samedi 20 avril 2024

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Garnier, le 16 juin 2015. Gluck : Alceste. Véronique Gens, Stéphane Degout, Stanislas de Barbeyrac… Choeur et Orchestre des Musiciens du Louvre. Marc Minkowski, direction. Olivier Py, mise en scène.

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Alceste de Christoph Willibald Gluck ,  Mise en scène Olivier Py ,  MARC MINKOWSKI Direction musicale OLIVIER PY Mise en scèneReprise de l’Alceste de Gluck à l’Opéra de Paris ! La production de 2013 d’Olivier Py revient à son lieu de création en cette fin de printemps 2015. Un des opéras réformistes de Gluck, dont la dédicace à Léopold II, grand-duc de Toscane, réaffirme les principes de son inspiration : retour à une « pureté » musicale primitive, présentée comme noble simplicité, soumission de la musique au texte par souci de « vraisemblance », absence de toute virtuosité vocale, etc. Une des nos tragédiennes préférées, Véronique Gens, dans le rôle-titre est accompagné par une distribution de talent et les fabuleux Musiciens du Louvre dirigés par Marc Minkowski.

 

 

 

Gluck ou la réforme des cœurs / des moeurs

 

Il paraît qu’on a tendance à bien aimer les artistes qui savent faire de la pauvreté, vertu. Avec Gluck (et Calzabigi son librettiste originel), nous sommes devant une rupture avec le passé, avec l’opéra seria italien que le compositeur franconien décrie. Les nuances psychologiques s’affinent, le discours acquiert une nouvelle forme d’unité, les contrastes et les enchaînements ont comme but unique d’améliorer l’expérience dramatique, sans recourir aux procédés virtuoses jugés non nécessaires, ou superficiels et potentiellement nuisibles à l’expérience lyrique, qui est avant tout,  pour Gluck, une expérience théâtrale. Beaucoup d’encre a coulé et coule encore au sujet de la réforme Gluckiste, qui a surtout marqué l’esprit de la musique française au XVIIIe siècle et voit dans Berlioz un continuateur.

Le phénomène historique explique et illustre le rôle de Gluck dans l’histoire de la musique, et nous célébrons légitimement ses pages d’une beauté intense, mais non sans réflexion ni réserve. Pour faire le contrepoids à l’idolâtrie dont nombreux tombent devant Gluck le réformateur, nous présentons une citation de Jean-Jacques Rousseau, philosophe et musicien, extraite des « Fragments d’observation sur l’Alceste de Gluck » :

 « Je ne connois point d’Opéra, où les passions soient moins variées que dans l’Alceste; tout y roule presque sur deux seuls sentimens, l’affliction et l’effroi ; et ces deux sentimens toujours prolongés, ont dû coûter des peines incroyables au Musicien, pour ne pas tomber dans la plus lamentable monotonie. En général, plus il y a de chaleur dans les situations, et dans les expressions, plus leur passage doit être prompt et rapide, sans quoi la force de l’émotion se ralentit dans les Auditeurs, et quand la mesure est passée, l’Auteur a beau continuer de se démener, le spectateur s’attiédit, se glace, et finit par s’impatienter » (l’orthographe est d’origine).

 

 

 

Sincérités et profondeurs

 

 

alceste-gluck-palais-garnier-barbeyrac-gens-olivier-pyDevant la très bonne prestation des musiciens de l’orchestre dirigés par Marc Minkowski, il est difficile de s’impatienter, au contraire : nous sommes constamment stimulés par les talents combinés d’excellents musiciens qui maîtrisent parfaitement le style Gluckiste. A une musicalité d’une simple beauté se joigne un brio instrumental illustratif et puissant pour le plus grand bonheur des auditeurs. L’immense musicalité est sans doute partout chez les chanteurs-acteurs également. L’histoire inspirée de l’Alceste d’Euripide, où la reine décide de mourir pour sauver le roi Admète, est ce soir représentée par une distribution riche en talents et personnalités. Véronique Gens est une Alceste à la fois noble et dérangée. Une interprétation d’une grande humanité dont nous nous réjouissons en vérité. Habituée du rôle, elle y est tout à fait impressionnante que ce soit dans l’air « Divinités du Styx » à la fin du Ier acte, de grand impact, ou encore dans les duos du II et le trio du III. Son Admète est interprété par Stanislas de Barbeyrac, dont nous louons le timbre d’une ravissante beauté, tout comme sa plastique à la fois fraîche et distinguée. Son instrument est sans doute d’une élégance rare, son chant est bien projeté, sa présence est à la fois douce et affirmée, sa candeur et son investissement touchent l’ouïe et les cœurs… Mais, il a un souci avec les consonnes fricatives (ses S sonnent souvent comme des F voire des « th »anglais  non voisés ) et ceci représente une véritable distraction. Il est vrai qu’une Prima Donna assoluta comme Dame Joan Sutherland a fait une carrière à grand succès commercial et artistique avec une articulation très modeste dans toutes les langues sauf l’anglais (elle s’est améliorée plutôt vers la fin de sa carrière), ceci n’est pas le cas du jeune ténor, qui peut parfaitement bien déclamer ce qu’on lui propose. Si personne ne lui fait jamais la remarque, et nous constatons l’absence totale de commentaires à ce sujet dans les médias, il ne pourra peut-être pas s’améliorer dans ce sens. Il a une carrière prometteuse devant lui et nous lui souhaitons tout le meilleur.

Stéphane Degout dans le rôle du Grand Prêtre d’Apollon / Hercule est tout panache. En véritable chanteur-acteur, il a une aisance scénique tout à fait magnétique à laquelle se joigne un art de la langue française impressionnant et une voix toujours aussi solide. Ensuite, François Lis à la voix large et profonde campe un Oracle / Une divinité infernale sans défaut. Les coryphées Manuel Nunez Camelino, Chiara Skerath, Tomislab Lavoie et Kévin Amiel, sont inégaux mais nous félicitons leurs efforts de s’accorder à cet aréopage de l’excellence. Les choeurs sont quant à eux, … excellents dans leur expression. Félicitons leur chef Christophe Grapperon.

barbeyrac De-Barbeyrac-haute-photo-Y.-Priou-682x1024Saluons enfin l’œuvre d’Olivier Py, dont les témoignages publiques décrivent un « vœu » de pauvreté pour la mise en scène d’Alceste, tout à fait en concordance, il nous semble, avec les spécificités de l’opus. Ici ce vœu voit sa justification la plus frappante par les décors, des parois noires où cinq artistes dessinent et effacent en permanence au cours du spectacle, illustrant parfois de façon abstraite parfois de façon évocatrice certaines couches de signification du livret. Nous voyons ainsi par exemple un cœur géant, représentant la raison d’être de l’œuvre, illustrant la motif pour lequel Alceste décide de se sacrifier, par amour. Une mort d’amour qui sauvera le Roi Admète et dont elle prend la décision non sans hésitation. Une mort d’amour qui n’aura pas lieu puisque nous sommes bien en 1776 (année de création) et que M. Gluck, aussi réformateur soit-il, a une volonté de rupture avec les conventions… ma non tanto.
En dépit de ce vœu, Olivier Py nous fait quand même part de sa grande culture artistique avec une mise en scène, certes dépouillée, mais quelque peu pimentée de références délicieuses et parfois hasardeuses (nous pensons au danseur qui clôt le show, avec des mouvements très fortement inspirés du Nijinsky de l’Après-Midi d’un Faune, par exemple). Comme d’habitude les décors sont assurés par le collaborateur fétiche du metteur en scène, Pierre-André Weitz. Si les escaliers omniprésents, malgré leur modernité matérielle, renvoient directement au rêve scénique d’Adolphe Appia (1860 – 1928), metteur en scène et décorateur Suisse, et l’architecture mobile à Edward Norton Craig (1872 – 1966), acteur, metteur en scène et décorateur anglais, le tout paraît d’une grande actualité. Il existe surtout cette cohésion, cette unité que Gluck voulait, mais qui est à la fois commentée, illustrée, même parodiée par le biais des procédés scéniques et artistiques qui, comme d’habitude chez Olivier Py, poussent à la réflexion. Un véritable artiste qui se sert des artifices pour narrer les vérités. L’essence du théâtre en somme.

Cette Alceste de Gluck réalisé par Olivier Py, doit être vue, écoutée, comprise. Une reprise que nous recommandons vivement à nos lecteurs, encore à l’affiche au Palais Garnier les 18, 20, 23, 25, et 28 juin ainsi que le 1er, 5, 7, 9, 12 et 15 juillet 2015.

 

Illustrations : Différents tableaux de la production d’Alceste par Olivier Py, Stanislas de Barbeyrac, ténor (DR)

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