dimanche 8 décembre 2024

COMPTE-RENDU critique, opéra. NANTES, Opéra Graslin, le 2 oct 2019. THOMAS : Hamlet. Franck van Laecke / Pierre Dumoussaud.

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HAMLET-ophelie-opera-nantes-angers-rennes-critique-classiquenews-homepage-582COMPTE-RENDU critique, opéra. NANTES, Opéra Graslin, le 2 oct 2019. THOMAS : Hamlet. Franck van Laecke (mes) / Pierre Dumoussaud (dir musicale). Le génie dramatique d’Ambroise Thomas éclate dans Hamlet (1868). Sa force théatrale claque même à l’esprit des spectateurs tant la succession des tableaux s’enchaîne dans le style de Shakespeare et de Verdi ; rien n’y est à jeter tout au long des deux premiers actes (entre autres) : denses, justes, précis dans l’exposition et le développement de chaque personnage, dans le profil de leur lente descente aux enfers.
Les contrastes des climats, la clarté et l’intensité des situations rayonnent d’autant mieux dans la mise en scène de Frank Van Laecke : sobre, efficace, elle illustre le profil d’Hamlet dès le début comme un décalé social, solitaire dans sa chambre sépulcrale, clairement porté sur l’alcool dont il tire une ivresse oublieuse, insolente, moqueuse. Le solitaire illuminé que tout le monde pense « fou », a des visions que le dispositif unique rend visible, sous la forme de tableaux vivants qui occupent l’espace central, qui s’ouvre et se referme. Au devant de la scène, Hamlet pense, cogite, telle une ombre errante ; il soliloque et fait face au public dans la formidable scène du spectre, assurément la scène la plus spectaculaire de la partition.

Tout commence par un somptueux duo d’amour que n’aurait pas renié Gounod (celui de Roméo et Juliette, créé un an avant Hamlet, en 1867) : autres cœurs inspirés shakespeariens, – mais eux aussi, maudits, Hamlet et Ophélie y échangent des serments d’une rare intensité.
Puis le fantastique et le surnaturel prennent bientôt le pas sur cette histoire somme toute assez banale de trouble dynastique et royale à la cour danoise. Ce qui nous vaut une scène mémorable où le spectre du père assassiné, paraît à Hamlet (et aussi devant Marcellus et Horatio médusés, hallucinés ; preuve qu’il n’est pas fou comme le pense sa mère Gertrud) ; en une séquence très forte et face au public, Hamlet développe son grand air de vengeance et de rage haineuse, chauffé à blanc par la voix paternelle qui lui enjoint (terrible injonction) à le venger : il n’existe pas de drame plus terrifiant ni de rôle plus engageant à l’opéra sauf peut-être celui très proche d’Elektra, elle aussi détruite et démunie, face à sa mère déloyale et à son père qui a été trahie et assassiné.
Ambroise Thomas écrit un rôle écrasant pour bartyon, dans la réalité le célèbre Jean-Baptiste Faure- vedette à l’Opéra de Paris sous la direction du très inspiré Emile Perrin, dès l’hiver 1862. Ce même chanteur célébré à son époque et qui chanta Posa dans Don Carlos de Verdi créé à Paris également en 1867, fut effectivement l’ami de Manet ; surtout, ce que ne précise pas le livret programme édité par Angers Nantes Opéra, c’est que Jean-Baptiste FAURE commanda plusieurs tableaux à l’immense Edgar Degas… autant de vues exceptionnelles de l’orchestre et de la scène de l’Opéra de Paris, des portraits d’instrumentistes aussi… joyaux à voir absolument sur les cimaises du Musée d’Orsay, écrin de l’actuelle exposition (passionnante) : « Degas à l’Opéra » (jusqu’en janvier 2020).

Après ce monologue sidérant où un fils parle à son père mort (Hamlet / le spectre), où Shakespeare égale le mythe grec antique (Elektra / Agamemnon), surgit l’âme sacrifiée mais elle aussi délirante et poétique, d’Ophélie ; son premier air qui succède presqu’immédiatement au surnaturel sidérant qui a précédé, est celui d’une amoureuse, sombre, très réaliste et désespérée sur l’amour et les serments illusoires… préambule bouleversant au magnifique tableau de la noyade à l’acte IV) ; sa coloratoure est dune soie sombre et lugubre, produit singulier du génie de Thomas.

 

 

 

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Puis c’est la mère dépassée elle aussi et qui « a peur ». Enfin s’accomplit la formidable conclusion de l’acte II, celui de la pantomime, théâtre dans le théâtre, achève cette succession d’épisodes saisissants. A travers le meurtre du roi Gonzague, joué, parodié avec la distance requise par 3 comédiens très drôles, Hamlet indique clairement à sa mère (Gertrud) et son usurpateur d’oncle (Claudius) qu’il sait tout du crime que les deux veulent cacher. C’est un autre grand moment du drame ; habile, la mise en scène rétablit la puissance d’un grand moment de théâtre : d’un coup imprévisible, le drame lyrique déborde de la scène habituelle et s’inscrit dans l’espace de la salle des spectateurs ; le couple royal paraît dans une vraie loge, le choeur d’hommes investit la vraie salle, de sorte que les spectateurs  assistent à une vraie mascarade en présence des souverains d’Elseneur. L’effet est saisissant. Ici le raffinement d’Ambroise Thomas place un somptueux solo pour saxophone, exprimant la superbe de ce couple de parfaits imposteurs, qui sont de vrais criminels.
Dans la partition, Thomas associe alors l’effroi feint du roi et de la reine, (amplifiée par le chœur qui chante au balcon parmi le public), et l’air d’ivresse d’un Hamlet dénonciateur et pourtant impuissant, à la fois triomphant et détruit. C’est l’un des plus grands moments dramatiques de tout l’opéra romantique français. Et parfaitement traité par le metteur en scène. Belle réalisations ; et pour les spectateurs, formidable expérience.

Solide distribution pour l’un des ouvrages les plus exigeants du Romantisme français. Dans le rôle-titre, Charles Rice s’il ne maîtrise pas totalement les nuances du français (il est quand même un peu fâché avec les « u »), déploie une raucité puissante, intense tout au long d’un rôle écrasant pour les barytons ; saluons le souci d’intelligibilité du soliste et aussi sa concentration qui éclaire de l’intérieur, le feu à la fois haineux et halluciné qui le ronge jusqu’à la fin ; déjà écoutée ici même dans Cendrillon de Massenet (où elle incarnait la fée bienveillante), la québécoise Marianne Lambert, diseuse convaincante dans le lied et la mélodie, construit pas à pas l’exceptionnel rôle d’Ophélie, amoureuse noire, depuis ses ivresses et aspirations éperdues – en cela très proche de la Juliette de Gounod ; jusqu’au tableau de sa folie psychique (et vocale) puis sa noyade dans l’acte IV,… sublime romantisme lugubre et désespéré mais d’une puissante force poétique (l’égal de la Mort d’Ophélie de Berlioz ?). Si la voix reste petite, sa suavité et sa sincérité touchent immédiatement, même si l’on perd (et c’est dommage) beaucoup de texte. Face à ces deux solitudes condamnées au sacrifice, le couple des meurtriers s’impose tout autant ; Philippe Rouillon incarne un Claudius faussement fragile et idéalement manipulateur, quand le mezzo de Julie Robard-Gendre (déjà écoutée ici aussi dans Orphée et Eurydice de Gluck version Berlioz) personnifie sans appui ni outrance, la peur et l’effroi démuni de la mère d’Hamlet.

 
 
 

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Tous les seconds rôles sont corrects ; et l’on doit saluer, s’agissant d’un opéra romantique français, assurément l’un des plus aboutis en 1868, à l’époque du Second Empire, le couple Horatio / Marcellus, témoins terrassés des visions d’Hamlet, eux mêmes ayant vu le spectre de son père : respectivement la basse Nathanaël Tavernier et le ténor Florian Cafiero, à l’intelligibilité parfaite. Les chœurs sont à notre avis trop sonores : leur texte reste inintelligible. L’Orchestre National des Pays de la Loire sous la baguette souple et scrupuleuse de Pierre Dumoussaud relève les défis d’une partition particulièrement « composite » (cf les jugements d’époque), redoutable en réalité dans le passage des caractères et des situations, sans omettre les très nombreux solos instrumentaux (cor dès l’ouverture ; hautbois et flûte pour les apparitions d’Ophélie ; en particulier le saxo dont le monologue qui permet d’assoir la crudité réaliste de la pantomime à la fin du II, est magnifiquement assumé par Baptiste Blondeau : et l’on se dit, quel orchestrateur et quel génie des ambiances et des couleurs était Thomas, le grand oublié de nos scènes lyriques.
Remonter et faire redécouvrir ainsi Hamlet suscite les plus grands éloges : la lecture est juste et ardemment défendue, intensément et subtilement incarnée. Saluons là encore Angers Nantes Opéra de poursuivre sa défense de notre patrimoine national. Ambroise Thomas fusionne selon nous, Verdi et Gounod. D’autant qu’ici, inspiré par Shakespeare, il invente véritablement l’opéra noir et psychologique qui n’existait pas encore en France. Comparé à Berlioz, – sa Damnation de Faust par exemple, le messin Thomas est d’une texture plus âpre, poétiquement très subtile qui exige d’être ciselée comme du Mozart ; tout en rugissant, comme du… Verdi. Fascinante résurrection, encore à l’affiche de l’Opéra Graslin de NANTES le 4 octobre 2019; puis à ANGERS, Grand Théâtre, les dim 24 puis mardi 26 nov 2019. Incontournable. Ainsi l’institution lyrique des Pays de la Loire ouvre avec pertinence sa nouvelle saison 2019 – 2020.

 
 
 

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Photos : © JM Jagu / Angers Nantes Opéra

 
  

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