France Musique, dim 1er déc 2020. RAVEL : Gaspard de la nuit. La tribune des critiques de disques interroge l’enjeu de la partition pour piano de Ravel et distingue les meilleurs interprètes. Partenaire familier, et véritable double pianistique, Ricardo Viñes prête pour le lire, le Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand (1842). En découle sous le prisme poétique ravélien, trois « poèmes romantiques de virtuosité transcendante ». Ici dans le sillon même de Bertrand, Ravel s’inscrit en creux dans le travail des contrastes entre ombre et lumière, car Bertrand cite Rembrandt et Jacques Callot, dont le trait incisif des gravures relance l’éclat noir de la matière narrative. Dans l’imaginaire délirant d’un vieillard, ce Gaspard nocturne, fascinant / menaçant n’est autre que le diable. Dans son appartement de Levallois, Ravel se concentre et produit les 3 sommets du piano français au XXè, de mai à sept 1908. Une musique endiablée qui « fait galoper le sang » selon les termes du premier auditeur Viñes (janvier 1909).
Ondine est d’abord d’une fluidité féminine, aquatique, transparente et trouble à la fois, qui envoûte pour aspirer vers les profondeurs les plus sombres : son invocation (« écoute! ») capture et saisit, emportant sa victime au fond du gouffre sans fond. Ensuite Gibet enivre tout autant par sa triste et morne, langoureuse plainte funèbre, à travers son lugubre glas (si bémol répété 146 fois). Enfin Scarbo est une création purement poétique, née des divagations et incantations magiques du narrateur ; une manière de génie dont la présence et la proximité attestent de la réalité du songe et de l’enchantement, sortilège et transformation. En réalité, suivant de manifestes références cabbalistiques, les trois volets de ce triptyque enchanteur, suit les étapes de la matière en sa transmutation alchimique ; au fluide d’Ondine, répond la putréfaction des pendus au gibet ; jusqu’à la consomption pilotée par le génie Scarbo. Le parcours est d’essence magique ; c’est un rituel qui est aussi dévoration. Tout relève d’un envoûtement : le rire du nain Scarbo, l’aigre grincement de son ongle sur la soie ; ses acrobaties délirantes et son bonnet à grelot… puis son évanouissement comme d’une lueur qui s’éteint ; c’est une apparition qui foudroie et saisit. La face hypnotique d’un pur produit fantastique. D’un imaginaire poétique inédit jusqu’alors, la partition de Ravel invente un nouveau langage pianistique ; le piano poètique pictural, qui se suffit à lui même, puisqu’il ne fut jamais orchestré. Alfred Cortot saisit lui aussi déclare : « l’un des plus surprenants exemples d’ingéniosité instrumentale dont ait jamais témoigné l’industrie des compositeurs ». Le génie de Ravel est comme celui de Leonardo en peinture : rare mais fulgurant, mystérieux et énigmatique ; fasciné comme le génie de la Renaissance, par l’ombre : gouffre, passage, abstraction…
De toute les versions les plus récentes, celle du pianiste nous a le plus convaincu : lire notre critique de Gaspard de la Nuit par Dénes Varjon (né à Budapest en 1968), et aussi celle par Natacha Kudritskaya
http://www.classiquenews.com/cd-nocturnes-natacha-kudritskaya-piano-debussy-ravel-1-cd-deutsche-grammophon/
France Musique, dim 1er déc 2020. RAVEL : Gaspard de la nuit. La tribune des critiques de disques, 16h.