Dans le cadre de sa résidence à l’Opéra de Massy, le chef et fondateur de l’ensemble TM+ présente après UND, opéra de chambre de Daniel d’Adamo présenté en création mondiale, le 1er mars dernier (et véritable choc), son propre « Chant de la Terre », une partition inédite et personnelle, inspirée du Chant de la Terre (Das lied von der Erde) de Gustav Mahler dont il met en musique les textes poétiques. Il en découle une pièce pour voix et orchestre qui défie le chef et l’invite à reformuler sa propre singularité comme compositeur. Avec Le Chant de la Terre, Laurent Cuniot et TM+ poursuivent leur résidence à l’Opéra de Massy.
__________________________________________
CLASSIQUENEWS : De quelle manière êtes-vous parti de la partition de Mahler pour produire votre propre Chant de la terre ?
LAURENT CUNIOT : Comment me situer par rapport à un modèle aussi puissant ? Nos racines sont communes, ce sont les textes que Mahler a choisi et mis en musique avec le génie que l’on sait ; pour ma part, j’y ajoute deux textes de Rilke en position 2 et 5 (sur les 6) dont la forme est plus proche de ma sensibilité. Ils remplacent ceux originaux. Les autres poèmes demeurent à leur place dont Abschied, l’Adieu qui est la conclusion. Les deux poèmes de Rilke (extraits du cycle des « Poèmes de la Nuit ») expriment des sujets proches de Mahler : ils expriment une sorte de quête de soi dans le lien avec le Ciel, le souffle des astres, avec la puissance divine, l’amour, la Nature. Il y est question de la puissance amoureuse dans sa double nature : divine et terrestre.
CLASSIQUENEWS : L’instrumentarium de Mahler vous-a-t-il inspiré ? De quelle façon ?
LAURENT CUNIOT : J’ai conservé le dispositif initial, le principe des deux voix solistes (mezzo et ténor) avec l’orchestre, mais en soignant particulièrement cet équilibre où les instruments comptent autant que les voix ; l’orchestre développe même des plages purement orchestrales qui soulignent l’essor des instruments. Chaque séquence est intimement liée au texte; la musique traduit l’imaginaire et la pensée poétique. Sur le plan de l’instrumentation, j’ai conservé entre autres la place particulière que Mahler réserve à la harpe par exemple ; la harpe crée l’espace dans l’orchestre de Mahler, c’est la raison pour laquelle j’en utilise deux ; auxquelles se joignent 6 cordes, 2 flûtes, 1 hautbois, 2 clarinettes, et aussi le cor et le saxhorn, ce dernier apporte la profondeur ; comme la harpe, il renforce la sensation d’espace. Les percussions sont également très importantes. Au total, 16 musiciens jouent, dans un spectre sonore large. Je veille à la douceur, à la caresse des sons. Les couleurs très expressives structurent la forme, dans la même durée que le cycle mahlérien originel, soit 1 heure. Tout le cycle s’édifie et se développe dans l’intériorité : au début je place un prologue très court, épuré qui signifie l’attente (bol chinois, flûte basse et la contrebasse dont les pizz s’inscrivent dans le grave). Dès le départ, j’ai conçu une tension qui doit saisir l’auditeur pour ne plus le lâcher 1 heure durant.
CLASSIQUENEWS : En quoi consiste votre résidence à l’Opéra de Massy ? Que vous permet-elle d’approfondir ?
LAURENT CUNIOT : Notre résidence à l’Opéra de Massy nous offre une formidable opportunité pour explorer de nouvelles formes, au service de la création musicale ; c’est un compagnonnage de 6 années qui a déjà produit ses fruits. Vous l’avez constaté avec la création cette année, début mars de l’opéra UND de Daniel d’Adamo, d’après la pièce d’Howard Barker ; c’est l’une des formes que nous tenons à explorer avec les instrumentistes de mon ensemble TM+ : le théâtre et la musique scénique. Le Chant de la Terre évoque un autre genre tout aussi important : un cycle nouveau pour ensemble instrumental. Tout cela est d’autant plus essentiel qu’il est de plus en plus difficile de réaliser de tels projets, en raison des difficultés économiques et du manque de moyens… Pourtant, chaque projet est étroitement associé à une action de sensibilisation auprès des publics, en particulier des jeunes. Il s’agit toujours de créer les conditions de l’écoute, de favoriser la rencontre avec les artistes autour de sujets et de thèmes proposés au débat. Par exemple pour Le Chant de la Terre, nous avons posé la question : comment le compositeur s’empare d’un texte poétique ? Comment le texte produit des images et des sensations, car la poésie est aussi du son. Pour UND, à travers les mêmes actions de sensibilisation (en partenariat avec la Maison de la Musique de Nanterre), nous avons travaillé avec 300 jeunes, préparés ainsi pour écouter et découvrir la première à l’Opéra de Massy.
Propos recueillis en mars 2024
LAURENT CUNIOT : Le Chant de la Terre, création mondiale, jeudi 4 avril 2024 à l’Opéra de Massy (20h). LIRE ici notre présentation de l’événement : https://www.classiquenews.com/opera-de-massy-mahler-laurent-cuniot-le-chant-de-la-terre-jeudi-4-avril-2024-tm/
PLUS D’INFOS sur le site de l’Opéra de MASSY :
https://www.opera-massy.com/fr/le-chant-de-la-terre.html?cmp_id=77&news_id=1041&vID=3
APPROFONDIR : TM+ à l’Opéra de Massy / Création mondiale de UND de Daniel D’ADAMO, le 1er mars 2024 – LIRE notre critique complète ici : https://www.classiquenews.com/critique-opera-opera-de-massy-le-1er-mars-2024-daniel-dadamo-und-creation-mondiale-gaelle-mechaly-tm-laurent-cuniot-direction-julie-delille-mise-en-scene/