jeudi 23 janvier 2025

CRITIQUE, opéra. MONTPELLIER, Opéra Berlioz, le 26 mai 2024. PUCCINI : La Bohème. A. Ferkecka, L. Long, J. Muzychenko, M. Trabka… Orpha Phelan / Roderick Cox.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Le livret de La Bohème de Giacomo Puccini est familier, sans doute “le plus  contemporain de tous les sujets d’opéra connus jusqu’alors” (René Leibovitz), la musique l’est tout autant. Et avec une production de la femme de théâtre britannique Orpha Phelan – à l’Opéra National de Montpellier-Occitanie -, au moins étions-nous sûrs d’une mise en scène, pour nouvelle qu’elle soit (mais étrénnée quelques mois plus tôt à l’Irish National Opera, maison coprodutrice du spectacle), exclusivement au service de l’ouvrage.

 

 

Sans tomber dans la “naphtaline”, le travail d’Orpha Phelan se signale par cette probité – devenue rare – à l’endroit de la dramaturgie voulue par les librettistes et le compositeur. Et pour autant, donc, ce n’est pas “l’opéra de papa” qui est proposé à Montpellier, qui forcerait les traits du mélo, comme dans les tournées de province au “bon vieux temps”, mais une lecture humble, sans pathos ajouté, avec juste ce qu’il faut d’originalité pour renouveler l’intérêt. Si quelques partis pris surprennent (Musette grimée en Marlène Dietrich par exemple…), la scénographie (signée Nicky Shaw, tout comme les costumes), efficace et belle, sert fort bien l’ouvrage, avec une distribution sans faiblesse, quelques voix superbes, et une direction exemplaire. Le rideau se lève sur la traditionnelle mansarde, qui prend ici des allures de loft-atelier où Marcello exécute ses toiles alors que Rodolfo rédige sur sa machine à écrire, juste entourés d’un maigre poêle et d’un lit miteux… En effet, l’action a été transposée à la « Belle Epoque », et les références aux années 30 sont nombreuses. Toute la profondeur de la scène est exploitée, avec de belles perspectives, et les changements de décors se font à vue, de manière assez spectaculaire (pour passer au Café Momus, puis à la Barrière d’enfer…). De la belle ouvrage vraiment !

C’est un jeune ténor chinois, Long Long (un nom à retenir !), à la carrière très prometteuse, qui campe Rodolfo : l’aisance manifeste, vocale comme dramatique, le timbre très séduisant, la puissance et la dynamique confèrent une vérité au personnage, que rien ne démentira. Son « Nei cieli biggi« , puis le délicat « Che gelida manina » sont un régal. Le Marcello du polonais Mikolaj Trabka est juste, servi par une riche voix de baryton, dont la vérité du chant est manifeste. Les deux derniers compères, le philosophe Colline (la basse coréenne Dongho Kim) et le Schaunard de Dominic Sedgwick sont parfaitement assortis à cette joyeuse bande. La scène cocasse où le propriétaire vient réclamer son loyer  – un Yannis François à contre-emploi ici… – fait néanmoins sourire avant l’émotion. Le public, qui attend Mimi, sera comblé : la soprano polonaise Adriana Ferkecka est cette Mimi, avec des moyens vocaux larges sans être superlatifs, dont elle use pour donner vie à l’héroïne discrète, sincère, passionnée, fragile et émouvante qu’est Mimi. Et puis, elle a la jeunesse du personnage, comme à quasiment tous les autres protagonistes, intelligemment choisis et réunis par Valérie Chevalier. Bien sûr, tous les airs “connus” sont merveilleusement servis, mais aussi les duos (« O soave fanciulla » tout particulièrement) et, par-dessus tout, les ensembles : quel 2ème acte que “Chez Momus” ! L’animation joyeuse du café nous renvoie à une atmosphère digne d’un Carnaval… C’est animé à souhait, avec sa profusion de personnages, la multiplicité des chœurs, le rythme endiablé de la partition. Musette, la jeune effrontée, l’audacieuse, sincère dans son amour pour Marcel, mais frivole Musetta (incarnée par une habituée de la scène montpelliéraine, l’excellente soprano russe Julia Muzychenko) a séduit Alcindoro (rôle également dévolu à Yannis François, encore moins crédible vu son jeune âge…), qui l’entretient, mais surtout le public ! Ses qualités vocales et scéniques sont extraordinaires – mais nous le savions déjà grâce à sa Gilda de folie – in loco en 2021 (et déjà sous la direction de Roderick Cox !). A l’aise dans tous les registres, avec sa voix sonore et agile, qui fait merveille dans sa valse “Quando me’n vo’ soletta”.

Et c’est donc le nouveau directeur musical de la phalange occitane (nommé il y a moins d’un mois, nous nous en faisions l’écho dans ces colonnes…), le chef étasunien Roderick cox qui dirige en cette matinée du dimanche 26 mai, troisième et ultime représentation. Familier de ce répertoire qu’il affectionne, il le sert avec une conviction et une efficacité qui forcent l’admiration. Les musiciens de l’Orchestre National de Montpellier-Occitanie, visiblement captivés par sa direction, traduisent chacune de ses intentions. Le style, l’élégance, la souplesse, la dynamique et les phrasés, tout est là, avec une retenue et des dosages subtils que l’on savoure. L’attention portée par ce grand chef lyrique (et l’on espère également symphonique !…) au plateau est permanente : solistes et l’excellent chœur “maison” sont conduits de façon admirable, particulièrement dans la complexité du 2ème acte…

Un grand bravo !

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CRITIQUE, opéra. MONTPELLIER, Opéra Berlioz, le 26 mai 2024. PUCCINI : La Bohème. A. Ferkecka, L. Long, J. Muzychenko, M. Trabka… Orpha Phelan / Roderick Cox. Photos (c) Marc Ginot.

 

VIDEO : Teaser de « La Bohème » (dans une mise en scène d’Orpha Phelan) à l’Opéra Berlioz de Montpellier

 

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