Dans la famille Pavarotti dont le berceau est à Modène, chanter est une affaire familliale. Les parents du jeune Luciano sont fanatiques d’opéras. Il passe même des après midi à décortiquer à la radio ou au concert (plus rares), les qualités et les défauts d’une voix entendue, y compris les plus grandes. Son père, boulanger, avait une voix de ténor exceptionnel: il ne cessera de pousser son fils, en lui déclarant surtout que s’il aurait un jour une aussi belle voix que lui, il pourrait faire une toute autre carrière, plus glorieuse encore! Le jeune Luciano (né à Modène, le 12 octobre 1935) écoute, comme Callas, la voix de ses aînés à la radio. Il se forge des repères pour son oreille déjà musicale. Membre de la chorale de Modène, il expérimente le chant collectif et même l’ivresse du succès, quand en 1955, le choeur remporte un premier prix lors du concours international Eisteddfod, au pays de Galles.
Luciano Pavarotti
Ténor
(1935-2007)
Avant de se lancer corps et âme dans le chant et l’opéra italien, Luciano Pavarotti se destine tout d’abord à l’enseignement, comme instituteur… une expérience éprouvante où le jeune professeur doit crier pour se faire respecter… au risque d’y perdre la voix. Commercial dans l’âme, aimant les relations avec autrui, il suit aussi une formation pour être courtier en assurance. Ce qui lui convient mieux. Conviction, persuasion, clarté et charisme: l’excellent commercial, jovial et brillant déploie des qualités d’ouverture et de tempérament qui bientôt se révéleront sur la scène.
L’apprentissage du chant
Mais convaincus par ses premiers pas dans l’art lyrique, certainement séduits aussi par sa détermination, les parents de Luciano l’inscrivent pous suivre les cours de professionnels: Arrigo Pola puis Ettore Campogalli. Le jeune chanteur prend ses marques. Son aisance et sa musicalité l’imposent. Lauréat du Prix Achille Peri en 1961, le ténor fait ses débuts remarqués dans La Bohème de Puccini (Rodolfo), sous la direction de Francesco Molinari-Pradelli, au Théâtre Reggio Emilia. A 26 ans, Pavarotti se dévoile au monde. Rodolfo, rayonnant et conquérant, juvénil et amoureux, il peut conquérir les scènes de l’opéra. La douceur de l’émission, le raffinement, déjà, de la conduite vocale, et son tempérament fougueux, solaire, le distinguent absolument. Il enchaîne immédiatement les rôles: Le Duc de Mantoue (Rigoletto de Verdi), et Alfredo dans La Traviata du même Verdi.
Avisé, prudent, à l’écoute de sa voix (un vrai chanteur ne l’est jamais assez s’il veut demeurer et se maintenir), Pavarotti refuse d’être Cavaradossi dans La Tosca. Trop tôt lui confirme Giuseppe di Stefano dont il est l’admirateur et auprès duquel il recueille conseils et encouragements. L’avenir lui donnera raison. En abordant le rôle en 1973, dix années après, Pavarotti marquera le caractère du peintre Cavaradossi de manière décisive. Pour l’heure, le ténor à la voix d’or, soigne et cisèle ce quoi il excelle: la délicatesse des phrasés, le raffinement de l’élocution, la clarté et la légèreté du timbre. Tout ce qui impose en 1964, à 29 ans, son Idamante dans Idoménée de Mozart, au Festival de Glynebourne. Plus tard, les rôles drammatiques. Ainsi, logiquement, Donizetti et Bellini lui vont parfaitement. Leurs personnages portent la carrière fulgurante du chanteur, au cours des années 1960. Nemorino (l’Elixir d’amore de Donizetti), et Tonio (La Fille du Régiment, du même Donizetti). Chez Bellini, il renouvelle totalement le style du ténor di grazia, héroïque, tendre mais vaillant: Elvino (La Somnambula), Tebaldo (Les Capulets et les Montaigus)…
L’art du bel canto avec Joan Sutherland
La maîtrise à laquelle parvient le jeune Pavarotti gagne une étape décisive lorsqu’il part en tournée, en Australie, avec la soprano, alors au sommet de ses possibilités techniques, Joan Sutherland. La cantatrice prend sous son aile, le jeune ténor: elle a reconnu en lui, un partenaire exceptionnel. Tous deux offrent un renouveau triomphal du style bel cantiste, comme en témoignent leurs nombreux enregistrements de ce répertoire chez Decca (lire ci-après notre recommandation discographique).
A partir des années 1970, celles qui mènent à la quarantaine, fort d’une technique plus affûtée encore, grâce au travail mené avec Joan Sutherland (en particulier sur le plan du souffle: le chanteur s’est ainsi contruit un diaphragme en béton), Pavarotti ose graduellement les rôles plus dramatiques, chez Verdi et Puccini. Ainsi, Riccardo (Bal masqué), Rodolfo (Luisa Miler) puis Le Trouvère, chez Verdi; Cavaradossi (Tosca) puis Calaf (Turandot), chez Puccini. Cette évolution de la carrière culminera sur le plan dramatique avec Aïda de Verdi, dans les années 1980. Son Radamès éblouit par sa vaillance militaire, en totale adéquation avec le caractère à la fois belliqueux et amoureux du jeune soldat, épris de la belle esclave nubienne, devenu général puis traître par passion.
Viennent enfin, outre les rôles véristes: Canio (Paillasse de Leoncavallo, 1987), ou Enzo (Gioconda de Ponchielli), et encore Andrea Chénier de Giordano (en 1996 à New York), les derniers rôles verdiens qui manquaient à son profil audacieux: Ernani, Otello, puis Don Carlo de Verdi.
Le style Pavarotti
Le ténor n’a chanté qu’en italien, osant quelques airs en français, approchés en récital, jamais dans le cadre d’une production: Don José (Carmen de Bizet), Werther de Massenet (Pourquoi me réveiller?). Son souci de la clarté et de la diction n’ont pas à pâlir… Piètre acteur, du fait, avec les années, de son embonpoint (le géant de 1,90m pesait selon les périodes entre 90 et 120 kg), Luciano Pavarotti a réussi le tour de force de tout concentrer, dramatisme et intensité, tension et émotivité, dans sa seule voix. Une voix prodigieuse par sa projection claire et naturelle, un timbre « solaire », rayonnant et tendre, à la fois héroïque et raffiné. Qui a vu et écouté l’interprète, ait resté saisi par le charisme de chacune de ses prestations: l’expression passe chez lui par le feu de la voix, par l’acuité du regard, l’incandescence voire la fulgurance de l’émission naturellement timbrée et musicale.
L’amour de la foule
Le roi du contre-ut, n’a jamais caché son amour du risque et du défi. A 55 ans, en 1990, il innove et bouscule bon nombre d’habitudes conservatrices qui asphyxiaient le milieu lyrique. Avec les deux autres ténors médiatisés comme lui, Placido Domingo et José Carreras, Pavarotti « invente » un type de récital inédit à trois voix, en particulier pour la finale de la coupe du monde, le 16 juillet 1990. Ainsi est lancé le concept des trois Ténors.
C’est le début d’une aventure pharaonique (les mauvaises langues ont parlé de montage financier particulièrement judicieux) qui tout en suscitant un énorme succès auprès des foules de plus en plus nombreuses, a le bénéfice de démocratiser l’opéra auprès du plus grand nombre. Grâce au charisme et aux valeurs de coeur de « Big Pavarotti », l’opéra concrétise le déroulement de vastes rituels collectifs en plein air, où la vocalise et l’acrobatie expressive, mesurée cependant par une musicalité intacte, bercent et portent les foules.
Pavarotti élargit davantage sa palette musicale en repoussant encore les limites de ses concerts. Lors de performances mémorables, il chante aux cotés de stars de la pop et du rock, de la variété internationale, de Bono, à Maria Carey, avec Elton Jones aussi, prouvant au monde que le talent ne connaît pas de cloisons. Ses récitals « Pavarotti and friends » dont une partie des recettes sont reversées à des oeuvres charitatives, montrent que l’art est une célébration partagée qui gagne aux métissages et aux rencontres. Séduit, le public suit son favori: 500.000 spectateurs répondent ainsi à l’invitation en juin 1993 à New York.
Luciano Pavarotti avait commencé une tournée d’adieux à partir de 2004, programmant 40 concerts dans le monde, jusqu’en 2007. Hospitalisé en juillet 2006, il devait brusquement annuler sa tournée. Près d’un an plus tard, le ténor italien nous quittait, le 6 septembre dernier à l’âge de 71 ans, dans sa villa aux environs de Modène. Lire notre dépêche Mort de Luciano Pavarotti.
Les 10 rôles de Luciano Pavarotti
1961
Rodolfo (La Bohème de Puccini), Teatro Reggio Emilia
1964
Idamante (Idoménée de Mozart), Festival de Glyndebourne
1965
Nemorino (L’Elixir d’amore de Donizetti), Opéra de Melbourne
1967
Arturo (Les Puritains de Bellini), Opéra de Catane
1971
Riccardo (Un Bal Masqué de Verdi), San Francisco
1974
Rodolfo (Luisa Miller de Verdi), San Francisco
1977
Manrico (Le Trouvère de Verdi), San Francisco
1981
Radamès (Aïda de Verdi), San Francisco
1991
Otello (Verdi), Chicago
1996
Andrea Chénier, New York
Cd: 10 enregistrements incontournables
Tonio: La fille du régiment de Donizetti, 1967
Avec Joan Sutherland…, Choeur et orchestre du Covent Garden de Londres. Richard Bonynge, direction (2 cd Decca)
Nemorino: L’elisir d’amore de Donizetti, 1971
Avec Joan Sutherland, English chamber orchestra. Richard Bonynge, direction (2 cd, Decca)
Edgardo: Lucia di Lammermoor de Donizetti, 1972
Avec Joan Sutherland, Sherill Milnes…, Orchestre de Covent Garden de Londres. Richard Bonynge, direction (2 cd Decca).
Rodolfo: La Bohème de Puccini, 1973
Avec Mirella Freni, Rolando Panerai, Berliner Philharmoniker. Herbert von Karajan, direction (2 cd Decca).
Calaf: Turandot de Puccini, 1973
Avec Joan Sutherland, Montserrat Caballe… London Philharmonic Orchestra. Zubin Mehta, direction (2 cd Decca).
Pinkerton: Madama Butterfly de Puccini, 1974
Mirella Freni, Christa Ludwig…, Wiener Philharmoniker. Herbert von Karajan, direction (3 cd Decca).
Arturo: I Puritani (Les Puritains) de Bellini, 1975. Avec Joan Sutherland, Pietro Capuccili, Nicolai Ghiaurov, LSO. Richard Bonynge, direction (3 cd Decca)
Manrico: Le Trouvère de Verdi, 1975
Joan Sutherland, Marylin Horne, National Philharmonic Orchestra. Richard Bonynge (2cd Decca)
Andrea Chénier de Giordano, 1982
Avec Montserrat Caballe, Leo Nucci,… National Philharmonic orchestra. Riccardo Chailly, direction (2 cd Decca)
Riccardo: Le Bal masqué de Verdi, 1982/1983
Avec Margaret Price, Renato Bruson,… National Philharmonic Orchestra. Georg Solti (2 cd Decca)
Dvd
Requiem de Verdi, 1967
Avec Leontine Price, Fiorenza Cossotto, Nicolai Ghiaurov. Choeur et orchestre de La Scala. Herbet von Karajan, direction. Réalisation: Henri-Georges Cluzot. A 32 ans, Pavarotti flamboie au niveau de ses partenaires sous la baguette électrique d’un karajan transfiguré par la partition.
La Bohème de Puccini, 1988
Avec Mirella Freni, Nicolai Ghiaurov, choeur et orchestre de l’Opéra de San Francisco, Tullio Severini, direction. Réalisation: Brian Large (1 dvd Arthaus Musik). Aux côtés d’une Freni anthologique, Pavarotti stupéfie par sa vérité franche et son timbre éclatant dans un rôle qu’il a marqué définitivement. Lire notre critique de la production californienne rééditée par Arthaus Musik en un coffret Puccini: Nessun dorma, indispensable (4 dvd)
Pavarotti for ever (Decca, 2007)
Publié quelques jours après la disparition du ténorissimo, ce coffret vidéo regroupe les rôles les plus significatifs du ténor. Prières et hymnes sublimés par une voix exceptionnelle s’enchaînent laissant le spectateur saisi par tant de musicalité, fluide, libre, rayonnante. Le sourire et le regard de Pavarotti: tout passe dans sa voix miraculeuse. Un must. Crédit photographique Luciano Pavarotti (DR)