jeudi 28 mars 2024

Vers l’opéra. La Péri (1843)

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Richesse du matériau musical, goût infaillible dans le choix de ses textes, ambition d’un compositeur prêt à élargir sa palette formelle : l’heure est au défi. L’opéra se présente naturellement. Mais à rebours d’un Wagner qui élabore sa matière lyrique au même moment, Schumann délaisse le déploiement scénique. Il préfère se concentrer sur les connotations de la musique. Chez Wagner, action et musique ne font qu’un. Schumann, fin poète des mondes invisibles préfère l’allusif et l’indicible, proche de Berlioz. Préfigurant Debussy (Pelléas), il s’écarte d’une dramaturgie musicale pour se concentrer sur la notion de musique dramatique dont le chromatisme évocatoire se substitue à l’action : scènes et légendes plutôt qu’opéras proprement dits. Pas de frontières nettes ni précises : son théâtre comme sa musique pure exige de l’auditeur, une puissante faculté d’imagination. Les auditeurs qui ont cherché à reconnaître les repères habituels d’une musique de scène s’y sont trompés. En soulignant chez Schumann, un tempérament peu adapté à l’opéra, par trop de dilution, dans la perte d’une cohérence dramaturgique, ils sont passés à côtés des œuvres ; or la proposition de Schumann pour la scène est aussi intéressante que celle qu’apporte Berlioz dans sa Damnation de Faust (Paris, Opéra Comique, décembre 1846), laquelle porte le titre de légende dramatique.

Berlioz lui-même est occupé comme Schumann à la réalisation d’une forme musicale offrant un équilibre innovant entre texte, musique, action. Il a esquissé son Faust dès 1826, avec le cycle des Huit Scènes qu’il remaniera pour son Faust final, devenu la Damnation de Faust. Le pouvoir d’évocation de la musique se substitue à la narration scénique. Les deux romantiques travaillent simultanément à la même oeure de rénovation du langage dramatique… comme Wagner.
Attiré par le prestige musical de Leipzig, le futur auteur des Troyens rencontre Schumann en février 1843. Ce dernier voue au musicien français – au contraire de son ami Mendelssohn-, une sincère amitié, lui qui a joué sa musique en Allemagne : « il y a dans sa musique beaucoup de choses insupportables, mais aussi d’autres extraordinairement intelligentes voire géniales…(…) je l’ai pris en grande sympathie ».

De son côté, Schumann est sur le métier d’un oratorio : forme musicale intermédiaire, sans nécessité scénique ni visuelle. D’après l’épopée persane « Lalla Rookh » de Thomas Moore, Le Paradis et la Péri opus 50 est une première ébauche pour un nouveau drame musical.
Il y est question d’un monde merveilleux dont l’accès est refusé à la figure principale : la Péri, fille d’un ange déchu et d’une mortelle voudrait entrer au Paradis et tente pour se faire de séduire le gardien céleste, lequel lui ferme obstinément les portes. Deux premières offrandes sont demeurées sans effet : le sang d’un guerrier tué par le tyran Gazna puis les soupirs d’une jeune fille frappée par la peste, expirant dans les bras de son bien-aimé ; à la troisième offrande, le vœu de la Péri est enfin exaucé : les larmes d’un criminel touché par la vue d’un enfant en prière. Schumann découvrit ce texte au cours de ses lectures d’adolescent. D’abord destiné à être un opéra, la partition d’après la traduction allemande de son ami Emil Flechsig fut en définitive un oratorio. Après quatre mois de travail, la composition était terminée en juin 1843.

A sa création en décembre 1843, l’œuvre fut applaudie. Elle lança la notoriété internationale du compositeur : après Leipzig, ce sont Amsterdam, Prague, Zurich et même New York qui acclamèrent le talent original de Schumann. Au-delà de l’anecdote exotique dont une première lecture superficielle ne soulignerait à torts que l’excès de sentimentalisme- pourtant en phase avec l’esthétisme du XIX ème siècle, La Péri illustre le cycle de l’âme, proche des préoccupations personnelles de son auteur : ingénuité originelle, malédiction et solitude, enfin rédemption. Dans la forme, comme il le dit lui-même, la Péri inaugure un format nouveau destiné au concert dont la totalité musicale se fait chant, théâtre, poésie en action. Le génie du musicien offre également une alliance ténue du populaire et du sacré.

Schumann intègre dans le foisonnement continu de l’orchestre, des épisodes de chants choraux, d’essence populaire en liaison avec son projet : car, si le sujet de la Péri voisinne avec une vision mystique voire spirituelle, dans le dépassement que souhaite réussir l’héroïne en voulant forcer un monde supérieur auquel elle n’a pas de principe accès, il s’agit aussi d’une drame « populaire » et profane, comme le précise l’auteur : l’oratorio ne s’adresse pas à la chapelle mais plutôt « aux gens gais »).
L’épanouissement lyrique de l’œuvre est majeur. Associé au flux permanent de l’orchestre – d’une orchestration jaillissante-, Schumann dès avant son futur opéra, Genoveva, maîtrise chant et musique, déclamation et action. Peintre de la fresque comme du monologue solistisant, il sait aussi concilier les deux échelles comme le démontre chacune des trois sections finales où au chœur exclamatif, il joint la voix tantôt prière ou chant triomphant (dernière partie) de la Péri, soumise à ce qui est en définitive, sa longue initiation.

Discographie:
La Péri. Henryk Czyz (direction musicale). Edda Moser (Peri), Regina Marheineke, Brigitte Fassbaender, Nicolaï Gedda, Alva Tripp, Günter Wewel. Chor des stästischen, Musikvereins zu Düsseldorf, Orchestre symphonique de Düsseldorf. 2 cds Emi 1974. Réf. : 7 69447 2.

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