ENTRETIEN avec FLORENT SIAUD, à propos de la nouvelle production de Tosca de Puccini, à l’affiche du Théâtre Impérial de Compiègne (10 et 11 nov 2023) – Metteur en scène pour le théâtre et l’opéra, Florent Siaud répond à l’invitation d’Eric Rouchaud, directeur du Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne, et présente et explique sa vision de Tosca dont il a fait un triptyque rougeoyant où perce le profil ardent des personnages du trio : Scarpia en bourreau méphistophélique qui « fétichise » la voix de Tosca… ; Celle ci est une artiste fraîche et solaire ; Mario, en parfait représentant de cette « Scapigliatura » ou « ligue des échevelés… (Florent Siaud, DR)
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CLASSIQUENEWS : Quelle est votre vision de l’ouvrage ?
FLORENT SIAUD : On connaît la profusion dantesque qui a fait la réputation de Tosca. Dans cette version plus intime de l’oeuvre, je suis sensible à la façon dont, dans chaque situation dramatique, les émotions et les pensées des personnages cheminent étape après étape dans le for intérieur des personnages. Sous l’efficacité poignante de la musique, la partition offre de vrais enjeux de réflexions existentielles, de saisissants moments de délibérations intérieures. C’est une dimension que nous tentons de rendre sensible, entre autres, avec les lumières en clair-obscur de Nicolas Descôteaux.
Plutôt que la recherche de vérisme, je suis aussi fasciné par ce que cet opéra doit à une forme de théâtre tragique et sacré. D’où, peut-être, notre besoin d’aller non pas vers un naturalisme opulent mais, par moments, du côté de la stylisation, de l’imaginaire du retable, de la théâtralité du mystère. Avec le scénographe Romain Fabre, a émergé la piste d’une sorte de triptyque rougeoyant, construit par les ateliers de l’Opéra de Reims, évoluant au gré des actes et auquel les vidéos subtiles d’Eric Maniengui viennent apporter une touche de réalisme magique.
Ces choix formels forts ne nous empêchent pas de toucher au concret des situations. Avec les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz, notamment, nous avons tenté de traduire le côté mafieux et dangereux de ce polar romain, résonant avec certaines heures sombres de l’Histoire. Mais nous avons en même temps désiré donner de la place au côté solaire, juvénile de ces personnages habités par des idéaux plus grands que nature. Surtout que notre distribution a la force de la jeunesse.
Prise de rôle attendue pour Axelle Fanyo en Tosca (DR)
CLASSIQUENEWS : Comment concevez-vous les personnages du trio ?
FLORENT SIAUD : il n’échappe à personne, encore moins à notre époque, que Scarpia incarne l’archétype du bourreau. Il a une couleur clairement méphistophélique à laquelle on laisse une certaine place dans le spectacle. Mais ça n’empêche pas sa perversion de se déployer dans l’ambivalence et la retenue, parfois, pour piéger ses victimes. Les bourreaux n’abattent pas toujours la carte de la violence frontale. Comme nous l’a tragiquement montré le XXe siècle, la « banalité du mal » joue aussi sur les tableaux de la normalité, du calme de surface, de l’apparence de la foi, de la besogne anonyme pour porter ses coups. Sous son masque d’inquisiteur, je me demande enfin dans quelle mesure ce n’est pas ce n’est pas un Tartuffe dévoré par la culpabilité, un dévot qui fétichise la voix et le courage irréel de Tosca. A moins que ce ne soit un Macbeth hanté par les spectres de tout ce qu’il a détruit ?
Quant à Tosca, on la peint parfois comme une diva capricieuse. Mais ce qui m’interpelle en elle, c’est plutôt sa fraîcheur et son inventivité d’artiste. Elle est le printemps qui surgit sur le plateau. Si elle est jalouse, c’est aussi par jeu : en bonne praticienne de la scène, elle sait embarquer Mario Cavaradossi dans le jeu de l’amour et du hasard. Elle tire les ficelles contrastées de la passion, elle crée. Cela ne l’empêche pas d’être spirituelle, contemplative et éprise d’absolu : c’est cette force de caractère qui lui permet d’imposer une suspension vertigineuse de l’espace-temps grâce au recueillement d’où émerge « Vissi d’arte ».
Mario, de son côté, est peut-être le représentant de la génération des années 1880 en Italie, celle de la Bohème artistique qui refait le monde à Milan, cette « Scapigliatura » ou « ligue des échevelés », qui importe alors l’esprit frondeur du Quartier latin à Milan. Il a quelque chose, aussi, du lyrisme terrien et de l’effronterie politique du jeune Pasolini. Il est attentif à la nécessité d’embrasser le moment présent, ce dont témoigne son fameux « E lucevan le stelle », air poignant qui célèbre la passion terrestre qu’il a connue auprès de Tosca autant que ses adieux à la vie.
CLASSIQUENEWS : Précisez-nous en quoi cette production s’inscrit dans le cadre de votre résidence au sein des Théâtres de Compiègne (le Théâtre Impérial et l’Espace Jean Legendre) ?
FLORENT SIAUD : Je suis artiste en résidence auprès des Théâtres de Compiègne depuis la saison 2018 – 2019. L’esprit de cette collaboration avec cette direction engagée et son équipe très dévouée consiste à partir à la rencontre des publics de l’Oise dans les domaines de l’art lyrique et du théâtre, puisque je pratique ces deux disciplines à part égale. C’est devenu une famille, pour moi. Du côté de l’opéra, par exemple, nous avons pu donner en 2019 La tragédie de Carmen, partie ensuite en tournée en 2022-2023, puis Les Bains macabres de Guillaume Connesson en 2020 (une création présentée in loco juste avant sa reprise à l’Athénée Louis Jouvet à Paris). Saison après saison, cette dynamique nous permet de développer un lien durable avec tous les publics du département, mais aussi de créer des ponts solides avec les associations ou les établissements d’enseignement du territoire, jusqu’à d’ailleurs les inclure dans certaines productions participatives comme nous l’avons fait récemment avec notre spectacle Si vous voulez de la lumière, autour de Faust.
Cette Tosca singulière s’inscrit aussi dans une volonté de décentraliser l’opéra, cheval de bataille du Théâtre impérial de Compiègne et d’Eric Rouchaud. Les disparités territoriales en France sont criantes ; il semble aujourd’hui inconcevable de réserver l’opéra aux seuls habitants des grandes métropoles. Tout en continuant de préparer d’amples formes de spectacle (c’est dans cet esprit que je mettrai en scène Lohengrin à l’Opéra national de Strasbourg ou Eugène Onéguine au Capitole de Toulouse), je trouve essentiel de travailler ponctuellement sur des formats comme celui-ci, pensés pour être accueillis par des scènes municipales, des scènes pluridisciplinaires, des scènes nationales. C’est beau que des publics variés puissent vivre, parfois pour la première fois, les émotions que procure Tosca, surtout quand le rôle-titre est incarné par une cantatrice de la trempe d’Axelle Fanyo et que celle-ci est entourée par une distribution de cette qualité. C’est ce contexte de diffusion qui a conduit au rêve de cette Tosca chambriste, dont les Frivolités parisiennes ont confié la réorchestration à Benoît Coutris. La sensibilité dramaturgique de Fabien Waksman, compositeur récompensé d’une Victoire de la musique classique en 2023, a permis de proposer des coupes intéressantes, notamment en début d’actes, afin de parvenir à une densité dramatique particulière et à un spectacle sans entracte, mené tambour battant comme une machine infernale. Tout en éprouvant une admiration qui n’est pas près de s’éteindre pour la partition originelle de Puccini, j’ai été étonné de découvrir, hier, des couleurs inédites dans cette version dirigée par Alexandra Cravero : la pudeur de l’intimité, les couleurs solaires de la jeunesse, la morbidité fin de siècle de cette tragédie romaine ramenée à quelque chose de plus intérieur, de plus torturé. La proposition scénique reste ambitieuse dans sa facture et ses changements de décor, mais j’espère que cette Tosca connaîtra la même vie que notre Tragédie de Carmen, qui a eu une très belle tournée avec l’Ensemble Miroirs Etendus.
Propos recueillis en novembre 2023
A L’AFFICHE
Tosca de Puccini, Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne, les 10 et 11 novembre 2023 – LIRE notre présentation ici : https://www.classiquenews.com/compiegne-theatre-imperial-puccini-tosca-axelle-fanyo-alexandra-cravero-florent-siaud-les-10-et-11-novembre-2023/
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