vendredi 13 juin 2025

CRITIQUE, opéra. VENISE, Teatro La Fenice, le 16 mai 2025. VERDI : Attila. M. Pertusi, A. Bartoli, V. Stoyanov… Leo Muscato / Sebastiano Rolli

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Une nouvelle production de l’Attila de Giuseppe Verdi à Venise, au sublime Teatro La Fenice, dans une mise en scène qui évite les audaces d’une transposition et se met au service de la partition. Distribution de haute tenue dominée par la prodigieuse Odabella d’Anastasia Bartoli.

 

L’un des premiers chefs-d’œuvre de l’opéra patriotique verdien, Attila, inspiré d’un drame allemand, consolide surtout la typologie des personnages du compositeur parmesan en offrant l’un des plus beaux rôles de basse, tandis que Odabella, véritable protagoniste de l’œuvre, se révèle être une soprano dramatique plus puissante, plus virtuose et à l’ambitus vocal encore plus étendu que chez Abigaille. Nouvelle Judith, elle feint d’être éprise du roi des Huns pour assouvir personnellement sa vengeance et s’adonner enfin à un Foresto qui se croyait trahi. Les personnages sont rapidement esquissés, l’œuvre étant l’une des plus brèves du compositeur, et on ressent l’urgence de Verdi dans un contexte politiquement chaotique : donné dans une Venise occupée par les Autrichiens, ce neuvième opus ne pouvait que fortement résonner auprès du public de 1846, à la veille de la deuxième guerre d’indépendance.

179 ans plus tard, une même ferveur a saisi le public vénitien et à juste titre. Leo Muscato ne cherche ni à surprendre, ni à déranger ; sa lecture reste fidèle à la partition et au déroulement de l’intrigue, fidèle en cela aux directives de Verdi lui-même qui attachait une grande importance à l’atmosphère sombre du drame. Sur le plateau, celle-ci est surtout rendue par un subtil jeu de lumières, intelligemment orchestré par Alessandro Verazzi, jouant sur les ombres chinoises qui se détachent des branches d’arbres plantées verticalement et qui évoquent tout à la fois une forêt et les joncs de la lagune vénitienne où la ville allait être érigée après la destruction d’Aquilée par Attila. Les décors sobres, minimalistes de Federica Paolini mettent d’autant mieux en valeur les somptueux costumes à la fois réalistes et stylisés de Silvia Aymonino qui permettent de bien identifier les différents personnages et les forces en présence. Hasard du calendrier, on y voit le pape Léon 1er, l’un des modèles déclarés de l’actuel Léon XIV pour avoir arrêté Attila dans sa volonté de poursuivre ses destructions dans la péninsule.

La distribution réunie pour cette nouvelle production (la dernière remonte à 2016) est de très haute facture. Si Michele Pertusi, que l’on a vu récemment à Lyon dans la Force du destin, a la voix un peu tremblotante, sa présence scénique, la beauté de son timbre et la noblesse du chant (splendide « Mentre gonfiarsi l’anima ») en font toujours l’une des meilleures basses verdiennes du moment, capable d’une grande palette expressive oscillant entre la férocité, le lyrisme amoureux et le seuil de la folie. Le baryton bulgare Vladimir Stoyanov campe un remarquable Ezio, plein de fougue dans son célèbre « Avrai tu l’universo / Resti l’Italia a me » du prologue ou dans le « È gettata la mia sorte » du troisième acte. Antonio Poli est un ténor racé dans le rôle dramatiquement riche de Foresto, tandis que l’autre ténor Uldino a les traits et la belle voix limpide d’Andrea Schifaudo. Le pape Léon, qui apparaît sporadiquement mais constitue un élément essentiel du drame, est impeccablement interprété par la basse Francesco Milanese, hiératique à souhait et impérial dans ses invocations solennelles qui scellent positivement le sort de l’Italie. Mais la grande triomphatrice de la soirée est l’exceptionnelle Odabella de Anastasia Bartoli à l’abattage impressionnant, passant avec une aisance stupéfiante de la bravoure héroïque (« Allor che i forti corrono » du prologue qui lui vaut aussitôt l’admiration d’Attila) au lyrisme le plus chaleureux (comme dans l’air intimiste qui ouvre le premier acte, « Oh, nel fuggente nuvolo »). Si son chant manque parfois de subtilité et de délicatesse, notamment dans le registre aigu, il est en réalité conforme à l’ethos du personnage voulu par Verdi.

Une mention spéciale pour les Chœurs du Teatro La Fenice, personnage à part entière du drame, et plus encore de l’Orchestre du Teatro La Fenice dirigé de main de maître par Sebastiano Rolli qui, malgré les faiblesses dramaturgiques de l’œuvre, a su pleinement exploiter la puissance théâtrale de la phalange vénitienne dans une partition riche en scènes grandioses.

 

 

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CRITIQUE, opéra. VENISE, Teatro La Fenice, le 16 mai 2025. VERDI : Attila. M. Pertusi, A. Bartoli, V. Stoyanov… Leo Muscato / Sebastiano Rolli

 

 

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