samedi 25 janvier 2025

ENTRETIEN avec Bruno Monteiro, violoniste (à propos de son cd Chausson / Ysaÿe)

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CLASSIQUENEWS : Pour quelles raisons avez-vous choisi d’illustrer dans votre dernier album, la proximité entre Chausson et Ysaÿe ?

BRUNO MONTEIRO : La musique française a toujours occupé une place prépondérante dans mon cœur et dans ma carrière ; qu’il s’agisse des Concertos pour violon ou de la musique de chambre. Avec le pianiste João Paulo Santos, j’ai déjà enregistré nombre de pièces majeures de ce répertoire : Sonate de Franck, Concerto et Poème de Chausson, Sonates nº1 de Fauré et Saint-Saëns, Sonate nº2 pour violon seul d’Ysaÿ, sans omettre la Sonate n°2 de Ravel, ou la Sonate et le Trio de Lejeu… qui a d’ailleurs, suscité une excellente critique sur classiquenews (NDLR : CLIC de classiquenews – LIRE notre critique ci après

 

)
J’ai toujours souhaité joué et enregistré le Trio de Chausson. C’est une pièce fantastique. Je l’avais découverte dans l’enregistrement remarquable du Beaux-Arts Trio ; le violoniste était alors Isidore Cohen qui a été mon professeur de musique de chambre pendant 2 ans à la Manhattan School of Music in New York. Aussi que l’opportunité de l’enregistrer s’est présentée, je n’ai pas hésité. João Paulo Santos partenaire et complice depuis plus de 20 ans, partage mes affinités avec la musique française. Il l’a joue même idéalement.
En outre, le violoncelliste Miguel Rocha, excellent instrumentiste et musicien, avec lequel nous avons enregistré le cd LEKEU, a trouvé que c’était le bon moment. Ensuite la question que nous nous sommes posées fut « qu’ajouter dans le programme au Trio de Chausson? ». Ysaÿe était une option naturelle. Je voulais depuis longtemps joué son Poème Élégiaque, pièce magnifique et peu jouée. Miguel connaissait aussi Méditation-Poème, encore moins connu du grand public que le Poème Élégiaque. Nous sommes tous tombés d’accord sur ce choix. Le président du label Etcetera Records, Dirk de Greef, nous a laissé carte blanche. Il y a aussi une raison historique : après avoir écouté le Poème Élégiaque d’Ysaÿe, Chausson a écrit son propre Poème pour violon et orchestre en dédicaçant la partition au grand violoniste, lequel en assura la création. Notre enregistrement a pu se réaliser grâce au soutien de DGARTES, Ministère de la Culture au Portugal qui a entièrement financé le projet, des concerts au cd.

 

 

CLASSIQUENEWS : Entre Chausson et Ysaÿe, notez-vous des éléments qui les distinguent ou des caractères communs ?

BRUNO MONTEIRO : Oui. Leur langage est très similaire. Cependant, quand le Trio de Chausson suit une structure classique plus formelle, les Poèmes d’Ysaÿs semblent beaucoup plus libres en terme d’écriture et d’interprétation. Bien sûr, il est essentiel de connaître l’histoire de chaque compositeur. Le Trio par exemple, est une œuvre de jeunesse, pourtant présentant une étonnante maturité. Les pièces d’Ysaÿe sont plus abstraites, ce qui permet plein de possibilités pour le violoniste, le violoncelliste et le pianiste. Ils sont d’autant plus invités à s’y engager personnellement.

 

 

CLASSIQUENEWS : Avez-vous préparé votre instrument de façon spécifique pour chaque œuvre ?

BRUNO MONTEIRO : Rien de spécial en réalité. La seule différence est que pour le Poème Élégiaque, la corde de sol du violon doît être abaissée au fa (Scordatura), car le compositeur souhaitait une atmosphère de funérailles, plus sombre dans sa partie centrale. Mon violon a dû être accordé à plusieurs reprises au cours de l’enregistrement et des concerts.

 

 

CLASSIQUENEWS : Selon vous, quelles sont les caractéristiques de la musique française romantique ?

BRUNO MONTEIRO : Beauté du son, charme, finesse et intensité ; de façon parfois plus ouverte, parfois plus contenue. Et bien sûr, il faut chanter chaque note.

 

 

CLASSIQUENEWS : Une anecdote au moment de l’enregistrement ?

BRUNO MONTEIRO : Quand nous sommes arrivés sur le lieu de l’enregistrement (Igreja da Cartuxa, à Caxias, près de Lisbonne), il n’y avait plus d’électricité et la session a failli être tout simplement annulée. Ce fut terrible ! Mais heureusement, grâce à l’intervention de notre ingénieur du son, José Fortes, nous avons pu récupérer un générateur puis l’enregistrement du programme a pu se dérouler sans problèmes.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : quels sont vos projets en terme d’enregistrements et de musique française ?

BRUNO MONTEIRO : La semaine dernière, nous venons de terminer l’enregistrement d’un nouvel album consacré à Korngold, João Paulo, Miguel et moi. Ce fut fatiguant mais excitant. Nous avons déjà planifié l’enregistrement de la Sonate de Debussy et Tzigane de Ravel pour un nouveau cd à paraître l’année prochaine.

 

Propos recueillis en mars 2023

 

 

 

 

 

Nouveau CD

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Bruno Monteiro poursuit son exploration de la musique française en enregistrant plusieurs chefs d’oeuvre de la musique de chambre. Après Lekeu, son dernier album regroupe en une filiation musicale avérée, Chausson et Ysaÿe : LIRE notre critique complète du cd Chausson / Ysaÿe ici : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-bruno-monteiro-violon-chausson-ysaye-music-for-violin-cello-piano-miguel-rocha-violoncelle-joao-paulo-santos-piano-1-cd-etcetera/

Le violoniste Bruno Monteirodévoile dans ce nouveau programme romantique français, d’évidentes affinités avec l’esthétique fin de siècle à la fois franckiste et post wagnérienne, propre à Chausson et Ysaÿe. En outre, la filiation entre les deux compositeurs se révèle captivante grâce à un éclairage aussi fin qu’engagé. Le Trio de Chausson opus 3 est une œuvre majeure écrite dès l’été 1881 par un jeune compositeur de 26 ans qui souhaite ainsi conjurer son échec au Prix de Rome ; le principe cyclique est très habilement utilisé (hommage à son maître César Franck qui valida la forme définitive de son élève) ; la profonde unité de la pièce (forme sonate des mouvements I et IV) et sa saveur complexe entre mélancolie et extase (ambiguité harmonique) s’en trouvent éclaircies, explicitées, d’une vibration à trois, remarquablement articulée.

 

AUTRE CRITIQUE : CD LEKEU / BRUNO MONTEIRO

 

CD critique. LEKEU : Sonate pour violon, Trio pour violon / violoncelle (Monteiro, Rocha, JP Santos (1 cd Brilliants – 2018).  Lekeu comme de nombreux génies précoces fut fauché à 24 ans (mort à Angers le 21 janvier 1894) par la fièvre typhoïde, nous laissant orphelins d’un talent rare et déjà passionné dont la très riche texture, le goût des chromatismes, une pensée manifestement wagnérienne (en cela fidèle au goût de ses mentors D’Indy et Franck) demeure la promesse éternelle d’une maturité à jamais refusée. Pourtant les deux partitions abordées ici indiquent clairement l’accomplissement manifeste d’une écriture aboutie, dense, intense malgré le jeune âge du compositeur romantique français.  Il remporta d’ailleurs le 2ème Prix de Rome belge en 1891 (pour sa cantate Andromède à réécouter d’urgence). Le sens des couleurs,  le flux harmonique aux modulations et passages ininterrompus façonnent un matériau particulièrement opulent et actif, jusqu’à la saturation. A leur écoute, le « Rimbaud » de la musique française n’a pas usurpé son surnom, ni la pertinence de ce rapprochement poétique. 

Souvent présentée telle sa pièce maîtresse, la Sonate pour piano et violon en sol majeur, composée à l’été 1892, créée avec succès à Bruxelles en mars 1893 par le violoniste célèbre Eugène Ysaÿe (qui fut surtout le commanditaire de la Sonate). Il faut beaucoup d’énergie et d’engagement, mais aussi de la finesse pour assumer ce lyrisme permanent dont la suractivité peut obscurcir le sens et la clarté de l’architecture. Car influencé aussi par Beethoven, Lekeu a la passion de la forme, du développement, animé par une ambition musicale et un instinct perfectionniste, en tout point remarquable. Tout s’enchaîne parfaitement dans cette Sonates à 2 voix dont l’acuité expressive fait briller un lyrisme mélodique débordant, un sens de la structure aussi mieux équilibrée…  : canalisé et construit dans le premier épisode « Très modéré » plutôt séduisant et léger ; le central « très lent » fait valoir les qualités de nuances du violon plutôt introspectif ; avant le Finale (Très animé), ouvertement passionné voire débridé mais toujours frais et printanier.

Plus attachant selon notre goût, le Trio avec piano a le charme d’une sincérité rayonnante quoiqu’encore indécise voire maladroite dans son écriture. Il est un peu plus ancien (composé en 1890) où se déploie davantage dans sa construction plus explicite, l’influence de la structure beethovénienne, quoique le premier et dernier mouvement regorgent d’idées et de réminiscences harmoniques denses et mêlées qui fondent les critiques regrettant trop de développements. Ambitieuse, la partition déploie 4 mouvements particulièrement « bavards » ou …dramatiques, diront les plus bienveillants. Âme passionnée et d’une force intranquille, Lekeu sait déployer une imagination intime sans limites comme l’atteste le premier mouvement où dialoguent deux épisodes très contrastés (lent puis allegro énergique), exprimant une palette de sentiments aussi prolixe que nuancée : de la douleur première, à la sombre rêverie, … du renoncement furtif à la dépression plus diffuse : tout ici par le filtre d’une sensibilité experte et hyperactive, dénonce et éprouve l’échec et la répétition des blessures intimes. Le très lent, puis le Scherzo, hautement syncopé, enfin le finale qui est un Lent lui aussi, peut-être trop long quoique harmoniquement passionnant, accréditent le génie bien trempé du jeune romantique; les trois interprètes malgré un piano à notre avis trop présent, au risque d’un déséquilibre sonore, restitue le jaillissement des motifs en échos ou en opposition ; que raffine aussi le violon tout en intensité maîtrisée du Bruno Monteiro. Restent la Sonate violoncelle / piano (1888), le Quatuor avec piano (1893) pour saisir le génie d’un Lekeu juvénile et passionnant. De prochains enregistrements ? A suivre. 

 

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CD, critique. Guillaume Lekeu (1870-1894) : Sonate pour violon et piano en sol majeur    Trio pour piano, violon et violoncelle en do mineur. Bruno Monteiro, violon. Miguel Rocha, violoncelle. João Paulo Santos, piano. 1 CD Brilliant Classics. Enregistrement réalisé au Portugal, été 2018. Livret : anglais-portugais. Durée : 1h17mn

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