La 3è Symphonie de Mahler demeure plus rare au concert que les autres opus malhériens… Saluons le choix du chef Kazuki Yamada (et directeur musical de l’OPMC Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo) d’ouvrir ainsi la saison nouvelle 2024 – 2025 avec ce monument symphonique (et lyrique) qui concilie le souffle de la grandeur cosmique, une haute et ardente ferveur, et le sentiment de l’intime… De l’énergie, une urgence continue, une intelligence des timbres, surtout une attention particulière à l’architecture interne dévoilent ici les grandes baguettes : le tempérament des maestros expérimentés capables d’en exprimer les vertiges spirituels. C’est pourquoi chefs et orchestres tôt ou tard, passent par l’épreuve de la 3è Symphonie.
Mahler ne ménage pas son auditeur. Son orchestre pléthorique embrasse toute la création et le monde, convoque les éléments dans leur primitive splendeur. Mais une splendeur parfois lugubre qui paraît comme en sursis : évidemment l’ample premier mouvement le plus long jamais écrit par Mahler (« I. Kräftig. Entschieden ») développe en une mise en ordre progressive, qui s’apparente peu à peu à une marche, l’évocation d’un monde terrestre tellurique et chtonien, inscrit dans la gravitas la plus caverneuse (rang fourni des contrebasses…), où brillent aussi tous les pupitres des cuivres : cors par 8, trombones, tuba, trompettes… Pour exprimer ainsi l’activité terrestre, Mahler collectionne toutes les résonances hallucinées et souvent fulgurantes : cris, déflagrations, déchirements, plutôt que célébration bienheureuse ; même si de purs vertiges sensuels, lyriques, d’une tendresse absolue, émergent : ils s’y pressent, précipités, exacerbés jusqu’à la parodie.
MAHLER ÉCOLOGISTE… La richesse des teintes, le creuset des accents et des nuances simultanées forment une matrice orchestrale et un maelström symphonique d’une irrésistible puissance. Pour nous, en écho à notre planète martyrisée et au règne animal sacrifié, agonisant, ce premier mouvement exprime les tensions qui soumettent une terre à l’agonie : et nous voyons clairement dans les éclairs et les fulgurances (appels des trompettes, danse lugubre des bassons, solo du trombone…) que dessinent l’énergie des grands chefs, l’indice d’une conscience visionnaire, celle d’un Mahler plus que panthéiste: animaliste, écologiste… Le chant de son orchestre exprime la conscience doloriste de la Nature, la mise à mort des espèces animales, le cri de la terre qui se convulse, meurt et ressuscite à chaque battement de la grosse caisse, battement sourd et délicat à la fois, (à peine audible mais si présent cependant) sur lequel s’organise et se déploie toute la mécanique orchestrale, du début à la fin de ce premier acte sidérant. Passionnant parcours.
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Dimanche 22 septembre 2024, 15h
MONTE-CARLO, Grimaldi Forum
GUSTAV MAHLER : Symphonie n°3 en ré mineur
RÉSERVEZ VOS PLACES directement sur le site de l’OPMC Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, saison 2024 – 2025 : https://indiv.themisweb.fr/0526/fChoixSeance.aspx?idstructure=0526&EventId=1263&request=QcE+w0WHSuCzWDnDWpkYGsQqvYDsJea2TXcJjT45hCqCSk9/QRW1Q5u4XF3tPeilyF8/Fd6ZjwQ1Duyn26gf0A==
Durée du concert : 1h45 sans entracte
PHOTO : Kazuki Yamada © OPMC DR
Du texte nietzschéen au final aérien
D’opéra, il est aussi question dans la 3è, précisément dans l’épisode IV où sort de l’ombre, à la fois entité maternelle envoûtante et prophétesse d’une ère à venir, le chant de la mezzo-soprano). Son texte emprunté à Nietzsche (Zarathoustra) est une exhortation adressée aux hommes, un appel, à la fois berceuse et prière, une invocation et une alerte pour que chacun s’interroge sur lui-même, sur le sens de sa vie terrestre. Le texte contient la clé de l’œuvre ; sans joie, sans dépassement de la souffrance, l’homme ne peut atteindre l’éternité. Encore faut-il qu’il atteigne cet état de conscience salvateur …auquel nous prépare la musique de Mahler. Dans l’opéra imaginaire du compositeur, ce pourrait être une apparition magique et nocturne dont la couleur est saisissante par sa profondeur, sa justesse, sa couleur de fraternité.
Ceci nous vaut pour le dernier mouvement, le plus aérien (aux cordes surtout), des jaillissements de lyrisme flexible et amoureusement déployé, un baume pour le cœur et l’esprit, après avoir passé tant d’épisodes si divers et contrastés. Ainsi l’ultime 6è mouvement (« Langsam. Ruhevoll. Empfunde ») sonne comme un choral fraternel et recueilli ; il semble embrasser tous les êtres vivants (hommes et animaux) et les couvrir d’un sentiment d’amour, irrépressible et caressant. Dans son intonation, sa pâte transparente, suspendue, le mouvement préfigure l’Adagietto de la 5è, ses amples respirations, jusqu’à sa couleur parsifalienne, sa ligne constante qui appelle et dessine l’infini… Grand moment symphonique à vivre à Monte-Carlo ce 22 sept 2024. Incontournable.
Concert symphonique / Ouverture de saison
GUSTAV MAHLER : Symphonie n°3 en ré mineur
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE-CARLO