dimanche 19 janvier 2025

CRITIQUE, opéra. ZÜRICH, opernhaus, le 30 oct 2022. OFFENBACH : Barkouf. Philharmonia Zürich et Chœurs de l’Opéra de Zürich /Jérémie Rhorer (direction).

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

CRITIQUE, opéra. ZÜRICH, le 30 oct 2022. OFFENBACH : Barkouf. Philarmonia Zürich et Chœurs de l’opéra de Zürich, Jérémie Rhorer (direction)   –   Après la superbe recréation strasbourgeoise de 2018, reprise à Cologne, Barkouf revient sur la scène de l’opéra de Zürich et, malgré un français peu idiomatique, c’est une merveille de drôlerie et d’efficacité dramatique. Barkouf méritait une reprise, tant la musique et l’intrigue sont d’une richesse et d’un comique remarquables. Contrairement à la lecture transposée mais non moins superbe de Mariame Clément à Strasbourg, le metteur en scène allemand Max Hopp a misé sur la carte de l’orientalisme, plus conforme à l’esprit de l’œuvre – le livret décrit en effet les malheurs du Grand Mogol qui voit son gouverneur être défenestré par son peuple, ce qui l’amène à le remplacer par un chien, suscitant la jalousie du vizir et les tentatives de l’éliminer avant que Barkouf ne succombe en héros au champ de bataille contre les Tartares. Sur scène un décor unique, sorte d’escalier hélicoïdal bringuebalant aboutissant à une terrasse, soutenu par d’énormes arches blanches, délimitant ainsi deux niveaux où évoluent les personnages, et suggérant l’intérieur d’un palais oriental.

 

 

Barkouf, triomphe de l’opéra canin

 

On louera les costumes chamarrés de Ursula Kudrna (irrésistible arrivée du Grand Mogol tout droit sorti d’un album d’Iznogoud) et la chorégraphie réjouissante de Martina Borroni (le ballet des papillons, entre autres, est un régal). Si les récitatifs ont été pour la plupart éliminés, remplacés par un récitant très « old british » et à l’humour pince-sans-rire, qui se fait appeler Jacques Lechien, l’interprétation d’André Jung est brillante et impose une distance critique, tel un metteur en scène dirigeant ses chanteurs. On peut regretter cette manipulation du livret, mais cela est moins gênant pour un public essentiellement germanophone. Par ailleurs, cette production est d’un certain point de vue plus fidèle à l’œuvre originale, puisqu’à aucun moment on ne voit le chien réellement (dans la production strasbourgeoise, il apparaissait à la toute fin, sortant de sa niche et arborant fièrement une couronne) ; il n’est là que sous la forme d’un ombre chinoise, arrivant souverainement dans son palanquin (superbes lumières de Franck Evin). Or, lors des représentations parisiennes de 1860, les aboiements de Barkouf étaient assurés dans la coulisse par un ténor, ici par le récitant, déclenchant l’hilarité du public.

En revanche, la distribution si elle remplit pleinement son rôle sur le plan scénique (tous sont d’excellents acteurs qui rendent cette riche partition très vivante), elle pèche par son français très approximatif, à l’exception de quelques chanteurs, dont le ténor Marcel Beekman, irrésistible Bababeck, d’une gouaille et d’une présence scénique stupéfiante, même si son ambitus vocal très étendu l’oblige parfois à des débordements qui mériteraient d’être corrigés. Le Grand Mogol d’Andreas Hörl compense une prononciation peu orthodoxe par une drôlerie de tous les instants (grand moment comique lorsqu’il dialogue avec Bababeck dans un sabir incompréhensible traduit par le récitant, clin d’œil efficace aux aboiements de Barkouf). Le ténor Mingjie Lei tire également son épingle du jeu, sa voix délicate, sa diction impeccable, en font un Saëb exemplaire qui émeut dans sa plainte accompagnée au violoncelle « Si long est le jour qui s’achève » de l’acte II, puis, dans le même registre, à l’acte III, arrache les larmes dans sa romance « Ah, si tu savais tous mes regrets ». Si la Maïma de Brenda Mae s’impose sans peine par un abattage scéniquement efficace, son vibrato poussif et ses aigus tempêtueux nuisent à la cohérence de son chant. Cohérence davantage assurée par la mezzo chaleureuse de Rachel Wilson dans le rôle de Balkis, tandis que le Xaïloum de Sunnyboy Dladla (remplaçant Andrew Owens souffrant) déploie un timbre un peu trop terne, compensé là aussi par une belle présence sur scène. Le Kaliboul de Daniel Norman et la Périzade de Siena Licht Miller complètent honorablement la distribution.

Dans la fosse, Jérémie Rhorer, à la tête du Philarmonia Zürich, rend addictive, dès l’ouverture, la musique d’Offenbach. Il respecte magnifiquement l’équilibre des pupitres, sait rendre sa dimension dramatique (dans la superbe scène de l’orage au début du premier acte) et émerveille dans les moments élégiaques ; un équilibre qui transparaît également dans les nombreuses interventions du chœur (impeccable) de l’opéra, très bien dirigé par Ernst Raffelsberger. Malgré les réserves sur l’élocution, le spectacle est rondement mené, et rend parfaitement justice à la musique géniale du « Petit Mozart des Champs-Élysées » qui prouve, une fois de plus avec cette œuvre originale et musicalement superbe, qu’il est bien un immense compositeur.

 

 

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CRITIQUE, opéra. Zürich, Opernhaus, Offenbach, Barkouf, 30 octobre 2022. Marcel Beekman (Bababeck), Andreas Hörl (Le Grand Moghol), Mingjie Lei (Saëb), Daniel Norman (Kaliboul), Sunnyboy Dladla (Xaïloum), Brenda Rae (Maïma), Rachel Wilson (Balkis), Siena Licht Miller (Périzade), André Jung (Récitant), Max Hopp (mise en scène), Kathrin Brunner (Dramaturgie), Martina Borroni (Chorégraphie), Lorenzo Sragni (Chef chorégraphe), Marie Caroline Rössle (Décors), Ursula Kudrna (Costumes), Franck Evin (Lumières), Ernst Raffelsberger (Chef des chœurs), Philarmonia Zürich et Chœurs de l’Opéra de Zürich, Jérémie Rhorer (Direction). Photos : DR

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