Sceaux, chĂąteau (92). Debora Waldman dirige Don Giovanni, les 13, 14 juin 2014, 20h30. Pour sa 14Ăšme Ă©dition, OpĂ©ra en plein air prĂ©sente un nouvel opĂ©ra en plein air, Ă Sceaux devant la superbe façade nĂ©obaroque du chĂąteau de Sceaux cĂŽtĂ© cour, le jeune chef dâorchestre brĂ©silienne Debora Waldman, lâune des baguettes lesplus inspirĂ©es de sa gĂ©nĂ©ration aborde le sommet lyrique du XVIIIĂšme siĂšcle Ă lâĂ©poque des LumiĂšres et qui par sa date, demeure le dernier opĂ©ra composĂ© par Mozart avec lâĂ©crivain libertaire et sĂ©ditieux, Da Ponte : Don Giovanni. Lâouvrage illustre la figure du sĂ©ducteur insaisissable Dom Juan de SĂ©ville qui sĂ©duit la belle Anna tout en Ă©tant pourchassĂ©e par son ancienne maĂźtresse, lâinconsolable et fidĂšle Elvira⊠mais une jeune servante Zerlina croise la route du conquĂ©rant ammoral qui sâempresse de lui faire une cour assidue. Personnification de la libertĂ© tragique, et pourtant dâune certaine façon maĂźtre affirmĂ© assumĂ© de son destin, Don Giovanni sait braver la mort et affronter les flammes infernales en un final spectaculaire.
OpĂ©ra libertaire dont la relecture Ă partir du XIX Ăšme siĂšcle, en fit âlâopĂ©ra des opĂ©rasâ: un manifeste funĂšbre et tragique, Don Giovanni demeure cependant, selon le voeu de son auteur, un âdramma giocosoâ. La vie traverse, palpitante et insolente, les personnages, les portant mĂȘme Ă ĂȘtre la quintessence du souffle vital, lâincarnation du dĂ©sir, de la pulsion sexuelle, lâĂ©nergie primaire⊠qui apporte les dĂ©rĂšglements sociaux ou lâexcĂšs dâordre moral. Don Giovanni et son âdoubleâ, Leporello, ne formeraient ainsi quâune seule personne au double visage, une sorte de Janus moderne quand Donna Anna et Ottavio, les amoureux hĂ©roĂŻques qui ne cessent de se lamenter, incarneraient plutĂŽt les tenants dâun systĂšme moral, tout autant condamnĂ©. Dâun cĂŽtĂ©, lâexaltation de lâaction; de lâautre, lâinhibition stĂ©rile, rĂ©pĂ©titive, Ă©touffante.
Entre les deux duos, seule Donna Elvira, sincĂšre dans son amour pour Don Giovanni, exprimerait la voie de la tendresse la plus pure⊠comme la plus aveugle. Les lectures du Don Giovanni de Mozart sont multiples. Chacune nâĂ©puise jamais la richesse et la complexitĂ© fascinante du mythe.
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modalités pratiques
Ouverture des grilles Ă 19h30. AccĂšs : Ă partir de Paris > Sur la RN20 Ă lâentrĂ©e de Sceaux / Prendre «lâallĂ©e dâhonneur»
- En voiture : 5km de la Porte dâOrlĂ©ans
- En transport en commun : RER B station Parc de Sceaux
De 57 à 84 euros selon les disponibilités par catégories.
INFOS PRATIQUES BILLET VIPÂ
Cocktail dßnatoire 20 piÚces sucrées salées
- Champagne à discrétion
- Plaid et programme Officiel
- Place en Carré Or
Ă partir de 19h30 : Accueil VIP
De 19h30 à 20h45 : Cocktail dans les Salons de Réceptions
à 20h45 : Début du spectacle
Réservations places normales ou places VIP sur le site FNAC.COM
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Notre avis. La direction affĂ»tĂ©e et vive de Debora Waldman (soirĂ©e du 14 juin Ă Sceaux, 92). Orchestre et voix amplifiĂ©s grĂące Ă un (assez bon) systĂšme de sonorisation, disposition surprenante de lâorchestre placĂ© sous le plateau supĂ©rieur avec pour consĂ©quence la situation de lâestrade de la chef dâorchestre que lâon voit de dos, se retournant vers les chanteurs et donc vers le public⊠le spectacle proposĂ© par OpĂ©ra en plein air nâest pas classique. Le plein air et le placement de la scĂšne au pied de la façade du chĂąteau imposent des conditions diffĂ©rentes de celle de la salle fermĂ©e dâopĂ©ra. Pour autant, le jeu des chanteurs, la succession des tableaux, lâenjeu des situations sont rĂ©alisĂ©s sans accroc grĂące essentiellement Ă lâexcellente direction musicale de la jeune chef dâorchestre Debora Waldman. Son expertise assure cette tension musicale nĂ©cessaire Ă la rĂ©ussite du spectacle. La baguette accomplit un tour de force malgrĂ© des conditions difficiles (ce soir du 14 juin prĂ©cisĂ©ment oĂč le vent plutĂŽt froid nâa pas manquĂ© de perturber la rĂ©alisation). La vision est claire, articulĂ©e, douĂ©e de nuances et dâun vrai souci de la continuitĂ© comme de lâarchitecture dramatique. Le si difficile finale du I avec la juxtaposition des danses en est lâĂ©lĂ©ment le plus emblĂ©matique : Ă la fois dĂ©taillĂ© et trĂšs expressif. CĂŽtĂ© chanteurs, les femmes sont honnĂȘtes sans plus ; le Leporello de Matthieu Lecroart percutant⊠a contrario du Don Giovanni de Jean-Gabriel de Saint-Martin, aussi sensuel et sĂ©ducteur quâun glaçon. Les spectateurs des autres reprĂ©sentations pourront apprĂ©cier quant Ă eux, les autres distributions face Ă une façade patrimoniale qui change selon les lieux dâaccueil. La direction de Debora Waldman elle sera toujours lĂ , prĂȘte Ă dĂ©fendre et ciseler coĂ»te que coĂ»te et non sans panache, lâopĂ©ra des opĂ©ras. A voir indiscutablement.
Tournée estivale 2014 de Don Giovanni de Mozart par Debora Waldman
17 dates Ă©vĂ©nements pour redĂ©couvrir le chef d’Ćuvre signĂ© Mozart et Da Ponte
13 et 14 Juin 2014 : Parc de Sceaux
20 et 21 Juin 2014 : ChĂąteau de Champ de Bataille
26, 27 et 28 Juin 2014 : ChĂąteau de Vincennes
4 Juillet 2014 : Cité de Carcassonne
29 et 30 Août 2014 : Chùteau de Haroué
9, 10, 11, 12 et 13 Septembre 2014 : Les Invalides (Paris)
19 et 20 Septembre 2014 : ChĂąteau de Fontainebleau
Don Giovanni dévoilé par Debora Waldman
Approfondir : grand entretien avec la chef d’orchestre Debora Waldman
Jeune baguette prometteuse dâune rare voire exceptionnelle capacitĂ© Ă sâengager pour la vĂ©ritĂ© des partitions, la jeune chef dâorchestre Debora Waldman dirige lâopĂ©ra des opĂ©ras, Don Giovanni de Mozart. Pas impressionnĂ©e, la musicienne prend Ă bras le corps lâexubĂ©rante et impressionnante Ćuvre mozartienne et nous en dĂ©voile plusieurs aspects clĂ©s avec une rare et trĂšs personnelle pertinence. Entretien avec Debora Waldman.
Quelle est votre vision de Don Giovanni (le personnage)? Et quel message le compositeur nous transmet-il Ă travers son ouvrage ?
Chez Tirso de Molina, il y a une structure thĂ©ologique et catholique trĂšs forte. Celui qui se moque de la sociĂ©tĂ©, des femmes, se moque avant tout de Dieu. Chez MoliĂšre, le personnage de Don Juan oppose la raison Ă la foi. On y retrouve la critique de ce qui insupportait dĂ©jĂ MoliĂšre dans Tartuffe (les fausses croyancesâŠ).
Pour moi, lâapport principal de Mozart et de sa musique est quâil fait sortir le personnage de sa dimension mythique pour devenir un ĂȘtre humain. Chez MoliĂšre, on a davantage de scĂšnes oĂč les personnages parlent de Don Juan, celui-ci Ă©tant absent. Alors que chez Mozart, on suit devant nous les actions de Don Giovanni. Câest un ĂȘtre en chair et en os, moins dans la rhĂ©torique que chez MoliĂšre.
Cela dit, il reste camouflĂ© derriĂšre le code social, noble dâapparence et prend lâair dâun « hĂ©ros » avec son inĂ©branlable fidĂ©litĂ© Ă lui-mĂȘme. Câest cette fidĂ©litĂ© qui fait sa grandeur.
Vu les questionnements de Mozart concernant « la mort » lors de la composition de lâouvrage (son pĂšre meurt en mai 1787), je ne peux mâempĂȘcher dâaborder lâopĂ©ra dâun point de vu philosophique.
Il ne sâagit pas simplement dâun « personnage puni qui finit mal » et dâune morale lumineuse, mais plutĂŽt dâun personnage qui existe par le regard que lâentourage porte sur lui, et par consĂ©quent, lors de sa disparition, la situation reste irrĂ©solue. Les autres personnages ne pourraient exister sans sa prĂ©sence.
La « ScĂšne derniĂšre », trace musicale du passĂ© (tel un chĆur grec antique) et Ă©lĂ©ment plus architectural que moral, reste ouverte et ambiguĂ«. Comme si par-dessus de tout, la puissance divine de la musique qui traverse lâĆuvre serait le message de lâopĂ©ra.
« Don Juan oscille continuellement entre lâĂ©tat dâidĂ©e, câest Ă dire la puissance, la vie, et lâĂ©tat dâindividu. Et cette oscillation est la vibration musicale » prĂ©cise SĂžren Kierkegaard.
De quelle façon Mozart exprime-t-il la force du personnage dans lâĂ©criture orchestrale ?
Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il est intĂ©ressant de remarquer comment Mozart trace par des gestes musicaux le portrait de Don Giovanni. Son caractĂšre extĂ©rieur et ardent est exprimĂ© dans « Fin châhan dal vino » par une orchestration agitĂ©e et euphorique. Son caractĂšre intĂ©rieur et sĂ©ducteur par lâintimitĂ© de la canzonetta (solo de mandoline, accompagnĂ© par les pizzicatos de cordes).
Deux moments clefs sont à souligner pour illustrer la force du personnage :
-Final Acte I (allegro) « Trema, o Scelerato » (Tremble scĂ©lĂ©rat), dans un vĂ©ritable tourbillon orchestral, Don Giovanni est accusĂ© pour ses actes de violences. Il y rĂ©pond avec une audace extrĂȘme « Ma non manca in me coraggio » (mais le courage ne me manque pas) sur un rythme qui se moque de la puissance accusatrice. La scĂšne aboutit Ă une apothĂ©ose de conflits dans une Ă©criture canonique des syncopes.
-Final Acte II : la grande scĂšne avec le Commandeur sur un rythme obstinĂ© de marche (funĂšbreâŠ) les cordes dessinent mĂ©lodiquement des flammes, alors que les cuivres et timbales ponctuent de façon religieuse le trajet musical. A cette intensitĂ©, Don Giovanni rĂ©siste « A torto di viltate, tacciato mai saro ! » (De lĂąchetĂ© jamais je ne serai taxĂ©).
Construit sur trois paliers, tout au long de ce passage, lâĂ©criture orchestrale Ă©volue des flammes mentionnĂ©es (encore de ce monde) vers des contrastes radicaux de nuances (trĂ©molos des cordes) dans lâaffrontement avec le Commandeur. Peu Ă peu, lâaccĂ©lĂ©ration de lâĂ©criture se transforme en un feu infernal (gamme descendante agitĂ©e) auquel Don Giovanni finit par succomber.
En tant que chef, y a-t-il des passages dans lâopĂ©ra, particuliĂšrement intenses, vrais dĂ©fis pour la direction ?
Absolument, je vais illustrer un autre passage (en plus de celui du Commandeur dĂ©jĂ mentionnĂ©) qui est celui du Bal de la fin du premier acte et la superposition des trois danses. Cette scĂšne est un exemple de la virtuositĂ© de Mozart. Câest la musique qui construit la rĂ©alitĂ© dramatique : trois danses aux mĂ©triques diffĂ©rentes vont se superposer pour symboliser lâincompatibilitĂ© des classes sociales : Le menuet (3/4 Don Ottavio et Donna Anna), lâAllemande (2/4 Leporello et Masetto) et la Contredanse (3/8 Don Giovanni et Zerlina), jouĂ©s simultanĂ©ment dĂ©sagrĂšgent la supposĂ©e harmonie des personnages, et de cette anarchie dĂ©coule lâacte de violence de Don Giovanni envers Zerlina. Câest la coexistence de trois pensĂ©es, dans le mĂȘme espace temporale, dâun modernisme inouĂŻ. Tenir compte de la forte structure du discours, rĂ©partir le juste poids des sections pour que lâarrivĂ©e Ă ces points intenses soit organique, est un vrai dĂ©fi pour le chef dâorchestre.
Propos recueillis par Alexandre Pham en mai 2014.
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Illustrations : Debora Waldman, Mozart (DR)