vendredi 6 décembre 2024

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle aux grains, les 7 et 8 novembre 2024. RACHMANINOV : Intégrale des concertos pour piano. Mikhaïl PLETNEV / Orchestre National du Capitole de Toulouse / Dina SLOBODENIOUK

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Belle idée que cette Intégrale des Concertos pour piano de Sergueï Rachmaninov, au programme de la saison de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Le public est venu nombreux, et il n’y avait plus une place libre pour les deux soirées dans la vaste Halle aux grains. Cette première soirée du 7 novembre nous a permis d’entendre une belle version du Premier et du Deuxième Concertos de Rachmaninov.

 

Avec une ampleur somptueuse, les cuivres ouvrent la fête. La direction du chef finlandais Dina Slobodeniouk est précise et rigoureuse, et il prend à cœur tout au long de la soirée d’équilibrer à la perfection l’orchestre et le piano. C’est très beau et le jeu de Mikhail Pletnev est extrêmement nuancé et subtil, et nous aurons ainsi la possibilité d’écouter bien des richesses dans les deux partitions. Les passages chambristes sont subtilement négociés, et les grands tutti de l’orchestre sont impressionnants, sans que jamais l’orchestre ne couvre le piano. La direction si maîtrisée du chef a tout de même, à mon goût, le défaut de ne pas assez faire « pleurer » cette musique. Le lyrisme si sensuel de Rachmaninov, surtout dans les grandes phrases des violons, est comme corseté. Surtout dans le Premier concerto, trop analytique. Toutefois, les instrumentistes de l’orchestre, surtout les bois et le cor solo, arrivent à mettre tendresse et émotion dans leur jeu avec le pianiste, et ce dernier semble déguster ces échanges tout particulièrement. Le jeu de Mikhaïl Pletnev est d’une rare délicatesse, il semble comprendre en profondeur la musique de Rachmaninov. Ainsi les cadences sont particulièrement lumineuses, la structure et la richesse harmonique étant mises en valeur par le pianiste.

Cet artiste partage, avec le compositeur, bien des choses. Tous deux sont des virtuoses extraordinaires, tous deux composent et dirigent. Tous deux sont russes et souffrent de l’exil. Il n’est pas étonnant que le musicien ait choisi de nommer son dernier orchestre : « Orchestre Rachmaninov ». L’entrée du pianiste avait été surprenante, marchant à pas lents, voûté, il s’installe sur sa chaise un peu avachi, avec une attitude mélancolique. Pourtant, la musique le nourrit et il termine le Premier concerto en ébauchant un sourire. A la fin du concert, il sera même très souriant, acceptant le succès retentissant que le public lui fait, pour offrir deux bis de musique russe. Ces deux bis étant des pièces d’orfèvrerie, ouvragées par l’immense musicien qu’est Mikhaïl Pletnev. Une pièce lyrique de Glinka et une de pure virtuosité de Moszkowski. Une question nous interroge cependant, concernant le choix du piano que Pletnev transporte partout. Ce Kawaï ne sonne pas aussi bien que d’autres pianos que nous avons entendus dans cette salle. Mais enfin, ces concerts restent un événement extraordinaire. Toulouse en profite comme cela avait été le cas à Radio France.

Le lendemain, c’est au tour du Concerto N°3 et du N°4. Cette fois le chef bride moins l’orchestre qui va pouvoir rugir, frémir et gronder, couvrant de peu le jeu de Pletnev. Ce Troisième concerto est plus sombre et plus riche en harmonies complexes que les autres. Il en livre une interprétation dramatique et grandiose. Ce sera le Quatrième qui sera le plus « moderne », en le rapprochant par moments de Chostakovitch, davantage que vers le cinéma hollywoodien. La complexité rythmique est mordante et les harmonies étranges sont mises en valeur par cette interprétation, le pianiste et le chef étant en osmose. C’est l’évolution stylistique du compositeur, trop souvent galvaudée, qui lors de ces deux soirées sera d’une grande évidence. Le chef et le soliste semblent partager la même vision des ouvrages de Rachmaninov. Si le Premier concerto est encore très romantique, le Deuxième autobiographique, le troisième et surtout le quatrième dans cette belle interprétation nous font prendre conscience de la complexité de l’écriture de Rachmaninov, qui peut aller jusqu’à évoquer les conflits, voir la guerre, comme dans la musique de Chostakovitch. Tous les instrumentistes de l’orchestre, comme la veille, sont tous merveilleux, avec une mention particulière pour les bois.

Conscient de vivre deux concerts exceptionnels, le public fait une véritable fête aux artistes. A nouveau, Pletnev offre deux bis magnifiquement interprétés. La subtilité de ce piano nous fait grande envie d’entendre ce merveilleux musicien dans un récital solo. Ce marathon Rachmaninov restera dans les mémoires comme des moments magiques et enthousiasmants !

 

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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle aux grains, les 7 et 8 novembre 2024. RACHMANINOV : Intégrale des concertos pour piano. Mikhaïl PLETNEV / Orchestre National du Capitole de Toulouse / Dina SLOBODENIOUK. Toutes les photos © Romain Alcaraz

 

VIDEO : Intégrale des Concertos pour piano de Sergueï Rachmaninov par Mikhaïl Pletnev (sous la direction de Kent Nagano)

 

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