuit de tempête, puis des immeubles en briques sombres percé de fenêtres plus claires et, enfin, un vague décor obscur de grues, poutrelles, engins monstrueux de levage de port brumeux, avant que la carcasse ne soit tête de mort. Clair-obscur, ombre, pénombre, lumière nordique et onirique entre veille et sommeil d’une foule de gens, marins, femmes, que parfois, immobilisés dans le rêve ou le cauchemar, les éclairages ombreux de Jacques Rouveyrollis arrachent partiellement à la nuit avec des effets de peinture nocturne flamande ancienne ou « futuriste ». Les costumes de Katia Duflot, robes, jupes colorées, carreaux et rayures des femmes, hommes en cirés imperméables, se fondent dans la note générale sombre, à l’exception de Senta en clair, parée d’un voile, d’une voile pour l’envol final et du Hollandais, une longue redingote flottante sur un costume ancien gris selon la lumière ou vaguement doré, halo ou hallucination de la jeune femme. Roubaud réussit encore le miracle de faire vivre l’immense espace avec ces foules si maîtrisées en leurs mouvements, et de le rendre intime, familial avec la scène des fileuses devenues tricoteuses sûrement de pulls marins norvégiens, épargnant les encombrant rouets.

L’adieu du Hollandais du haut de la proue est saisissant de grandeur et Senta est emportée par une vague lumineuse comme sa chose naturelle pour clore cette épopée fantastique.

Interprétation



Élégant, digne dans son allure et figure, le Hollandais de Egils Silins, baryton-basse letton, a la même noblesse de voix, une belle ligne, une technique subtile qui lui permet de ne pas accentuer des graves peu profonds pour privilégier l’égalité et le volume de sa tessiture. Par une étrange méconnaissance du texte et de la partition, certains lui reprochent de ne laisser tonner sa voix torrentielle et tempétueuse qu’à la fin, logique expression au moment où il se croit trahi, oubliant qu’il est, jusque-là, un spectre torturé, intériorisant son tourment et avouant son espoir de façon confidentielle, en fantôme meurtri mais non tonitruant. Il est vrai, encore incongruité, qu’on veut le mesurer au géant Stephen Milling, basse somptueuse, qui campe un Daland plein d’allant, d’assurance, truculent, vraisemblable, vrai personnage de comédie à la limite de d » l’opéra-bouffe, deux registres différents du même ouvrage. Dans le registre d’opéra italien de son temps, Steve Davislim (Der Steuermann, ‘le marin ‘), ténor, apporte une touche lyrique et poétique, contrepoint léger au drame central. Souvent sacrifié, le rôle d’Erik, amoureux délaissé par Senta est ici puissamment, dramatiquement incarné par le ténor Endrick Wottrich, sorte de Don José du nord, dont la véhémence, l’amour, aussi fou que celui de la jeune femme pour le fantôme ou fantasme, relève du tragique humain se mesurant à la démesure d’une transcendance qui lui échappe.

Marie-Ange Todorovitch prête à Mary, sorte de contre-maîtresse de l’atelier des femmes, toute sa verve, sa gouaille, son aisance scénique et le velours sombre de son mezzo charnu. Quant à la Senta de Ann Petersen, elle est tout à tour, avec des couleurs et des volumes de voix adaptés à chaque moment du drame, la jeune vierge joyeuse et rieuse, fiévreuse, une mouette ou un ange déjà dans le tempête ou le ciel, et la femme décidée, l’héroïne grandiose, Tosca ou Isolde choisissant la mort pour être fidèles à l’amour qu’elles ont choisi pour destin.

Les chÅ“urs d’opéra de région (Nantes-Angers, Opéra-théâtre d’Avignon, du Capitole de Toulouse, ensemble vocal des Chorégies)
sont à la hauteur des parties que leur offre Wagner. L’Orchestre Philharmonique de Radio France est transcendé par la baguette autoritaire et tendre de Mikko Franck : sans tomber dans le pathos, il dégage le pathétique théâtral de la partition, déchaînant la tempête, l’apaisant d’un geste impérieux pour l’éclaircie du thème rêveur de Senta, mêlant et démêlant les thèmes tuilés avec une limpidité de mer transparente pour les brouiller aussitôt dans la houle amère du nord. Il habite les silences, les cuivres, les percussions même, existent dans des nuances presque irréelles de finesse. Son triomphe à la romaine fut mérité.

Der fliegende Holländer, ‘Le Hollandais volant’, Le Vaisseau fantôme de Wagner est venu hanter le mur antique et hantera longtemps notre souvenir.

Chorégies, le 12 juillet 2013. Richard Wagner :
 Der Fliegende Holländer.   Orchestre Philharmonique de Radio France, choeurs des Opéras de Région, direction musicale : Mikko Franck. Mise en scène : Charles Roubaud ; scénographie : Emmanuelle Favre ; costumes : Katia Duflot ; éclairages : Jacques Rouveyrollis ; vidéo : Marie-Jeanne Gauthé.

Distribution : Ann Petersen (Senta), Marie-Ange Todorovitch (Mary), Egils Silins (Der Holländer), Stephen Milling (Daland), Endrick Wottrich (Erik), Steve Davislim (Der Steuermann).

 

Photos :  © Philippe Gromelle