Versailles, juin 2015. Lang Lang, le roi chinois du piano offre un concert de prestige dans le temple de la monarchie française : Versailles. Un lieu luxueux et Ă©litiste que lâinterprĂšte qui aime collectionner les dĂ©fis comme une nouvelle performance, avait Ă cĆur dâĂ©pingler dans son dĂ©jĂ riche palmarĂšs. La rĂ©alisation visuelle tient quand mĂȘme Ă une certaine autocĂ©lĂ©bration grandiloquente, avec par la diversitĂ© des plans focus sur les mains, sur la gestuelle plus que théùtralisĂ©e du pianiste au renom planĂ©taire, sur la recherche dâun cadrage parfois alambiquĂ©e et de façon surprenante souvent dĂ©centrĂ© (?)⊠une tentation pour une succession hystĂ©risĂ©e de cadres, dâeffets, dâaccents spectaculaires⊠pas sĂ»r que Chopin, poĂšte de lâĂ©loquence secrĂšte et de lâintime mystĂ©rieux aurait validĂ© une telle conception. Et dĂšs le premier Scherzo de Chopin, le rĂ©alisateur insĂšre dans le concert des vues des jardins (ce qui aurait mieux valu pour les Saisons de Tchaikovsky).
1. CHOPIN dĂ©clamatoire (environ 40 mn). Pourtant, musicalement, malgrĂ© ses attitudes et expressions exacerbĂ©es, Lang Lang dont on sait le naturel pour le surjet et un pathos pas toujours de bon goĂ»t, surprend dĂšs le Scherzo n°1, aprĂšs un feu pĂ©taradant oĂč il cherche ses limites et pose les jalons du concert, dans une immersion plus intĂ©rieure oĂč coule une rĂ©elle bĂ©atitude plus nuancĂ©e. Un rĂȘve jaillit soudainement sous les ors et le dĂ©corum de la Galerie des Glaces du palais de Versailles. Jouer Chopin Ă Versailles relĂšve dâun dĂ©fi : produisant un esthĂ©tisme viscĂ©ralement opposĂ© (grandeur du Grand SiĂšcle mĂȘme sâil est raffinĂ© ; intimitĂ© introspective dâune musique fabuleuse qui se suffit Ă elle-mĂȘme). Mais le phĂ©nomĂšne Lang Lang se rĂ©alise lĂ encore : occupant lâespace. IrrĂ©sistiblement. A grand renforts de mouvement de la tĂȘte et du cou, le pianiste semble concentrer toute la charge Ă©motionnelle et le raffinement esthĂ©tique du lieu historique : il en transmet ensuite et rĂ©percute le feu sacrĂ© dans un jeu trĂ©pidant et vif souvent dĂ©monstratif. Mais qui fait les dĂ©lices du rĂ©alisateur de ce film Ă©crit comme un clip grandiloquent.
Dâautant que les amateurs du baroque Français profitent aussi de la rĂ©alisation pour revisiter au moment du concert, les lieux sublimes de la monarchie française. TorchĂšres dorĂ©es, sculptures antiques dans la galerie, plafond de Lebrun⊠la riche machine dĂ©corative et politique souhaitĂ©e par Louis XIV acclimatĂ© Ă la ciselure et aux crĂ©pitements du mieux romantiques des compositeurs-pianistes. Le choc ne manque pas de sel.
Lang Lang sous les ors de Versailles
RĂ©serve : le pianiste comme emportĂ© par son feu typiquement oriental, voire kitch, nâĂ©carte pas une certaine duretĂ©. Ni une prĂ©cipitation qui dans le lieu, sonne artificiel.
Le Scherzo n°2 brille par ce crĂ©pitement dur, mordant, une exacerbation qui nâĂ©vite pas dâĂȘtre parfois outrĂ©e ; il est vrai que le lieu ne favorise pas le repli, ni la pudeur comme lâimmersion dans lâintrospection. Lang Lang dĂ©clame dans une partition qui alterne Ă©panchement sincĂšres et chant tragique ; la technicitĂ© est flamboyante mais dĂ©borde de la pudeur rentrĂ©e inscrite dans le morceau. Câest un Chopin plus brillant et finalement mondain que vraiment intĂ©rieur (tendance nettement explicite dans le Scherzo 3 oĂč le jaillissement des notes aigĂŒes en cascades sont plus crĂ©pitements dĂ©terminĂ©s que ruissellements magiciens). Le Scherzo n°4 qui exige certes une technique hallucinante, pĂȘche par ce manque dâintĂ©rioritĂ© et de mystĂšre qui sont profondĂ©ment inscrits dans la partition chopinienne; les contrastes pourtant saisissants des dynamiques dâune partition Ă lâautre, sont jouĂ©s sans plus de profondeur ; tout cela manque dâĂ©coute intĂ©rieure. Tout est projetĂ© dans un jeu dĂ©clamatoire, certes articulĂ© mais trop affirmĂ© dans la lumiĂšre; câest dans la succession des tableaux de ce Scherzo final que le pianiste et son jeu se rĂ©vĂšlent totalement, et de façon caricaturale. Les fans apprĂ©cieront sans mesure ; les autres, songeant Ă Argerich, Pires resteront Ă©trangers Ă un concert martelĂ© comme un Ă©vĂ©nement (aprĂšs celui de Bartoli) mais qui en concevant pour le Chopin, une scĂšne mondaine (comme celle de son rival dâalors, Liszt, coeur dâune hystĂ©risation collective) demeure a contrario de lâesprit du piano chopinien.
2. TCHAIKOVSKI plus sincĂšre et naturel voire intĂ©rieur. Sâil nâest pas pour nous un Chopinien mĂ©morable, Lang Lang se montre dâune cohĂ©rence autre et dâune conviction plus naturelle dans les 12 sĂ©quences (12 mois) des Saisons opus 37a, soit 12 PiĂšces caractĂ©ristiques de Piotr Illyitch. Le pianiste creuse le prĂ©texte climatologique et saisonnier pour percer et exprimer la fine saveur intĂ©rieure de chaque piĂšce en particulier la rĂȘverie suspendue de la barcarolle pour le mois de juin (plage VI), dâune secrĂšte et trĂšs intime tendresse. Infiniment moins exigeantes en matiĂšre de scintillement dynamique et de nuances millimĂ©trĂ©es, les 12 tableaux formant saisons permettent au pianiste de dĂ©voiler un tempĂ©rament plus libre, moins contraint, dâune souplesse organique plus sincĂšre. CaractĂšre martial comme une armĂ©e qui sâorganise pour la chasse de septembre (plage IX) ; puis chant automnal dâoctobre plus recueilli et presque religieux (tendresse fraternelle en Ă©cho au VI, et dâune nostalgie pleine dâamertume et de regrets, de blessures intimes Ă peine masquĂ©es, selon une combinaison si emblĂ©matique de Tchaikovski), la lĂ©gĂšretĂ© presque insouciante du dernier Ă©pisode (NoĂ«l pour dĂ©cembre, un ton bienvenu au moment oĂč le dvd sort en France) affirment une virtuositĂ© plus mesurĂ©e, certes moins exigeante, mais lâintonation est juste et globalement mieux canalisĂ©e. Le charme du lieu opĂšre, la personnalitĂ© (indiscutable) du pianiste sâimposent dâeux-mĂȘmes. Pour le Tchaikovski et la beautĂ© du lieu de tournage, le dvd composera le plus beau des cadeaux de votre NoĂ«l 2015.
Effet de marketing pour un chĂąteau qui souhaite toujours ĂȘtre Ă la page de lâĂ©vĂ©nement musical et de la scĂšne poeple, Lang Lang est dĂ©clarĂ© « ambassadeur » du chĂąteau de Versailles ; il donnera un grand concert dans le bosquet de la Salle de Bal, au cĆur des Jardins Royaux, le mardi 5 juillet 2016 (dans le cadre de Versailles Festival). DVD, Lang Lang, »Live in Versailles” (Chopin, TchaĂŻkovsky) 1 dvd Sony classical. Parution le 18 dĂ©cembre 2015 chez Sony classical. Live enregistrĂ© dans la galerie des Glaces du chĂąteau le 22 juin 2015.
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