vendredi 11 juillet 2025
Accueil Blog Page 357

Piotr Ilyitch Tchaïkovski: Symphonie n°1. Seiji OzawaFrance Musique. Direct de Berlin, le 25 mai 2007 à 20h

Tchaïkovski
Symphonie n°1, 1868

en sol mineur
« Rêves d’hiver », opus 13


Vendredi 25 mai 2007 à 20h
En direct
de la Philharmonie de Berlin

Berliner Philharmoniker
Seiji Ozawa
, direction

Concert. Couplé avec W. Lutoslawski: Concerto pour orchestre

Symphonie n°1 de Tchaïkovski
L’oeuvre porta atteinte à la santé du compositeur tant son travail de composition fut long et difficile. Le Scherzo fut d’abord créé, seul, le 10 décembre 1866 sous la direction de Nikolaï Rubinstein, qui dirigea dans la même ville, Moscou, le 3 février 1868, la Symphonie intégrale. Rubinstein exprima quelques critiques quant à la première version. Tchaïkovski de bonne grâce reprit son ouvrage. Après la création moscovite, le compositeur révisa encore en 1874, les premier, deuxième et quatrième mouvements. Le sous-titre hivernal renvoie aux souvenirs de la nature enneigée observée pendant le voyage que fit Tchaïkovski entre Saint-Pétersbourg et Moscou.

L’oeuvre comprend quatre mouvements et dure circa 43 minutes.
1. Allegro tranquillo: le sous-titre, « rêves durant un voyage d’hiver », évoque la neige et l’aspect immaculé de couverture nacrée sur les arbres. Flûte et hautbois introduisent le thème initial auquel répond un deuxième thème, nostalgique, à la clarinette.
2. Adagio cantabile ma non troppo: « contrée lugubre, contrée brumeuse ». L’évocation perd de son envolée poétique et sombre dans le désenchantement mélancolique. Tchaïkovski réutilise la matière de son ouverture L’orage, avant que le hautbois n’introduise une mélodie russe à laquelle succède la cantilène des cordes.
3. Scherzo-allegro scherzando: le scherzo de la Sonate pour piano (1865) paraît dans le premier épisode: agitation suspendue, à la fois inquiète et irréelle. Lui succède ensuite une valse lente.
4. Final-Andante lugubre-Allegro moderato: l’écriture est plus faible que celle des mouvements précédents. Le lugubre andante se développe en une éclatante conclusion en sol majeur.

Illustration
Piotr Ilyitch Tchaïkovski, portrait en 1893 (DR)

Franz Liszt: Dante Symphonie, 1857France Musique, dimanche 20 mai 2007 à 16h

Franz Liszt
Dante Symphonie
, 1857

Histoires de musiques
par Dominique Jameux
Dimanche 20 mai 2007 à 16h

Jusqu’à 18h. Magazine.

A 46 ans, Franz Liszt se passionne pour la Divine Comédie de Dante. De forme variation, le vaste poème symphonique suit avec précision les vers de Dante. Achevé en 1856, le poème musical s’organise en trois parties: L’Enfer, Le Purgatoire auxquels succède un Magnificat qui fait office de Paradis. L’oeuvre fut dédiée à Richard Wagner, et créée le 7 novembre 1857 à Dresde.

1. Inferno: L’incipit inscrit sa résonance lugubre et sombre est un lento qui reprend le sens des mots du poète « Par moi l’on vas dans la cité des douleurs… Abandonnez toute espérance, vous qui entrez… ». Entre autres, âmes perdues, errantes, Liszt évoque les spasmes vains de Paolo et Francesca, couple des amants maudits (andante amoroso) auquel les harpes apportent un bien maigre réconfort. Le premier mouvement s’achève sur un rire glaçant (adagio final, démoniaque), « comme un rire sardonique et blasphématoire« , selon les propres indications du compositeur.
2. Purgatorio: l’âme repentante achève sa longue course vers la lumière divine. Dans le lamentoso fugué, le pêcheur aspire à l’obtention du salut, il abandonne toute espérance mais garde constant son élan mystique et méditatif.
3. Magnificat: Liszt a décidé d’enchaîner au Purgatorio, ce Magnificat entonné par un choeur de femmes et d’enfants. C’est l’évocation du paradis. Un choeur séraphique loue la splendeur divine et conclue en un éclatant Alleluia.

Illustration
Henri Lehmann: portrait de Franz Liszt (DR)

Bizet: Carmen (1875). L’heure de l’OpéraFrance 3. Le 2 juin 2007 à 23h

0

Georges Bizet
Carmen
, 1975

L’heure de l’Opéra
France 3, le 2 juin 2007 à 23h

Réalisation: Alain Duault (2007, 52 mn).

Le documentaire
Alain Duault présente et commente le chef-d’oeuvre de Bizet qui fut sifflé à sa création autant que nous l’applaudissons aujourd’hui. Etonnant revers de l’histoire, caprices de la critique, toujours en mal de discernement vis à vis des grandes oeuvres. Après Le Barbier de Séville et La Traviata, voici Carmen, nouveau volume du cycle de documentaires produit par France 3, en cette année 2007, où l’on fête les 400 ans du genre lyrique. Interlocuteurs de maître Duault, chanteurs (Roberto Alagna, Ruggiero Raimondi) et chefs, scénographes (Nicolas Joël) et répétiteurs (Janine Reiss) répondent aux questions de l’enquêteur, et livrent leur propre regard sur l’oeuvre. Ainsi, en cours d’émission, Teresa Berganza qui renouvela le rôle-titre, Julia Migenes Johnson qui le popularisa au grand écran, enfin Béatrice Uria-Monzon qui le chante dans la version intégrale retenue (diffusée après le docu) dévoilent leur compréhension du personnage. Après l’ouverture qui est une giclée de brio espagnol, place ensuite à une partition extrêmement raffinée comme le précise le chef Marc Minkowski. Carmen est un opéra symphonique et léger, paradoxe que peu de chefs d’orchestre saisissent… Personnages, situations, moments clés, final tragique: tout vous sera dévoilé de l’opéra le plus populaire au monde.

Carmen à Orange
Devant le mur d’Auguste, sous la voûté étoilée de provence, la tragédie de Carmen est filmée aux Chorégies d’Orange, en juillet 2004. Dans la scénographie accessible et bon enfant de Jérôme Savary, Béatrice Uria-Monzon et Roberto Alagna, chantent Carmen et Don José. La première qui connaît parfaitement le rôle, reste continûment musicale, physique et sans écart de vulgarité; le second offre sa vaillance au personnage de l’amant, jaloux radical. A leurs côtés, Ludovic Tézier (Escamillo) a fier allure, et tous les seconds rôles sont excellents : Ragon, Grand, Cavalier, Henry, Dune et Deshayes. Dans la fosse du théâtre antique, Myung-Whun Chung porte la passion des rôles, affûtant rythmes et couleurs.

Distribution
Carmen : Béatrice Uria-Monzon
Micaëla : Norah Amsellem
Frasquita : Catherine Dune
Mercédès : Karine Deshayes

Don José : Roberto Alagna
Escamillo : Ludovic Tézier
Zuniga : Nicolas Cavalier
Le Remendado : Gilles Ragon
Le Dancaïre : Olivier Grand
Morales : Didier Henry
Lillas Pastia : Jean-Philippe Corre

Orchestre Philharmonique de Radio France
Choeur de l’Opéra de Nice – Toulon – Avignon
Ensemble Vocal des Chorégies
Ballet de l’Opéra-Théâtre d’Avignon
Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Direction Musicale : Myung-Whun Chung
Mise en scène: Jérôme Savary
Chorégraphie : Laurence Roussarie
Costumes : Michel Dussarat

Crédit Photographique
Béatrice Uria-Monzon, Roberto Alagna dans Carmen à Orange (2004) (DR)

Giuseppe Verdi: Un bal masqué (1859)Paris, Opéra Bastille. Du 4 juin au 13 juillet 2007

Giuseppe Verdi
Un ballo in maschera
, 1859

France 2

Lundi 9 juillet 2007
Vers 00h30

Paris, Opéra Bastille
Du 4 juin au 13 juillet 2007

Nouvelle production

Mélodrame en trois actes
Livret d’Antonio Somma
d’après un livret d’Eugène Scribe
Gustave III ou le Bal masqué
Créé à Rome, Teatro Apollo,
Le 17 février 1859

La genèse d’Un Ballo in Maschera, composé entre 1858 et 1859, est marquée par le bras de fer entre Verdi et les autorités napolitaines. Consultée sur la conformité de son livret, la censure du Teatro San Carlo de Naples refusa l’idée de porter sur la scène le meurtre d’un souverain. Car le compositeur avait choisi au préalable d’illustrer l’assassinat du souverain suédois, Gustave III, tué lors d’un bal en 1792. Verdi prenait appui sur la trame inititalement rédigée par le librettiste français Eugène Scribe pour le compositeur Auber en 1833 (Gustave III ou le bal masqué). Mais le contexte n’est pas propice à une représentation régicide qui manque de « convenances »: les tentatives d’assassinat de Fernand II et de Napoléon III rendaient alors le sujet épineux et délicat. Verdi refusa net la proposition des censeurs de reprendre un autre sujet. Il quitta Naples. A Rome, le compositeur reçut une nouvelle offre: déplacer l’action de la Suède des Lumières, à la Nouvelle-Angleterre au XVII ème siècle. Gustave III y devint alors Riccardo, Comte de Warwick, gouverneur de Boston. Aujourd’hui, l’opéra n’étant plus soumis au dictat de la censure, les metteurs en scène et les directeurs actuels peuvent choisir entre la version de Suède ou de Boston.

Conçu comme Rigoletto (Venise, 1851), pour voix de ténor léger, Riccardo incarne un héros politique soumis à la force de ses sentiments, tiraillé entre son amitié pour Renato et son amour pour l’épouse de ce dernier, Amelia. La représentation du pouvoir est débattue dans une succession d’antichambres et de salons où la question de la direction des affaires de l’état est remisée après la situation amoureuse. Cet esprit de la fête est incarné par le rôle travesti d’Oscar, jeune page du Prince (chanté par une soprano) dont la juvénilité et le tendresse humanisent et compensent le groupe des conspirateurs, décidés à tuer le Duc (Sam et Tom). Pour pimenter l’évocation politique, cependant moins approfondie que dans Simon Boccanegra (version finale: Milan, 1881), Verdi imagine un tableau fantastique où la devineresse Ulrica prédit l’avenir des hommes dans un grotte sombre, propice aux apparitions surnaturelles. Le personnage rappelle Azucena du Trouvère (Rome, 1853).
Le dramatisme de Verdi cultive de puissants contrastes: idéalisme et loyauté de Riccardo, pureté amoureuse d’Amelia, lyrisme tendre et enjoué d’Oscar d’une part; diabolisme des conspirateurs Sam et Tom, auxquels se joint Renato qui croit être trahi par le duc et sa propre épouse, ténébrisme de la sorcière en son antre lugubre, Ulrica…
A une orchestration raffinée, Verdi prend soin de développer d’irrésistibles mélodies comme il l’avait fait dans le Trouvère, également créé à Rome.

Les personnages
Les noms de la création romaine sont indiqués en premier. Ceux de la version suédoise sont précisés entre parenthèses.

Amelia, épouse de Renato (épouse d’ Anckarström), soprano
Ulrica, devineresse (Mam’zelle Arvedson), contralto
Oscar, jeune page du duc, soprano
Riccardo, Comte de Warwick (Gustave III, roi de Suède), ténor
Renato, créole, son secrétaire, mari d’Amelia (Comte Anckarström, secrétaire de Gustave), baryton
Samuel (Comte Ribbing), basse
Tom (Comte Horn), basse
Silvano, un marin (Christian), basse
Un juge (Armfeld, Ministre de la Justice), ténor
Un serviteur d’Amelia, ténor

Synopsis
L’action se déroule à Boston, à la fin du XVIIe siècle.
Acte I. Riccardo, Comte de Warwick et gouverneur de Boston, organise un bal auquel est invitée l’épouse de son secrétaire Renato, Amelia dont il est secrètement amoureux. Renato le met en garde et révèle l’hypothèse d’un complot dont le prince serait la victime.
Les agissements d’une diseuse de bonne aventure suscitent les soupçons de la police du Prince. Tous décident de se rendre dans son antre pour juger de sa dangerosité.
Amelia paraît elle aussi, désireuse de connaître quel filtre magique pourra la sauver de son amour interdit pour Riccardo. Ulrica accepte de prédire l’avenir au Prince: il sera assassiné par son meilleur ami…
Acte II. Près d’un gibet, Amelia à minuit vient cueillir l’herbe magique qui lui fera oublier Riccardo. Celui-ci paraît. Les deux amoureux s’avoue leur amour tout en sachant qu’il leur est impossible d’être ensemble par loyauté vis à vis de Renato. Celui-ci arrive mais ne reconnaît pas son épouse masquée. En la raccompagnant, il découvre son identité et jure de se venger, croyant avoir été trahi par son épouse et son ami.
Acte III. Parmi les conjurés, Renato est désigné pour tuer le duc, son ancien ami. Lors du bal masqué donné par Riccardo qui a décidé de renoncer à Amelia, Renato tue Riccardo. Le duc révèle qu’Amelia et lui n’ont pas trahi Renato: il pardonne à tous leur aveuglement homicide.

Giuseppe Verdi (1813-1901)
Un bal masqué
Riccardo: Marcelo Alvarez, Neil Shicoff (7, 13 juillet)
Renato: Ludovic Tézier
Amelia :Angela Brown, Aprile Millo (7, 10, 13 juillet)
Ulrica: Elena Manistina
Oscar: Camilla Tilling
Silvano: Jean-Luc Ballestra
Sam: Michail Schelomianski
Tom: Scott Wilde

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Direction musicale: Semyon Bychkov, Paul Weigold (13, 16 juin, 7, 10, 13 juillet)
Mise en scène: Gilbert Deflo
Décors et costumes: William Orlandi
Lumières: Joël Hourbeigt
Chef des Choeurs: Peter Burian

Du 4 juin au 13 juillet 2007
Opéra Bastille

Conférence de présentation du spectacle
par les artistes de la production en présence de Semyon Bychkov, direction musicale
Amphithéâtre Bastille Amphithéâtre Bastille
Le 31 mai 2007 à 19h

La mise en scène parisienne de Gilbert Deflo
A partir du 4 juin 2007, l’Opéra Bastille présente une nouvelle production du Bal Masqué de Verdi: une partition dont la force mélodique affirme cette « parola scenica » par laquelle l’orchestre seul emporte l’intensité de l’action. La musique est bien ce langage musical irrépressible dont le chant emporte l’expression des passion humaines. Ainsi le duo d’amour entre Riccardo et Amelia, à l’acte II, est-il de ce point de vue le point d’orgue d’une partition flamboyante sur le plan mélodique.
Né en 1944, Gilbert Deflo qui met en scène la production parisienne reconnaît à la version américaine, plutôt que suédoise, sa parfaite construction. D’ailleurs, le scénographe belge trouve l’intensité du personnage d’Ulrica, cette « sibylle noire et vaudou », plus en phase avec le milieu bostonien. En elle, est incarné un monde totemique et instinctif que notre rationalité a écarté, et auquel Deflo restitue sa splendeur primitive: il imagine aux côtés de la devineresse, un choeur de femmes noires, « prêtresses d’un culte dont le symbole est le serpent ».
Le monde de la magie que consultent pourtant Amelia et Riccardo, et à travers aux la société positiviste de Verdi se joue du destin, avec une légèreté amère, comparable à celle qu’éprouve le Duc de Mantoue dans Rigoletto. Il s’agit d’un gaieté apparente qui est au fond, défaitiste, particulièrement sombre et grave.
Au serpent des intuitions macabres, Deflo oppose le symbole
de l’aigle, celui du pouvoir. C’est pourtant les forces homicides qui triomphent en vouant à la mort l’innocent Riccardo. La vertu ne peut rien ici contre la conspiration du soupçon. Les conspirateurs incarnent ainsi une force de destruction irrépressible qui sacrifie l’amour: le vrai sujet de l’opéra est bien l’impossibilité amoureuse.
La force tragique qui se définit dans Un bal masqué préfigure les oeuvres à venir, noires autant que passionnelles, Don Carlo, Otello, Falstaff. La mise en scène de Gilbert Deflo, en élève de Strehler, accompagne chaque étape de ce drame des sentiments.

Autres mises en scène de Gilbert Deflo à l’Opéra de Paris: Manon de Massenet (1997), L’Amour des trois oranges de Prokofiev (2005).

Illustrations
Heinrich Fussli, couples (DR)
Gilbert Deflo (DR)

Arnold Schönberg: Moïse et Aaron (1954)

Arnold Schönberg
Moïse et Aaron
, 1954

Opéra en deux actes
Troisième acte rédigé, non mis en musique
Livret du compositeur d’après La Bible
Créé en concert à Hambourg
Le 12 mars 1954

Né en 1874, Schönberg a 36 ans lorsqu’il réfléchit à la composition d’un opéra de grand format, dès 1930, interrogeant le sens des Ecritures et la force du message divin, transmis par la voix des prophètes. L’idée de Dieu est-elle fidèlement restituée dans la langue de ses prêtres? En 1932, le compositeur qui a rédigé l’ensemble de son livret, s’arrête à la fin du deuxième acte. Laissant le troisième et dernier acte à l’état d’un texte qui est aujourd’hui parlé ou lu, il ne reviendra plus jamais sur la composition du sujet. Fut-il pris par la question de son propre ouvrage? Si Moïse avoue penser mais ne pas pouvoir parler car les « paroles lui manquent », le compositeur aurait-il éprouvé en définitive l’impasse des notes et du langage musical pour exprimer/expliciter son propre projet?

Dans le premier acte, Schönberg suit l’action de l’Exode. Moïse reçoit de Dieu la mission de libérer les Juifs de la tyrannie de Pharaon et de les mener hors d’esclavage. Mais ne pouvant pas transmettre la parole divine dont il est investi, il demande à son frère Aaron, de l’aider à se faire comprendre. Celui-ci, fin séducteur, détourne le sens primitif du message divin en usant des artifices de la langue, images, rêves, paraboles…
Au second acte, Moïse a quitté son peuple pour recevoir les tables de la Loi. Livré à lui-même, le peuple doute et prend pour argent comptant les paroles d’Aaron, maître à bord. Orgie, chaos, adoration du Veau d’or et des images païennes: l’humanité abandonnée se détourne de la parole divine, en l’absence de Moïse. A son retour, ce dernier brise les idoles, casse les tables de la Loi, accable son frère pour son esprit pernicieux et manipulateur.
Dans le troisième acte, dont la musique n’est pas écrite, Moïse accuse son frère de manipulation. Aaron s’écroule, mort. Triomphe de Moïse, sans que l’on sache comment il réussira plus tard à parler au peuple d’Israël et transmettre sans la trahir, la parole divine.

Opéra dodécaphonique

Le format de l’oeuvre est exceptionnel: choeur, orchestre, solistes sont écrits dans le système du dodécaphonisme sériel, fixé par Schönberg depuis 1923. Ici une série de 12 sons sructurent la forme musicale de l’oeuvre, lui assurant sa profonde unité. La forme musicale est choisie selon les caractères de chacun et la situation des personnages: le rôle de Moïse est pour baryton. Il ne s’agit pas d’un être faux mais il est tiraillé en permanence, confronté aux obstacles qui se dressent pour mener son peuple. Tout le rôle est écrit en sprechgesang (parlé-chanté), une articulation proche de la parole, naturellement chantante, qui montre ce point d’équilibre qui lui manque, tendant entre la parole et le chant, forme instable en rapport avec la tension qui le traverse du début à la fin de l’opéra. Car Moïse incarne un conflit irrésolu: comment peut-il être à la fois proche de son peuple, et aussi contenir et diffuser la parole divine qui les dépasse tous?  » Dieu irréprésentable, Dieu inexplicable »… chante Moïse à la fin de l’acte II. Solitude et questionnement du meneur…
A lui, s’oppose la ligne vocale brillante et lyrique d’Aaron, ténor caressant dont la fluidité virtuose exprime l’art de la séduction et de la volubilité qui évoque la langue du serpent. Le choeur réunit toutes les styles d’écritures connus. Un groupe de 6 solistes est la voix de Dieu: polyphonie, murmures, séquences parlées… le choeur est un personnage capital. L’orchestre de son côté, ose des timbres et des effets inédits: cordes frappées à vide, célesta, harpe, nombreuses percussions, mandoline, mais aussi tambourin et triangle pour la scène chaotique du Veau d’or. C’est une texture crispée, parcourue d’éclairs, tendue jusqu’à la rupture, l’image d’un peuple en errance, habité y compris chez celui qui en est le meneur, par le doute et la question fondamentale de la destination de l’être et de sa spiritualité.

Illustrations
Nicolas Poussin, l’adoration du veau d’or
Portrait d’Arnold Schönberg (DR)

Huelgas Ensemble. Les Larmes de LisbonneBruxelles. Flagey, le jeudi 14 juin 2007 à 20h15

On connaît l’infatigable défricheur et grand spécialiste des sonorités de la Renaissance chorale. Parrallèlement à la musique polyphonique,le fondateur du Huelgas Ensemble nourrit une passion pour le fado. Né au début du 19e siècle dans les quartiers portuaires de Lisbonne, le fado était à l’origine composé de chants poétiques qui étaient rituellement entonnés dans une petite pièce plongée dans l’obscurité devant un public silencieux. Les thèmes sont de ceux qui ont toujours fait rêver: la nostalgie des marins, les amours impossibles, le côté éphémère de toute chose et la difficulté de vivre dans les barrios pauvres…

Formellement, le fado est un genre soliste, à l’opposé du villancico, un chant polyphonique profane qui date, lui, du Portugal du 16e siècle. Mais tous deux s’abreuvent à la même source: la saudade, cette mélancolie si caractéristique de Lisbonne, la ville onirique en bordure de l’océan Atlantique. Ce concert nous fera entendre tour à tour ces deux traditions qui font la part belle à l’émotion: le villancico, avec l’Ensemble Huelgas, chantre de la musique polyphonique, et le fado, avec deux de ses aficionados, Beatriz da Conceição et António Rocha.

Programme:
Anonyme (Portugal, 16e siècle): Que he o que ve jo, Levamtese el pemsamemto, Lagrimas de saudades, Não tragais borzeguis pretos, Minina dos olhos verdes, Em mi gram sufrimento, Dipues vienes delhaldea, Espera sem fim
Beatriz da Conceição: Voltaste, Eu preciso de te ver, Noite, Prece a Lisboa, Meu Corpo, Vesti a minha saudade
António Rocha: Procura va, Só pode ser amor, Sombra fugida, Um hino á vida, Guitarra casca de noz, Sempre esperando

Paul Van Nevel, direction.
Beatriz da Conceição, António Rocha, chant.
Manuel Mendes, guitarra portuguesa.
Luis Miguel ramos, viola

Bruxelles, Flagey
Jeudi 14 juin 2007 à 20h15

Crédit photographique:
Paul Van Nevel (DR)

Wolfgang Amadeus Mozart: La Flûte enchantée, 1791Bruxelles, La Monnaie. Du 8 au 19 juin 2007

Wolfgang Amadeus Mozart
La Flûte enchantée
, 1791

Bruxelles, La Monnaie
Du 8 au 19 juin 2007

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Zauberflöte, opéra en 2 actes sur un livret de Emmanuel Schikaneder. Mise en scène : William Kentridge. Décors : William Kentridge et Sabine Theunissen. Costumes : Greta Goiris. Lumières : Jennifer Tipton. Montage vidéo : Catherine Meyburgh. Consulter la distribution de la Flûte enchantée de Mozart 2007

Kentridge, l’enchanteur?
Créée le 25 avril 2005 puis reprogrammée en septembre suivant, cette production de La flûte réinvestit la scène bruxelloise, dans la mise en scène du sud-africain William Kentridge et sous la baguette de Piers Maxim. Les succès sont rares à l’opéra: pour sa fin de saison 2006/2007, La Monnaie choisit de finir en beauté, grâce à un spectacle qui est resté dans les mémoires.
Côté mise en scène, William Kentridge, avait imprimé sa marque de fabrique en 2004 avec Il ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi (repris du 12 au 15 mai 2007). Sa réputation internationale est due à ses courts-métrages animés ainsi qu’à ses dessins au fusain, dont son travail cinématographique s’inspire. Kentridge choisit de reproduire un théâtre baroque et sa machinerie ; ses plans fixes en enfilade donnent l’illusion de la profondeur. Au fond de la scène, et sur les plans intermédiaires, les dessins du metteur en scène et cinéaste illustrent l’Egypte ancienne. Le dispositif est une métaphore de l’appareil photo : les plans successifs se présentent comme le soufflet des vieux appareils du XIX ème siècle, et l’œil maçonnique est comme l’objectif de la boîte photographique. Durant tout l’opéra, des films d’animation sur l’Egypte sont projetés, y défilent moult symboles maçonniques : le soleil puissant de Sarastro, la nuit incandescente de La Reine de la nuit. La scène est comme une grande chambre noire, avec ses lumières et ses ombres. Une telle vision n’a pas manqué au moment de la création de la production de susciter comme toujours, un vaste débat chez les critiques: les uns, conservateurs, criant au détournement scandaleux du texte mozartien; les autres, plus avertis de la création contemporaine, soulignaient l’inventivité onirique des décors et de la scénographie, un livre d’images enchantées, qui renouvelaient la perception de La Flûte sans porter atteinte à la force de la musique… Jaillissement novateur d’idées et d’associations, ou usurpation provocante dénaturant le propos musical et philosophique de l’opéra? Chacun jugera. Mais force est de reconnaître que cette Flûte restera marquante dans l’histoire de la scène bruxelloise.

Toucher le coeur, éduquer l’âme
Die Zauberflôte (La Flûte enchantée) est créée le 30 septembre 1791, deux mois avant la mort de Mozart. Sur la proposition de l’impression et acteur, Schikaneder, Mozart , dès mars 1791, commence la composition d’un nouvel opéra en allemand, comme il l’avait fait avec L’enlèvement au sérail, en 1782, soit presque dix années auparavant.
Les deux auteurs, franc-maçons, reprennent la source littéraire (Lulu de Wieland, 1786) afin d’y intégrer les symboles et les rituels maçonniques. L’invention du compositeur laisse un chef-d’oeuvre de vérité et de poésie: sous les formes théâtrales ainsi façonnées s’écoulent la vitalité et le naturel des sentiments les plus vertueux: fidélité, discernement, honneur, générosité, amour. Chacun y trouve le miel de ses espérances, selon son coeur et sa culture: symboles d’initiés, chant libre et direct de la musique… La Flûte est à la fois un conte philosophique, un opéra maçonnique et une féerie populaire qui s’adresse à l’entendement de tous, quels que soient les âges. En cela, Mozart atteint son idéal: réaliser l’opéra germanique dont il a toujours rêvé, populaire et intellectuel, exigeant autant qu’accessible.
La direction de l’oeuvre s’accomplit des ténèbres vers la lumière, de la superstition et des fausses croyances liées à la tyrannie des apparences vers l’entendement des idées morales fondées sur la fraternité et l’amour humaniste. Contre le chant trompeur de la Reine de la Nuit, s’affirme peu à peu la noblesse et la sagesse de Sarastro. Chacun espère trouver un jour sur son chemin, le guide qui le mènera vers son propre accomplissement: c’est ce qu’expérimentent chacun à sa mesure, le prince Tamino, Pamina et l’oiseleur Papageno… Mais avant de réussir sa vie, épreuves et éngmes, force et endurance attendent les candidats au dépassement de soi.
Goethe qui estimait l’oeuvre mozartienne, avait déjà loué son Lucio Silla et aussi son Enlèvement au Sérail. Le poète avait désigné Mozart comme le seul compositeur digne de mettre en musique son Faust. Il ne cessa de défendre La flûte enchantée, y reconnaissant justement l’opéra de la modernité, celui qui touche le coeur et éduque l’âme. Une oeuvre maîtresse qui ne cesse depuis sa création triomphale à Vienne de susciter une égale fascination auprès des publics.

Illustration
La Reine de la Nuit (Sumi Jo) en avril 2005 © La Monnaie de Bruxelles, Johan Jacobs
Décor de la Flûte Enchantée, la Reine de la nuit, au XIX ème siècle (DR)

Présentation rédigée par Lucas Irom sous la direction d’Anthony Goret

Divonne les Bains (01), Festival de musique de chambre.Du 26 mai au 10 juin 2007

Il a passé la cinquantaine, et son cadre paisiblement somptueux continue à accueillir quatuors (Voce, Pacifica, Schumann, Artemis), Trio (di Parma), duos, solistes (Nicolaï Lugansky, Felicity Lott), en leur joignant un orchestre baroque italien (Accademia Ottoboni). En 2007, le Festival de Divonne chemine de Corelli à Pizzetti, de Bach à Ravel, de Mozart à Mahler et Wagner.

Rêveries douces non loin du Léman
Il se décrit comme « le plus petit des grands festivals ». Et il n’est pas vraiment tombé de la dernière pluie venue du Jura : 53e printemps en 2007. Il n’est pas non plus tendance populaire- bon enfant, négligé. On est au Domaine de Divonne-les-Bains, à la frontière franco-helvétique : « une station thermale de qualité, dans un cadre plutôt très arboré, un environnement hôtelier et de restauration exceptionnel », les superlatifs jouent touristico-grand luxe. Mais vous n’êtes pas obligé de tester les 18 trous du Golf, de jouer au Casino, ou même de fréquenter le « Grand Hôtel au charme Art Déco » (on peut cependant jumeler des « repas rapides » et l’accès direct aux meilleures places de concert). Et bien que Divonne ne soit pas au bord des doux flots du Léman, on peut toujours y rêver au monde du Grand Hôtel des Bains, à Mort à Venise, à Visconti mettant en abyme La Recherche du Temps Perdu (dont le petit train de Balbec-en-Normandie faisait aussi tchouk-tchouk entre Lac et Chablais) et le roman de Thomas Mann, bref à tout un monde… lointain. D’autant que le petit théâtre à l’italienne (1904) eût pu abriter bien des pages proustiennes sur la Berma, et serait digne d’accueillir des remake de soirées musicales entre œuvres imaginaires de Vinteuil et partitions réelles de Fauré ou de Franck.

Les Italiens d’Ottoboni et di Parma
Bon, de toute façon il y a le festival à vocation chambriste, mais qui s’offre parfois des orchestres en formation réduite : en témoigne l’invitation faite à l’Accademia Ottoboni (celui-là fut mécène romain de Corelli), un ensemble que dirige du violon Riccardo Minasi, et qui enrichit la vision transalpine du règne désormais affirmé des baroqueux. Il n’y a d’ailleurs pas que les Italiens dans le répertoire des Ottoboni : concerti et airs virtuoses des Scarlatti, de Geminiani ou Corelli, et Haendel-en-Italie (avec la soprano Maria Espada), ou en trio (R.Minasi, Mario Ceccato au violoncelle, Yu Yashima au clavecin), Palestrina, Castello ou Fontana. On trouve aussi un regard vers le nord, donc vers le Pater Omnipotens J.S.Bach, sa 2e Suite et les Brandebourgeois 3,4 et 5. Et comme on aime bien s’instruire, le maître-luthier (installé à Rome) Claude Lebet parle de son livre sur la lutherie italienne et l’école romaine. En chambre proprement dite, et toujours italienne, le Trio (avec piano) di Parma explore Haydn (29e), Brahms (l’op.8) et le testament ravélien du Trio de 1914. Un duo, Enrico Bronzi (violoncelle) piano (Alberto Miodini) prend son tour dans Brahms (Sonate op.38), chante Beethoven (la 3e, op.69) et souligne dans les Tre Canti les vertus moins connues de Pizzetti (1880-1968), très attaché à la résurrection des musiques anciennes et lyrique vigoureux.

Clair de lune et nuit diabolique
Egalement en duo violoncelle-piano, Truls Mork et Kathryn Stott continuent pour Brahms (op.99), descendent vers Prokofiev (op.119) avant de remonter au Beethoven si tendu de l’op.102/1. Le grand Russe Nicolaï Lugansky est solitaire au clavier pour bémoliser le Clair de Lune beethovénien (alias Sonate op.27/2), puis se masquer dans le moins connu des Carnaval de Schumann (celui de Vienne, donc) et diaboliser dans l’inquiétante étrangeté du Gaspard de la nuit ravélien. Et comme l’une des spécialités festivalières divonniennes demeure le quatuor à cordes, on suivra le fil rouge de ce laboratoire des écritures avec 4 fois 4 archets. Le clarinettiste Pascal Moragues se joint aux Pacifica (des Américains de Chicago) pour la sublime poésie du Quintette op.115 de Brahms, après l’exploration du déchirant « Lettres Intimes » de Janacek. La pianiste Elena Rozanova et le violoniste Corey Cerovsek, en sonate dans Janacek et Dvorak, complètent les Français du Quatuor Voce (prix de Genève) dans la poétique fin de siècle de Chausson (Concert op.21). Les Voce font du quasi-inédit dans le Quatuor de Lalo, et sondent la douleur du K.421 mozartien et du Quartettsatz schubertien. Les Schumann (avec piano) jouent l’op.47 de leur héros, et « accompagnent » (la) Dame (de l’art du chant subtilement poétique) Felicity Lott, pour les Ruckert-Lieder de Mahler, les Wesendonck-Lieder dédiés à la belle Mathilde, Isolde inspiratrice de Wagner-Tristan (mais l’amour fou ne finit pas dans la mort pour les amants de Zurich). Enfin les Artemis berlinois, continuateurs des Alban Berg, revient dans Brahms (5 fois nommé), l’op.51/2 et Beethoven (le 2e de la série Razumovsky, op.59). En formules classiques du soir, mais aussi pour ceux qui se lèvent vers 10h le dimanche ( à Divonne, on appelle cela « concert-tôt »), 12 beaux moments et temps forts de musique en luxe, calme et volupté.

Tél.: 04 50 40 34 34 ou www.domaine-de-divonne.com

Samedi 26 mai 2007 à17h30, 19h ; dimanche 27 à 17h ; lundi 28 à19h ; mercredi 30 à 20h ; samedi 2 juin à 19h ; dimanche 3 à 11h,19h ; mardi 5 à 20h ; jeudi 7, 20h ; samedi 9 à 19h ; dimanche 10 à 11h, 17h30, 19h.

Johann.Sebastian Bach (1685-1750), 2e Suite, Concertos brandebourgeois 3,4,5 ; Wolfgang.A. Mozart (1756-1791), Quatuor K.421; Franz Schubert (1797-1828), Quartettsatz ; Ludwig van Beethoven (1770-1827), Sonate piano op.27/2, Quatuor op.59/2 ; sonates vioiloncelle-piano op.69 et 102/1 ; Robert Schumann (1810-1856), Quatuor op.47, Carnaval de Vienne ; Johannes Brahms ( 1833-1897), Quintette op.115 ; Sonates op.38/1, 99/2, Quatuor op.51, Trio op.8 ; Richard Wagner (1813-1883), Wesendonck-lieder ; Gustav Mahler (1860-1911) ; Edouard Lalo (1823-1892), Quatuor ; Ernest Chausson (1855-99), Concert ; Leos Janacek (1854-1928), Sonate violon-piano ; Maurice Ravel (1875-1937), Gaspard de la Nuit, Trio ; Serge Prokofiev (1891-1953), Sonate op.119.

Crédit photographique
Felicity Lott (DR)
Truls Mork © M. Krogvold / Virgin classics 2004

Arthur Rubinstein (1887-1982), piano Portrait. « The Chopin collection » (11 cd, RCA)

0

Arthur Rubinstein
(1887-1982)

En mai 2007, Rca publie un coffret réunissant quelques perles chopiniennes enregistrées de 1946 à 1966 par le pianiste polonais Arthur Rubinstein. Carrière du pianiste et présentation du coffret.

Piano enchanteur

Selon son fils John, Arthur Rubinstein était doué d’une vaste culture, qui lui permettait de lancer des passerelles entre les arts, et de « faire parler » par exemple, un Tintoret comme personne, passant de la peinture à la littérature dont il était un fervent défenseur, lisant aussi plusieurs quotidiens par jour, chacun dans leur langue respective. Rubinstein, facétieux éveillé, avait l’esprit affûté, aux aguets, maniant la parole comme les doigts sur le clavier avec une élégance volubile désormais universellement reconnue. L’artiste de son côté a laissé un témoignage essentiel et toujours disponible, grâce au disque. Son jeu très équilibré s’appuie sur un art naturel, souple, ductile dont la musicalité et l’instinct, la clarté rythmique, revigorante, se reconnaissent immédiatement. Phénomène en concert, on a dit à tort que ses récitals étaient meilleurs que ses enregistrements… Sa discographie suit pas à pas les avancées techniques: 78 tours, haute fidélité puis stéréophonie. Il s’agit d’abord d’un pianiste qui a enregistré sur le tard. Rubinstein commence le studio, à partir de 1928, à 41 ans pour le 78 tours: Chopin déjà, Schubert et surtout Brahms que l’on joue alors très rarement. Le juif polonais ne tarde pas à sa tailler une réputation immédiate en interprétant son compatriote. Quand Fischer se voue à Bach, et Schnabel à Beethoven, Rubinstein dédie de nombreuses gravures, entre 1930 et 1937, à Frédéric Chopin. C’est qu’il sait dépoussiérer le son de Chopin, hors des sucreries linéaires, en affirmant des respirations nouvelles, régénératrices offrant comme il aimait le préciser un « vrai Chopin, mozartien et simple« .

United States, années 1940

Après la Guerre, Rubinstein qui s’est exilé aux States, enregistre dès lors pour le label Rca Victor. Sonate les Adieux de Beethoven (1940), mais aussi Grieg ou Liszt.
Avec l’évolution du marché, le perfectionnisme des auditeurs américains, le pianiste révise et rééduque sa technique, voire la philosophie de son jeu: articulation, pédale, phrasés… Les enregistrements des années 1940 fixent cette période de renouvellement de l’interprétation (Préludes et Sonate « funèbre » de Chopin, joués en studio en mars et juin 1946, deux documents présents dans le coffret 2007). Sonates mais aussi concertos et musique de chambre sont réenregistrées avec une ardeur jamais affaiblie par un quinqua au sommet de sa maturité.

Les années 1950: essor de la stéréophonie

Lorsque la stéréophonie paraît, l’artiste suit le mouvement: il comprend l’intérêt de réenregistrer encore bon nombre de morceaux déjà mis en boîte. De 1958 à 1976 (année de ses 89 ans où il joue le Concerto n°1 de Brahms avec l’Orchestre Philharmonique d’Israël et Zubin Mehta), Rubinstein retrouve un second âge d’or où il tente d’approcher au plus près de son idéal musical: si le jeu reste toujours d’un naturel flamboyant, le diseur articule comme jamais, soucieux du moindre accent. C’est pourtant l’époque où les critiques lui reprochent un son moins franc et vif que ses prises d’avant-guerre: une atténuation voire un « affadissement » de l’expressivité, spécifiquement américain: ses Beethoven, Brahms ou Liszt, entre 1959 et 1963, sont décrétés « endormis ». Mais personne aujourd’hui ne contesterait la magie de son récital de Bologne de 1970, ni certains récitals à Carnegie Hall en 1961, à Moscou en 1964…

CD

En mai 2007, le coffret de 11 cd « Arthur Rubinstein, The Chopin collection », paraît 8 ans après le monument discographique que Rca avait édité en 24 cd, en octobre 1999. Si « L’édition Rubinstein » comportait déjà Chopin, aux côtés de bien d’autres compositeurs, de Beethoven, Brahms, Mendelssohn, à Mozart et Grieg (musique de chambre, concertos…), entre autres, les Chopin du présent coffret regroupe aux côtés des bandes déjà publiées en 1999 (les 19 nocturnes de 1965, ou les 24 préludes de 1946), de véritables inédits tels les Polonaises de 1964, les deux Sonates n°2 et n°3 de 1961, les concertos n°1 et n°2 de, respectivement, 1961 et 1958. Lire notre critique de l’Edition Chopin par Arthur Rubinstein

Dates clés

1887
Naissance à Lodz le 28 janvier

1899
Joue le Concerto n°23 de Mozart sous la direction de Joseph Joachim, à Berlin

1903
Critique les interprétations chopiniennes de son compatriote Paderewski

1904
Amitié avec Szymanowski. A Paris, rencontre Ravel, Dukas, Saint-Saëns

1906
Tournée américaine

1916
Tournée en Espagne avec Eugène Ysaÿe

1924
Récitals au Théâtre des Champs Elysées à Paris

1925
Se fixe à Paris

1937
Tournée internationale: Europe, Amérique du Sud, Australie, Etats-Unis

1939
Exil aux Etats-Unis

1946
Devient citoyen américain

1947
Tournée européenne

1951
Tournée en Europe et en Israël

1958
Retour triomphal en Pologne

1960
Membre du jury du 6 ème Concours Chopin de Varsovie: Maurizio Pollini remporte le Premier Prix

1970
Tournage du film « L’amour de la vie » réalisé par François Reichenbach

1973
Publie ses mémoires « Mes jeunes années » (volume I)

1975
Enregistre les concertos pour piano de Beethoven sous la direction de Daniel Barenboim

1976
Derniers concerts à Paris, en Israël et aux Etats-Unis

1982
Arthur Rubinstein s’éteint le 20 décembre, à l’âge de 95 ans

1983
Ses cendres sont dispersés à Jérusalem

Georges Bizet, Carmen (1875)Mezzo, du 5 au 25 mai 2007

0

Georges Bizet
Carmen
, 1875

Le 5 mai 2007 à 20h45
Le 6 mai 2007 à 13h45
Le 15 mai 2007 à 15h35
Le 18 mai 2007 à 4h19
Le 25 mai 2007 à 15h40

Q’une partition froidement accueillie au moment de sa création parisienne en mars 1875, connaisse après la mort de son auteur, un succès fulgurant, donne toujours à réfléchir. Il faut donc un délai entre la première d’une oeuvre et sa juste compréhension auprès des publics. « Carmen est un chef-d’oeuvre dans toute l’acceptation du mot, c’est à dire une des rares créations qui traduisent les efforts de toute une époque musicale »… affirme Tchaïkovski, admirateur visionnaire en 1876, qui voyait donc dans Carmen, l’image sublimée et synthétique de la France d’après la défaite de 1870 contre l’Allemagne; une époque où composer à la Wagner n’était pas bien vu, où Nietzsche, après Tchaïkovski, reconnaît logiquement dans la partition de Bizet, cette alternative salvatrice, non wagnérienne, qui offrait (enfin), un nouveau modèle, latin voire « africain », une solution incontestable pour les arts de la scène…

La gitane n’est pas qu’une fumeuse de tabac et une mangeuse d’hommes: elle incarne la revanche sur la scène de l’orgueil français dont l’esprit et la vitalité sont demeurés intacts. Le jour de la première, le 3 mars 1875, Bizet reçoit la légion d’honneur. Pourtant le public de l’Opéra-Comique restera hors d’enthousiasme. Contradictions d’une époque, celle de la III ème République, qui cherche encore ses modèles culturels. Le personnage de Micaëla, pure invention des librettistes de Bizet, Meilhac et Halévy, illustre l’art des flonflons décoratifs et de la morale puritaine de la II ème République qui aimait les icônes pures et vierges… La blonde navarraise contraste avec le teint halé et mat de la ténébreuse gitane andalouse. Cette opposition est aussi, aux côtés du couple Carmen/Don José, un aspect non négligeable de la fable psychologique. Elle offre deux visages de femmes amoureuses, deux attitudes philosophiques vis à vis du destin qui fondent aussi la portée universelle de l’ouvrage: d’un côté, le respect de l’ordre; de l’autre, le désir violent de le transgresser pour accomplir son propre destin. Individu/Société: vaste question, si souvent abordée à l’opéra, sans trouver jamais de juste résolution.

La production berlinoise. Barenboim, maître à bord, en son opéra Unter den Linden (sous les tilleuls), dirige avec fougue et passion, pas toujours subtilité. A défaut de transparence et de poésie, sanguinité latine et expressivité canalisent une action dure et violente qui dans la mise en scène de Martin Kusej est transposée dans une ancienne république communiste corrompue. L’idée du bunker qui tourne sur lui-même, permettant le passage des scènes collectives aux confrontations plus intimes (Micaëla/Don José, Carmen/Don José), finit par lasser… Beaucoup d’idées (dont une conclusion qui cite Goya et son tableau « Tres de Mayo ») mais comme souvent pas vraiment de lignes de forces, d’autant que souvent, dans les scènes de foules, la confusion règne et les choristes sont loin de « posséder » l’abattage du français. En dépit de ces quelques réserves, les solistes phares, Marina Domashenko dans le rôle-titre, surtout Rolando Villazon dans celui de Don José hissent la production à son meilleur: plastique fantasmatique, voix opulente et sombre pour la première; implication envenimée et radicale pour le second: ces deux là permettent assurément à la lecture de ne pas s’enliser dans la lourdeur ni la caricature. A voir évidemment pour l’incarnation dramatique des deux protagonistes qui ont pour eux, la juvénilité et l’intensité scénique…

Berlin, Staatsoper Unter den Linden. Marina Domashenko (Carmen), Rolando Villazon (Don José), Norah Amsellem (Micaëla)… Choeur de l’Opéra de Berlin, Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim, direction. Mise en scène: Martin Kusej. Réalisation: Don Kent. 2006.

Illustration
Le Caravage, la diseuse de bonne aventure (DR)

Gustavo Dudamel et le Rotterdams Philharmonisch Orkest Anvers. deSingel, le 19 mai 2007

Si Gustavo Dudamel est si présent dans le monde musical, si on le retrouve à l’affiche, au cd, à la tête de prestigieux orchestres, s’il est demandé dans les meilleures salles et devant les publics les plus exigeants, c’est assurément que la personnalité multiple, éclatante, lumineuse, du jeune chef vénézuélien fascine et séduit.

A peine 26 ans et déjà tant de métier, de maîtrise, de maestrià, il force l’admiration, le respect et la sympathie. Tout semble lui réussir, à lui qui non content de se voir confier la direction permanente de l’Orchestre Symphonique de Göteborg, vient de décrocher un contrat de 5 ans à la tête du Philharmonique de Los Angeles, où il prendra dès la saison 2009-2010 la succession d’Esa-Pekka Salonen. En octobre 2006 il dirigeait le Don Giovanni de Mozart à la Scala de Milan, en avril dernier il fêtait, au Vatican, les 80 ans du pape Benoît XVI à la tête de l’Orchestre Radio-Symphonique de Stuttgart.

Mais ce ne sont ni les brillants succès musicaux, ni la foudroyante ascension professionnelle, et moins encore le caractère mondain de certaines apparitions qui permettent d’appréhender ce qui constitue l’individualité et l’originalité de Gustavo Dudamel. Ce qui distingue ce nouveau Barenboim, ce qui marque la nature de ce musicien à l’humanisme beethovénien, ce qui le différencie aussi de tous les chefs d’orchestre de sa génération, c’est l’engagement humain et social qui l’anime, au sein du projet El Sistema de l’Orchestre National Simon Bolivar au Vénézuela, offrant aux jeunes Vénézuéliens une échappatoire à la spirale de la violence et de la misère par l’étude et la pratique de la musique. Initiative au départ privée, Arte a consacré en octobre dernier une émission spectaculaire à ce projet dont l’efficacité est à présent reconnue par les autorités du Vénézuela.

Invité du Singel à Anvers, Gustavo Dudamel revisitera le 19 mai prochain les grands classiques du XXe siècle à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam, phalange mené à un niveau d’excellence par son chef permanent Valery Gergiev. Entre le Tombeau de Couperin de Ravel et le Sacre du Printemps de Strawinsky, le pianiste russe Kirill Gerstein viendra interpréter le Concerto pour piano n°2 de Liszt. Les débuts de Dudamel à Anvers s’annoncent d’ores et déjà exceptionnels.

Programme
Maurice Ravel:
Le Tombeau de Couperin
Franz Liszt: Concerto pour piano n°2 en la majeur
Igor Strawinsky: Le Sacre du Printemps

Anvers, deSingel
samedi 19 mai 2007 à 20h
Kirill Gerstein, piano

Approfondir
Découvrir le site officiel de Gustavo Dudamel: www.gustavodudamel.com

Crédit photographique
Gustavo Dudamel (DR)

La Querelle des Bouffons, magazineFrance Musique, les samedis de 18h à 19h

Chaque samedi de 18h à 19h, avant la soirée lyrique, Alexandre et Benoît Dratwicki expliquent, commentent, analysent un événement de l’Histoire de la musique qui est souvent lié à un paradoxe, une idée fausse, un scandale… à deux voix, les deux commentateurs abordent sans complexe tous les aspects d’un phénomène qui a fait (ou fait encore) débat. La Querelle des Bouffons est un magazine hebdomadaire qui s’adresse à celles et ceux qui souhaitent comprendre et découvrir les volets oubliés ou méconnus de l’histoire de la musique.

Programmes annoncés

Samedi 12 mai 2007
Meyerbeer. S’il est un opéra jugé représentatif de l’excès et la démesure romantique française, c’est bien « Les Huguenots » de Meyerbeer. Créée en 1836 à l’Opéra de Paris, l’oeuvre resta à l’affiche sans faiblir pendant plus d’un siècle. Et pourtant, combien de critiques s’épanchèrent fielleusement sur cette succession hétéroclite de strettes « à l’italienne » et de cavatine « à la française ». La recette concoctée par le librettiste Scribe et assaisonnée par le compositeur allemand ne pouvait pas laisser indifférent. Pour preuve le débat houleux que suscita sa création…

Samedi 19 mai 2007
Les musiciens de Marie-Antoinette Marie-Antoinette mélomane et musicienne. L’image est bien connue et la dernière reine de France n’a certes pas usurpé sa réputation. Pourtant, on connaît mal ses goûts musicaux, et plus mal encore ceux qu’elle défendit âprement en son temps : Gluck et Grétry bien sûr, mais aussi Piccinni, Sacchini et beaucoup d’autres…

Samedi 26 mai 2007

Le basson. Instrument mal connu aujourd’hui, le basson est pourtant l’un des instruments à vent les plus anciens de l’orchestre, avec son compagnon de toujours, le hautbois. Sait-on que Vivaldi lui dédia presque une quarantaine de concertos ? Que tous les compositeurs s’y intéressèrent, de Mozart à Strauss, de Stamitz à Saint-Saëns ? A la fois soutien de la basse, remplissage de l’harmonie, et voix mélancolique, le basson est un « homme à tout faire », auquel il faut savoir rendre hommage…

Samedi 2 juin 2007
Pirame et Thisbé de Rebel et Francoeur, ou l’Opéra des Enfants. En 1726, deux tous jeunes violonistes, Francoeur et Rebel signent en commun leur premier ouvrage : « On était tenté de douter que les deux jeunes musiciens l’eussent composée sans l’aide et le secours de grands Maîtres. Quelques personnes prétendent que tous les choeurs et les grands morceaux sont de feu La Lande, qui était oncle de M. Rebel. » Retour sur une étonnante carrière, menée en binome, à l’ombre du grand Rameau…

Samedi 9 juin 2007
Les recettes du Bel Canto. Essayer de comprendre les enjeux du Bel Canto – littéralement « beau chant » – impose de remonter aux fastes vocaux de la période baroque. Ornementations délicates dans le cantabile (passages lents) et vélocité dans les vocalises des parties rapides sont les deux caractéristiques essentielles de ce type d’écriture vocale. Le XIX ème siècle met en place d’incroyables stratégies pour valoriser au maximum les moyens techniques des exécutants. Les nouvelles vedettes ont pour nom Tamburini, Lablache, Grisi, Pasta, Malibran… La « scène à l’italienne » voit le jour, avec ses incroyables paradoxes dont une partie de l’Europe musicale se gausse. Pourtant le succès ne fait que croître de Bellini à Mercadante, de Cimarosa à Donizetti… Explication d’une recette à chaque fois savoureuse…

Samedi 16 juin 2007
La symphonie française. Hormis la Symphonie fantastique de Berlioz, la France n’aurait produit aucun ouvrage symphonique digne de concurrencer l’impressionnant corpus allemand, de Haydn et Mozart à Schumann, Brahms ou Bruckner. Voilà une idée reçue encore tenace de nos jours. Pourtant, dès les prémices du genre au milieu du XVIII ème siècle, les compositeurs français ont non seulement composé nombre de symphonies mais y ont même insufflé une « veine française » qui, de Gossec à Bizet, Gounod, Dukas ou Franck, donne à tout ce répertoire, unité et personnalité…

Samedi 23 juin 2007
Onslow, gentleman compositeur. Qui connaît encore aujourd’hui Georges Onslow ? Qui serait en mesure de rendre hommage à son impressionnant corpus de quatuors et de quintettes à cordes, mais aussi de pièces pour piano, d’opéras ou de symphonies. ? Onslow fut pourtant considéré en son temps comme le « Beethoven français », et comme l’un des seuls à insuffler à sa musique instrumentale une éloquence digne d’égaler Schumann ou Mendelssohn… Lumières sur un maître oublié !

Samedi 30 juin 2007
L’exotisme à l’Opéra : un goût de vacances. Très tôt, le spectateur en mal de voyage pouvait trouver à l’Opéra une échapatoire efficace. Le XIX ème siècle n’eut de cesse d’entraîner son public lyrique dans les contrées les plus improbables, de l’Inde de Lakmé à l’Egypte de Thaïs, et jusque dans la Mésopotamie de Nabucco ou les steppes de la Russie… Exotisme parfois réél, mais plus souvent « improvisé » par des compositeurs… qui n’avaient jamais quitté Paris !

Illustration
De Chirico, nature morte (DR)

Haydn, Quatuor Ysaÿe, Michel SerresLyon, Auditorium. Le 21 mai 2007

Joseph Haydn
Sept paroles du Christ en croix

Quatuor Ysaÿe, Michel Serres
Lyon, Auditorium,
Le lundi 21 mai 2007

Pour une partition aussi inhabituelle que celle écrite par Haydn en 1786, les Sept Paroles du Christ en Croix, le concert n’est pas comme tous les autres. Cela implique la présence d’un récitant, qui d’habitude lit les indications réunies dans le récit des Evangélistes. Mais ici ce récitant est le philosophe Michel Serres, qui de sa voix chaleureuse porte un commentaire de méditation soumis à chacun d’entre nous, et « accompagne » l’interprétation du Quatuor Ysaÿe.

Musique sans académisme

Qu’est-ce qu’un philosophe peut dire sur la musique ? On sait qu’au XXe Vladimir Jankelevitch, Claude Levi-Strauss ou Roland Barthes se sont penchés avec bonheur, chacun à sa manière, sur l’art des sons, la compréhension des époques et des genres, l’essence même de l’être musical. Ils venaient d’horizons fort divers dans leurs domaines intellectuels. Un Gaston Bachelard, lui,avait surgi de son paysage initial – la logique, la science – et par intuition imaginaire était sorti du cercle spécialiste en explorant l’universel : une poétique et une psychanalyse des éléments (le feu, la terre, l’air et l’eau). Michel Serres vient lui aussi de la réflexion sur la science et la mathématique, et malgré la densité de son discours écrit, il a su arriver en une pleine lumière qu’on dirait quasi-médiatique si elle ne se révélait d’une autre nature que les théâtralisations d’un parleur à triple initiale (mais si par exemple BHL il y a, on remarquera que le nom de SERRES fait palindrome et se mémorise en avant comme en récurrence !). On peut s’amuser aussi de constater que M.Serres a tôt accepté d’aller à l’Académie Française, refuge des notabilités culturelles assises par rangs d’âge, de dureté d’oreille et de lassitude : mais même là on doit plutôt se distraire en sa compagnie, comme le savent ses innombrables auditeurs de cours publics et conférences, et maintenant d’émissions de radio (« Petites chroniques du dimanche soir »).

Humble servant de la musique

C’est que l’auteur d’un Grand Récit (du Monde) aime brosser des fresques de l’histoire
Humaine, en s’interrogeant à travers le prisme scientifique de toutes les modernités (biochimie, anthropologie, informatique…), après s’être fait le petit dieu messager en 5 ouvrages prophétiques sur la post-galaxie Gutenberg, la série des Hermès. C’est le paradoxe vivant de ce philosophe si vivant : un langage poétique dense dont la lecture ne s’accomplit pas sans difficultés (euphémisme ?), et un art accompli de lever les intimidantes barrières du savoir pour que « ça parle » sur un ton enjoué, reconnaissable entre mille. L’accent du pays natal où bondissent les cailloux bleus et gris de la Garonne n’est pas pour rien dans cette agréable sensation qu’un familier vient nous entretenir sans condescendance de sujets infiniment complexes. En matière d’art, si la peinture a davantage appartenu à son domaine d’investigation (le Vénitien Renaissant Carpaccio), la musique ,– hormis une culture personnelle – avait semblé davantage hors-champ, peut-être par une forme de « timidité devant les œuvres admirables ». Ce n’est donc pas fausse modestie d’avouer qu’en face de l’univers si brûlant construit par Haydn autour des 7 Paroles, le philosophe n’osa d’abord pas se confronter à ce dont il ne se sentait « pas digne », d’autant que l’interprétation de ses amis du Quatuor Ysaÿe le fascinait. Puis il a accepté de se faire « humble servant » de la musique par la parole : et pas seulement récitant – des acteurs de métier l’ont fait, et si bien – , mais « écrivant » du texte qu’il prononce en public avec chaleur et simplicité. Le principe est pour chaque séquence, d’énoncer la parole du Christ et d’y ajouter ce qui est nommé « parole des hommes », méditations qui dépassent le temps historique (le Golgotha) pour s’étendre à la généralité humaine et particulièrement à notre siècle.

Théâtre et doutes sur la bonté de Dieu

La mise en quatuor – la 2e possibilité, à côté de versions pour orchestre, clavier, oratorios – vient d‘une commande faite à Haydn par un chanoine de Cadix : à la cathédrale, pendant le Carême, on représentait l’oratorio en grand apparat pour frapper les esprits et surtout les cœurs, genre leçons du Concile de Trente et spectacle tendance hispanique : murs, fenêtres et colonnes drapés de noir, évêque se mettant à genoux devant l’autel après avoir énoncé chaque Parole en chaire. Pour le musicien, il s’agit d’écrire 7 adagios. Et Haydn, aussi merveilleusement inventif en matière de quatuor à cordes (il en est considéré comme le Père) qu’il est profondément croyant, a ainsi l’occasion de composer en 7 mouvements lents,ce qui sera repris par… Chostakovitch pour son 15e et ultime quatuor. En coda figure le « tremblement de terre » conté par le Nouveau Testament : mais à la fin du XVIIIe, on ne pouvait oublier celui qui en 1755 avait ravagé la ville de Lisbonne et bien des consciences en Europe, au point d’accentuer les doutes sur la présence d’un Dieu miséricordieux en son univers créé. Haydn réalise un tour de force esthétique, il évite toute monotonie répétitive, invente des cellules et des motifs expressifs malgré leur abstraction de principe, intègre au discours des archets une couleur chaque fois changeante comme le ferait un peintre représentant les scènes et les personnages du Calvaire. Une telle éloquence – dans cette version instrumentale minimaliste – renforce encore l’idée de laboratoire des formes qui s’applique à tant d’expérimentations de Haydn.

« J’essaie de devenir philosophe »

Une telle éloquence implicite est « travaillée » par chaque commentaire de Michel Serres, ce modeste qui répondait en 1992 à la question initiale d’un entretien : « Vous êtes philosophe… » : « J’essaie de le devenir ». Et qui parle de Dieu en termes toujours discrets : « Cette idée, contemporaine peut-être, mais touchant l’instant et l’éternité en même temps, que Dieu est notre pudeur : la vergogne de notre force derrière nos fragilités, ou à l’inverse, de nos faiblesses derrière nos explosions de puissance, la pudeur de nos ignorances en dessous de nos raisons…Dans une laïcité affirmée, multiple et publique, nécessaire au monde d’aujourd’hui, Dieu tient une place nulle mais intime, celle, libre, du sujet. » (1991). D’où le caractère bouleversant des « paroles des hommes », qui ne restent pas seulement dans les époques de jadis, mais s’adressent à tous maintenant, énonçant les thèmes qui sont par ailleurs ceux de l’inquiétude du philosophe dans ses ouvrages plus difficiles d’accès. En particulier la « répétition monotone de nos fautes de violence : nous faisons la guerre, versons le sang, exploitons les faibles et les misérables, saccageons la face de la terre… ». Ou à propos de la parole la plus troublante des 7 : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? », une bouleversante investigation sur notre aujourd’hui : « Mais moi, qui hurle de solitude, ce soir, qui ai-je laissé derrière moi sur sa route déserte, hurlant sa douleur de solitude ? »
Solitude du « récitant » implique la réponse fraternelle du Quatuor, ces Ysaÿe fondé en 1984 par de récents étudiants au Conservatoire de Paris, formés par les LaSalle ou Amadeus, lauréats d’Evian en 1988, internationaux qui triomphent de Haydn à Beethoven ou Schubert, mais créent Boucourechliev, Dusapin, Krawczyck ou Escaich. Et à leur tour enseignent leur art au CNSM de Paris.

Josef Haydn (1732-1809) Quatuor op.51, Les Sept Dernières Paroles du Christ en Croix.
Tél.: 04 37 24 11 66 (Cycle « Les Grands Interprètes ») et 04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com

Approfondir
Lire notre critique du cd Les sept paroles du Christ en croix de Joseph Haydn par le Quatuor Ysaÿe

Illustration
Portrait de Joseph Haydn (DR)

Gounod, Faust (1849)Radio Classique, le 20 mai 2007 à 21h

Charles Gounod
Faust
, 1859

Dimanche 20 mai 2007 à 21h

Opéra. Avec Richard Leech (Faust), Cheryl Studer (Marguerite), Thomas Hampson (Valentin), José Van Dam (Méphisto) … Orchestre du Capitole de Toulouse. Michel Plasson, direction.
Quatuor vocal idéal, à l’articulation sans dérapages malgré la distribution internationale… mais Plasson veille à la cohérence et à la tenue stylistique. Van Dam tire assurément son épingle du jeu dans une discographie qui s’est fait une spécialité de noircir le trait de Méphisto en la distribuant par des basses russes, profondes et machiavéliques.
D’après le livret de Barbier et Carré, le Faust de Gounod, en cinq actes, est créé au Théâtre-Lyrique, le 19 mars 1859. C’est un opéra-comique dans sa version originelle, avec dialogues parlés. La version avec dialogues chantés sera créée en avril 1860 à Strasbourg.

Acte I. Faust désabusé s’apprête à la Pâques, à boire le breuvage empoisonné qui mettra fin à son mal-être insupportable. Mephisto paraît et échange son âme contre une vie de bonheur. Faust peut approcher Marguerite dont il est amoureux cependant que le frère de la jeune femme, Valentin, part à la guerre.
Acte II. Marguerite se languit dans son jardin. Elle découvre la cassette de bijoux qu’a déposé pour elle, au nom de Faust, Mephisto (Ah, je ris de me voir si belle en ce miroir). Faust rejoint Marguerite dans sa chambre.
Acte III. Coupable, Marguerite se rend à l’église. Valentin de retour du front retrouve sa soeur, et provoque en duel Faust. Assisté par Mephisto, Faust tue Valentin qui maudit sa soeur en expirant, ajoutant à son tourment.
Acte IV. Faust s’est retiré de son côté. Mephisto invoque les courtisanes antiques (Nuit de Walpurgis) mais Faust ému par la vision de Marguerite emprisonnée, décide de la sauver.
Acte V. Marguerite qui a tué l’enfant né de sa relation hors mariage avec Faust, est dans son cachot: elle attend la mort. Faust vient pour la délivrer mais la pure jeune femme a reconnu l’influence néfaste de Méphisto, et chante un hymne céleste. Son âme est sauvée.

Charles Gounod rêvait de composer un ouvrage ambitieux pour l’Opéra de Paris. Mais on lui refusa ce plaisir car l’oeuvre était dans le genre mineur de l’opéra-comique, comportant, comme Carmen, des dialogues parlés, et donc à ce titre, interdit de création sur la scène parisienne. La partition fut donc créée au Théâtre-Lyrique. Par la suite, le succès immédiat et croissant de Faust assura son transfert sur la scène de l’Opéra Garnier, tant sa popularité était grande.
En choisissant Barbier et Carré, Gounod confirme sa volonté de redéfinir le genre lyrique. Réformateur, régénérateur même de l’écriture opératique, le compositeur permet un renouvellement de la forme fragile du théâtre lyrique français, pris entre l’école allemande et italienne. De fait, la critique reprocha vivement à Gounod son excès de wagnérisme. L’orchestre était trop large, flamboyant, privilégié. Il nécessitera ensuite des voix amples dignes du « grand genre ». A 41 ans, Gounod montrait clairement une voie originale, puissamment dramatique, efficace et forte, riche en contrastes, lyrique et fantastique. La faveur populaire de l’ouvrage ne s’est jamais démentie depuis sa création.

Illustration
Henri Lehmann, portrait de Charles Gounod (DR)

Arcadi Volodos, piano. RécitalParis, TCE. Le 21 mai 2007 à 20h

Arcadi Volodos, piano

Paris, TCE
Récital
Le 21 mai 2007 à 20h

Clementi : Sonate en fa dièse mineur opus 25 n° 5
Brahms : Klavierstück opus 76 n° 4
Klavierstück opus 76 n° 5,
Variations en ré majeur
sur un thème original opus 21 n°1
Schumann : Waldszenen
(Scènes de la forêt), opus 82
Liszt : Die Trauergondel
(la lugubre gondole) n°2 S.200,
« Funérailles »,
Harmonie poétique et religieuse S.173 n°7

Né en 1972, à Saint-Pétersbourg, Arcadi Volodos incarne l’éclat actuel de l’école russe de piano, aux côtés de Nikolaï Lugansky, ou Denis Matsuev (né en 1975 à Irkoutsk). Virtuose des pièces difficiles, artisan d’une technicité virtuose et décomplexée, son engagement comme interprète, capable de prendre tous les risques ont séduit immédiatement Seiji Osawa ou Riccardo Chailly qui ont souhaité travailler avec lui.
Sa formation est passée par le Conservatoire de sa ville natale, celui de Moscou, Paris (auprès de Jacques Rouvier), Madrid. Le jeune pianiste se refuse à concourir et suivre les compétitions internationales car il s’agit d’une conception de la musique, étrangère à ses idées. En 1996, il joue en France (Antibes) devant un cadre de la firme Sony Classical, qui subjugué par l’audace de son talent exceptionnel, l’engage aussitôt pour une série d’enregistrements. L’artiste continue d’enregistrer pour le même label. L’art des transcriptions, qu’il réalise lui-même, ont de suite marqué le public et convaincu la critique. Nouvel Horowitz, alchimiste digital doué d’un tempérament hors normes, Volodos a su imposer sa singularité. Sony a ainsi fixé son récital mythique à Carnegie Hall (1998, à 26 ans). Ses concerts en France sont rares. Les spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées pourront l’entendre entre autres dans Liszt (Funérailles), un compositeur auquel il a dédié l’intégralité de son dernier album « Volodos plays Liszt » (Sony classical), retour intense et stupéfiant du « génie du clavier » (enregistré en août et septembre 2006 à Berlin). Son Liszt est tour à tour, murmuré, d’une grande distanciation poétique, mais aussi d’une véhémence primitive, parcouru d’éclairs techniques d’une exceptionnelle virtuosité. Entre énergie fulgurante et asthénie maladive, irréelle par sa déprime soudaine, Volodos se montre aujourd’hui au sommet de sa sensibilité expressive. Le récital parisien devrait être un grand moment de musique.

CD

Nouvel album, « Volodos plays Liszt »
(1 cd Sony Classical). Dix pièces lisztéennes démontrent la hauteur géniale et la maturité personnelle avec laquelle Volodos aborde le compositeur romantique. Vallée d’Obermann, Rhapsodie Hongroise, Funérailles, surtout La prédication aux oiseaux de Saint-François d’Assise traversent des climats changeants millimitrés, époustouflants de justesse expressive et d’engagement poétique. Tout en s’engageant avec franchise et souplesse, l’interprète se montre continûment au service de la musique, sans effets décoratifs ni surenchère ornementale. Le propos est d’une absolue intégrité comme d’une liberté créative. Cette hauteur de vue force l’admiration.

Illustration
Arcadi Volodos, portrait (DR)

Dinu Lipatti, piano. PortraitRadio Classique, le 16 mai 2007 à 21h

Carole Bouquet raconte…
Dinu Lipatti, piano
Portrait

Lundi 16 mai 2007 à 21h

Pour les 90 ans de la naissance du pianiste roumain, Carole Bouquet évoque la carrière d’un virtuose exceptionnel, disparu prématurément. De son vrai nom, ConstantinLipatti, Dinu Lipatti est né en Roumanie à Bucarest, le 19 mars 1917. Il est mort à Genève le 2 décembre 1950, à l’âge de 33 ans. Georges Enesco est son parrain et son professeur. Le jeune Dinu évolue dans un milieu musical: sa mère, Anna, est comme lui pianiste (elle écrira une biographie sur son fils. Cf. notre illustration), son père étudia le violon avec Sarasate. A quatre ans, il compose et donne ses premiers concerts. Florica Musicescu est son premier maître. Lipatti intègre le Conservatoire de Bucarest. En 1934, à 17 ans, il n’obtient que le 2 ème prix au concours International de Vienne. Membre du jury, Alfred Cortot en désaccord, démissionne. A Paris, il enseigne au jeune pianiste avec Yvonne Lefébure. Virtuose du clavier, Lipatti montre aussi des dispositions comme chef d’orchestre (il apprend la direction auprès de Charles Münch) et poursuit avec Paul Dukas, puis Nadia Boulanger et Strawinsky, son travail de compositeur.
A partir de 1936, Dinu Lipatti enchaîne les tournées en Europe. Walter Legge lui propose d’enregistrer pour Emi. De 1939 à 1943, il donne de nombreux concerts en Roumanie avec Mengelberg et Enesco. Il trouvera refuge en Suisse, aux côtés de son épouse également pianiste, Madeleine Cantacuzène. Les enregistrements révélateurs de son talent rare, datent en majorité des années 1946 à 1950. Ils rendent ainsi compte de son style exceptionnel quatre avant sa mort. Le Concerto pour piano de Schumann sous la direction de Karajan demeure légendaire.
Malade, Dinu Lipatti donne ses ultimes concerts dont celui réalisé à Besançon, le 16 septembre 1950. Comme compositeur, Dinu Lipatti nous a laissé entre autres, le Concertino pour piano et orchestre, Danses Roumaines ainsi que Les Bohémiens, pour orchestre.

Crédit photographique
Dinu Lipatti (DR)

Robert Schumann: Symphonie n°4. JanowskiRadio Classique, le 14 mai 2007 à 21h

Robert Schumann
Symphonie n°4

en ré mineur opus 120



Lundi 14 mai 2007 à 21h

Orchestre de Paris
Marek Janowski, direction

Concert, enregistré le 24 janvier 2007 à Paris, Salle Pleyel. Autres oeuvres au programme du concert: Concerto pour violon (Thomas Zehetmair, violon).

Contrairement à son numéro générique, la Symphonie n°4 est la deuxième symphonie au regard de la chronologie compositionnelle. Conçue comme la Première Symphonie en 1841 (puis remaniée dans son instrumentation en 1851), la Quatrième fut d’abord intitulée « Fantaisie symphonique » comme l’atteste sa création le 6 décembre 1841 à Leipzig. Schumann y expose sans ambiguïté sa volonté de dépasser le cadre classique, d’y modifier le découpage en mouvements clairement distincts. De fait, l’écriture enchaîne sans pause les mouvements qui sont traversés selon le fil de l’inspiration, par les mêmes thèmes. Avant César Franck, Schumann inaugure ainsi le principe du cycle thématique. La version définitive fut créée quant à elle, à Düsseldorf en 1853, suscitant un grand succès.

Plan: 1.Introduction-Allegro, 2. Romance (en la mineur) à la manière d’un nocturne, 3. Scherzo (en ré mineur) qui s’ouvre avec la reprise du thème d’introduction de la Symphonie, 4. Finale (en ré majeur): Schumann ne conclue pas dans la reprise des thèmes déjà écoutés mais dans le jaillissement d’une idée neuve, pleine d’éclat et d’héroïque certitude. Ce final confère au mouvement son ampleur et son élévation conquérante.

Illustration
Robert Schumann, portrait (DR)

Téléchargement. Bilan de PrintempsL’offre de la musique digitale en France.

Téléchargement.
Bilan de printemps


Début mai 2007, quel bilan pour le marché français du téléchargement? Quelle est sa place dans le monde? Et en Europe? La chute des ventes du marché physique de la musique enregistrée ne cesse de se confirmer: baisse de 25% pour le premier trimestre 2007. Une question se précise aujourd’hui avec de plus en plus d’évidence: comment relancer le marché de la musique? Internet sera-t-il cet Eldorado tant de fois annoncé? N’ayant pas anticipé la décroissance actuelle, les majors et l’ensemble de la filière professionnelle misent tout à présent sur le développement de la musique numérique (+5,8% de croissance pour la même période). Le téléchargement permettra-t-il demain de redynamiser un marché en berne? Et dans combien de temps? Tout est là.

Structuration de l’offre

Les ventes du marché numérique devraient s’accélérer à mesure que l’offre des plateformes actuelles se structurera. Les catalogues s’étoffent, la barrière des DRM étant à présent résolue, les prix s’indexant à la baisse, les offres commerciales et promotionnelles se diversifiant, les perspectives de croissance du téléchargement connaîtront dans les mois qui viennent un développement non négligeable.
Présentant quelques 5 millions de titres en ligne (vers le marché américain), iTunes le premier opérateur de musique numérique reste l’e-catalogue le plus important. Derrière iTunes, quel est le classement des trois autres plateformes hexagonales en présence? Virgin-mega.fr (2 millions de titres), Fnac Music (1,5 millions), MusicMe (815.000). Les plateformes veillent à étoffer leur catalogue avec les « agrégateurs », intermédiaires, porteurs de nombreux titres en provenances des éditeurs indépendants. D’autant que ces derniers, étant de moins en moins bien représentés dans les réseaux de distribution traditionnels (magasins) se concentrent prioritairement sur leur existence sur le Net.

Facilité technique : la question de l’interopérabilité

La fin des verrous DRM et l’option de téléchargement au format mp3 ont de toute évidence faciliter les conditions du téléchargement légal. Tout le milieu est conscient de la justesse de Steve Jobs affirmant son hostilité aux DRM et son soutien au principe souverain de l’interopérabilité (possibilité pour l’internaute téléchargeur d’écouter le titre acheté sur le balladeur de son choix).
Fin 2006, Virgin Mega avait bousculé les habitudes d’un marché « frileux » (plus que verrouillé) en testant 3 titres sans DRM, suivis à la mi-janvier 2007, de la mise en ligne de quelques 200.000 titres sans verrous. Un coup de maître qui s’est avéré exemplaire et pilote. Fnac Music a suivi mettant en ligne 170 000, (aujourd’hui 300 000) sans DRM. Les ventes ont suivi. Le leader n’est pas resté muet. iTunes reprenait la main, dans la foulée, en obtenant d’EMI, l’ensemble de son catalogue sans DRM! Courant mai 2007, Virgin Mega annonce offrir la même offre sans DRM qu’Apple/iTunes.
MusicMe se distingue en raison de son principe d’abonnement forfaitaire (comme l’offre SFR Music, leader de la musique sur mobile, il s’agit d’une offre en location): la plateforme reste fidèle aux DRM. Elle propose une offre de téléchargement illimitée contre le paiement d’un montant forfaitaire. Au terme de l’abonnement contracté, l’ensemble des titres téléchargés disparaissent du disque dur. Il s’agit bien d’une location, dont la rupture signifie pour l’internaute qu’il perd tous les titres choisis. Dans cette formule, le mélomane n’est pas propriétaire des fichiers musicaux téléchargés. Cette fonctionnalité nécessite des verrous technologiques. L’avenir montrera si cette option verrouillée et forfaitaire se maintiendra. MusicMe indique cependant qu’une vingtaine de balladeurs restent compatibles avec son offre forfaitée.

Les chiffres d’un marché en croissance

En tête du palmarès, iTunes (iTunes music store est la plateforme d’Apple) affirme détenir le leadership: 2,5 milliards de titres téléchargés depuis 2003 dans le monde, un chiffre d’affaires progressant de +35% par an… des records auxquels il convient d’inclure le traffic généré par ses offres connexes: vidéo on line (1,3 millions de films achetés). Présent en France depuis la mi 2004, iTunes représenterait 50% du marché hexagonal (près de 80% du marché international). Suit Virgin Mega qui fidélisent quelques 2 millions de visiteurs par mois, a généré 7 millions de titres vendus en 2006, (5 millions en 2005) soit une part de marché de 22%. La filiale de Virgin et Lagardère, lancée en France quelques semaines avant iTunes en 2004, s’est imposée immédiatement, devenant le numéro 2 en France. La Fnac Music, lancée en septembre 2004, est passée derrière Virgin malgré une ambition clairement affichée dès sa création, talonner iTunes et devenir le challenger hexagonal. Défi manqué pour l’heure : 5,5 millions de titres téléchargés en 2006. MusicMe reste plus « confidentiel » avec 3.000 abonnés mensuels (20 000 espérés à fin 2007).

Prix cassés

Le modèle fixé par iTunes (0,99 euro le titre, 9,90 euros l’album) a vécu. L’offre concurrentielle joue en faveur d’une baisse sensible des prix. Elle a favorisé, en particulier, des offres plus attractives. La fidélisation est encouragée et récompensée: pour 20 euros dépensés sur Virgin Mega, le téléchargeur se voit crédité d’un avoir d’1 euro pour ses achats suivants. Certaines offres conjuguent titre + clip vidéo contre un coût attractif. Fnac Music n’est pas en reste et propose même des coups « bonnes affaires » (happy hours): pendant certains créneaux horaires, le second album est soumis à 6,99 euros si le premier a été acheté au prix fort de 9,99 euros. Mieux, certaines opérations permettent d’acquérir un quatrième album à 0,99 euros, si les trois précédents ont été achetés à prix normal (9,99 euros). iTunes permet aux mélomanes déjà propriétaires d’un titre, d’acheter tout l’album, déduction faite du/des titre(s) déjà possédés. La possession d’un titre permet de conduire directement vers l’achat de l’album intégral.

Evolution 2005/2006

La structuration progressive des plateformes de musique digitale ou numérique a permis l’augmentation du téléchargement légal qui représente 10% des revenus de l’industrie musicale (5,5% en 2005). Ce doublement de la croissance est déjà exceptionnelle. Et rien ne semble empêcher que cet indice de croissance se reproduise sur 2007.
Les mois qui viennent seront décisifs car les offres légales seront pleinement opérationnelles, complètes, faciles et souhaitons-le de plus en plus lisibles.
A l’échelle mondiale, l’Europe représente 20% du marché de la musique numérique contre 25% pour les marchés asiatiques (très consommateurs de musique sur mobile). Le Royaume-Uni reste le leader européen avec près de 53 millions de titres téléchargés, un marché 8 fois plus développé qu’en France. Nous avons donc du chemin à parcourir: la numérique français ne peut que gagner des points et progresser. Ses perspectives s’annoncent florissantes.

Dossier réalisé par David Tonnelier, Delphine Raph, Lucas Irom sous la direction d’Anthony Goret

Orchestre des Pays de Savoie: Haydn, Glass, AgobetThonon (74), le 22 mai 2007 à 20h30

Orchestre des Pays de Savoie
Haydn, Glass, Agobet

Thonon (74)
Mardi 22 mai 2007 à 20h30

Joseph Haydn: 43 ème symphonie
Philip Glass: Concerto saxophones
Jean-Louis Agobet: A shaped sharp

Orchestre des Pays de Savoie
Graziella Contratto
, direction

L’O.P.S. et sa directrice musicale Graziella Contratto pratiquent dans l’action de diffusion régionale
le mélange du classique et du contemporain : en voici un exemple, avec interventions pédagogiques nombreuses, pour un programme associant la 43e de Haydn, le minimalisme de Phil Glass et la création instrumentale du compositeur associé, Jean-Louis Agobet, avec le Quatuor de saxophones Raschèr.

Médecine : dure ou douce ?

Il fut un temps où on débattait doctement : faut-il mithridatiser l’auditeur de bonne volonté avec quelques gouttes de contemporain dans un grand verre d’eau (classico-romantique) sucrée ?, ou administrer la potion magique toute pure ? Un centrisme raisonnable prévaut désormais, en dehors bien sûr de situations festivalières univoques. La programmation en régions – avec itinérances d’orchestre éventuellement divisé – ne se conçoit guère sans cet aménagement des propositions chronologiques, qu’il faut soutenir d’une pédagogie et d’une psychologie. L’Orchestre des Pays de Savoie et sa directrice musicale, Graziella Contratto pratiquent à fond cette conception ouverte sur la réalité et la diversité des publics alpins. Dans certains cas, les programmes sont « scolarisés » (enseignement secondaire et supérieur) dans une large proportion, ou étendus à des centres sociaux, des lieux hospitaliers, des maisons d’arrêt : pour la série de mai (Haydn, Agobet, Glass), 7 interventions en milieux pédagogiques laissent au « tout-public » une seule présence. Mais cela aussi est de bonne politique, réaliste et souple, d’autant que les trois œuvres inscrites n’ont rien d’austère, et qu’elles favorisent ce travail de présentation préparatoire en ateliers tel que le proposent des musiciens de l’O.P.S, volontaires dans l’orchestre. Et le compositeur contemporain, J.L.Agobet, qui cette saison a donné pour ces ateliers, sa Ciaccona, est de nouveau en lumière pour sa partition en création.

Dieu des voleurs, des commerçants,des voyageurs ?
La référence aux temps classiques s’opère grâce à la fluidité de la pensée haydnienne. La 43 ème n’est pas l’une des plus connues dans l’impressionnant total symphonique du compositeur autrichien (la dernière, « Londres », est la…104 ème !), et pourtant comme beaucoup de ses sœurs, elle porte un surnom. Ecrite dans l’inspirante période (1768-74) du « Sturm und Drang » ,où Haydn sentit passer le vent tempêtueux et pré-romantique dont Goethe se faisait le héraut littéraire avec ses « Souffrances du jeune Werther », elle n’a pas la tension constamment angoissée de ses voisines, « funèbre » 44 ème, « passionnée » 49 ème, dramaturgiques « adieux » de la 45 ème. Mercure demeure énigmatique, et hors champ sémantique du titre. « Que venait-il faire dans cette galère » au long cours musical le petit dieu ailé des voleurs, des commerçants et des voyageurs ? La musicologie ne peut émettre que des hypothèses, et en réalité, c’est le caractère du langage qui importe ici : clarté, équilibre sonore, alacrité, tout l’allant d’un Haydn de belle humeur, même si quelques tensions de nervosité ombreuse apparaissent dans le développement de l’allegro initial et un rien de mélancolie élégante dans l’adagio. « Ne craignons pas le mélange, recherchons-le », annonce Graziella Contratto qui partagera la direction des concerts avec François-Xavier Roth, et présentera comme d’excellente coutume les intentions et les réalisations sonores. Il y a en tout cas contraste entre le propos discursif si « lumières du XVIIIe » et le minimalisme qui prend tout le temps de se répéter pour mieux t’endormir mon enfant, chez l’Américain Phil Glass. Question de tempo et d’univers mental, qui s’affirmera avec le Concerto de saxophones (en version quatuor) du compositeur dont les écritures de scène sont si liées aux envoûtements hypnotiques du théâtre aphasique de Bob Wilson…

Et c’est bien le saxophone qui constitue le lieu géométrique du concert, puisque le Quatuor Raschèr semble entrer dans la légende de l’instrument naguère inventé par Adolphe Sax, et promis à un avenir foudroyant…surtout jazzistique. Formé en 1969, ce Quatuor – sans chef, comme tout quatuor qui respecte la démocratie instrumentale – a beaucoup inspiré les compositeurs hors jazz, de Berio à Xenakis (selon l’ordre alphabétique, plus de 250 œuvres dédiées et créées…). En face de Phil Glass, voici l’à-peine quadragénaire Jean-Louis Agobet, un enfant de 68 (au sens démographique du terme, le seul politiquement correct selon le Candidat-pas-encore-Président quand ces lignes sont tracées), dont l’œuvre intéresse l’Orchestre de Savoie au point d’en faire en 2007 son « compositeur associé ». François-Xavier Roth lui-même a créé et dirigé des partitions de J.L.Agobet (en 2005, un disque Timpani), de même que l’ancien patron de l’OPS, Mark Foster (avec l’Itinéraire, en 1999, un « choc du Monde de la Musique », chez MFA-Radio France). J.L.Agobet a été « tout ensemble » pensionnaire à la Villa Médicis de Rome et associé aux activités de l’IRCAM, et ce « descendant de Debussy, de Boulez et des compositeurs spectraux » aime bien travailler pour la radio (prix Italia en 1995 pour son Rinvenuto) et la musique de film (« Gardiens de phare », un Grémillon de la fin du muet). En résidence à Montpellier et à Strasbourg, il aime composer des partitions pour enfants et adolescents (« Est-ce que vous êtes prêts ? »). Les différents états de la flûte l’intéressent tout particulièrement comme en témoignent L’étude des forces, Nuée-traces, Autour, ou Plotting ; il a écrit plusieurs partitions concertantes (piano, trios de clarinettes, violoncelle et cor), et choisit cette fois le quatuor de saxophones, à la demande de Graziella Contratto. A shaped sharp joue sur les mots anglais : un dièse (ou un tranchant, comme un coup de griffe) formé, dit l’auteur, qui souligne la réduction du matériau à de très simples éléments (un intervalle, un do dièse, un geste comme une griffure). Cette création mondiale rejoint, selon J.L.Agobet, la forme traditionnelle vif-lent-vif, et ne s’éloigne pas de l’esprit du concerto grosso classico-baroque.

Téléphone: 04 79 33 42 71 ou www.savoie-culture/ops/
Joseph Haydn (1732-1809): 43e Symphonie. Philip Glass (né en1939): Concerto pour saxophones. Jean-Louis Agobet (né en 1968) : A shaped sharp.

Crédit photographique
Graziella Contratto (DR)
Jean-Louis Agobet © Elsa Bercker

Mozart à Vienne. Documentaire de Marieke Shroeder, 2006Mezzo, du 2 au 22 juin 2007

Mozart à Vienne

Le 2 juin 2007 à 22h40
Le 3 juin 2007 à 22h40
Le 12 juin 2007 à 17h40
Le 14 juin 2007 à 5h30
Le 22 juin 2007 à 17h40

Documentaire. Réalisation: Marieke Shroeder. 1h, 2006.

Vienne 2006: pour le tricentenaire de la naissance de Mozart, Vienne célèbre le génie musical le plus exceptionnel qui habita dans la capitale autrichienne. Un maître de la musique qu’elle taquina parfois cruellement, lui préférant Salieri ou Gluck et qui aujourd’hui, tente de réparer le mauvais traitement infligé en fêtant comme il se doit le compositeur de Don Giovanni, … un opéra que Prague applaudit et comprit davantage que Vienne.
Pendant les répétitions des Noces de Figaro, Mozart se présenta un jour, en frac rouge avec tricorne sur la tête, un habit excentrique et luxueux, galonné de liseré d’or. C’est ce que rapporte l’un des chanteurs de la première viennoise. De petite taille (1,65m), le musicien aurait compensé son complexe d’infériorité par une mise raffinée, particulièrement visible…
Le documentaire de Marieke Shroeder a choisi d’évoquer la présence de Mozart à Vienne, soit de 1781 (il arrive dans la Capitale Habsbourg, le 16 mars) jusqu’à sa mort, survenue le 5 décembre 1791. En dix ans, le couple Mozart aura déménagé 10 fois, occupant les quartiers périphériques et populaires, après avoir connu les appartements somptuaires du centre-ville, en particulier en 1785, quand Mozart, alors à l’apogée de sa courte célébrité, reçoit son père Léopold, menant grand train et vivant au dessus de ses moyens… Vienne causa à notre génie bien des tracasseries: il ne parvint pas réellement à s’y imposer, en dépit d’une période de grâce qui dura quelques années, de 1785 à 1787, années bénies où Mozart donne ses Akademien, cycles de concerts qui pouvait durer jusqu’au 5 heures, à la Hofburg ou dans des églises, pendant lesquels la bonne société viennoise découvrait ses dernières compositions et l’écoutait comme pianiste. A Vienne, il recevra néanmoins l’estime de ses pairs: Dittersdorf et Vanhal, surtout Salieri et Haydn. Vienne reste aussi marquée par l’affirmation du génie musical, celui qui donna L’enlèvement au Sérail (livret commandé par l’Empereur Joseph II), Les Noces, Don Giovanni, Cosi,… et bien sûr, La flûte enchantée. Le film n’omet rien des éléments importants d’une vie trop brève (Mozart meurt à 35 ans): ni ses soucis pécuniers, ses relations avec l’Empereur Joseph (au profil « contradictoire », à la fois esprit des lumières et parfait despote), ni la modernité de son style qui regarde vers le romantisme (La flûte) et le classicisme néo impérial napoléonien (La Clémence de Titus), son entrée comme frère maçon à partir de 1784, la crise viennoise causée par la guerre contre les turcs… A Vienne, Mozart épouse Constanze Weber (en 1782 à l’époque de L’Enlèvement au sérail), compte un réseau relationnel non négligeable, dont Michel Puchberg à qui il ne cessa d’emprunter des sommes de plus en plus importantes pour subsister, connaît des joies immenses comme des gouffres dépressifs, en particulier en 1789 et 1790, années sombres où il ne compose pratiquement pas… C’était pour mieux préparer la dernière année, 1791, qui se révèle féconde. L’ultime période de création est même un feu d’artifice, quelques jours avant le décès du compositeur…
De nombreux témoignages d’artistes (Thomas Quasthoff, Angelica Kirchschlager, Daniel Barenboim), plusieurs extraits musicaux (avec Christine Schäffer, Dorothea Röschmann, Claudio Abbado, et même Pierre Boulez accompagnant Maria Joao Pires…), quelques explications des spécialistes comme Robert Levin, agrémentent l’évocation de la vie et de la carrière de Mozart à Vienne. Accessible et documenté.

Illustration
Barbara Krafft (1819), portrait posthume de Mozart (DR)

Genève, Journées Contrechamps Du jeudi 17 au dimanche 20 mai 2007

Journées Contrechamps
Du 17 au 20 mai 2007
Genève, Suisse
Concerts, conférences, ateliers, dialogues :
Radio, Studio Ernest-Ansermet

Jeudi 17mai 2007 à 19h15 et 20h
Samedi 19 mai 2007 à 15h30, 18h et 20h
Dimanche 20 mai 2007 à 11h et 17h.

Contrechamps, le groupe genevois qui organise chaque saison de nombreux concerts et manifestations autour des musiques d’aujourd’hui, et publie aussi de nombreux livres, consacre une fin de semaine en mai à explorer « la dimension du Temps », son thème général de 2006-2007. Des œuvres de Jarrell, D’Adamo, Francesconi, Huber y dialoguent avec le jeune Ligeti, Messiaen ou Bartok, et l’accent est plus particulièrement mis sur la conception du Temps chez Elliott Carter. Un peu comme le récent Archipels genevois, dont les liens avec Contrechamps sont multiples, avait en avril privilégié un regard sur Giacinto Scelsi…

Devant le Temps

Contrechamps n’est pas seulement une association qui diffuse des concerts, de surcroît « clés en mains » comme on dit familièrement. Au contraire : c’est un lieu (géométrique ?) de création, de réflexion et d’exercice. L’activité s’y accomplit toute l’année pendant une série de concerts ou dans une période privilégiée de nature festivalière, notamment grâce à l’orchestre de 24 instrumentistes qui complète les concerts genevois par des tournées dans le reste de la Suisse et en Europe ; mais il y a aussi la rédaction d’une revue qui fait autorité dans le monde (pas si encombré !) de la musique d’aujourd’hui, et dont l’ensemble d’éditions a pour patron Philippe Albera. Bref, Contrechamps est une saison pensée, pas seulement organisée. Tout 2006-2007 a été placé sous le signe du Temps : « Devant le temps, selon le philosophe Georges Didi-Hubermann, c’est décider d’être juge et adopter une position critique face au présent. Certaines œuvres ont valeur de syncopes, à la fois sur et devant le temps, toujours un temps d’avance sur leur époque », écrit Damien Pousset, qui dirige artistiquement Contrechamps, dont il définit la fonction de « scrutateur assidu du temps présent ». Dans ce cadre, il a ainsi été prévu de donner aux concerts de la saison une messe ( laïque !) du couronnement sous la forme de trois « journées Contrechamps » (17, 19 et 20 mai), qui reprennent, articulent et varient cette étude générale sur le Temps.

Carter, du côté de chez Swann et Mann

Et pour cela, plusieurs compositeurs sont convoqués pour leur implication particulière et opiniâtre devant cette catégorie à la fois très inscrite dans le concept et dans la matière même de l’écriture. Au premier rang, l’Américain Elliott Carter ( né en… 1908) ,dont le parcours atypique et fort européen s’est inscrit à l’inverse d’une spécificité états-unienne, bien que l’influence du novateur américain Charles Ives soit indéniable dans sa philosophie musicale. Elève en France de la « Grande Mademoiselle » (Nadia Boulanger), assimilant l’influence de Stravinsky mais aussi celle de Berg, il passe pour avoir été « pleinement original et lui-même » à partir des années 1945. Et cette originalité passe par l’importance donnée dans son écriture et sa réflexion au temps : « Toute considération technique ou esthétique doit vraiment débuter en se posant la question du temps, écrivait Carter. Tous les matériaux de la musique doivent être considérés par rapport à la projection dans le temps…La musique traite de cette sorte de temps de l’expérience, et son vocabulaire doit s’organiser selon une syntaxe prenant directement en compte un « sentiment temporel » de l’auditeur et pouvant en jouer. » Cette pensée se nourrit évidemment de philosophie, notamment celle de Bergson sur la durée pure et le temps réel, mais aussi d’une littérature qui met en son centre l’investigation existentielle (M.Proust, T.S.Eliot, Th.Mann, J.Joyce, J.Dos Passos) et d’un 7e art qui joue de façon intrinsèque avec les couches du temps et leur mise en mouvement (« rétrograde », naturel et prospectif), de Welles à Eisenstein et aux autres expérimentaux russes. C’est d’ailleurs un emprunt au vocabulaire et au matériel du cinéma que fait Carter pour définir une de ses démarches fondamentales : « L’écran du temps sur lequel la musique se projetterait peut être considéré comme extension du temps mesurable de la vie quotidienne, et comparé à celui d’une toile plate et rectangulaire sur laquelle l’artiste projette son image de l’espace. » Autre donnée du vécu : le temps est multiple, nourri de chaque expérience individuelle qui se l’incorpore, et en tant que « variateur de vitesse », il peut favoriser une conception paradoxale, la rapidité engendrant l’intensité et l’étirement, la lenteur conduisant à l’affaiblissement de la conscience temporelle qui du coup « exige le retour d’événements intempestifs urgents ». Les groupes instrumentaux deviennent alors autant de « personnages d’un scénario » qui évoluent à rythme et tempo complètement différencié.
A l’appui de cette conception, Les Journées donnent deux partitions du compositeur américain, montrant que le Fragment n°2 (quatuor à cordes, 1994) rejoint les préoccupations de « l’ancien » Quintette à vents (1947).

Le temps du Prince assassin et celui du Mystique aux oiseaux

Cette constante du temps « présent » (aux deux sens du terme) est bien la mise en miroir de cette session de mai. Et la richesse d’une attitude programmatrice comme celle de Contrechamps est aussi dans son « double sens » : rapporter ce qu’on écoute au thème général, se laisser entraîner par le climat de chaque œuvre et « dériver » ainsi dans le plaisir de l’instant. Philosopher certes – on aura même la présence du scientifique Henri Atlan pour méditer sur la bio-éthique -, mais aussi le faire implicitement et sans réfléchir à la théorie. A la fois entrer, selon Bergson, sans raisonner « dans le changement pur, se suffisant à lui-même, nullement divisé », et garder conscience – selon Valéry – de ce que le temps est le « nom générique de tous les faits de dualité, … « time’s geometry… », « distance intérieure », et aussi « durée : science à faire… ». Le concert où est donné le Fragment de Carter propose donc aussi (par le Quatuor Contrechamps) le 4e Quatuor de Bartok, dense, abrupt, âpre, et le Zeitfragmente de Michael Jarrell (qui présentera aussi des travaux réalisés dans sa classe de composition), plus abandonné à la fluidité. Celui du Quintette à vents (également des instrumentistes de Contrechamps) aide à s’emporter dans la jubilation du jeune Ligeti(les Bagatelles de 1953), et le recours à « l’histoire ancienne »(musicale) des Drei Sätze de Klaus Huber (1959), avant de s’interroger sur Attesa ( l’attente, 1985-1995) de Luca Franscesconi. Le dialogue à travers le temps de l’histoire des sons est encore plus audible et spectaculaire grâce à la confrontation proposée par Poïesis (ensemble vocal et instrumental spécialisé dans l’Italie du XVIIe, dirigé par Marion Fourquier). D’un côté, des Monodies de Sigismondo d’India, contemporain de Gesualdo et aussi audacieux que le « Prince assassin » Renaissant, de l’autre des Madrigaux et des Pièces Instrumentales du compositeur argentin Daniel D’Adamo, en création mondiale. « Façon festive » de célébrer la continuité du Temps historique. Et on peut aussi renvoyer à un hors-temps, celui-là mystique dans la Nature du Créateur de toutes choses : au XX ème, Olivier Messiaen joue le rôle du catholique absolu (une sorte de Claudel, mais en plus doux de comportement, Dieu merci), aboutissant parfois à d’étranges et excitants alliages entre tout l’extra-européen (païen, souvent) et l’hyper-chrétien. « Des canyons aux étoiles » (1974) est du Messiaen tardif, fasciné par les paysages de l’Utah : cycle pianistique (Bahar Dördüncü) et multi-instrumental (dir. Jurjen Hempel), où machines à vent et à sable contribuent à la mise en mouvement de cet univers d’infiniment lentes mutations géologiques. Les oiseaux, une fois de plus,font le lien de la terre aux cieux, et « le son-couleur » célèbre un Temps…tendant à l’éternité.

Téléphone: + 41.22 329 24 00. Informations: www.contrechamps.ch

Œuvres de S.d’India (1), Bartok (1), Messiaen (1), Ligeti (1), Carter (2), Huber (1), D’Adamo (2), Francesconi (1), K.Sakai, Y.Tokoi, T.Stambultsyan, O.LMervik (1).

Crédits photographiques
Elliott Carter (DR)
Le chef d’orchestre Jurjen Hempel © M.Borggreve

Juin 2007, mois lyrique sur Mezzo

Juin lyrique sur Mezzo. Pas moins de quatre productions incontournables dont la première diffusion est programmée chaque samedi à 20h45. Deux inédits: Fidelio de Beethoven dirigé par Böhm (1970) et Les Maîtres Chanteurs de Wagner avec José Van Dam dans le rôle de Hans Sachs (2003), sans omettre, L’Enlèvement au sérail de Mozart et à la fin du mois, enfin Elektra de Richard Strauss, avec Deborah Polaski dans le rôle-titre, en conflit terrifiant avec sa mère Clytemnestre (Felicity Palmer)! De quoi satisfaire vos appétits lyricophages…

Ludwig van Beethoven
Fidelio

Gwyneth Jones, Leonore
James King, Florestan
Chor und orchester
Deutschen oper Berlin
Karl Böhm
, direction

Le 2 juin 2007 à 20h45
Le 3 juin 2007 à 13h45
Le 12 juin 2007 à 15h45
Le 14 juin 2007 à 3h55
Le 22 juin 2007 à 15h50

Opéra. Enregistré à l’Opéra de Berlin (1970, 1h53).

Vision implacable d’une netteté tranchante, affûtée mais aussi solaire. A la tête des effectifs de l’Opéra de Berlin, Böhm dirige en 1970, d’une main d’acier, un Fidelio qui inscrit aussi son chant incantatoire dans l’humanisme. La baguette est nerveuse, vive, allante: elle impose à l’orchestre sa motricité continue, du début à la fin, des sombres geôles où croupissent les parias et les prisonniers bannis, jusqu’à la libération finale, grâce à l’amour de Leonore pour Florestan. Dans les deux rôles Gwyneth Jones et James King s’imposent indiscutablement: musicalité, autorité, tendresse et véhémence de l’émission pour ces deux légendes straussiennes et wagnériennes qui d’ailleurs ont débuté tous deux plus graves, baryton et mezzo, et évolué vers l’aigu, ténor et soprano. La galloise et l’américain emportent toutes réserves car ils ont et l’humanisme des caractères et la violence irrépressible de leur personnage, dans cette fresque qui se déroule des souterrains à la rayonnante liberté. Dommage que la mauvaise synchronisation du playback gêne parfois l’acuité expressive de cette lecture cependant incontournable.
Approfondir: lire notre dossier Fidelio de Beethoven

Richard Wagner

Les Maîtres Chanteurs
de Nüremberg

José van Dam, Hans Sachs
Peter Seiffert, Walther
Petra-Maria Schnitzer, Eva
Choeurs et orchestre
de l’Opéra de Zürich
Franz Welser-Möst
, direction

Samedi 9 juin 2007 à 20h45
Le 10 juin 2007 à 13h45
Le 19 juin 2007 à 15h45
Le 21 juin 2007 à 4h10
Le 29 juin 2007 à 16h

Opéra. Créé à Munich en 1868. Réalisation: Andy Sommer. Enregistré à l’Opéra de Zürich (2003, 2h49 mn)
Mise en scène : Nikolaus Lehnhoff.

Les Maîtres Chanteurs de Nüremberg est le seul opéra « léger »de Wagner. Composé comme une pause récréative après les langueurs de Tristan mais avant les deux dernières Journées du Ring (Siegfried et le Crépuscule des dieux), l’intrigue en est simple. Le jeune chevalier Walther von Stolzing tombe amoureux d’Eva, fille du bourgeois Polger. Mais pour l’épouser, il doit entrer dans la prestigieuse confrérie des Maîtres Chanteurs, fondée par les artisans de Nüremberg. Pour réussir, il devra non seulement, évincer le greffier Beckmesser, qui veut aussi épouser la jeune fille mais aussi, maîtriser l’art du chant. Heureusement, le cordonnier Hans Sachs l’aidera dans cette tâche. Bon père, âme noble, en somme un guide, Sachs délivre un message sans ambiguité: il faut s’incliner devant l’art inspiré par l’amour. Walther vaincra la réticences de ses juges conservateurs, la fourberie de son rival grâce à sa vertu amoureuse. Chanter vrai, c’est chanter avec son coeur. José Van Dam incarne le maître chanteur Hans Sachs qui est aussi cordonnier: le jeu économe (mais le feu intérieur du baryton, mystérieux et mesuré), secrêtement épris de la belle Eva, s’impose dans la mise en scène dépouillée, théâtrale de Lehnoff. Franz Welzer Most dirige le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Zurich. Enregistré en 2003.

Wolfgang Amadeus Mozart
L’enlèvement au sérail

Klaus Maria Brandauer, Bassa Selim
Malin Hartelius, Konstanze

Patricia Petibon, Blonde
Piotr Beczala, Belmonte
Boguslav Bidzinski, Pedrillo
Alfred Muff, Osmin
Choeur et orchestre de l’Opéra de Zürich,
Franz Welzer Most
, direction



Samedi 23 juin 2007 à 20h45
Le 24 juin 2007 à 13h45

Opéra. Réalisation: Chloé Perlemuter. Enregistré à l’Opéra de Zürich (2005, 2h23)
Mise en scène : Jonathan Miller ; décors : Isabella Bywater ; lumières : Hans-Rudolf Kunz

Quand Mozart entreprend en 1781 la composition de « l’Enlèvement au Sérail », le jeune compositeur alors installé à Vienne depuis peu, s’attèle à l’oeuvre qui le passionne, donner le modèle d’un opéra chanté en allemand. Le 1er aout 1781, il écrit ses mots a son père Leopold : « Avant-hier, on m’a remis un livret pour que j’en compose la musique. Le livret est très intéressant. Le sujet est turc. » C’est l’empereur Joseph II qui aurait fait la commande. La création de l’œuvre était initialement prévue pour la visite d’Etat du Grand Duc Paul Petrovich de Russie. La première eut finalement lieu le 16 juillet 1782 au Burgtheater de Vienne, sous les applaudissements impériaux. Dans la mise en scène de Chloé Perlemuter à qui l’on doit aussi un documentaire sur l’opéra Cardillac de Paul Hindemith, produit sur le scène de l’Opéra Bastille en 2006, les chanteurs sont filmés en coulisse avant leur entrée sur scène. Filmé à la façon d’un marivaudage, le document souligne les confrontations, les enjeux sentimentaux d’autant que la distribution vocale est très cohérente. Excellent spectacle.

Approfondir: lire notre critique de L’Enlèvement au sérail de Mozart à l’Opéra de Zurich (1 dvd Bel Air classiques)

Richard Strauss
Elektra
, 1909

Deborah Polaski, Elektra
Anne Schwanewilms, Chrysotémis
Felicity Palmer, Clytemnestre
Robert Brubaker, Egisto
Alfred Walker, Oreste
Orchestre et choeur de la Scala
Semyon Bichkov
, direction



A partir du 30 juin 2007 à 20h45

Opéra. Enregistré à Milan. (2005, 52 mn).

La présente production a été filmée en 2005, au Teatro degli Arcimboldi à Milan, volet de la saison musicale de la Scala de Milan.Complément visuel à l’enregistrement paru chez Hänssler (Elektra, Semyon Bichkov, Hänssler, 2004), qui nous avait totalement convaincu et qui réunit le même trio féminin, la mise en scène de Luca Ronconi et les décors de Gae Aulenti apportent leur supplément de noirs vertiges et de sanguinité écoeurante, au chant proche de l’idéal de la distribution milanaise. Deborah Polaski se montre à la hauteur du rôle: dévorée par le désir de haine matricide, invoquant la loi du sang pour venger son père Agamemnon… Sa soeur, Anne Schwanewilms a ce timbre tendre et clair de celle qui veut tourner la page et se défaire de la spirale de l’obsession: « plutôt mourir que vivre sans vivre », et Felicity Palmer se révèle hors des sentiers baroques où l’on avait plus l’habitude de l’entendre et de l’applaudir. En elle se précise, une troisième nuance féminine: monstre avide de sacrifices, insomniaque manipulant, séduisant, fausse implorante dévorée par le souvenir du meurtre de son époux qu’elle a commis avec son amant Egiste… Le portrait des trois individualités suffirait déjà à recommander la production. Dans le fosse, Bychkov, en maître des climats symphoniques, assène vertiges, sauvagerie, déluge et déflagration d’une partition marquée par l’hallucination et l’horreur. Le tableau de la confrontation entre la mère et la fille, Clytemnestre et Elektra, dans la chambre de la Reine, pareille à une salle d’écarrissage (dépouilles des bêtes, boeufs et chevaux écorchés, suspendus aux murs) est à ce titre éloquent, dans la suffocation et la suggestion de la perversité. Très convaincant.
Approfondir: lire notre dossier Elektra de Richard Strauss

Crédits photographiques
Karl Böhm (DR)
José Van Dam (DR)
Barbara Kraft, portrait posthume de Mozart
Deborah Polaski (DR)

Véronique Gens, soprano. PortraitMezzo, les 17 et 18 juin 2007

Véronique Gens
Soprano

Le 17 juin 2007 à 10h45
Le 18 juin 2007 à 3h50

Les voyages d’une tragédienne. Documentaire. Réalisation: Yvon Gérault (26mn, 2005)

La jeune choriste orléanaise avait l’habitude de chanter des solos à l’église pour chaque Noël. Peu à peu sa pratique amateur s’est changée en exercice régulier, de plus en plus professionnel grâce à un timbre soyeux, une technique progressive, surtout un instinct musical sûr, constant et assidu. Au moment où la soprano enregistre les airs de tragédienne avec les Talens Lyriques dans l’église parisienne de Notre-Dame du Liban, près du Panthéon, la caméra d’Yvon Gérault tente ce portrait de la cantatrice qui s’est spécialisée dans le chant baroque.
Le programme de ce nouvel album « Tragédiennes », à l’initiative de Virgin classics (Emi) regroupe quelques grands airs des opéras français de Lully, Rameau, Mondoville, Leclair… C’est une approche synthétique de la tragédie lyrique française, au cours des XVII ème et XVIII ème siècles. L’absence de vibrato lui assure dès les débuts de sa carrière, l’obtention des rôles les plus difficiles: femmes blessées, reines ou princesses, prêtresses ou nymphes, invoquant les divinités infernales (Armide) ou dialoguant avec les rossignols enchanteurs… La voix de Véronique Gens qui cependant, en dépit de sa réputation d’interprète malléable et curieuse, d’excellente professionnelle, fait la majorité de sa carrière hors de France, est généreuse, colorée, flexible d’une diction proche de la perfection. Or il faut beaucoup d’attention à l’articulation de la langue pour réussir l’imploration, la prière ou la hargne des héroïnes, de Lully à Mondoville.
L’artiste accomplie qui chante aussi Mozart (Vitellia dans La clémence de Titus ou la comtesse des Noces de Figaro), se dévoile à fils ténus devant la caméra. Première étude au Conservatoire d’Orléans, apprentissage et premiers grands rôles sous la tutelle de William Christie, évolution de la voix, plus ample, plus dramatique, aux harmoniques naturelles et riches… Véronique Gens est une artiste discrète, une femme sereine et douce qui peut aussi mordre comme interprète affûtée. Elle mérite d’être davantage connue. Portrait indispensable.

Approfondir
Lire notre critique du disque « Tragédiennes » de Véronique Gens (Virgin classics)

Crédit photographique
Alcina, Hambourg (février 2002) © T.Beu

Anvers. deSingel, le 25 avril 2007. Christoph Prégardien et Julia Kleiter, Italienisches Liederbuch de Hugo Wolf

Julia Kleiter est l’étoile de cette soirée très réussie à deSingel à Anvers.Tout le monde n’a pas eu l’occasion d’entendre la jeune soprano allemande en Pamina dans La Flûte enchantée à l’Opéra Bastille lors de la saison 2004. Entretemps elle a enregistré le rôle de Papagena sous la houlette de Claudio Abbado. Le Singel d’Anvers vient d’offrir une excellente occasion de découvrir cette ravissante voix dans le répertoire du lied, domaine qui outre-Rhin lui vaut déjà une flatteuse notoriété.

Le timbre est pur, limpide, et dénué du moindre vibrato. La maîtrise vocale n’est jamais prise en défaut, dans un répertoire qui, manifestement, lui sied à merveille. En entendant Julia Kleiter murmurer les mélodies tour à tour tendres ou mélancoliques, populaires ou naïves du Italienisches Liederbuch, on a envie de dire: attention talent, grand talent, à suivre ! Prometteuse, surprenante d’intensité dramatique aussi, l’on sent qu’elle a l’habitude de la scène. Lorsque du doux sentiment initial l’amour vire au coup de foudre, la soprano prend son envol: volcanique, l’embrasement et l’emballement ne tardent hélas pas à faire place au dépit, à la jalousie, à la rancune.

En 46 épisodes, Hugo Wolf brosse un véritable condensé des passions humaines. Christoph Prégardien, incomparable artiste, diseur accompli, prend la jeune soprano sous son aile protectrice et bienveillante, ne négligeant par ailleurs aucune occasion de la titiller gentiment, lui donnant ainsi la possibilité d’accentuer par un geste, une mimique, le sentiment évoqué par le poème. L’alternance entre la soprano et le ténor évite tout relâchement dans la tension, toute monotonie dans le ton. Un récital de charme, fait d’expressivité et d’intériorité, par un duo vocal de toute grande qualité, soutenu par l’excellent piano de Hilko Dumno.

Anvers. deSingel, le 25 avril 2007. Hugo Wolf (1860-1903): Italienisches Liederbuch. Christoph Prégardien, ténor. Julia Kleiter, soprano. Hilko Dumno, piano

Crédit photographique:
Christoph Prégardien (DR)

Hector Berlioz, Requiem. Jean-Claude Casadesus.Mezzo, du 15 au 31 mai 2007

Hector Berlioz,
Requiem
(1837)

Le 15 mai 2007 à 20h45
Le 16 mai 2007 à 13h45
Le 22 mai 2007 à 3h45
Le 31 mai 2007 à 4h59

Concert. Enregistré au Théâtre antique de Vienne en France, le 29 août 2003. Réalisation: Jean-François Lebossé. Yves Saelens, ténor. Choeur Philharmonique de Prague, Orchestre National de Lille. Jean-Claude Casadesus, direction.

De Mortier à Damrémont
Dans la carrière de Berlioz, le Requiem est pour la musique religieuse, ce que fut son opéra Benvenuto Cellini pour la scène lyrique: un aboutissement couronnant des années de galère et d’écriture forcenée, reportée, reprise… Ce qu’aime le compositeur, c’est la grande musique dramatique et religieuse, la fresque, la science des équilibres qui associe le volume et la musique, le souffle et la prière.
Ayant à de nombreuses occasions réfléchi sur une oeuvre grandiose suscitant l’ombre des défunts, la force de la mort, et l’appel de l’éternité dans une colossale évocation, la miséricordieuse compassion divine, celle du juge suprême, Berlioz est d’autant plus enthousiaste lorsqu’il reçoit la commande officielle d’une oeuvre de circonstance destinée à honorer les morts illustres de la nation, sur la proposition du Ministère de l’intérieur, en mars 1837. La vague initiative ministériellle vaut peu de chose à son commencement: un projet suggéré qui reste suspendu et qui se perd dans les couloirs des administrations. A force de conviction et de démarches dont il rend compte dans sa correspondance, Berlioz obtient enfin une confirmation en bonne et due forme: la commande est signée et publiée au décret officiel le 2 avril 1837, précisant même une exécution dans l’église des Invalides, en juillet suivant, à la mémoire du maréchal Mortier, assassiné en 1834. Possédé par son oeuvre, Berlioz peine à suivre la frénésie de son inspiration qui lui commande une manière d’écrire en sténographie afin de fixer l’ensemble des idées musicales qui jaillissent. Il achève la partition le 29 juin 1837.
Mais les ministres étant plus forts en parole qu’en action, la commande est ajournée. Berlioz demande le paiement de la commande: refus. Mais le général de Damrémont venant de mourir lors du siège de Constantine, l’idée d’une commémoration circonstancielle ressuscite: elle devient nécessaire. Berlioz propose son Requiem… qui est donc créé le 5 décembre 1837. Habeneck est au pupitre. Le succès est à la mesure des difficultés vécues pour la création de l’ouvrage: phénoménal. Princes de sang, personnalités et sommités politiques, artistes et journalistes sont éblouis par la solennité hallucinée du Requiem. Berlioz dirigera ensuite plusieurs reprises de l’oeuvre à Saint-Eustache, en 1846, 1850 et 1872. Le Requiem fut de toutes les oeuvres de son catalogue, le plus applaudi.

Une fresque grandiose qui glorifie le silence
La volumétrie de l’oeuvre est elle aussi un spectacle à part entière: 190 instrumentistes, dont quatre petits orchestres de cuivre, répartis aux quatre angles de la masse chorale, laquelle avoisine idéalement les 400 chanteurs, soit 100 voix par pupitres.
Dans cette architecture à l’ampleur digne de Saint-Pierre et qui doit s’accorder aux grandes nefs des églises, Berlioz privilégie pourtant a contrario de l’immensité de la partition et des effectifs requis, le silence et la nuance piano. En eux, s’approfondit et s’impose la méditation de la mort, du salut de l’âme, de l’éternité des méritants. La masse chorale dans sa plénitude ne doit pour sa part chanter que dans trois sections: Dies irae, Tuba mirum, enfin Lacrymosa.

Plan
1. Requiem et kyrie, Introit: Souffle et douleur, grandeur et murmure sont déjà convoqués.
2. Dies irae, Prosa: Recueillement et silence, tonalités incertaines et flottantes puis éclatement des fanfares célestes grâce aux quatre orchestres de cuivres qui entonnent le Tuba mirum. Pour cet appel du « Très Haut », le compositeur préconise simplicité et « force d’émission » qui doivent ainsi produire un effet de grandeur majestueuse. Cris et panique du choeur. Tout s’achève dans le silence.
3. Quid sum miser: Dans l’immensité noire, lugubre prédessinée, Berlioz fait entendre la clameur désolée des hommes abandonnés, terrifiés, accablés, démunis.
4. Rex tremendae
: Lueur, lamentations. Le déchaînement des forces gagne tout l’orchestre auquel est soumis l’humble scansion, du « salva me », à peine audible, nouvelle évocation du désarroi de l’humanité.
5. Quaerens me: Nouveaux éclats et murmures. Le choeur prend le dessus, s’imposant à l’orchestre assagi.
6. Lacrymosa: La plainte solennelle du choeur dialogue avec l’orchestre en une section au pathétique intense qui s’achève avec fracas.
7. Offertoire: Construit comme un cortège, au terme duquel le choeur extatique, « arrêté » prononce un diaphane « amen ». La fine texture onirique de cette section a suscité l’enthousiasme de Schumann qui a déclaré que l’offertoire « surpasse tout ».
8. Hostias: La voix suppliante des hommes est ponctuée par les accords des trombones et des flûtes.
9. Sanctus: L’angélisme croissant de la musique porte la prière de la voix du ténor soliste qui incarne l’aspiration au pardon et à la clémence. La prière entonnée, suspendue comme dans un songe, s’efface à mesure que le chant triomphal s’affirme dans la conclusion.
10. Agnus Dei: Citation de l’Hostias, de l’ultime portée du Rex tremendae, organisent une manière de récapitulation grandiose qui ferme la boucle, conclusion peu à peu réalisée avec la répétition des six « amen », porteurs de paix et de rémission. Enfin la sérénité est accordée aux plus méritants.

Crédit photographique
Hector Berlioz, portrait (DR)

Jane Campion, La leçon de piano (1993)France 3, le 15 mai 2007 à 20h45

La leçon de piano
Jane Campion, 1993

Film (The Piano), Nouvelle Zélande, 2h. Avec Holly Hunter, Harvey Keitel, Sam Neil, Anna Paquin.

Film en costume d’époque certes, mais puissance onirique et dramatique d’un scénario résolument âpre, violent, d’une superbe grandeur psychologique. Le soin de la réalisatrice Jane Campion produit des images d’une ineffable beauté, dont l’esthétisme qui ne peut être ni dit ni raconté se confond d’autant mieux à son propos et à son rythme musical. Ada, veuve mal mariée, s’agite, confusément, sans pouvoir crier son désir de liberté et d’émancipation car elle est muette: femme écorchée, mais femme forte, d’une incomparable beauté d’âme.
Comme un opéra et ses leitmotifs, le déroulement cinématographique use aussi de références et de repères particulièrement suggestifs: voyez ce moment où Ada est empêchée par son mari brutal de rejoindre son amant. Mouvement fluide, suspendu de la robe qui semble flotter sur les buissons environnants. Exactement comme lorsqu’elle est précipitée au fond de l’océan dans une chute vers l’abîme où l’entraîne le piano auquel son pied est lié. Jane Campion a beaucoup de compassion pour son héroïne: elle imagine une fine heureuse à une action qui n’aurait pu être que tragique… or féministe et même très engagée, l’auteure bouscoule les règles de la trame romantique comme elle s’élève contre les convenances et l’hypocrisie de la société bourgeoise de la Nouvelle-Zélande du XIX ème où les colons britanniques imposent les usages sociaux.
En cela le regard que porte Ada sur les indigènes Maoris reste juste: ils ont compris qu’un lien avec la nature, librement consenti, généreusement préservé est la clé d’une harmonie bienheureuse…
La figure de l’amant, Georges Baines reconnaît en Ada une égale, une femme digne d’être aimée et choyée. Il reste le seul capable de s’émouvoir de la musique que joue la jeune femme sur son clavier (musique de Michael Nyman).
A chaque nouvelle touche jouée qui permet à Ada de reconquérir l’instrument, c’est à dire son âme, correspond un nouvel acte réalisé de leur attraction érotique: pour Jane Campion, la liberté de la femme se mesure à sa capacité de choisir son amant.
Palme d’or du Festival de Cannes 1993. Cesar du meilleur film étranger 1994.

Roger Muraro, piano. Un Regard sur Oliver MessiaenMezzo, les 28 et 29 mai 2007

Roger Muraro, piano
Un regard sur Olivier Messiaen

Le 28 mai 2007 à 21h45
Le 29 mai 2007 à 14h45

Documentaire. Réalisation: Stéphan Aubé. 52 mn, 2004.

Enfant Olivier Messiaen imaginait des décors de carton et de papier, tout en s’émerveillant de l’effet de la lumière colorée passant à travers des fonds transparents de couleur. Lorsqu’à 10 ans, il découvrit la Sainte-Chapelle à Paris, l’impression des vitraux diffusant une lumière sublimée, mêlant éblouissement, vibrations, chromatisme, s’inscrivit durablement dans son esprit. Devenu compositeur, Messiaen garda toujours en mémoire ce rapport rythme, temps,couleurs, associé à son oeuvre de musicien.
Interprète « spécialisé » de l’univers de Messiaen, le pianiste Roger Muraro a travaillé aux côtés du maître qui a validé son approche d’interprète. Le pianiste explique, commente, analyse les tableaux qui composent le cycle des « Vingt regards sur l’Enfant Jésus« . Celui qui fut un proche de Messiaen et l’élève de l’épouse du compositeur, Yvonne Loriod (pendant près de 10 ans), nous plonge dans le monde coloré d’un musicien qui écrivait la musique en teintes et en intensité, du mauve au gris, de l’orangé au bleu de prusse, du jaune au bleu de cobalt… correspondances d’ailleurs évoquées concrètement dans le documentaire.
Dans la maison du couple Loriod/Messiaen, Muraro au clavier (un Steinway) précise l’exigence de la pensée musicale du compositeur. Il en précise aussi les thèmes d’inspiration: le motif naturel (Montagne et lac environnants…), surtout les chants d’oiseau. Les précieux volatiles sont devenus les passeurs d’une âme éprise de spiritualité, dont Messiaen a appris à noter sur le vif les arabesques complexes et spécifiques. Chant de la grive et du merle, du rossignol et de la fauvette… La grappe de leurs vocalises est une guirlande qui apparaît dans la partition, accordée au thème du silence et du temps, à celui, solennel, majestueux, de Dieu… Rien de mieux que de recueillir la parole d’un interprète inspiré pour sentir et voir, écouter et s’immerger dans le flot musical d’un compositeur. De ce point de vue, le documentaire de Stéphan Aubé est magistralement réussi. A la construction par chapitre, correspond la volubilité de l’interprète dont le verbe imagé et précis est lui-même un captivant passeur qui nous mène dans le travail de Messiaen…

Crédit photographique
2006 © B. Desprez

Georges Bizet, Carmen (1875). DécryptageFrance Musique, les 24 puis 31 mai 2007 à 13h40

Les Visiteurs d’Histoire
Georges Bizet
Carmen
, 1875


Carmen
le trouble, la gitane et la pétroleuse

par Marc Dumont

Le jeudi 24 mai 2007 à 13h40
Le jeudi 31 mai 2007 à 13h40

En mai 2007, Carmen ressucite avec force. Programmée au Châtelet (du 10 au 28 mai 2007), sujet d’un docu puis d’une intégrale lyrique sur France 3, le dernier opéra de Bizet s’inscrit durablement sur les scènes (l’oeuvre sera également jouée à Saint-Etienne du 13 au 17 juin 2007), sur les ondes, à la télé et à la radio.

Marc Dumont a choisi d’analyser les problématiques à l’oeuvre dans Carmen: « tout le monde connaît la Carmen de Bizet. Elle trouble l’ordre établi… comme 4 ans auparavant le firent les pétroleuses de la Commune« . Extraits de Bizet, Friedrich Nietsche, Johanna Kinkel.
Séditieuse, provocante, antisociale… Carmen est une figure de la transgression, l’emblème de l’amour vénéneux, la madone d’une liberté jusqu’au-boutiste, déesse de l’amour libre, fumeuse de cigares comme d’hommes… en définitive, un monstre voluptueux qui ne cesse pourtant de titiller nos conventions bourgeoises…

Illustration

Edouard Manet, Jeune femme (DR)

Gioacchino Rossini, Tancredi (1813). René JacobsParis, Bruxelles. Les 3 et 7 juin 2007

0

Giacchino Rossini
Tancredi
, 1813
(version de concert)

Paris
Salle Pleyel
Le 3 juin 2007 à 17h

Bruxelles
Palais des Beaux-Arts
Le 7 juin 2007 à 19h30

Tancredi, Bernarda Fink
Amenaide, Rosemary Joshua
Argirio, Lawrence Brownlee
Roggiero, Veronica Cangemi
Orbazzano, Federico Sacchi
Isaura, Elena Belfiore

English Voices
Orchestre des Champs-Élysées
René Jacobs
, direction

Première collaboration entre René Jacobs et l’Orchestre des Champs-Élysées, la tournée du Tancrède de Rossini, en version de concert (qui passe aussi par l’Espagne et l’Allemagne) promet d’être fascinante car c’est aussi la première production musicale d’un opéra rossinien sur instruments d’époque ! Tancrède, écrit pour la Fenice, fut créé le 6 février 1813. Il remporta un vif succès auprès des Vénitiens et contribua à la gloire du jeune compositeur qui n’avait pas encore 21 ans. Le musicien habile orfèvre de la ligne autant vocale qu’instrumentale, redéfinit le style lyrique: moins de récitatifs interminables mais une déclamation nouvelle souple, ornementée dont les arabesques suivent la vocalità naturelle de la parole. La vie, la pulsion, la vitalité!

Rossini qui a connu ses premiers succès dans le registre comique (La Cambiale di Matrimonio, 1810, puis Il signor bruschino, 1813), aborde avec Tancredi, la veine héroïque et romanesque. Inspiré du Tancrède du Tasse (La Jérusalem délivrée) et de la tragédie Tancrède de Voltaire (1760), l’opéra pose sur la scène la geste militaire du Chevalier Tancrède, croisé normand, à Syracuse, en 1005, pendant l’invasion arabe. Les clans en présence, se sont ralliés autour d’un même idéal: repousser les Sarrasins conduit par Solamir. Mais c’est oublier l’ancien protecteur et maître de Syracuse, Tancrède, secrêtement aimé par la princesse Aménaïde. Au terme de nombreux rebondissements, mêlant actions héroïques et intrigue amoureuse, Tancrède qui sacrifie sa vie pour sauver sa ville et l’honneur de celle qu’il aime, est traversé par le doute et l’angoisse. Il s’interroge sur la nature de l’amour d’Aménaïde. A la violence des guerres chevaleresques correspond l’agitation et les vertiges d’un homme rongé par le soupçon. Même s’il retrouve la paix intérieure, le soldat exténué, expire dans les bras de son aimée. Point de repi ni de repos pour le combattant éprouvé. Le rôle-titre est conçu pour une mezzo agile et dramatique, un caractère taillé sur mesure pour le feu vocal de Bernarda Fink.

Illustration
John Williams Waterhouse, la belle dame sans merci (DR)

Anna Caterina Antonacci, soprano. Era la notte…Paris, Caen, Toulouse. Du 2 au 16 mai 2007

Era la Notte
Anna Caterina Antonacci
,
soprano

Paris, Théâtre des Champs Elysées
Les 2, 4 et 5 mai 2007
Caen, le 9 mai 2007
Toulouse, le 16 mai 2007

Diva tragica

Une tragédienne hors norme réalise sa tournée française. Elle fut Agrippina, impériale marâtre au pouvoir vorace, de Haendel sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées (septembre 2003, direction: René Jacobs); une toute aussi flamboyante et hallucinée Cassandre dans la production du Châtelet dirigé par Gardiner (octobre 2003), et dernièrement, Rachel, tendre et incandescente, dans La Juive de Fromental Halévy à l’Opéra Bastille (27 mars au 19 avril 2007): le parcours de la soprano italienne, née à Ferrare, Anna Caterina Antonacci, tient d’un sans-faute.
Le timbre opulent et soyeux, les registres stables, l’aigu comme le grave parfaitement placés, et ce supplément d’âme et de fragilité font pour chacune de ses incarnations, un moment d’embrasement vocal, et de présence dramatique.
Juliette Deschamps met en scène un spectacle taillé à la mesure de la diva ténébreuse. « Era la Notte »: performance a voce sola, marquée par les ombres et les contrastes, féerie nocturne conçue à partir des partitions composées par Claudio Monteverdi, père de l’Opéra et dont nous fêtons en 2007, les 400 ans de son premier chef-d’oeuvre, Orfeo. Mais Anna Caterina Antonacci chante aussi Giramo et Barbara Strozzi, contemporains du maestro vénitien. « Era la Notte », titre qui renvoie au XII ème chant de La Jérusalem délivrée du Tasse, dont est inspiré le Combattimento di Tancredi e di Clorinda de Monteverdi, a été créé au Grand Théâtre de Luxembourg, le 29 janvier 2006. « De la nuit, il faut aimer les surprises, les murmures, ce qu’elle renferme et de ne délivre pas toujours. Dans l’obscurité, comprendre l’histoire, deviner son chemin, se laisser tromper par la pénombre, se prendre au jeu des métamorphoses et des ambiguités« , précise la metteuse en scène. Dans ce dédale convoqué, où les masques alternent avec les révélations, où les passions humaines tissent la tapisserie inusable des aspirations, désirs et errances de la condition humaine, la soprano italienne, tragédienne et diseuse reconnue, « qui a la gravité des madones et la présences brûlante des femmes destinées« , apporte la dimension et le souffle humain, épique, légendaire, féerique des divines instigatrices.

Programme
Claudio Monteverdi: Lamento d’Arianna. Barbara Strozzi: Lamento. Pietro Antonio Giramo: La pazza. Claudio Monteverdi: Combattimento di Tancredi e Clorinda

Era la notte. Anna Caterina Antonacci, soprano. Le cercle de l’Harmonie, direction: Julien Chauvin. Juliette Deschamps, mise en scène. Le programme de ce récital est aussi le sujet d’un disque paru chez Naïve (Anna Caterina Antonacci interprète tous les rôles des extraits et partitions abordées. Elle y est accompagnée par Modo Antiquo, direction: Federico Maria Sardelli). Enregistré en octobre 2005, 1 cd Naïve , 44mn, V 5050).

Illustration
Anna Caterina Antonacci: Cassandre mémorable, torche humaine par son chant crépusculaire et incantatoire, dans la production des Troyens de Berlioz (Paris, Châtelet, 2003)

Lucia di Lammermoor, 1835. Flaubert/DonizettiFrance Musique, le 6 mai 2007 à 16h

Gustave Flaubert
Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor

, 1835

Dimanche 6 mai 2007 à 16h

Histoires de musiques
Par Dominique Jameux

Qu’ont à voir l’oeuvre et la sensibilité de Gustave Flaubert et le chef-d’oeuvre du romantisme italien, composé en 1835 par Donizetti, Lucia di Lammermoor? Vous le saurez en écoutant ce programme qui promet d’être passionnant.

Crédit photographique
Gustave Flaubert (DR)

Rebel/Francoeur, Pyrame & Thisbé (1726)Angers-Nantes Opéra, du 25 mai au 12 juin 2007

0

Rebel/Francoeur
Pyrame & Thisbé
, 1726
Angers-Nantes opéra
Du 25 mai au 12 juin 2007

Nantes
Théâtre Graslin
vendredi 25, dimanche 27,
mardi 29, jeudi 31 mai
et vendredi 1er juin 2007

Angers
Grand théâtre
vendredi 8, dimanche 10,
et mardi 12 juin 2007

Comment se porte la tragédie lyrique en ces temps de frénésie lyrique, où les mises en scènes parfois outrancières mettent à mal les oeuvres classiques? Pas si mal. Excellement même si l’on constate de récentes révélations dont la plus récente, dans les salles et au dique, restera pour la saison 2006/2007, la Callirhoé de Cardinal Destouches (1712). Lire notre dossier Callirhoée d’André Cardinal Destouches. Angers-Nantes Opéra affiche une nouvelle production baroque qui pourrait dans le même sens, s’avérer marquante.
On connaît le sujet, illustré par Nicolas Poussin au XVII ème siècle: les deux amants se croisent, se ratent et pensant que l’autre a été dévoré, se donne la mort en décalé. Conjonction tragique, point ultime d’un sacrifice partagé, exaltation théâtrale de l’amour passionnel qui ne peut être qu’en expirant. Eros, Thanatos: l’effet de bascule est aussi ancien que le théâtre antique. Et Poussin, transporté par le thème, en conçut un genre pictural nouveau: le paysage désormais tragique. Un éclair déchire le ciel, exprimant au devant de la scène, le désarroi de la pauvre Thisbé qui découvre le cadavre inerte de son tendre amant. L’amante déchirée par la douleur et la perte, se poignarde aussitôt.

Tragédie lyrique des « deux François »

Il est plus rare cependant qu’à l’opéra, deux compositeurs s’associent pour en représenter l’action. Le genre de la tragédie lyrique favorise cette rencontre exemplaire entre François Francoeur (1698-1787) et François Rebel (1701-1775), duo à quatre mains que Angers-Nantes Opéra met à l’affiche de sa fin de saison, du 25 mai au 12 juin 2007. Ils sont tous deux violonistes et intègrent l’Opéra de Paris, dès l’adolescence. Ils s’y rencontrent et s’y lient d’amitié. Après un voyage à Prague et à Vienne (1723), ils écrivent ensemble en 1726, leur première tragédie lyrique, Pyrame et Thisbé, oeuvre collégiale de deux « enfants ». Ils n’ont pas 30 ans. Premier succès aussi, suivi de nombreux autres, toujours composés à deux: Scanderberg (1735), Zélindor…
Compositeurs renommés sous le règne de Louis XV, les deux hommes, décidément très complémentaires, déploieront une égale efficacité dans l’administration de l’Académie Royale de musique dont ils sont les directeurs jusqu’en 1766: ainsi, comme créateurs, ils auront été contemporains des triomphes et scandales de l’incontournable Rameau, tout en accompagnant l’évolution du goût, de la courbe rocaille à l’épure néo-classique des années 1760…
Violoniste comme eux, Daniel Cuiller et son ensemble Stradivaria promettent une juste résurrection de ce premier ouvrage à deux pensées, sur les scènes d’Angers et de Nantes à partir du 25 mai 2007.

Francoeur et Rebel, Pyrame & Thisbé. Avec dans les rôles-titres: Thomas Dolié et Judith Van Wanroïj. Mise en scène: Marianne Clément. Lire aussi notre critique de l’ouvrage collectif « Pyrame et Thisbé, un opéra au miroir de ses parodies (1726-1779)« , rédigé par les équipes de l’Université de Nantes (éditions Espaces 34)

Illustration

Nicolas Poussin, Pyrame et Thisbé (Musée de Francfort sur le Main)
A la une du mag « à l’affiche en France »: Nicolas Poussin, Diane et Endymion (DR)

Roberto Alagna, récital. Paris, TCEVendredi 18 mai 2007 à 20h

Roberto Alagna, ténor
récital

Paris, Théâtre des Champs Elysées
Cycle Les Grandes Voix
Vendredi 18 mai 2007 à 20h

Roberto Alagna, ténor
Jeff Cohen, piano

Programme

Airs d’opéra français

Massenet, Hérodiade: “Ne pouvant réprimer”
Gluck, Iphigénie en Tauride: “Quel langage accablant… Unis dès la plus tendre…“
Méhul ,Joseph: “Vainement Pharaon dans sa reconnaissance… Champs Paternels”
Thomas, Mignon: “Elle ne croyait pas, dans sa candeur naïve”
Cherubini, Les Abencerages: “Suspendez à ces murs… J’ai vu disparaître l’espoir”
Gretry, L’Amant jaloux: Sérénade
Meyerbeer, L’Africaine: “Pays merveilleux”
Halévy, La Juive: “Rachel, quand du Seigneur”

Tarentelles et mélodies siciliennes

Claude Angel, guitares
Robert Le Gall, guitares, mandolines et violon
Lionel Suarez, accordéon et bandonéon
Laurent Vernerey, contrebasse
Nicolas Montazeaud, percussions
Yvan Cassar, direction musicale et arrangements

Récital autobiographique
Après une fin d’année 2006, fracassante (abandon du rôle de Radamès dans la production d’Aïda à la Scala. Lire notre dossier L’affaire Roberto Alagna à la Scala), après un début d’année non moins semé de prises de positions déterminées (désaffection dans le Simon Boccanegra présenté à l’Opéra Bastille, parce qu’il n’aimait pas les options du metteur en scène…), Roberto Alagna fait un retour attendu sur la scène parisienne, avant de créer Salle Gaveau, l’opéra de son frère, David Alagna, « Le dernier jour d’un condamné » (dont il a co-signé le livret), les 9 et 11 juillet 2007.
Le ténorissimo n’avait pas chanté dans la série des Grandes Voix depuis 10 ans. Le récital de l’avenue Montaigne est conçu comme un autoportrait. La forme autobiographique semble prolonger la parution de son livre rédigé à la première personne, « Je ne suis pas le fruit du hasard » paru chez Grasset en janvier 2007, dans lequel l’artiste en quête d’identité, interroge son passé, ses racines, et règle aussi quelques comptes sur les pratiques du métier…
Sur la scène du théâtre des Champs Elysées, le ténor chante les airs de l’opéra français, de Gluck à Massenet, sans omettre quelques compositeurs moins écoutés tels Méhul, Cherubini, Grétry…
Autant de rôles intenses qui dévoileront ce dramatisme éclatant d’autant plus convaincant lorsque l’artiste calibre la puissance de son émission avec la subtilité et la finesse psychologique des caractères abordés.
Aux côtés des partitions classiques du répertoire, Roberto Alagna aborde également, en un retour aux sources, mélodies et chansons de Sicile, qui est le berceau de sa famille.

Biographie
Après des études à l’Ecole de l’Opéra et un Premier Prix au Concours Luciano Pavarotti, Roberto Alagna débute en Angleterre avec le Glyndebourne Touring Opera dans le rôle d’Alfredo de la Traviata de Verdi – rôle qu’il reprend aussitôt à Monte Carlo, au Japon puis en Europe, jusqu’à ses débuts remarqués à la Scala de Milan. Paraît ensuite Rodolfo dans La Bohême de Puccini, sur les scènes du monde : Covent Garden à Londres, Staatsoper de Vienne, Opéra Bastille de Paris, Metropolitan Opera à New York, Liceu de Barcelone, Scala de Milan… A partir de 1993, il signe un contrat d’exclusivité avec EMI, maison pour laquelle il enregistre de nombreux opéras, plusieurs récitals (solos et duos), des albums de musiques sacrées et cross-over. En mai 2004, il signe un contrat d’exclusivité avec le label Deutsche Grammophon. Les premiers enregistrements sont consacrés au dvd : un récital solo pour la réouverture de la salle Gaveau à Paris en 2005, deux nouvelles productions d’opéra : la création mondiale du Cyrano de Bergerac d’Alfano (janvier 2005), dans sa version française et inédite de 1935 et I Pagliacci de Leoncavallo à Vérone (juillet 2006). Pour son premier cd chez DG, Roberto Alagna chante Luis Mariano, l’album est disque de Platine (plus de 380 000 exemplaires vendus).
Le répertoire de Roberto Alagna, en récital ou à l’opéra, concerne de nombreux personnages de l’opéra français et italien: La Bohême, Tosca et La Rondine de Puccini; L’Elisir d’Amore, Lucia di Lamermoor et Roberto Devereux de Donizetti; Il Trovatore, Don Carlos, Traviata, Simon Boccanegra et Macbeth de Verdi; Romeo et Juliette, Faust de Gounod; Werther et Manon de Massenet; L’Amico Fritz de Mascagni; Carmen de Bizet, I Pagliacci de Leoncavallo, Cyrano de Bergerac d’Alfano…
Le cinéma marque une nouvelle direction dans ses engagements artistiques : en 2001, il tourne une adaptation cinématographique de la Tosca de Puccini, réalisée par Benoît Jacquot. Passionné par l’image, sensibilisé à l’écriture filmique, Roberto Alagna s’intéresse à de nouveaux projets cinématographiques dont une nouvelle adaptation d’I Pagliacci de Leoncavallo.
A l’été 2007, Roberto Alagna chantera Il Trovatore de Verdi au Teatro Real de Madrid puis aux Chorégies d’Orange. Pour le centenaire de la Salle Gaveau, il portera sur la scène un nouveau projet écrit en collaboration avec ses frères David et Frédérico Alagna, « Le dernier jour d’un condamné » d’après l’œuvre de Victor Hugo, avec l’Orchestre National d’Ile-de-France. A l’automne 2007, il chantera dans Madame Butterfly de Puccini au Metropolitan de New York et reprendra Radamès dans Aida au Liceo de Barcelone…

Approfondir
Visitez le site officiel de Roberto Alagna

Crédit photographique
Roberto Alagna (DR)

Roberto Alagna dans Aïda à la Scala de Milan (décembre 2006)

Récital Hanno Müller-Brachmann (baryton-basse) et Graham Johnson (piano)Anvers. deSingel, le 11 mai 2007 à 20h

Quelques dix ans se sont écoulés depuis les débuts du jeune Hanno Müller-Brachmann dans l’Orpheus de Telemann au Staatsoper de Berlin dirigé par René Jacobs, et depuis lors la carrière du baryton-basse allemand n’a cessé de se développer, à l’oratorio, à l’opéra ainsi qu’au lied. Après avoir accompli ses études musicales à Bâle et à Fribourg, il a le privilège de fréquenter les masterclasses du Maître himself, Dietrich Fischer-Dieskau. Membre depuis 1998 de la troupe du Staatsoper, cet environnement artistique stimulant le forme à la plupart des grands rôles mozartiens, Leporello (Don Giovanni), Figaro (Le Nozze), Guglielmo (Cosi), Papageno (La Flûte), sous la houlette bienveillante et charismatique de Daniel Barenboim. Parallèlement, sa discographie grandissante attise l’intérêt tant de la critique que du public, qui salue en Hanno Müller-Brachmann un interprète engagé de la musique religieuse de Bach (les Passions, la Messe en si avec Herreweghe), Mozart (Requiem) ou Rossini (la Petite messe solennelle, avec le RIAS Kammerchor).

Le récital à deSingel ce 11 mai permettra de découvrir un Hanno Müller-Brachmann moins habituel, dans le répertoire du grand lied germanique. L’affiche est d’ailleurs bien belle, puisqu’au talent du chanteur allemand s’alliera l’art du célèbre Graham Johnson, l’un des princes de l’accompagnement au piano, qui conjugue aisance technique, écoute du partenaire vocal et intelligence littéraire et psychologique. Gageons que la soirée du 11 mai clôturera en beauté le cycle de lieder du Singel de la saison 2006-2007.

Programme
Robert Schumann:
Liederkreis Op. 39
Franz Schubert: Lieder choisis

Anvers, deSingel
vendredi 11 mai 2007 à 20h

Crédit photographique
Hanno Müller-Brachmann (DR )

Marie-Antoinette, musique et théâtre. Soirée spécialeMezzo, du 4 au 23 mai 2007

0

Marie-Antoinette
Soirée spéciale

Musique et théâtre

Vendredi 4 mai 2007 à 20h45
Le 5 mai 2007 à 13h45
Le 11 mai 2007 à 3h40
Le 14 mai 2007 à 5h29
Le 23 mai 2007 à 16h52

Trianon opéra

Ayant reçu à Vienne, des cours de théâtre français, formée à la musique par le Chevalier Gluck, la jeune Marie-Antoinette rêvait davantage de chanter et de jouer sur scène que de représenter dignement la France aux côtés de son époux Louis XVI. Aussi quand celui-ci lui offre en cadeau de mariage, et au moment de leur avènement sur le trône, en 1774, le domaine de Trianon, à Versailles, elle n’hésite pas une seconde à en faire son espace privé, un décor de féerie et d’illusion digne de l’opéra.
Pour preuve son petit théâtre, à l’entrée dérobée, à peine visible depuis les allées de tilleuls du jardin français, dont le décor de carton pâte, de stucs dorés et de faux marbre n’offrant pas de valeur monétaire, fut mis au rebut et oublié par les révolutionnaires. Aujourd’hui, le Petit théâtre de la Reine est le seul exemple de théâtre royal privé, dit « théâtre de société », totalement préservé. La Souveraine y recevait ses hôtes sans étiquette, dans le cercle familial, offrant spectacles de Gluck, Grétry et Gossec, ses musiciens favoris.
La soirée orchestrée par Mezzo comprend la visite commentée du lieu, merveille de machinerie (toujours fonctionnelle) et de proportions architecturales, puis un concert par Les Agréments (Guy van Waas, direction) avec Sophie Karthäuser, soprano et Pierre-Yves Pruvot, baryton: Symphonies, extraits de Sabinus de Gossec, extraits des opéras Céphale et Procris et de la Caravane du Caire de Grétry. Le programme de cette soirée est paru en dvd chez l’éditeur Armide en 2006.

Illustration
Madame Vigée-Lebrun, portrait de Marie-Antoinette (DR)


Approfondir

Lire notre dossier Marie-Antoinette
Lire la critique du DVD « La petite musique de Marie-Antoinette » paru chez Armide classics

Jean Sibelius, Concerto (1905). Tedi Papavrami, violonOpéra de Nice, les 1er et 2 juin 2007

0

Orchestre Philharmonique de Nice
Jean Sibelius

Cinquantenaire de la mort

1er juin 2007 à 20h
2 juin 2007 à 16h
Opéra de Nice

Jean Sibelius
Concerto pour violon
Anton Bruckner
Symphonie n°4 « Romantique »

Tedi Papavrami, violon
Orchestre Philharmonique de Nice,
Gabor Ötvös
, direction

Le Concerto de Sibelius

L’opus 46 en ré majeur fut composé en 1903 et, après révision, créé sous la direction de Richard Strauss en 1905 à Berlin. L’oeuvre est contemporaine de l’installation du compositeur dans la villa « Aïnola », à Jarvenpaa, en pleine forêt, à 30km d’Helsinki. Longtemps minimisé en raison d’une apparente et « creuse » rigueur, le Concerto s’imposa néanmoins en raison des difficultés techniques qu’il impose au soliste. Mais en plus de sa virtuosité exigente, le Concert de Sibelius demande tout autant, concentration, intériorité, économie, justesse de la ligne musicale. Autant de qualités qui se sont révélées grâce à la lecture des plus grands violonistes dont il est devenu le cheval de bataille. D’une incontestable inspiration lyrique néo-romantique, la partition développe une forme libre, rhapsodique, même si elle respecte la traditionnelle tripartition classique en trois mouvements: allegro moderato, adagio di molto, finale. Même si l’inspiration naturelle, panthéiste, du compositeur s’exprime avec clarté, en particulier d’après le motif naturel des forêts de sa Finlande natale, les souvenirs enrichissent aussi une imagination personnelle et intime. A ce titre, le deuxième mouvement pourrait convoquer les impressions méditerranéennes vécues pendant son séjour en Italie.

Tedi Papavrami, violon
Le violoniste d’origine albanaise (né à Tirana), Tedi Papavrami a reçu sa formation musicale de son père, Robert, professeur réputé. Dès l’âge de 8 ans, le jeune instrumentiste interprète en public avec l’Orchestre Philharmonique de Tirana, les Airs Bohémiens de Sarasate, puis à 11 ans, le premier Concerto de Paganini. A Paris, boursier du gouvernement français. Il suit l’enseignement de Pierre Amoyal au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Tedi Papavrami remporte en 1985 le Prix du Concours International Rodolfo Lipitzer, et en 1986, le Premier Prix de violon, premier nommé à l’unanimité du jury du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. En 1987, il obtient la Licence de Concert au Conservatoire de Lausanne, dans la classe de Pierre Amoyal.
En juin 1992, la SACEM lui décerne le Prix Georges Enesco, et en septembre 1993, il remporte le Premier Prix du Concours International Sarasate à Pampelune ainsi que le Prix Spécial du Public. Le musicien poursuit depuis sa carrière de soliste et de récitaliste, recueillant les conseils de Zino Francescatti et de Vittoria Mullova. Il est depuis 2002, membre du Quatuor Schumann (Quatuor avec piano), qui a son siège à Genève. Il a tourné dans l’adaptation télévisuelle signé Josée Dayan, des Liaisons dangereuses d’après Chanderlos de Laclos, pour TF1, aux côtés de Catherine Deneuve. Tedi Papavrami incarnait le Chevalier Danceny. Tedi Papavremi est aussi le traducteur officiel de l’écrivain Albanais Ismail Kadaré pour les éditions Fayard. Le jeune musicien joue un violon conçu à sa demande en 2005 par le luthier Christian Bayon.

Gabor Ötvös, chef d’orchestre
Formé à Budapest, Gabor Ötvös, adopte la nationalité allemande en 1964 et devient chef d’orchestre titulaire de l’Opéra de Francfort en 1967. Il est invité à New York (New York City Opera en 1969, puis au Metropolitan Opera sur l’invitation de Rudolf Bing en 1971), réalise la mise en scène du Ring à l’Opéra de Augsbourg dont il est devient directeur musical. Puis, l’Opéra Royal de Copenhague l’engage au poste de Directeur Musical et lui accorde le titre de Chef d’Orchestre Royal en 1981. Gabor Ötvös est actuellement le chef d’orchestre invité principal du Teatro Municipal de Santiago du Chili et de l’Australian Opera.

Illustrations
Portrait de Jean Sibelius
Tedi Papavrami © J. Prébois

Gustave Charpentier, Louise (1900)France Musique, le 5 mai 2007 à 19h

0

Gustave Charpentier
Louise
, 1900


Le 5 mai 2007 à 19h

Soirée lyrique. Opéra enregistré le 15 avril 2007 à l’Opéra Bastille à Paris. Louise. Roman musical en 4 actes sur un livret de Gustave Charpentier

Mireille Delunsch, Louise
Jane Henschel, La Mère
Marie-Paule Dotti, Irma
Natacha Constantin, Camille
Anne Salvan, Gertrude
Paul Groves, Julien
José Van Dam, Le Père
Luca Lombardo, Un Noctambule, le pape des fous
François Bidault, Un Chiffonier

Orchestre et Choeurs de l’Opéra de Paris.
Sylvain Cambreling
, direction

Louise demeure la grande oeuvre de Charpentier, élève de Massenet, grand prix de Rome en 1887, à l’âge de 27 ans (grâce à sa cantate Didon). Proche du peuple et des petites gens, Charpentier poursuit l’oeuvre d’un Bizet en dépoussiérant tout ce dont souffrait l’opéra vieillissant. Il se concentre sur la dignité des humbles, le sublime chez les pauvres. En peintre et poète naturaliste, il donna sa version du drame symphonique, inspiré par Berlioz (Lelio), dans La vie du poète. Le génie musical confronté à la nature, à la société, choisit ici de s’engager humainement, socialement, politiquement. En 1902, Charpentier fonde le conservatoire Mimi Pinson où les élèves reçoivent une formation musicale gratuite.

L’opéra naturaliste

Louise semble prolonger l’idéal réaliste et populaire de Zola. Créé sur la scène de l’Opéra-Comique le 2 février 1902, l’ouvrage suscita un vif débat: critiques et conservateurs furent choqués par l’obscénité et la vulgarité du sujet qui mettait en scène des personnages « interdits » jusqu’alors sur les planches lyriques: petites gens du pavé parisien, ouvriers et couturières, … Pire, Charpentier, fidèle à ses convictions socialistes voire anarchiques, souligne sans ambiguité, l’amour libre. Louise, dont la famille misérable mais travailleuse, donne un portrait des humbles soumis et honnêtes, se laisse attendrir et séduire par le Paris tentateur et bohême, celui de Montmartre, des insurgés de la Commune, des amoureux et des artistes. En elle, bat un coeur libre, émancipé, en particulier libéré de l’emprise et de la loi du père.
Ecrit comme une symphonie pour voix, sans air ni duo précisément délimité, l’opéra emprunte à Wagner, comme à Massenet dont la sensualité vibrante s’exprime ici dans le chant langoureux de l’héroïne qui s’ouvre à l’amour, avec une irrésistible innocence. Oeuvre moderne, assumée telle qu’elle par son auteur, Louise fut chantée par Mary Garden, la créatrice du rôle de Mélisande dans le Pelléas et Mélisande de Debussy (créé en 1902 à l’Opéra-Comique aussi) et fut adaptée au cinéma par Abel Ganz en 1939, dans une version qui ne séduit pas Charpentier.

Illustration

Lepage, Aux foins (1878, Paris, musée d’Orsay)

Georges Bizet, Carmen (1875)Paris, Châtelet. France 3. En mai et en juin 2007

0

Georges Bizet
Carmen
, 1875

Bizet ne connut pas le succès que nous réservons aujourd’hui à son dernier opéra. Le compositeur qui s’éteignit quelques semaines après la création de Carmen, à l’Opéra-Comique, le 3 mars 1875, vécut les affres de l’incertitude, dut supporter les pointes de la critique puritaine. Jamais boudée depuis sa « résurrection » légitime en 1883, l’oeuvre suscite l’unanimité aujourd’hui, comme en témoigne l’actualité de la scène et de la télévision, en mai et en juin 2007.

Paris, Théâtre musical du Châtelet
Du 10 au 28 mai 2007
Sylvie Brunet, Carmen
Les Musiciens du Louvre
Mark Minkowski, direction

L’heure de l’Opéra
France 3

Samedi 2 juin 2007 à partir de 23h
Le documentaire puis la version intégrale

La mort des flons flons
« L’école des flonflons, des roulades, du mensonge est morte, bien morte!… » ainsi s’exprime Bizet en 1867 au lendemain de la création des Pêcheurs de Perles. Dans l’enthousiasme de l’écriture, le compositeur s’entêtait à défendre un théâtre direct, palpitant, un type de chant aussi qui s’écartait des poncifs pompeux et bruyants. Pourtant, le « révolutionnaire » aura bien du mal à s’imposer car ni La jolie fille de Perth, ni Djamileh ne s’imposeront. Carmen, d’après Mérimée, est donc vécue comme l’ultime recours, la dernière chance pour vivre la reconnaissance tant attendue de ses idées et de ses convictions d’homme de théâtre.

Le Cid précède Carmen
Ayant trouvé ses librettistes, Halévy et Meilhac, Bizet doit vaincre les réticences du directeur de l’Opéra-Comique, Camille du Locle, qui fait la fine bouche et cache son enthousiasme face à la hardiesse du sujet espagnol, dès l’été 1873. Halévy aida Bizet en suggérant l’invention d’une héroïne pure et chaste afin de compenser la sauvagerie de Carmen: ainsi sera conçue Michaëla. Mais les entretiens retardent l’écriture de la partition et le compositeur accepte finalement la proposition du baryton Jean-Baptiste Faure de lui écrire un rôle taillé pour sa (dé)mesure. En octobre 1873, Bizet lui joue au piano, tout l’opéra Le Cid d’après La jeunesse du Cid de Guillén de Castro. En Faure, le musicien avait trouvé un grand interprète, capable de porter ardemment ses théories lyriques: un coeur « amoureux et filial, chrétien, héroïque, triomphant« … Le destin empêcha à nouveau la réalisation du projet, aucune scène parisienne ne fut prête à l’accueillir…

Mort de Carmen, mort de Bizet
Le succès d’un ouvrage tient beaucoup à l’engagement de ses interprètes principaux. Le cas de Carmen est éloquent. Après quelques candidates sollicitées mais velléitaires, c’est la créatrice de Mignon d’Ambroise Thomas, Célestine Galli-Marié, qui accepta de chanter Carmen et donc, de se faire poignarder à la fin de l’ouvrage, contre tous les usages scéniques d’alors. En septembre 1873, Bizet témoigne de sa totale adhésion à ce choix. Autant de bonnes dispositions auraient du favoriser la sérénité de Bizet mais son couple avec Geneviève Halévy (la fille de son maître, Fromental, l’auteur en 1835 de La Juive, récemment ressuscitée sur la scène de l’Opéra Bastille) battait de l’aile… Entre septembre et décembre 1874, les répétitions se multiplièrent. Jusqu’à la première, Du Locle peu consentant dès l’amorce du projet, faillit tout annuler, en particulier quand les choeurs se rebellèrent, contraints de jouer tout en chantant, et pire, fumer sur scène! Le 3 mars 1875, la création put avoir lieu grâce au soutien des deux chanteurs, Carmen et Don José, Galli-Marié et Paul Lhérie. Au lendemain de la première, la presse développa son venin puritain et moralisateur. Bizet éreinté, se refugia à Bougival pour y mourir le 3 juin suivant.

Vague espagnole en France
Carmen suit une série florissante d’oeuvres d’inspiration ibérique… avec Havanaise de Saint-Saëns, Espana de Chabrier, Boléro de Gounod, ou encore la Symphonie espagnole de Lalo (1873)… sans omettre la profonde affinité créative développée par le peintre Edouard Manet sur le motif espagnol, inspiré par les grands maîtres classique, Zurbaran, Velasquez, Murillo…
La partition de Bizet, qui n’alla jamais en Espagne, exprime sa propre vision de la musique méditerranéenne. Le filtre de la sensibilité, à la façon de Proust, opère une distanciation sélective qui distille ensuite ses propres couleurs. Sans être l’héritier d’une tradition lyrique précise, Bizet invente constamment son Espagne et sa Carmen donne prétexte à une partition bigarrée de thèmes et de climats contradictoires qui n’appartiennent qu’à son imaginaire. Nous sommes bien loin d’un hispanisme de pacotille: la pulsion et la battue qu’y fait régner le musicien, donnent même une nouvelle définition du genre opéra. La vie, le rythme, rien que les tourments de l’amour et de la passion… C’est un sang neuf, expurgé de la convention, qui coule dans les veines des protagonistes. Théodore de Banville a remarquablement compris la modernité sanguine de Bizet… « pour qui … la musique, même au théâtre, doit être non pas un amusement, une manière de passer la soirée, mais un langage divin exprimant les angoisses, les folies, les célestes aspirations de l’être… qui est ici bas un passant, un exilé…« 
Banville tout en replaçant Bizet dans le wagnérisme ambiant, lui reconnaissait la poésie de son orchestre plus apte que les chanteurs eux-mêmes à exprimer de la vie, « les entraînements insensés ».

Après la mort de Bizet, Du Locle dut reprendre Carmen en 1876, avec les interprètes de la première. Tchaïkovski assista avec passion et admiration à ce qu’il tenait alors comme le meilleur opéra français, bouleversante réalisation du « joli ». Alors que la France oublia un peu vite le chef-d’oeuvre, l’Europe s’enthousiasma à en perdre haleine: Bruxelles (en 1877 avec Galli-Marié dans le rôle-titre), et surtout l’Autriche où Pauline, l’épouse de Richard Strauss, tint à incarner le rôle de la gitane palpitante et fatale.
Après moult péripéties, Carmen revint sur la scène de l’Opéra-Comique en … 1883, avec Galli-Marié, superbe et arrogante, suscitant le triomphe que méritait l’oeuvre. Un juste retour des choses comme en témoigne après Banville, Nietzsche qui fatigué des sentimentalités empoisonnées de Wagner (qui fut son premier dieu), retrouvait dans Carmen, les furieuses et primitives effluves de sa gaieté « africaine ».

Illustrations
John Singer Sargent, danseuse de flamenco (1882)

Rolando Villazon, « un rêve mexicain »Arte, le 5 mai 2007 à 22h30

0

Rolando Villazon
Un rêve mexicain



Le 5 mai 2007 à 22h30

Documentaire/portrait. Réalisation: Alexander Lück, Daniel Finkernakel. 20076, 52mn.

Dans les rues de Mexico city, à bord d’une coccinelle verte, l’enfant du pays dont la carrière s’apparente à la réalisation d’un rêve, crie sa joie de vivre. Les réalisateurs ont saisi devant la caméra, la soif d’être reconnu, le désir, ardent, de brûler les planches, de devenir l’égal de Domingo qui reste son idole, son maître aussi, puisque le jeune garçon chanteur, vient d’enregister pour Emi (juillet 2006), un récital de Zarzuela, sous la baguette… de Domingo. Lire notre critique du cd « Gitano! » de Rolando Villazon (Emi)

De Mexico à Berlin, de New York à Barcelonne et Madrid

Quelques facettes clés de son apprentissage de la vie et du chant sont dévoilées: il voulait être prêtre enseignant auprès des enfants mais « j’aurais fait un prêtre cabotin, plus enclin à charmer l’audience que de prier la Vierge »… ; visite dans l’école germanique où il étudia (son arrière-grand mère était autrichienne)… L’homme se sent chez lui partout, sinon « mes déplacements seraient une souffrance et j’aurai le mal du pays »… Du Mexique natal, le film suit Rolando Villazon tout au long de ses engagements, dans chaque ville découverte ou retrouvée: étapes d’un agenda de plus en plus rempli. Nemorino (Una furtiva lagrima de L’elisir d’amore de Donizetti, au Liceu de Barcelone), Alfredo (La Traviata, en répétition avec Anna Netrebko, sa partenaire favorite, sous la direction du metteur en scène Willy Decker en 2005), sa prise de rôle à demi manquée pour le Duc de Mantoue dans Rigoletto au Met (à cause d’une mauvaise angine), séance d’enregistrement avec Placido Domingo à Madrid pour le disque « Gitano! », dédié aux airs de Zarzuela (Emi), enfin, brûlant et sanguin Don José dans Carmen sous la direction de Daniel Barenboim, à l’Opéra Unter der Linden de Berlin. Quelles sont les recettes pour gravir marche après marche, l’escalier du succès et de la gloire? Du travail visiblement, de la détente aussi car Rolando aime plaisanter et il le montre à l’écran, sur scène, à quelques secondes de chanter son rôle devant le parterre. Trépidant, hyperactif, l’interprète donne tout pour la musique.

Crédit photographique
Rolando Villazon (DR)

Jules Massenet, Manon (1884). Netrebko/VillazonArte, mercredi 9 mai 2007 à 20h15

0

Jules Massenet
Manon
, 1884

Mercredi 9 mai 2007 à 20h15

Opéra enregistré les 26 et 29 avril 2007 à l’Opéra de Berlin Unter den Linden. Réalisation: Andreas Morell. 2007, 2h30mn. Avec Anna Netrebko (Manon) et Rolando Villazon (Des Grieux)…. Choeur et orchestre de l’Opéra de Berlin. Daniel Barenboim, direction. Mise en scène: Vincent Paterson.

Chute d’un coeur faible

Anna Netrebko et Roland Villazon, en incarnant le couple passionnel, Manon/Des Grieux, sont les têtes d’affiches de cette production berlinoise. Dans des décors et une mise en scène signés Vincent Paterson (chorégraphe de Michael Jackson et de Madonna en tournée!) qui transporte le cadre de l’action, de la France en perruque XVIII ème, au Paris des années 1950, les deux jeunes interprètes, complices avérés sur les scènes européennes, rééclairent la compréhension du roman de l’Abbé Prévost.
L’ouvrage est élaboré par un compositeur de 42 ans, qui fut Grand Prix de Rome en 1863, à 21 ans. Manon, s’inscrit entre Hérodiade (1881) et Le Cid (1885). Adulé, compositeur quasi « officiel », Massenet doit à Manon, l’un de ses plus vifs et plus durables succès, ce dès sa création en 1884, à l’Opéra-Comique. La partition est, fidèle à toute l’oeuvre lyrique du maître, un portrait de femme auquel Massenet insuffle une vie passionnée, palpitante, qui tire les larmes du spectateur.

Portrait de femme
Promise au couvent, la jeune femme s’enfuit à Paris avec le Chevalier des Grieux. Mais l’amour ne saura pourvoir à leurs besoins, et la jeune femme trop coquette et faible, succombe aux illusions du luxe, devient une courtisane célébrée (la Fête au Cours-le-Reine, acte III) qui a abandonnant son premier amour, a aussi perdu son âme. Accablée par le remord, la pauvre pécheresse reconquiert Des Grieux devenu abbé (Saint-Sulpice), mais à nouveau le destin frappe les deux coeurs immatures: Des Grieux s’en sortira mais Manon sera déportée. Ainsi finit une âme perdue que son innocence et sa naïveté ont d’une façon rachetée…La créatrice du rôle-titre, Marie Helbronn avait chanté dans la première oeuvre lyrique de Massenet, Grand’-Tante (1871).
Tout en brossant la chute inexorable mais pathétique des amants, Massenet peint le tableau de la société française du XVIII ème siècle, délicieusement dépravée, dont la dissolution renforce en définitive leur déchéance tragique. Le musicien fait même paraître l’opéra sur la scène, mise en abîme emblématique qui semble cristalliser les errements de Manon courtisée et prostituée, dans le Paris des plaisirs sans lendemain. D’ailleurs n’y pouvant plus, elle quitte sa loge pour retrouver celui pour lequel son coeur n’a jamais cessé de battre, Des Grieux, devenu l’abbé de Saint-Sulpice. En ciselant le portrait psychologique de Manon, Massenet a offert un rôle exceptionnel pour les sopranos colorature possédant aussi une présence dramatique. Ileana Cotrubas et Beverly Sills ont marqué chacune le personnage par une incarnation aussi acrobatique que subtile.

Illustration

Jean Honoré Fragonard, la lectrice (DR)