vendredi 19 avril 2024

ENTRETIEN avec Cyrille DUBOIS à propos de son nouvel album  » SO ROMANTIQUE !  » (1 cd Alpha classics)

A lire aussi

 

 

En mars 2023, le ténor Cyrille Dubois consacre tout un album à l’opéra romantique français, de 1920 à 1913, soit une collection d’airs d’opéras connus et oubliés dont le lien et la cohérence tiennent à chaque typologie vocale et profil lyrique pour lesquels ils sont écrits : le « ténor de grâce« .

Héritier de la haute-contre dont il maîtrise l’agilité et les aigus clairs et intenses, le ténor de grâce ainsi ressuscité ou ténor léger, marque l’histoire lyrique, quintessence des rôles tendres et amoureux, en réalité étrangers à toute préciosité et maniérisme, mais francs, sincères voire bouleversants. C’est tout le mérite de Cyrille Dubois d’oser un tel récital aujourd’hui, qui révèle (enfin) des noms inconnus tels Charles Silver (le Puccini français) ou Luce-Varlet… Au diapason d’un chant ciselé et saisissant par sa subtilité naturelle comme son intelligibilité, l’Orchestre National de Lille apporte sa propre intelligence des couleurs et des nuances, sous la direction pour ce nouvel album, du chef Pierre Dumoussaud. Entretien avec Cyrille Dubois sur la genèse et les défis d’un programme original, riche en révélations…

_____________________________________________

 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Qu’apportent les découvertes et les éléments de la recherche récente ? En particulier en quoi cela invite à réviser notre regard sur un répertoire souvent présenté de façon caricaturale, comme trop sentimental et mélodramatique ?

CYRILLE DUBOIS : En réalité tout se tient et il est important de rétablir les liens entre les périodes de l’histoire musicale. Il y a une filiation naturelle depuis le Baroque vers les premières années romantiques vers 1800 et après. J’ai souhaité dans ce récital souligner l’héritage du répertoire de haute-contre depuis le XVIIIe tout au long du XIXe et au-delà, c’est à dire démontrer la permanence de cette vocalité légère si spécifique du ténor de grâce à la française. Cela contredit l’idée que le romantisme est dérivé du vérisme, comme on le pense a contrario de la chronologie. En réalité c’est l’inverse : il faut aborder les Romantiques en regardant avant, c’est à dire vers le XVIIIe. Il s’agit d’un répertoire porté par le texte, où chaque mot n’est pas un prétexte mais fait sens et réclame une nuance particulière. C’est un répertoire où le livret est central, où la vocalité est moins dans la démonstration que dans la nuance, au service du texte ; dans la caresse et la tendresse, révélant une très large palette d’expressions et d’émotions qui contredit totalement l’image réductrice du ténor de force, du ténor lyrique…

 

CLASSIQUENEWS : Quelles sont les différentes facettes et nuances expressives qui éclairent l’étendue et le raffinement des personnages que vous incarnez ici ?

CYRILLE DUBOIS : Le spectre est large et j’ai souhaité éclairer l’évolution et la richesse des écritures sur une période qui va de 1820 à 1900 ; l’écart est important. L’essentiel était aussi de dévoiler des partitions méconnues voire inédites. Cela va du « Roman d’Elvire » d’Ambroise Thomas (1860), si représentatif des personnages taillés pour l’opéra comique, à « Xavière » (1895) de Théodore Dubois, à « Myriane » (1913) de Charles Silver dont l’écriture fait immédiatement penser à Puccini. On peut dénoter sur la période de nombreuses influences (Verdi, Wagner, Tchaïkovski…), car le siècle est celui des voyages ; c’est un siècle européen… Au moment de la préparation du programme, nous nous sommes posé la question si nous devions intégrer le Faust de Berlioz dont on ignore a contrario là encore de la tradition actuelle qui privilégie un ténor lyrique, que le rôle-titre fut chanté par un ténor léger… Au départ de cette aventure, je souhaitais composer un récital dédié à mon type de voix, en particulier à partir des airs et des rôles chantés par le ténor Gustave Roger. Puis, au regard de la diversité des auteurs et des oeuvres concernées, le programme s’est élargi à quantité d’autres styles et sensibilités.

 

CLASSIQUENEWS : Vers quel type de rôle va votre préférence ?

CYRILLE DUBOIS : J’ai une prédilection pour les rôles qui ont une couleur élégiaque. Je pense en particulier à Smith dans « La Jolie de fille de Perth » de Bizet (1867) ; les rôles qui supposent une sensibilité intense comme « Mignon » d’Ambroise Thomas (1866) ; et aussi,  Gérald de « Lakmé » de Delibes (1883),  … ce sont des rôles qui permettent un lyrisme tout en caresse et en poésie.

CLASSIQUENEWS : Vous êtes soucieux autant de virtuosité que de profondeur. Quel serait ici l’air le plus réussi entre les deux aspects ?

CYRILLE DUBOIS : Évidemment, le premier air qui ouvre le programme, issu de « La Barcarolle » d’Auber (1845) qui a cette souplesse et cette suavité déroulées comme un air italien.

 

CLASSIQUENEWS :  Pour le programme « So romantique ! », qu’avez-vous en particulier travaillé avec le chef Pierre Dumoussaud et l’orchestre ?

CYRILLE DUBOIS : Le travail avec l’Orchestre national de Lille et le chef a été d’autant plus facile que les instrumentistes lillois sont familiers du répertoire romantique et de la musique française. J’ai enregistré avec l’Orchestre sous la direction d’Alexandre Bloch, « Les pêcheurs de perles de Bizet » ; ce répertoire leur est familier et Pierre Dumoussaud a comme moi, le goût de ce parfum français ; ce questionnement qui prolonge le travail qu’avant nous avait à coeur de défendre Michel Plasson : ce sens des couleurs infinies, des teintes nuancées, cette recherche des plus imperceptibles pianissimi, … tout ce que j’ai déjà exposé en parlant de fragilité et d’émotion pure.

 

CLASSIQUENEWS : Quelles sont en définitive les qualités principales pour réussir à chanter l’opéra français ?

CYRILLE DUBOIS : D’abord respecter et articuler le texte ; donc soigner l’intelligibilité. La vocalité française est difficile ; elle suppose un artisanat spécifique, capable entre autres de relever des défis multiples comme par exemple réussir les nasales fermées, spécificité française… autant de sonorités propres au français. Notre langue nécessite beaucoup de consonnes, ce qui va à l’encontre du legato italien par exemple. Je dirais aussi qu’il faut cultiver un goût particulier pour la suavité, une volubilité capable d’exprimer les murmures les plus caressants comme les crescendos les plus explosifs. 

 

CLASSIQUENEWS : Comment évolue votre voix ? Vers quel caractère souhaiteriez-vous l’orienter ?

CYRILLE DUBOIS : Avec le temps, garder cette légèreté est le fruit d’un combat de plus en plus intense. Même si ma voix s’élargit, j’espère pouvoir conserver la flexibilité et les aigus.

Je veille avec prudence au choix de chaque rôle ; ce pour tous les répertoires : baroque, classique, romantique, sans omettre la mélodie. Cela me permet autant que possible de cultiver des couleurs intimistes et d’exprimer cette fragilité, cette cassure, cette fêlure qui me sont chères.

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont les rôles qui vous ont particulièrement marqué sur scène ?

CYRILLE DUBOIS : Indiscutablement Gérald dans Lakmé ; Fortunio car c’était mon premier rôle sur la scène de l’Opéra-Comique, une salle que j’aime énormément parce qu’elle a la dimension qui convient à la typologie de ma voix et au répertoire qui est le mien ; j’ai beaucoup aimé aussi participé à la création de « Point d’orgue » de Thierry Escaich (2021), en incarnant « L’Autre » car cela permet d’explorer une toute autre facette dramatique et psychologique, celle de l’ambiguïté. Il y a encore Hippolyte dans Hippolyte et Aricie de Rameau à l’Opéra de Zürich.

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont vos projets importants dans les prochains mois ?

CYRILLE DUBOIS : Il y a « Le viol de Lucrèce » de Britten au Capitole de Toulouse (du 23 au 30 mai 2023) dont je chante le Chœur masculin ; j’aime énormément Britten dont j’ai déjà chanté le rôle de Miles dans « Le Tour d’écrou » ; j’ai une affection particulière pour » Le Viol de Lucrèce » car c’est une partition que j’avais travaillée encore étudiant au CNSMD de Paris. Il y a plus proche de nous Jason dans « Médée » de Charpentier (ce 27 mars 2023, sous la direction de Hervé Niquet dans le cadre de son cycle de la Tétralogie Baroque présentée au TCE à Paris)… et actuellement la double production au TCE toujours,  « Le Rossignol » de Stravinsky et « Les Mamelles de Tirésias » de Poulenc où je chante respectivement Le pêcheur et le journaliste parisien (jusqu’au 19 mars 2023). Je suis impatient d’aborder en 2023, le rôle de Don Ottavio dans Don Giovanni et aussi de Tamino de la Flûte enchantée de Mozart au TCE, dans une nouvelle production du réalisateur Cédric Klapisch…

 

CLASSIQUENEWS : Dans le futur, aurons-nous la chance de vous écouter dans le rôle aussi virtuose que déjanté de Platée de Rameau ?

CYRILLE DUBOIS : J’adorerais. Cela a failli se faire. C’est un rôle qui m’intéresse évidemment parce qu’il a ce côté transgressif qui renouvelle définitivement l’image réductrice qui colle encore à la voix de ténor.

 

 

Propos recueillis en mars 2023

 

 

 

Nouveau cd  » SO ROMANTIQUE ! « 

______________________________________

 

 

 

CRITIQUE CD événement. SO ROMANTIQUE ! Airs d’opéras français (1820 – 1913) – Cyrille Dubois, ténor – orchestre National de Lille. Pierre Dumoussaud, direction – 1 cd Alpha – enregistré en juil 2021 à Lille, Auditoirum du Nouveau Siècle – CLIC de CLASSIQUENEWS… Qu’il chante en récital chambriste, diseur et fin mélodiste, accompagné par son fidèle complice Tristan Raës, ou porté par un orchestre comme ici, le National de Lille, le ténor Cyrille Dubois fait valoir les mêmes qualités d’élégance et de finesse, dans un répertoire qui de surcroit méconnu, gagne de nouvelles lettres de noblesse : celui pour « ténor de grâce » ou ténor léger ; l’intérêt du récital est triple. Superbe implication de l’interprète dans une série de caractères très homogène ; focus sur plusieurs joyaux lyriques, de 1820 à 1913, certains inconnus (à torts); engagement superlatif d’un orchestre pour lequel l’opéra français offre d’évidentes sources d’accomplissement.

 

 

 

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

OPÉRA GRAND AVIGNON. VERDI : Luisa Miller, les 17 et 19 mai 2024. Axelle Fanyo, Azer Zada, Evez Abdulla… Frédéric Roels / Franck Chastrusse...

Malentendu, quiproquos, contretemps… Luisa Miller puise sa force dramatique dans son action sombre et amère ; la tragédie aurait...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img