Pour sa nouvelle mise en scène à l’Opéra de Saint-Etienne (en coproduction avec Marseille), et après un superbe Lohengrin in loco en 2017, le metteur en scène marseillais Louis Désiré signe une production fort sombre et austère d’Il Trovatore de Giuseppe Verdi. Il a délibérément choisi de souligner les aspects oppressants de l’intrigue, en mettant en exergue la noirceur et la brutalité du Comte de Luna et de ses sbires (il est toujours accompagné ici de huit hommes de main particulièrement violents). Le propos est sombre et menaçant, ne ménageant aucune porte de sortie, ce que vient accentuer la scénographie d’un noir oppressant (signés, comme les sombres costumes, par le fidèle Diego Mendez Casariego), constituée de hautes parois sales et rouillées, un peu incurvées à leurs extrémités. Parfois, la paroi centrale se soulève et laisse apparaître un amoncellement de bois mort, évocation du bucher qui est censé être l’épilogue de l’histoire (mais c’est finalement sous les coups des huis sbires que Manrico trouvera la mort…). La mise en scène très noire de Louis Désiré a pour grande vertu de permettre aux chanteurs, dirigés avec beaucoup de soin, de s’exprimer pleinement. L’homme de théâtre français renoue ici avec la sobriété et l’élégance qui sont les vertus cardinales de son travail scénique, et il a eu également la judicieuse idée de s’entourer à nouveau du talentueux Patrick Méeüs pour les lumières (irréelles) du spectacle. Seul élément coloré, le long voile rouge et transparent dont Azucena ne se sépare jamais, comme symbole du crime commis et élément de rappel de la vengeance à perpétrer. Azucena s’en servira, in fine, pour se recouvrir de pied en cap, portant un deuil (et une vengeance !) ensanglanté…
Triomphatrice de la soirée, la Leonora de la jeune soprano française Angélique Boudeville continue d’envoûter – après ses triomphes marseillais dans La Bohème (Mimi) et Guillaume Tell (Mathilde), et effectue là une prise de rôle qui restera dans les mémoires. Dotée d’une véritable voix de spinto verdien, type vocal si rare aujourd’hui, le timbre semble inépuisable de ressources. Elle s’avère aussi à l’aise dans la vocalisation rapide des cabalettes que dans les longues phrases quasi belliniennes où son timbre d’une incomparable beauté fait merveille. En plus d’une technique vocale sans faille, elle possède un aigu souverain, des graves capiteux et un medium corsé, les registres étant par ailleurs parfaitement soudés. L’actrice n’est pas en reste avec une présence d’un rare magnétisme ainsi qu’un jeu scénique d’un ardent dramatisme et d’une constante dignité qui électrisent et émeuvent tour à tour. Bref, un vrai et grand talent français à suivre avec la plus grande attention !
Elle trouve en Antonio Coriano un partenaire au chant fier et péremptoire, capable cependant de superbes nuances – comme dans « Ah si ben mio » -, et bien que la plupart des aigus soient détimbrés (et certains carrément faux, comme celui qui culmine dans le redoutable « Di Quella pira« …), le ténor italien ne s’impose pas moins par l’ardeur de l’accent et la santé des moyens. Découvert in loco dans le rôle-titre de Macbeth du même Verdi en juin dernier – sans nous avoir pleinement convaincu –, le baryton letton Valdis Jansons endosse donc un autre des grands rôles verdiens écrits pour sa tessiture. Techniquement solide, plutôt beau de timbre, le chanteur ne possède néanmoins pas tout le legato requis pour cet emploi, ne pouvant ainsi rendre pleinement justice à une partie qui lorgne encore du côté du bel canto. La mezzo bulgare Kamelia Kader possède de nombreux atouts pour camper une Azucena d’excellente tenue : la voix est ample et les accents graves impérieux, qui confèrent à son personnage une expression convaincante et nuancée. Décidemment incontournable sur les scènes hexagonales, la basse wallonne Patrick Bolleire campe un Ferrando convaincant, bien chantant et bon comédien. Les seconds rôles sont fort bien tenus par Marc Larcher (Ruiz) et Amandine Ammirati (Ines), quand le chœur « maison » n’appelle, pour ce qui le concerne, aucun reproche.
Bonheur total, également, du côté de la direction orchestrale. La maîtrise technique du chef italien Giuseppe Grazioli (Premier chef invité de la maison stéphanoise), la précision de son geste, la plénitude des sonorités qu’il obtient de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire forcent l’admiration. Mais c’est plus encore sa lecture âpre de la partition de Verdi qui ravit – empreinte d’ardeur et de tension, dramatique et sauvage, haletante et fière – qui respecte parfaitement les codes d’exécution d’une musique où le raffinement mozartien n’a pas sa place.
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CRITIQUE, opéra. SAINT-ETIENNE, Opéra-Théâtre (du 17 au 21 novembre 2023). VERDI : Il Trovatore. Antonio Coriano (Manrico), Angélique Boudeville (Leonora), Valdis Jansons (Il Conte di Luna), Kamelia Kader (Azucena), Patrick Bolleire (Ferrando), Marc Larcher (Ruiz), Amandine Amiratti (Inès). Chœur et Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire. Louis Désiré (mise en scène) / Giuseppe Grazioli (direction musicale). Photos © Cyril Cauvet.