Fort d’une offre musicale (et chorégraphique) passionnante à suivre, l’Opéra de Massy affiche ce soir une création : « We are eternal », inspirée des Mémoires de Lorenzo Da Ponte (écrits par ce dernier aux USA, à partir de 1830, à 81 ans…). Le spectacle sera repris les 19 et 20 avril 2023 à la Philharmonie de Paris (lire notre agenda ci dessous).
Collectif expérimental qui stimule et encourage la professionnalisation du chanteur d’opéra, « Opéra Fuoco » fondé et dirigé par David Stern offre un accompagnement exemplaire pour les jeunes interprètes, prêts à réussir leur expérience vocale, scénique… avec, cerise sur le gâteau, la complicité d’un orchestre complet ; de surcroît une phalange affûtée, hypersensible, sur instruments historiques qui de fait, déploie ses indiscutables arguments ce soir.
Où a-t-on écouté de plus souples et bondissants ballets des Noces de Mozart ? Axur de Salieri, ou Teodoro de Paisiello, sans omettre l’ouverture de la Grotte de Trofonio ? les (trop courts) extraits… sont d’excellent prétextes ou avant-goûts pour approfondir le répertoire viennois ainsi exploré. Le mordant des cordes, toujours souples ; le relief fruité des bois et des vents, l’éclat fragile mais vif-argent des cuivres offrent une parure scintillante aux chanteurs dont la plupart sont déjà passés par l’Atelier et reviennent ainsi en partenaires familiers d’Opera Fuoco.
La technique, l’intuition dramatique, le jeu aussi avec les instrumentistes et le chef pour créer cette présence scénique incontournable font le miel de la production : le plaisir de jouer ensemble est le moteur d’une performance qui est lyrique évidemment, mais aussi historique ; le fil conducteur qui opère la sélection des airs chantés et joués, est la vie de Lorenzo da Ponte.
Création à l’Opéra de Massy
We are eternal : épisodes de la vie de Da Ponte
& opéras de Mozart
Plus chronologique et historique que psychologique, l’action fait parler Da Ponte (excellent Dominic Gould), micro en mains, s’adressant directement aux spectateurs. Avant d’évoquer son parcours avec force anecdotes, le furieux librettiste peste contre les musiciens au début du spectacle car jouant la dernière scène du Don Giovanni de Mozart, ils ont osé couper l’épilogue ; or sans épilogue pas de morale ; et sans morale, l’intention du poète est méprisée. C’est donc la défense de son travail d’écrivain et de poète pour l’opéra et la scène qui se joue ce soir.
Da Ponte raconte sa rencontre avec l’empereur Joseph II à Vienne ; ses opéras écrits ainsi pour la Cour des Habsbourg : Il ricco d’un giorno puis Axur, mis en musique par Salieri ; sa contribution avec Padre Soler, surtout avec Mozart pour les 3 opéras conçus ensemble : Les Nozze di Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte dont plusieurs extraits composent l’ossature opératique du spectacle.
Vocalement, après un début encore déséquilibré où les voix se cherchent encore, où le format sonore de l’orchestre tend à couvrir les solistes, deux chanteurs se distinguent nettement en cours de soirée : le ténor Guy Elliott, voix suave et timbrée, aux aigus faciles (somptueux « un aura amorosa » extrait de Cosi), et le soprano brut, clair et puissant d’Axelle Fanyo qui réalise l’air « Deh vieni non tardar » avec un tact et un style sobre et engagé, totalement bouleversant…
A travers les presque 30 extraits des opéras de Mozart, le spectacle offre un voyage au centre du labyrinthe mozartien ; aucun autre compositeur n’a su mieux que lui exprimer le chant du cœur et du sentiment. Da Ponte évoque à peine son travail avec Wolfgang. L’homme connaisseur des vers de Dante, Pétrarque, Tasso, L’Arioste reste ici étrangement pudique dans le témoignage de sa collaboration avec Mozart. Il est heureusement plus bavard et documenté quand il décrit Joseph II auquel il s’attache et réciproquement.
De Venise, à Vienne, puis à Londres jusqu’à New York (exilé en 1805 à 56 ans) où dès 1826, il fait représenter Don Giovanni, Da Ponte est un aventurier flamboyant, un amoureux des femmes, un gourmand du verbe dont le goût du risque et l’esthétisme sont moteurs. C’est une figure qui appelle la scène ; sa vie est un roman ou comme ici, une série de situations théâtrales, parfois cocasses souvent spectaculaires. Le mélomane goûtera à travers la sélection des airs mozartiens, une collection très bien opérée, dramatiquement contrastée et pertinente, habilement agencée en regard du texte dit par Da Ponte en scène. Talents lyriques en devenir, orchestre éruptif et suggestif, chef fédérateur, l’oreille est d’autant plus séduite qu’elle se cultive aussi. Au terme de l’action, la vie de Da Ponte, Zelig imprévisible mais qui a percé comme Mozart, le secret du cœur humain, n’aura plus aucun mystère. Incontournable.
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CRITIQUE, opéra. MASSY, le 7 janv 2023. We are eternal : Mémoires fabuleuses de Lorenzo da Ponte. Opera Fuoco, David Stern. Photo : DR Opera Fuoco 2022
Orchestre Opera Fuoco
David Stern – direction musicale
Marie-Louise Bischofberger – mise en scène
Marie-Louise Bischofberger, Dominic Gould – Livret
Pedro Diaz – conseil dramaturgique
DISTRIBUTION du 7 janvier 2023 à l’Opéra de Massy (création)
Dominic Gould – comédien, récitant
Axelle Fanyo – soprano
Anne-Lise Polchlopek – mezzo-soprano
Guy Elliott – ténor
Aymeric Biesemans – baryton
Halidou Nombre – baryton-basse
AGENDA
Prochaines dates du spectacle We are eternal / Mémoires de Da Ponte par Opera Fuoco : les 19 et 20 avril 2023 (20h) Philharmonie de Paris – réservez ici :
EN LIRE PLUS sur le site d’Opéra Fuoco :
https://operafuoco.fr/we-are-eternal-les-memoires-fabuleuses-de-lorenzo-da-ponte/