NOUVELLE MISE EN SCENE DU POLONAIS WARLIKOWSKI A BASTILLE… Parce que Freud interroge dans son « Interprétation du rêve », la figure obsédante d’Hamlet, prince dépossédé, manipulé par l’esprit vengeur du père (l’équivalent masculin de ce qu’est Elektra – de R Strauss, sur la scène lyrique, autre torche humaine pilotée par l’esprit de la vengeance) Krzysztof Warlikowski transplante l’opéra romantique d’Ambroise Thomas dans un hôpital… le rapport du fils au père, du fils à la mère (ici Gertrud, épave cacochyme en fauteuil roulant) fascine le psychanalyste et inspire Warlikowski – déjà sur l’ouvrage présentant son travail sur la pièce de Shakespeare au Festival d’Avignon 2001 : autant d’êtres broyés par la fatalité ou le poids des hontes familiales transmises de génération en génération ; être décalés, sacrifiés, en souffrance, dévorés par l’ombre d’un crime impuni… Il y ajoute des délires fantasmatiques, toujours outrés et jamais dans la demi mesure : le trash le rassure ; ainsi Hamlet ne peut ici concevoir de relation avec sa mère criminelle, qu’en couchant avec elle (!). Soit.
Déromantisé jusqu’au glacial aseptisé
le Hamlet de Warlikowski profite indiscutablement
du chant supérieur, introverti et noble de Ludovic Tézier
L’INDIVIDU foudroyé par son devoir. A chacun d’apprécier telle vision dépressive et tragique. En posant la question centrale : Hamlet peut-il se sortir de ses histoires de famille, et être libre ? Eternel confit entre individualité et devoir… Warlikowski dans le fond – si l’on écarte la réalisation visuelle d’une laideur toujours affligeante, touche avec justesse. En cela l’idée d’un mouroir collectif style ehpad est pertinent, soulignant le lieu d’un enfermement (les cloisons avec barreaux) comme est prisonnier Hamlet, otage éprouvée de ses propres angoisses, sous l’emprise du spectre de son père assassiné, l’exhortant à le venger. Ici, même s’il venge le père et tue son assassin (Claudius), Hamlet prend à la fin le masque d’un clown triste, à jamais détruit par le devoir et l’acte incontournable et sanglant : la réponse est donc donnée. Les parents seront vengés mais leurs enfants seront sacrifiés. Triste destin pour Hamlet comme… Electre (et son frère Oreste) sur la scène lyrique.
La mise en scène est aussi froide que la musique implacable, fantastique (long monologue d’Hamlet foudroyé par l’apparition du spectre), s’immisçant toujours plus profondément dans le pauvre cerveau du héros sacrifié. L’opéra d’Hamlet (créé en mars 1868 et dernier ouvrage donné à l’Opéra Le Peletier, avant l’inauguration du Palais Garnier) rivalise en réalisme noir et lugubre, avec la force du Don Carlos de Verdi (1867), quasi contemporain : l’emprise éprouvant peu à peu l’âme du jeune danois dépassé par la réalité délirante et insatiable qu’il doit pourtant absorber voire surmonter. Ici, le théâtre dans le théâtre, au II, où les acteurs conviés par Hamlet à jouer la tragédie du roi Gonzague et de la reine Genièvre, claire référence au meurtre de son père, offre une mise en abîme toujours très efficace.
Déromantisé jusqu’au glacial aseptisé, le Hamlet de Warlikowski profite indiscutablement du chant supérieur, introverti et noble de Ludovic Tézier. Familier du rôle, le baryton poursuit la série de formidables incarnations réalisées à Paris, – son Rodrigue dans justement Don Carlos, mis en scène par Warlikowski déjà en oct 2017 : LIRE ici notre critique de la production de Don Carlos : https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-verdi-don-carlos-le-19-octobre-2017-arte-yoncheva-garance-kaufmann-jordan-warlikowski/
Plus précis et d’une noblesse racée impénétrable mais touchante, le baryton supplante ici son confrère Stéphane Degout, en particulier par la couleur d’un métal vocal plus stable et surtout mieux intelligible. L’ardeur juvénile, l’ombre de la dépression tissent une personnalité complexe, habitée par tous ses fantômes et dont le chaos intérieur l’empêche finalement d’être réceptif à l’amour que lui porte Ophélie, la fille de Polonius ; celle-ci s’incarne de la même façon, dans une intelligence vocale et dramatique totalement convaincante, grâce à l’éblouissante soprano américaine Lisette Oropesa : ligne infinie et agilité melliflu, tout conspire pour une amoureuse aussi lumineuse qu’éperdue mais impuissante ; finalement suicidaire. Sa scène de la folie est bouleversante, impressionnante et glaçante, stylistiquement indiscutable, malgré parfois, une articulation de notre langue, encore perfectible.
A ses côtés, la mezzo francophone Eve-Maud Hubeaux, aux graves somptueux, fait une Gertrud dont on ne comprend pas a contrario le moindre mot ; dommage car la couleur et le caractère, la présence scénique interpellent et captivent. Laërte, frère d’Ophélie (Julien Behr), Claudius (sombre et spectaculaire Jean Teitgen), Horatio comme Marcellus (respectivement Frédéric Caton et Julien Henric) complètent une distribution globalement mémorable… s’il n‘était le sordide de la mise en scène de Warlikowski, qui comme beaucoup de confrères, pourtant « adulés » par les directeurs d’opéras, finissent par se répéter de production en production ; dans le cas de Warlikowski, la déromantisation de la partition vers un froid aseptisé et déshumanisé s’impose aux spectateurs : les fauteuils roulants, la baignoire, l’asile ou la maison médicalisée (déjà vue dans son Iphigénie en Tauride à Garnier en 2006), les mille histoires et relations réinventées, réécrites par l’homme de théâtre, imbriquées allusivement (ou explicitement par la vidéo) dans la trame originelle, sont emblématiques.
Le chef Pierre Dumoussaud qui a dirigé la partition à Nantes (oct 2019 : https://www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-nantes-opera-graslin-le-2-oct-2019-thomas-hamlet-franck-van-laecke-pierre-dumoussaud/) remplace Thomas Engelbrock initialement programmé (mais il s’est cassé le bras), avec les qualités dramatiques et de belle caractérisation, observées dans un récent récital titre que le ténor Cyrille Dubois vient de dédier aux airs romantiques français pour ténor de grâce (cd événement « SO ROMANTIQUE! », CLIC de classiquenews / printemps 2023) : sens des couleurs, nuances instrumentales à la fête (harpe, bois… et saxophone, premier emploi dans un orchestre alors) rétablissent la qualité d’une partition à réestimer d’urgence, désormais sommet du théâtre lyrique au Second Empire. A voir sans hésiter.
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Diffusion sur ARTE, jeudi 30 mars 2023, 19h30, en Live streaming : LIRE notre présentation annonce du live streaming opéra, Hamlet de Thomas par Warlikowski par Ludovic Tézier et Lisette Oropesa : https://www.classiquenews.com/live-streaming-arte-concert-hamlet-par-krysztof-warlikowski-opera-bastille-jeu-30-mars-2023-19h30/
PLUS D’INFOS sur le site de l’Opéra National de PARIS : https://www.operadeparis.fr/saison-22-23/opera/hamlet
HAMLET d’Ambroise Thomas / Warlikowski, nouvelle production – A l’affiche de l’Opéra Bastille jusqu’au 9 avril 2023 – durée : 3h40 dont 1 entracte – attention changement de distribution selon les dates de représentation : https://www.operadeparis.fr/saison-22-23/opera/hamlet
VIDEO : entretien avec Ludovic Tézier / Hamlet :
Légende photo : Le Spectre du roi assassiné, sorte de vieux clown grimaçant (Clive Bayley), son épouse la reine Gertrude (Eve-Maud Hubeaux) et Hamlet, son fils (Ludovic Tézier) – AMBROISE THOMAS : « Hamlet », PARIS, Opéra Bastille, le 10 mars 2023. Nouvelle production © Brend UHLIG/ONP 2023
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