jeudi 18 avril 2024

CRITIQUE CD événement. SO ROMANTIQUE ! Airs d’opéras romantiques français (1820 – 1913) – Cyrille Dubois, ténor – Orchestre National de Lille. Pierre Dumoussaud, direction (1 cd Alpha, 2021)  

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Qu’il chante en récital chambriste, diseur et fin mélodiste, accompagné par son fidèle complice Tristan Raës (au piano), ou porté par un orchestre comme ici, le National de Lille, le ténor Cyrille Dubois fait valoir les mêmes qualités d’élégance et de finesse, dans un répertoire qui de surcroit méconnu, gagne de nouvelles lettres de noblesse : celui pour « ténor de grâce » ou ténor léger ; l’intérêt du récital est triple. Superbe implication de l’interprète dans une série de caractères très homogène ; focus sur plusieurs joyaux lyriques, de 1820 à 1913, certains inconnus (à torts); engagement superlatif d’un orchestre pour lequel l’opéra français offre d’évidentes sources d’accomplissement. 

En recourant à sa voix naturelle de tête, capable d’aigus parfaitement placés et couverts, Cyrille Dubois peut ainsi incarner une typologie de personnages qui requiert de la subtilité, une sensualité ciselée au service de l’intelligibilité et du style ; la tradition remonte au XVIIIè, sur la scène de l’opéra-comique où le ténor léger exploite les ressources de sa voix de fausset, lui-même héritier direct de la haute-contre baroque (ainsi l’illustre Jélyotte, interprète légendaire de Platée de Rameau). Le timbre clair et puissant de Cyrille Dubois, qui ne sacrifie jamais la nuance ni la justesse mais recherche au plus près la juste couleur et la précision de l’expression, relève d’une généalogie de chanteurs désormais dévoilés et dont l’art ressuscite ici une colonie d’interprètes, chanteurs et acteurs, de mieux en mieux documentés ; les Jean Elleviou (fameux ténor chez Dalayrac), ou Louis Ponchard, interprète de Boieldieu…

La pertinence des airs choisis montre à quel point le ténor de grâce ou léger n’a rien à envier à ses confrères et rivaux, d’un tout autre caractère, les ténors du grand opéra tel Adolphe Nourrit, les ténors di forza ou fort-ténors tel Gilbert Duprez ; bien au contraire : le relief spécifique de chaque individu, dans chaque situation, est saisissant tant l’intelligence de l’interprète, éclaire le profil psychologique qui est en jeu. Autant de variété comme de finesse dans chaque séquence et pour chaque rôle forcent l’admiration. 

D’un type vocal identifiable entre tous par la lumière du timbre, son intensité et aussi sa puissance diamantine, le chanteur dévoile d’autres cartes : la rondeur et une tendresse supérieure, soit les composantes de celui que l’on appela aussi le ténor de « demi-caractère », souvent un enamouré dont l’ardeur électrique, subjugue.

 

 

1001 nuances sensibles
Cyrille Dubois en état de grâce

 

De Fabio (La Barcarolle d’Auber, 1845) et son cantabile subtilement tendre, Cyrille Dubois offre un regard régénéré surtout sur l’air délectable entre tous, la non moins célèbre et redoutée « romance » qui exige une finesse articulée et agile remarquable ; pari tenu et défi relevé avec Haydn (L’élève de Pressbourg de Luce-Varlet, 1840), Olivier (Les Mousquetaires de la reine d’Halévy, 1846, avec cor anglais),  ou encore de Louis Clapisson, respectivement Donatien et Gibby, du Code noir (1842) et de Gibby la cornemuse (1846)… modèles à présent de cette romance romantique élégiaque, à la fois prière et cavatine éplorée et pudique. 

Même révélation en agilité décuplée, et belcantisme assumé, son Tonio (La Fille du régiment de Donizetti, 1840) et ses contre-ut crânement fusés, qui dardent comme des flèches affûtées, et dont l’énergie et la couleur gagnent un surcroit de réalisme chez Ambroise Thomas, maître du caractère avec Raymond (1851) – sa cavatine de l’acte III où le fils de roi relativise sérieusement son sort ; Gennaro du Roman d’Elvire (1860), surtout Mignon (1866) et son air « Adieu Mignon »…

Ailleurs, Gounod et Saint-Saëns jouent avec le timbre et le caractère à des fins dramatiques plus raffinées encore : le premier dans le Médecin malgré lui (1858) incarne cette tendance historiciste et néobaroque autour de 1860 où le fabliau de Léandre parodie la manière de la haute-contre du XVIIè, tandis que le second, dans Le timbre d’argent (1864), renouvelle encore l’emploi de ténor léger avec Bénédict dont la tendresse contraste avec la folie du fort-ténor Conrad, fixant désormais un profil et une typologie exemplaire qui s’accomplit dans le rôle de Smith élaboré par Bizet dans La Jolie fille de Perth (1867), et surtout Gérald dans Lakmé de Léo Delibes qui enrichit encore le ténor léger en lui apportant une épaisseur lyrique et psychologique particulièrement soignée.

Saluons aussi, pilier de la réussite du programme la tenue de l’Orchestre National de Lille qui sous la direction de Pierre Dumoussaud exprime avec la même finesse, un goût sûr des couleurs, une éloquence et une caractérisation proche d’un tel chant articulé et sensible, portant l’ivresse intime comme l’intensité passionnelle de chaque séquence. Y brille cette même palette idéale des accents entre dramatisme et élégance déjà distinguée dans leur enregistrement des Pêcheurs de Perles de Bizet, avec le même Cyrille Dubois qui marquait le rôle de Nadir et sa romance emblématique, autre caresse vocale hypnotique (Lille, mai 2017). LIRE ici notre critique du cd édité en sept 2018 : https://www.classiquenews.com/cd-opera-critique-bizet-les-pecheurs-de-perles-1864-nouvelle-version-complete-onl-orchestre-national-de-lille-a-bloch-2-cd-pentatone-2017/

Généreux, le récital lyrique nous régale d’autres perles : la romance d’Alvar (Pedro de Zalamea de Godard, 1884) ou Myriane de Charles Silver (1913) qui fait culminer l’évolution du ténor de grâce jusqu’aux confins pucciniens ! ‘accord improbable et très réussi de la finesse et du vérisme à la française : autre grande révélation du programme….

 

 

 

 

 

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CRITIQUE CD événement. SO ROMANTIQUE ! Airs d’opéras français (1820 – 1913) – Cyrille Dubois, ténor – orchestre National de Lille. Pierre Dumoussaud, direction – 1 cd Alpha – enregistré en juil 2021 à Lille, Auditoirum du Nouveau Siècle – CLIC de CLASSIQUENEWS

 

 

ENTRETIEN avec CYRILLE DUBOIS

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LIRE ici notre entretien avec Cyrille Dubois à propos de son récital lyrique SO ROMANTIQUE !

ENTRETIEN avec Cyrille DUBOIS à propos de son nouvel album  » SO ROMANTIQUE !  » (1 cd Alpha classics)

 

 

 

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