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On croyait tout connaître des songs de l’époque élisabethaine (« Lute songs », chansons avec luth) : et voilà que le gambiste Robin Pharo et son excellent ensemble Près de votre oreille rétablissent plusieurs éléments d’un âge d’or artistique jusque là mésestimé. Outre l’éloquente parure instrumentale réalisée, qui savait la qualité littéraire des textes souvent écrits par les compositeurs eux-mêmes ?
On sait gré aux interprètes ici, chanteurs et instrumentistes, de dévoiler l’extrême sensibilité des motos, tant poétiques, amoureux et philosophiques, que musicaux, avec offrande spécifique qui est le fruit d’un long travail de recherche et de transcriptions, l’écriture comme à l’époque, d’une partie instrumentale restituée (et donc avérée) pour deux lyra-viols (assurée par Robin Pharo et Marion Martineau): leur nimbe sonore enrichit encore la grande suavité du geste, souligne la couleur émotionnelle des poèmes, apportant une toute autre image musicale de l’époque d’Elisabeth Ière et de James Ier son successeur (à partir de 1603).
Robin Pharo revisite les airs élisabéthains
Songs enchantées
La désespérance de l’ermite chez Ferrabosco II s’éclaire à peine du sentiment amoureux avant que la mort ne l’ensevelisse (premier air « Like Hermit poore) ; pour Robert Jones (« Lie down poore heart ») l’existence est enfer et la mort, une délivrance ; même John Dowland (« Go Crystal teares » ; « Can she excuse », … ) s’il pleure et espère, se confronte démuni à l’indifférence de l’Aimée… Il n’est pas d’équivalent à l’extase amoureuse ni à la célébration de la Beauté incarnée par « Laure » (« When Laura Smiles »), vraie idôle d’un musicien poète amoureux, véritablement touché par la grâce ; Robin Pharo dévoile ainsi le génie autant musical que littéraire de Philippe Rosseter (1568-1623), assurément l’un des joyaux de la collection.
Que ce soit dans « What if I seeke for love » puis « Once did I serve », Robert Jones (mort en 1617) embrase toujours un cœur trop sensible en proie aux vertiges de la souffrance amoureuse… Il n’y a pas de peine sans véritable amour. La passion se mesure à l’aulne du tourment qu’elle suscite; de fait, tous finalement aspirent au repos final, heureuse sérénité tant espérée, c’est le caractère et l’humeur de Thomas Campion (mort en 1620) dans « Never weather beaten sail ». Chaque interprète, instrumentiste et chanteur cisèle l’intention de chaque accent, colore chaque nuance ; le souci du texte s’équilibre avec celui de la cohérence sonore, d’autant plus délicate que Robin Pharo opte pour une vibration scintillante et discursive des timbres assemblés : luth et cistre, virginal et viole de gambe… Le geste renoue avec l’intimité suggestive des madrigalistes italiens dont le premier d’entre tous (et le plus tardif, contemporain des Anglais elisabéthains) : Monteverdi. Dans la découpe et les rythmes des vers, dans les respirations de la musique, se révèle une volupté au delà du réalisme poétique… très proche entre l’Italien et les Anglais.
Et pour conclure, il est juste que tous chantent comme d’un seul cœur, le poème musical réalisé par Robin Pharo lui-même, d’après Réversibilité de Baudelaire : prière à l’Ange idéal, réparateur, sauveur, ami et confident. La poésie et la finesse, l’invention aussi, s’accordent ici ; ils réalisent un superbe récital.
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CRITIQUE CD événement : BLESSED ECHOES : Lute Songs from the time of Elizabeth I and James I : Ensemble Près de votre oreille – Robin Pharo (1 CD Paraty – parution : le 17 fév 2023) – Enregistré en septembre 2021 / CLIC de CLASSIQUENEWS
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ENTRETIEN
ENTRETIEN avec Robin PHARO / Près de votre oreille, à propos du nouvel album discographique « Blessed Echoes » / Luth songs à l’époque d’Elisabeth Ière et Jacques Ier (1 cd Paraty). Le 17 février 2023 paraît le nouvel album de Robin Pharo et son ensemble Près de votre oreille. C’est le nouveau jalon d’un long cheminement dédié aux chansons avec luth de l’époque élisabethaine (Elisabeth Ière et Jacques Ier), quand les compositeurs écrivaient eux-mêmes leurs textes ou collaboraient avec les dramaturges dont … Shakespeare. Robin Pharo offre un festival de timbres et de couleurs et ajoute, pratique avérée d’époque, le jeu expressif, miroitant des deux Lyra-viols au sein d’un instrumentarium voluptueux, onirique. Ici le geste qui semble fantaisie et pure liberté en complicité, s’accorde étroitement à la force dramatique des poèmes, incarnée par 4 chanteurs. La révélation de sensibilités telles que Thomas Ford, Robert Jones, John Dowland, Philipp Rosseter, Thomas Campion… dévoile un âge d’or de la musique littéraire, joyau désormais emblématique de l’Angleterre elisabéthaine. Le programme remarquablement orfévré est une suite de révélations. Entretien pour CLASSIQUENEWS.
VIDÉO
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When Laura Smiles – Près de votre oreille – Antonin Rondepierre, Nicolas Brooymans, Robin Pharo – Arrangement pour deux vois par Robin Pharo – Philipp Rosseter (1577 – 1617) Premier recueil de Songs, 1601
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