Toc et kitsch pour Massenet
Mais notre frustration ne s’arrête pas là. Chef plus habile et certainement plus convaincant dans l’opéra italien, Evelino Pido ne parvient pas à éviter le kitsch ni la caricature sucrée et suave d’un Massenet… académique et suranné; sa direction ne manque pas de nervosité ni de muscles, au point de paraître souvent brutale (dès l’ouverture et pendant toute la scène de l’hôtellerie à Amiens…), serrée, tendue voire sèche (si les bois, -la clarinette dès l’ouverture-, ont du relief et une rondeur juste, les cordes sont constamment dures et plates). Si au II, l’équilibre fosse/plateau gagne en chambrisme plus finement tenu, on attend toujours les vertiges alanguis, l’extase éperdue, ces moments de suspensions émotionnelles qui innervent tout le matériel musical d’un Massenet, toujours proche du coeur de ses héroïnes, … mais si étrangement absents ici.
En manque de fièvre et de finesse, la production ne décolle pas et ce n’est pas la mise en scène, confuse, encombrée, laide et bigarrée, finalement strictement décorative de Coline Serreau qui arrange les choses… sauf au II (la petite chambre des amants en fuite, à Paris, rue Vivienne) puis au III, à Saint-Sulpice, où l’épure et la simplicité visuelle faisant leur travail, les duos de Manon et Des Grieux (extase fusionnelle puis reconquête) se réalisent totalement: sans effets d’aucune sorte, le chant des deux âmes éperdues, celles de deux adolescents, se livre magnifiquement et point n’est besoin de surajouter ni d’expliquer… car la musique flamboyante et éloquente d’un Massenet, décidément cinématographique, dit tout.
Sur la scène de Bastille, comme s’il s’agissait toujours d’occuper le vide, la scénographe ne nous épargne aucune fausse note visuelle: quand Manon rêve de gloire et de richesse, une parure de Miss Arras … descend des cintres; quand Des grieux chante son rêve pastoral,… l’illustration mièvre d’une cabane en bois puis d’une ménagère aux anges, paraissent soudain de la même façon; idem quand Des Grieux père fait comprendre à son fils devenu l’Abbé de Saint-Sulpice qu’il le verrait plutôt marié au bras de quelque belle: … sitôt un vieux chromo noir et blanc représentant un couple de mariés descend du haut du plateau… Pourquoi affadir et même caricaturer chaque épisode musical par une surenchère narrative? Ou alors remercions ici la scénographe… sans ses ajouts visuels, la compréhension de chaque situation nous aurait échappé.
A trop forcer le trait comme l’exercice démonstratif, on fait de Massenet, un théâtre surinterprété et artificiel (le Cours la Reine se déroule dans une vaste verrière flanquée de 4 immenses massifs de végétaux tropicaux dont la texture trahit ouvertement son plastic bon marché… effet recherché ou coïncidence, l’ensemble des options visuelles accuse un « toc » qui dénature l’écriture de Massenet: c’est tout le non sens de la nouvelle production). Evidemment, le principe sacro-saint de l’actualisation valant parole d’évangile, Lescaut paraît ici en punk style 1980, percings et cuir moulant à l’appui; à vrai dire, pourquoi pas? Mais alors qu’on nous explique les 3 belles que le joueur séduit au début du III : pourquoi sont-elles incarnées par trois éphèbes torses nus en robes longues? Les élégantes parisiennes que le choeur admire à leur passage, sont les modèles d’un défilé de mode qui s’invite à la fête, devenu un grand bazar populaire… Aux côtés de la fière Manon, nouvelle courtisane à Paris, se pressent 6 sbires en costumes sado-maso… ils la font danser, tout en marquant la pose… est-ce Carnaval avant l’heure?
Heureusement, il y a les voix et dans le rôle des deux amants, l’attente est enfin récompensée; déjà familière du rôle (aux côtés de Rolando Villazon ;Liceu, 2007) et de Jonas Kaufmann, dans la mise en scène autrement plus fine et cohérente de David McVicar), Natalie Dessay se montre très à son aise dans le personnage de la jeune beauté, volage, légère puis rongée par la culpabilité; à tel point que, parfois, l’actrice surjoue son personnage quand seule la voix suffirait à incarner la passion d’un Massenet soucieux de réalisme autant que de vérité. C’est d’ailleurs quand elle en fait moins que la cantatrice se montre la plus crédible (comme dans sa Traviata aixoise à l’été 2011, valant surtout dans le tableau final par un jeu tout en pudeur rentrée). Lui aussi capable de finesse et même de simplicité dans des phrasés parfois habiles, le ténor Giuseppe Filianoti s’impose par ses accents justes et sincères, un chant carré et intelligible (malgré des aigus parfois pincés et tendus). Franck Ferrari manque singulièrement de subtilité dans le rôle de Lescaut et même Paul Gay, si convaincant dans le Faust de Gounod, en Méphistofélès aérien et facétieux, n’affiche pas la même superbe vocale dans le rôle de Des Grieux père… Dommage.
Avouons notre déception quant à la mise en scène (c’est après Le Barbier de Séville et La Chauve Souris, pourtant réussis, la plus mauvaise proposition lyrique de la réalisatrice Coline Serreau à l’Opéra national de Paris); même réserve quant à la direction sans flamme et plutôt terre à terre du chef; nous aurions imaginé production plus subtile pour le Centenaire Massenet (mort en 1912). Les duos qui mettent en avant les deux chanteurs sauvent le spectacle; souhaitons que la seconde distribution soit aussi vocalement prenante; pour écouter Natalie Dessay, il ne reste que 7 dates: les 14, 18, 22, 25, 28 janvier puis 2 et 5 février 2012; ensuite remplacée par Marianne Fiset (10 et 13 février 2012). En direct sur France Musique, le 28 janvier 2012 à 19h30.
Exposition: pour le Centenaire Jules Massenet (1842-1912), le Palais Garnier accueille la rétrospective intutilée « La Belle Epoque de Jules Massenet »: manuscrits, partitions, portraits peints et photographiques, costumes et affiches… restituent l’imaginaire flamboyant du compositeur français.