Entendre Anna Netrebko à Paris est toujours un événement, du moins lorsque la soprano russe n’annule pas au denier moment, ce que les spectateurs de la générale et de la première ont eu malheureusement à souffrir, faisant un bon accueil, en remplacement, à Anna Pirozzi (qui chantera également pour les dernières dates). En attendant, pour cette 2ème représentation, ne boudons pas notre plaisir de retrouver Netrebko et son timbre délicieusement charnu, dont l’assombrissement n’a pas nui à la variété des nuances et des couleurs déployées. Si elle met un peu de temps à se chauffer dans le Prologue, peu aidée par une direction aussi lente qu’analytique, la soprano austro-russe compense peu à peu les quelques instabilités dans le médium par une attention à chaque mot, sculpté avec une vérité dramatique et une hauteur de vue d’une grande intensité.
Cette présence vocale constitue aussi la grande force de Ludovic Tezier, qui porte de sa noblesse de phrasés, un Calatrava sans concession dans ses résolutions vengeresses, sans morgue ou agitation inutile. Bien aidée par une technique toujours aussi sûre, entre résonance intérieure et phrasés millimétrés, sa composition lui vaut également une ovation nourrie en fin de représentation.
L’autre grande performance de la soirée revient au Melitone désopilant de Nicola Alaimo, qui donne à ce rôle un luxe vocal inouï à force de mordant et de couleurs, parfaitement projeté. Aucun problème de ce coté-là non plus pour le Guardiano de Ferrucio Guardiano, qui compense un timbre fatigué et rugueux (et quelques aigus peu justes) par sa ligne de chant toujours aussi stylée. A ses côtés, pour ses débuts à Paris, la jeunesse vocale rayonnante de Russell Thomas (Don Alvaro) montre quelques limites dans l’émission musculeuse, un peu brut de décoffrage, à la composition trop extérieure pour embrasser la complexité de son personnage. Outre un choeur bien préparé, on note la prestation enjouée d’Elena Maximova (Preziosilla), un peu rétrécie dans les aigus, mais gorgée d’intentions sur le reste de la tessiture.
Comme évoqué plus haut, la direction de Jader Bignamini souffle le chaud et le froid en fouillant par trop les détails de la partition, tout en animant d’un geste fougueux les parties plus enlevées. L’actuel directeur musical de l’Orchestre symphonique de Detroit n’évite pas, aussi, quelques décalages avec les solistes comme le choeur.
Face à cette prestation mitigée, la mise en scène de Jean-Claude Auvray (voir la reprise de 2019 https://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-paris-opera-le-6-juin-2019-verdi-la-force-du-destin-nicola-luisotti-jean-claude-auvray/) joue la carte de la sobriété, en plongeant ses interprètes dans une pénombre (tout en contraste avec les rares accessoires, notamment un immense Christ dont la figure morale écrasante se rappelle sans cesse aux protagonistes), magnifiée par la somptuosité des costumes et des éclairages. Les choristes font souvent office d’éléments de décors, en composant des tableaux humains variés, … hélas trop souvent statiques.
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 15 déc 2022. Verdi : La Force du destin. James Creswell (Le Marquis di Calatrava), Anna Netrebko, Anna Pirozzi (Donna Leonora), Ludovic Tézier (Don Carlo di Vargas), Russell Thomas (Don Alvaro), Elena Maximova (Preziosilla), Ferrucio Guardiano (Il Padre Guardiano), Nicola Alaimo (Fra Melitone), Julie Pasturaud (Curra), Carlo Bosi (Maestro Trabuco), Florent Mbia (Un alcade), Hyun Sik Zee (Un chirurgien) Chœurs de l’Opéra national de Paris, Orchestre de l’Opéra national de Paris, Jader Bignamini (direction musicale) / Jean-Claude Auvray (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra national de Paris, à l’Opéra Bastille, jusqu’au 30 décembre 2022. Photos : Ch Duprat / OnP
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